L’établissement médico-social parisien a accueilli le 2 avril la finale de
TousHanRobe, un concours d’éloquence mixte organisé par l’association Droit comme
un H. Son but : intégrer les jeunes talents en situation de handicap dans les
professions du droit.
« Ce soir, nous sommes réunis
pour parler de tout, de rien. Le handicap n'est qu’un prétexte, l'éloquence est
notre véritable raison d'être ici », annonce Matthieu Juglar avec solennité.
Les mots de l’avocat en droit pénal résonnent particulièrement, le 2 avril, à
l’Institut national des jeunes aveugles à Paris. Dans l’iconique salle de concert André
Marchal se tient la finale de la troisième édition du concours d’éloquence
TousHanRobe, organisé par l’association Droit comme un H présidée par Matthieu Juglar.
Thomas et Léa prennent place côte à
côte. Ils feront face à leurs contradictrices respectives, Lina et Coleen.
« C’était important pour moi de représenter l’association en
m’adonnant à un exercice qui me plaît, dans lequel je suis à l’aise »,
explique Thomas, dont la dysgraphie l’a poussé à rejoindre le collectif. « Notre but est
d'intégrer les jeunes talents en situation de handicap dans les professions du
droit, expose le fondateur de la structure Stéphane Baller. De l’autre
côté, on aide les cabinets et les entreprises à voir que ça se fait assez
facilement. C’est donnant-donnant : ça leur permet de progresser en écoute et
en capacité de management. »
La canne blanche donne-t-elle du pouvoir ?
Les premières finalistes sont
appelées sur le sujet « les porteurs de canne blanche ont-ils un pouvoir
de police ? ». À l’affirmative, Coleen, 26 ans, embarque la salle
dans « un voyage temporel ». Anecdote après anecdote, la jeune femme en
Master 1, double diplôme en ressources humaines avec spécialisation juriste en droit social, revient
sur les origines du bâton blanc des agents de circulation, celui que l’on voit
dans les anciennes bandes dessinées. « Quand on parle de pouvoir de police, le pouvoir c’est
la capacité de faire, expose-t-elle. La police, étymologiquement, c’est
la cité. La canne blanche a permis cette capacité de se mouvoir avec autonomie
au sein de la cité, et c’est tout son intérêt [...]. Nous ne sommes pas là pour
faire l’amalgame du pouvoir et de l’autorité de police ». L’étudiante,
en apprentissage chez Renault, déroule sans notes pour la guider. « Tout
mémoriser fait partie des règles que je me suis imposées, confie-t-elle. Je
trouve que ça ajoute de la spontanéité. »
En réponse, Léa, 22 ans, dépeint
une dystopie où des personnes « peu scrupuleuses » se procureraient une
canne blanche pour faire régner leur propre loi. « Vous imaginez les dérives
et le chaos qui s’ensuivraient ?, questionne-t-elle. Sans parler des
abus d'autorité… La canne blanche
est bien plus qu’un accessoire. Elle incarne la capacité à surmonter les
obstacles et à triompher face à l'adversité. Laissons donc à la canne blanche
la place qui lui revient, qui n'est en aucun cas une baguette magique de
maintien de l’ordre ». L’étudiante en Master 1 droit des affaires débite
un discours direct, efficace, qu’elle a pris plaisir à travailler. « J’ai
trouvé la thématique inspirante, glisse-t-elle. Ça nous amène à nous
poser beaucoup de questions sur le handicap, c’est un bon exercice. »
« Avec le temps, tu pourras faire
sans tes yeux »
« Peut-on entendre, dès
l’aube, blanchir la campagne ? », avait ensuite demandé le jury aux
prétendants. Lina, 25 ans, a d’abord rencontré des difficultés pour répondre à
ce vers reformulé de Victor Hugo. « Pourtant je suis très littéraire, j’aime
beaucoup lire ! Dès que j’ai eu un brin d’inspiration, je me suis lâchée
». Dont acte. « On peut entendre dès l'aube blanchir la campagne. On doit l’entendre blanchir », conjure celle qui se
prépare à passer l’examen du barreau. D’une voix claire, touchante,
mêlant accélérations et pauses, elle s’adresse à « la petite Lina », l’enfant
voyante qu’elle a été. « Tu dois entendre blanchir la campagne, tu n’as pas
d'autre choix. […] Blanchir la campagne, c'est aussi un orchestre, une
symphonie, des bruits, des sons, des mouvements, des ressentis… C’est également
des odeurs, des parfums. Avec le temps, tu pourras faire sans tes yeux ».
Dans l’audience, une femme murmure à sa voisine : « J’aime
beaucoup, il y a une grande douceur. »
Thomas, 30 ans, conclut la soirée
avec un discours sur l’amour à sens unique d’un poète pour une femme. « En
l’occurrence, Hugo avait perdu sa fille », rappelle le jeune diplômé qui prépare
le concours d’avocat. « Alors même si je ne l'entends pas blanchir au loin,
ce n’est pas grave. Il suffit de penser fort à celles et ceux qui dès demain au
petit matin entendront briller sans effort cette campagne imaginaire. Et ce
sont là d'excellents mots pour la fin : heureux […] de savoir
s'accomplir les prochains ».
Bienveillance et mixité
Le jury se retire pour délibérer
tandis que les quatre finalistes se rassemblent pour se féliciter. «
L’esprit bienveillant des participants m’a vraiment frappé, sourit Lina. Mon
contradicteur est super sympa et on s'entend tous très bien avec les autres. »
« Pour la prochaine édition, on voudrait que des jeunes de l’extérieur
viennent se mesurer à eux parce que le concours est ouvert, formule le fondateur
de Droit comme un H, Stéphane Baller. On espère que la mixité se développera.
»
Les bruissements et les éclats de
rire s’éteignent au moment où le jury revient. Coleen et son bâton blanc ainsi
que Lina et son interprétation sonore de la campagne de Hugo sont déclarées
vainqueures. A la clef : un stage chez l’éditeur juridique LexisNexis en
guise de mise en selle dans l’univers professionnel du droit. Mission réussie pour
Droit comme un H.
Floriane
Valdayron