Plus de 600 personnes étaient présentes
à Lyon, les 17 et 18 octobre derniers, pour le congrès national de
l’Association des Avocats Conseils d’Entreprises (ACE), qui cette année portait
sur le thème « IA Intelligence Avocat ». À l’heure
de la transformation digitale des métiers du droit, comment les avocats
perçoivent-ils cette mutation numérique ? Comment l’intelligence avocat
est-elle mise à contribution ? La profession s’est ainsi interrogée sur
les enjeux de cette transformation déjà en cours.
Les
membres de l’ACE ont, durant deux jours, investi la Cité internationale de
Lyon, à l’occasion de la tenue de son 27e congrès, les 17 et 18? octobre
derniers. C’est à l’architecte italien Renzo Piano que nous devons ce bâtiment,
à l’instar du nouveau tribunal de Paris ou encore du musée Pompidou à Paris
qui, rappelons-le, n’avait pas fait l’unanimité lors de son inauguration en
1977. « À l’instar du choc esthétique et
culturel qu’a eu en son temps l’élévation du centre Pompidou, la déferlante
numérique a éveillé dans notre profession une crainte profonde suscitant le
rejet d’un modèle qui remettait en cause l’architecture même de notre exercice »,
a affirmé la présidente de l’ACE, Delphine Gallin. Mi-octobre, ils étaient
ainsi plus de 600 à se réunir à cette occasion
pour débattre de cette transformation et de l’IA : l’Intelligence
Avocat.
Delphine Gallin
Le congrès a débuté par le discours d’accueil de l’hôte
de cette manifestation, François Coutard, président de l’ACE-Lyon. Ce dernier
est revenu sur les deux termes composant la thématique du jour, « Intelligence » et « Avocat » : « Nous avons voulu ce thème et ces mots, bien sûr
pour évoquer l’IA (l’autre) tellement présente dans les esprits aujourd’hui,
mais surtout pour dire combien nous saurons être la hauteur de l’ensemble des
défis qui se posent à nous actuellement », a-t-il déclaré. Le président de
l’ACE-Lyon est également revenu sur la « disruption
», car « ce congrès se veut disruptif
», a-t-il affirmé. « Convivialité »,
« confiance », « proposition » et « audace
» ont également été évoqués, comme des vocables prémonitoires pour ce congrès.
Enfin, tourné vers l’avenir, le mot «
jeunesse » est venu conclure cette liste : « J’aime à rappeler régulièrement que notre devoir le plus impérieux est
de concevoir et de construire aujourd’hui l’avenir non pas en fonction de ce
qui a été ou de la façon dont nous voyons les choses, mais en fonction de ce qu’ils
souhaitent dès lors que leur vision correspond aux fondamentaux de nos
convictions et de nos valeurs » a précisé le président de l’ACE-Lyon.
François Coutard
Afin de débattre sur la mutation numérique « et les enjeux formidables qu’elle augure »
auprès de la profession, comme l’a formulé Delphine Gallin dans son édito,
différents ateliers aux thématiques diverses sont venus composer le programme.
À titre d’exemple, le professeur Pierre Mousseron, Olivier Chabot, directeur
gestion relation client SECIB, Jérémy Certoux, directeur général SECIB et Dan
Kohn, directeur prospective SECIB, ont notamment animé un atelier consacré à
l’intelligence artificielle et à la production juridique au service des avocats
conseils en entreprise.
Un autre atelier s’est intéressé aux nouveaux outils de
financement des entreprises (crowdfunding,
ICO, plateformes de financement...), quand un différent s’est penché sur le
marché de l’art et les nouvelles technologies.
Les avocats Delphine Robinet et Dorian Jarjat,
accompagnés de Nathalie Attias et Guy Martinet, avocats et co-présidents de la
commission Droit Social, se sont quant à eux intéressé aux nouvelles formes de
travail et à l’uberisation.
Enfin, lors d’un autre rendez-vous, a été abordée la
problématique de la cyber sécurité des cabinets d’avocats. Un programme riche,
faisant le lien entre avocat et nouvelles technologies, revenant sur les
atouts, les solutions mais aussi les risques qu’elles supposent.
Le développement de l’IA
Cette année, alors qu’AG2R La Mondiale et l’ACE célèbrent le 20e anniversaire de leur partenariat, le directeur général d’AG2R La
Mondiale, André Renaudin, a été invité à intervenir. Dans son allocution, ce
dernier est revenu sur le développement de l’intelligence artificielle,
laquelle suscite, selon lui, et ce « depuis des décennies, espoirs et
craintes ».
« Le concept d’intelligence artificielle est né avec le test de
Turing en 1950 qui avait pour ambition de mesurer
l’intelligence d’une machine. L’expression consacrée remonte elle à 1955 et c’est en 1960 que les
premiers robots conversationnels font leur apparition », a-t-il
débuté. C’est toutefois à partir de 1990 que le
développement de l’IA a connu une véritable accélération, avec notamment la
victoire de l’ordinateur Deep Blue d’IBM sur le champion d’échec russe Garry
Kasparov, à New York, en 1997. En parallèle, à cette même époque, les animaux de compagnie et les appareils électroménagers intelligents
se sont développés, tandis que les assistances virtuelles ont fait leur
apparition.
Puis, l’intelligence a de plus en plus infiltré le
secteur professionnel : « Depuis les années 2010, l’intelligence artificielle
est à la mode et se développe partout, jusque dans les pratiques
professionnelles », a expliqué le directeur général d’AG2R La Mondiale, le
droit n’échappant pas à cette percée ; « Lors de la préparation de cette intervention,
je me suis rendu compte que la question de l’impact des innovations
technologiques dans le domaine de la justice n’est pas nouvelle. Elle a
notamment émergé lors de la mission d’information de la Commission des lois du
Sénat sur le redressement de la justice en 2016-2017 », a précisé André
Renaudin. Les legaltechs et le big data sont ensuite apparus, et leur
exploitation des données a inévitablement bouleversé « en profondeur » le
métier d’avocat, a expliqué l’intervenant.
Ce congrès vient ainsi interroger « la façon dont [l’IA] fera évoluer le droit et la justice »,
embarquant avec elle un certain nombre de promesses : « meilleure prévisibilité des décisions de justice, transparence,
harmonisation des pratiques entre les juridictions, encouragement à la
résolution de conflits à l’amiable... » a cité le directeur général. Mais
selon lui, ces promesses se doivent d’être réfléchies, notamment en ce qui
concerne « la protection et la
confidentialité des données des clients, mais aussi sur l’équité de la solution
trouvée ou de la décision apportée ». « Le cadre éthique et juridique autour de
l’IA reste donc à fixer » a ainsi résumé André Renaudin, exigence qu’il
impose également au secteur de l’assurance, remettant ainsi la responsabilité
de ce développement dans les mains de chacun : « Dans un contexte réglementaire en perpétuel mouvement et une forte
mutation technologique, nous devons plus que jamais anticiper les évolutions de
la protection sociale de notre pays dans l’intérêt conjoint des chefs d’entreprise
et des salariés. Il nous appartient, collectivement, d’y répondre » a
conclu le directeur général d’AG2R La Mondiale.
L’avocat au cœur de l’IA
La présidente de l’ACE est à son tour revenue sur la « déferlante numérique » qui a bousculé la
profession, et a évoqué à cette occasion la première étape de cette révolution
: « l’introduction du RPVA (Réseau Privé
Virtuel des Avocats) qui [a] remis en cause l’organisation territoriale et
procédurale [des] barreaux », rappelant combien celle-ci fut vécu comme une
source d’angoisse par certains avocats s’opposant « à une technologie qui désormais [leur] paraît désuète ». Une belle
façon de réaliser un parallèle entre cette période de crainte désormais révolue
et la situation d’aujourd’hui, source d’inquiétudes : les nouvelles
technologies, legaltech, blockchain et autre open
data en terrifient en effet certains, qui y entrevoient la perte d’humanité
et la prise de contrôle des machines sur l’humain. Toutefois, une fois mises en
place, ces nouveautés technologiques ne seront-elles pas, à
l’instar du RPVA, parfaitement acceptées et digérées par tous, et totalement au service de
la profession ? Les avocats s’adaptent depuis toujours, notamment au gré
des avancés sociales et juridiques. La profession apparaît donc apte à
accueillir sereinement les avancées technologiques qui s’offrent à elle, a
souligné la présidente Ainsi, comme l’a formulé le président de l’ACE-Lyon dans
son édito, l’ « avenir
n’est pas à craindre, mais à construire, ensemble ».
Se voulant actrice de ces chamboulement, Delphine Gallin
s’est ainsi réjouie de l’adoption par ses confrères – et pas seulement – de ce
qu’elle juge comme des « opportunités
» : « Que beaucoup de nos confrères aient
compris rapidement et aient su saisir les opportunités qui s’offraient à eux
pour développer leur marché n’est pas surprenant, pour la présidente de l’ACE,
mais que nos institutions les plus traditionnelles prennent le train en marche
et accompagnent ces développements en créant tour à tour des incubateurs réunis
dans le Réseau National des Incubateurs des Barreaux, procure une satisfaction
presque béate chez l’observatrice attentive que je suis ». « L’intelligence Avocat ne serait-elle pas
cette faculté d’adaptation, cette aisance à saisir les opportunités qui
s’offrent à nous ? » s’est-elle interrogée. Car les avocats ont su et
continuent à s’adapter : « notre
profession demeure, elle avance, elle plie, mais ne rompt pas », a résumé
la représentante des avocats conseil d’entreprise.
À ce sujet, celle-ci est ensuite revenue sur les
bouleversements qui attendent la profession, laquelle va, selon ses dires, «
être mise à rude épreuve dans les mois qui viennent », à commencer par le
rapport du député Raphaël Gauvain qui remet sur le devant de la scène le sujet
de l’avocat en entreprise. La présidente a ainsi réaffirmé son soutien à la
création d’un statut de l’avocat exerçant en entreprise, opportunité selon elle
tant pour les entreprises que pour l’économie, « mais également pour notre profession qui bénéficierait ainsi de relais
majeurs dans une sphère économique qui nous échappe trop souvent au bénéfice de
nos concurrents ».
La présidente du syndicat a également évoqué le projet de
réforme du système de retraite de la profession initié par le dépôt du rapport
dit « Delevoye », lequel, selon elle, « n’apporte, à ce jour, aucune garantie
quant au maintien d’un régime de retraite juste et solidaire à l’instar de
celui que propose la CNBF ». L’ACE, qui siège à l’Union nationale des
professions libérales (UNAPL), a exprimé, par la bouche de sa présidente, ses
vives oppositions à cette réforme, comme elle l’a illustré lors de sa
mobilisation de septembre dernier, mobilisation remarquée par la présidente du
Conseil national des barreaux (CNB), Christiane Féral-Schuhl.
« Chez les avocats,
l’intelligence n’est pas artificielle »
La présidente du CNB a d’abord
profité de son intervention pour remercier en premier lieu l’ACE « pour le
travail que ses représentants fournissent dans l’intérêt collectif de la
profession », et saluer, de même que la présidente de l’ACE, ses élus au CNB,
défendant ainsi une institution « où se réalise l’unité de la profession ». «
Une unité qui doit beaucoup à l’ACE et à ses élus », a-t-elle précisé. Revenant
à son tour sur la forte mobilisation de l’ACE le 16 septembre dernier, celle-ci
n’a pas manqué de remercier Delphine Gallin pour son engagement contre la
réforme des retraites, manifestation qui a rassemblé pas moins de 20 000 robes
noires réunies pour défendre leur régime autonome.
La présidente du CNB l’a déclaré : il
s’agit d’ « une réforme qui ne met pas
seulement en péril nos retraites, mais tout l’équilibre économique de notre
profession », réaffirmant ainsi son « non à l’entrée dans le régime universel
». Et Christiane Féral-Schuhl poursuit son engagement : « Le 3 février, si le gouvernement n’entend pas les revendications des
régimes autonomes, les médecins s’arrêteront, les chirurgiens s’arrêteront, les
infirmières s’arrêteront, les pilotes de ligne et le personnel navigant
s’arrêteront... et les avocats s’arrêteront » a-t-elle averti, avant de
conclure en interpelant le haut-commissaire aux retraites : « Il faut que Monsieur Delevoye l’entende :
chez les avocats, l’intelligence n’est pas artificielle ». Et pour ceux qui
s’interrogeraient sur le lien à établir entre ses propos et la thématique du
congrès, la présidente de l’instance représentative des avocats l’a rappelé : «
Je n’ai cessé de vous parler
d’intelligence. L’intelligence de l’unité, l’intelligence collective qui est la
marque de fabrique de notre mandature au CNB, l’intelligence de notre profession
qui sait s’adapter aux transformations du monde. Cette intelligence est
profondément humaine, sensible, passionnée », a-t-elle formulé.
Christiane Féral-Schuhl
Le congrès a ainsi été l’occasion
pour la profession de s’interroger sur son avenir, en devenant acteur de sa
propre transformation. À l’heure où la digitalisation de la profession d’avocat
a déjà pénétré les cabinets et les entreprises, la profession se réunit pour
construire et défendre son futur.
Constance Périn