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Animaux sauvages dans les cirques : approches comparées

Animaux sauvages dans les cirques : approches comparées
Publié le 03/07/2019 à 17:20



Plus de 40 États (1) dans le monde ont fait le choix de renoncer à l’emploi d’animaux sauvages dans les cirques. Au sein de l’Union européenne, sur les 28 pays membres, une vingtaine ont adopté des législations nationales interdisant totalement (2), partiellement (3) ou progressivement (4) l’utilisation d’animaux comme divertissement humain.


Alors que la France vient de créer un groupe de travail sur le bien-être des animaux dans les cirques, c’est précisément l’impossibilité de satisfaire leur bien-être qui a motivé l’adoption par les pays voisins de textes interdisant l’utilisation d’animaux sauvages (I). 


Dans un contexte où le trafic d’animaux sauvages et, plus encore, d’espèces protégées, ne cesse de croître, la France se distingue par l’adoption de textes dont la conformité à ses engagements internationaux et européens interroge, et laisse entrevoir des recours au-delà de nos frontières (II).


À titre liminaire, selon l’article 1er du règlement UE n° 865/2006 du 4 mai 2006, est défini comme une « exposition itinérante », tout cirque, ménagerie utilisé(e) dans un but de présentation au public à des fins commerciales. En France, l’arrêté du 18 mars 2011 fixant les conditions de détention et d’utilisation des animaux vivants d’espèces non-domestiques dans les établissements de spectacles itinérants définit les cirques comme suit : « est qualifié d’itinérant tout spectacle réalisé dans des lieux différents ou requérant le déplacement des animaux en dehors du lieu où ils sont habituellement hébergés ».


Aux côtés des animaux domestiques listés dans l’arrêté du 11 août 2006, plus de 50 cirques français ont fait le choix de l’exotisme, que certains s’accordent à qualifier de nostalgies colonialistes, en exhibant des espèces protégées.



Bien-être et animal de cirque


De la notion du bien-être animal


Le 24 avril 2019, François de Rugy lançait un groupe de travail relatif au bien-être des animaux non domestiques en situation de captivité. L’objectif : l’adoption dune vingtaine de mesures prioritaires en juillet 2019.


Tout comme la notion d’être sensible, les Codes français peinent à appréhender la notion de bien-être et, surtout, à assortir de sanctions dissuasives tout manquement au respect de ce qui devrait devenir une obligation : celle d’observer le bien-être des animaux.


En 2018, l’Anses (5) a défini le bien-être d’un animal comme « l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes. Cet état varie selon la perception de la situation par l’animal ».


Le niveau de bien-être pour chaque individu est alors déterminé dans un environnement donné.


Aux termes du récent arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d’animaux d’espèces non domestiques, « toute personne, physique ou morale, qui détient en captivité des animaux d’espèces non domestiques doit (…) disposer d’un lieu d’hébergement, d’installations et d’équipements conçus pour garantir le bien-être des animaux hébergés, c’est-à-dire satisfaire à leurs besoins physiologiques et comportementaux ».


 


Des conditions de détention contraires au bien-être animal


Au niveau international, la convention de Washington de 1973, dite C.I.T.E.S (6), encadre l’acquisition d’un grand nombre d’animaux sauvages (7) afin de lutter contre le trafic.


Interrogée lors de la COP17 sur la légitimité à détenir ces animaux, l’organisation est venue définir, par la Résolution 11.20, l’expression « destinataires appropriés et acceptables », comme : « les destinataires dont :  


a) l’autorité scientifique de l’État d’importation estime qu’ils disposent des installations adéquates pour conserver et traiter avec soin des spécimens vivants ; et


b) les autorités scientifiques de l’État d’importation et de l’État d’exportation estiment que le commerce favoriserait la conservation in situ. »


Nulle finalité d’assurer la conservation de l’espèce dans les cirques. L’utilisation des animaux dans les cirques s’inscrit dans une démarche exclusivement économique.


Le 1er mai 2019, le secrétaire d’État à l’environnement britannique, Michael Gove, annonçait l’adoption d’une loi prohibant l’usage des animaux sauvages dans les cirques à compter de janvier 2020 au motif que « l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques itinérants n’a pas sa place dans la société moderne et ne contribue en rien à la conservation ou à la compréhension des animaux sauvages. »


D’autres États comme le Portugal ont, en 2009, interdit la reproduction et l’acquisition de nouveaux animaux sauvages, avant d’adopter, en octobre 2018, une loi interdisant la détention de tout animaux sauvages dans les cirques d’ici 2024.


En France, la liste d’animaux non domestiques pouvant être détenus, prévue par l’arrêté du 18 mars 2011 (8), n’est pas exhaustive. L’autorisation préfectorale d’un circassien à utiliser des animaux peut être délivrée pour d’autres espèces si l’exploitant justifie d’un intérêt artistique particulier. Rappelons que l’activité de cirque est toujours rattachée au ministère de la Culture depuis 1979.


Sur les conditions de détention « adéquates », l’annexe 3 de l’arrêté susvisé prévoit que les installations intérieures doivent aménager un espace d’au minimum 2,5 mètres sur 4 mètres pour un éléphant, et 7 mètres carrés pour un lion… Paradoxe du caractère itinérant d’un cirque, les animaux sont contraints soit à l’immobilisme dans des enclos restreints, soit à de longs transports sur route qui, au vu des récents accidents, démontrent l’impossibilité de satisfaire aux conditions posées par les instruments juridiques en vigueur (9).


En 2015, la Fédération des vétérinaires d’Europe (FVE) exprimait une position sans appel en recommandant aux autorités européennes et nationales d’interdire l’utilisation de mammifères sauvages dans les cirques itinérants à travers l’Europe, compte tenu de l’impossibilité absolue de répondre de façon adéquate à leurs besoins physiologiques, mentaux et sociaux. Deux ans plus tard, l’Ordre des vétérinaires français confirmait adhérer à la recommandation de la FVE.


En mai 2005, en Autriche, l’Association européenne du cirque adressait une plainte à la Commission européenne au sujet de l’interdiction par les autorités autrichiennes de détenir des animaux sauvages dans les cirques. Selon la plaignante, l’interdiction était contraire à la libre circulation des services au sein de l’UE, discriminatoire et disproportionnée en violation de l’article 49 EC (article 56 TFEU).


La Commission estimait que la question de la protection animale relevait de la compétence des autorités nationales en considération des aspects culturels, religieux et de valeurs morales propres à chaque État. Pour autant, elle rappelait que tout État peut se réserver le droit de restreindre la libre circulation (10) des services pour des motifs impérieux d’intérêt général, tels que le bien-être des animaux, en visant le Protocole sur la Protection et le bien-être des animaux annexé au Traité d’Amsterdam.


C’est précisément en invoquant que les cirques ne peuvent offrir d’installations adéquates aux animaux sauvages que l’Autriche confirmait qu’elle n’avait d’autre alternative que l’interdiction totale de détention d’animaux sauvages dans les cirques.


 


Sur la liberté de circulation et l’interdiction d’interdire en France


de l’interdiction d’interdire en france


Àdéfaut de législation nationale, plus de 300 communes françaises ont manifesté leur opposition à l’accueil des cirques avec animaux ; 60 y sont parvenues. À l’étranger, notamment dans les États fédéraux mais pas seulement, des interdictions régionales ou locales sont adoptées, comme à Madrid, ou en Catalogne.


En France, les maires ont recours à trois méthodes :


l’adoption d’arrêtés d’interdiction pris au titre des pouvoirs de police visés par les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du CGCT (11). Cependant la majorité est annulée ;


la formulation de vœu par le Conseil municipal (12) d’interdire l’installation d’un cirque dans la mesure où l’activité relève d’un intérêt local en vertu de l’article L. 2121-29 du CGCT. Toutefois ces vœux sont dépourvus de portée juridique ;


le refus d’occupation du domaine public pour des motifs tirés de l’ordre public, de la sécurité, de l’hygiène ou pour tout motif tiré d’une meilleure utilisation du domaine public.


Dans ce dernier cas, il est intéressant de relever qu’une circulaire du 19 octobre 2017 est venue déroger aux principes de transparence posés par la directive 2006/123/CE (13). Ainsi, selon l’alinéa 2 de l’article L. 2122-1 du CG3P, lorsque l’occupation ou l’utilisation autorisée est de courte durée, la procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence peut être remplacée par une simple publicité informant des conditions d’attribution des titres d’occupation.


Pour autant, on relèvera plusieurs points : ladite circulaire est émise par la Direction générale des finances publiques, et elle souligne que les modalités de ce régime dérogatoire « ne sauraient faire échec à l’appréciation souveraine du juge ».


Le 24 octobre 2018, une nouvelle charte d’accueil de cirques donnait le ton, avec pour titre « Droit de cité », aux termes de laquelle la collectivité « s’efforce de faire place » au cirque.


Pourtant, comme ses pays voisins, la France pourrait, aux termes de l’article XX a) et b) de l’accord du GATT, adopter des mesures restreignant la libre circulation des cirques itinérants dès lors qu’elle estimerait ces restrictions nécessaires à la protection de la moralité publique ou de la vie des animaux. S’il n’existe pas de définition supranationale ni atemporelle de la moralité publique, la France s’obstine à se démarquer par cette pratique – qui n’est pas sans rappeler une histoire peu glorieuse, et nie l’urgence de la protection des espèces menacées. La France pourrait encore faire valoir l’article 8 du règlement 338/97 du 9 décembre 1996, aux termes duquel les États peuvent interdire la détention d’animaux vivants appartenant aux espèces les plus menacées qu’il convient de protéger.


L’ultime argument pour reporter sine die l’interdiction des animaux domestiques dans les cirques, serait la préoccupation du sort des animaux captifs.


 


Sur le sort des animaux et la menace d’une recrudescence du trafic illégal


À titre liminaire, on soulignera que le droit positif français n’interdit pas la reproduction en captivité. Pire, il ne prohibe pas le prélèvement de nouveaux animaux sauvages dans la nature, alors que le trafic illégal d’animaux se hisse aujourd’hui au 3e rang des trafics mondiaux et nourrit le 1er trafic illégal : celui des armes et du terrorisme.


Alors que le premier sanctuaire européen des éléphants, Elephant Haven, s’apprête à ouvrir ses portes en France, les circassiens invoquent la difficulté de placer les animaux et le coût de reconversion de leur activité. Pourtant, l’analyse d’Eurogroup for animals fournit une liste significative de sanctuaires et refuges européens pouvant accueillir les animaux sauvages.


L’article 10.5 du règlement UE N° 865/2006 prévoit que les certificats pour exposition itinérante et les certificats de propriété cessent d’être valables si le spécimen est vendu, perdu, détruit ou volé, si le spécimen change de propriétaire d’une autre manière, ou si le spécimen est mort, s’est échappé ou a été relâché dans la nature.


Si les textes prévoient des obligations d’identification des animaux, le défaut d’enregistrement sur le récent fichier I-fap est susceptible d’être sanctionné par une contravention de 5e classe, soit un maximum dérisoire de 1 500 euros.À la veille des annonces du ministère par suite des réunions du groupe de travail, espérons que la France rattrapera son retard et ne se limitera pas à des déclarations d’intentions, mais adoptera des mesures concrètes assorties de sanctions dissuasives en cas de manquement, contrairement au récent arrêté du 8 octobre 2018.


« Un jour l’absurdité de la croyance humaine presque universelle dans l’esclavage des autres animaux deviendra évidente. Nous aurons alors découvert nos âmes et deviendrons dignes de partager cette planète avec eux. » (Martin Luther King)


 


NOTES :

1) Israël (1998), Costa Rica (2002), Bolivie (2009), Liban (2010), Pérou (2011), Mexique (2014), Iran (2016), le Guatemala (2017) le Salvador, etc.

2) Les États ayant interdit la détention de tout animal sauvage sont : Autriche (2005) ; Croatie (2007) ; Grèce (2012) ; Chypre et Slovénie (2013) ; Malte (2014) ; Luxembourg (2017) ; Roumanie et Slovaquie (2018) ; Angleterre (2020).

3) Certains États ont opté pour une interdiction totale « sauf » : Finlande (2006) ; Danemark (2013) ; Pays-Bas (2014). D’autre États autorisent l’utilisation d’animaux « à l’exception de certains animaux » : Pologne (1997) ; Hongrie (2007) et Lettonie (2017).

4) Portugal [2009 et 2018 (interdiction totale d’ici 2024)] ; Estonie (2001 puis 2018) ; Italie (2018).

5) L’Agence nationale de sécurité sanitaire.

6) Convention connue également sous l’acronyme anglais (C.I.T.E.S), transposée en droit européen par le Règlement 338/97 du 9 décembre 1996 modifié (Annexes UE de A à D).

7) 28 % seulement de la liste UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).

8) Arrêté du 18 mars 2011 fixant les conditions de détention et d’utilisation des animaux vivants d’espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants.

9) Guide C.I.T.E.S ; Résolution Conf. 10.21 (Rev.CoP16) ; Règlement (CE) N° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 ; Règlement (CE) N° 1739/2005 de la Commission du 21 octobre 2005.

10) La Commission admet que des restrictions à la libre circulation des services peuvent être justifiées dans les conditions fixées par la jurisprudence des juridictions communautaires, selon le test Gebhard : les règles susceptibles d’entraver ou de restreindre l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité doivent, pour se conformer au droit de l’Union : (i) être appliquées de manière non discriminatoire (c’est-à-dire que les règles doivent être indistinctement applicables) ; (ii) doivent être justifiées par des exigences impératives d’intérêt général ; iii) doivent permettre d’assurer la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent ; et (iv) ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif.

11) Pouvoirs de polices : pouvoirs aux fins d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.

12) Paris et Strasbourg ont formulé ce vœu.

13) Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.


 


Marie-Bénédicte Desvallon,

Avocate au barreau de Paris,

Solicitor of the Senior Courts of England & Wales

Responsable de la Commission ouverte Droits de l’animal au barreau de Paris et de la section thématique
Droits de l’animal de la Société de législation comparée


 


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