L’Assemblée générale statutaire annuelle de la
Conférence des bâtonniers s’est tenue les 31 janvier et 1er février
2020. En ouverture de cette dernière, Hélène Fontaine, présidente de la
Conférence, a notamment dénoncé les actions entreprises ces deux dernières
années par le gouvernement et la Chancellerie, en particulier la loi de
programmation de la justice et la réforme de la retraite. Lors de ce grand
rassemblement, les bâtonniers ont marqué leur opposition à cette réforme le
temps d’une photo où ils étaient tous réunis en robe.
« Tous les avocats et tous les acteurs et partenaires de justice sont
inquiets, car nous partageons les mêmes valeurs et le même attachement à cette
Justice que nous voyons inexorablement se déliter », a déclaré Hélène Fontaine en préambule, avant de faire la liste des lois, réformes et initiatives menées par le ministère de la Justice
depuis deux ans qui suscitent l’inquiétude de la profession : réforme et
programmation de la justice ; modification de la procédure civile et du
divorce ; réforme de l’ordonnance de 1945 par voie d’ordonnance ;
réforme du régime des peines ; mise en cause du secret
professionnel ; problématique de la carte judiciaire ; problématique
de l’aide juridictionnelle ; réforme des retraites.
Heureusement, s’est réjouie la présidente de la
Conférence des bâtonniers, face à l’adversité, le monde judiciaire est
désormais uni. Fini les divisions et les antagonismes.
L’UNITÉ DE LA PROFESSION
En guise de preuve de cette unité retrouvée, Hélène
Fontaine a invité la présidente du Conseil national des barreaux (CNB),
Christiane Féral-Schuhl, le nouveau bâtonnier de Paris et sa vice-bâtonnière, Olivier
Cousi et Nathalie Roret, à venir la rejoindre sur l’estrade. « Vous n’avez plus
à faire face à nos divisions, vous ne pouvez plus non plus les utiliser. Vous
avez devant vous une profession non pas uniforme, mais une profession unie » a-t-elle
fièrement proclamé s’adressant à une ministre malheureusement absente.
« Cette union des forces », selon les
termes de la présidente de la Conférence, les avocats la doivent également à
l’ancien président de la Conférence des bâtonniers, Jérôme Gavaudan, et à
l’ancien bâtonnier de Paris, Marie-Aimée Peyron, a reconnu Hélène Fontaine.
Cette unité est indispensable dans la mesure où, pour
la présidente de la Conférence des bâtonniers, le CNB, le barreau de Paris et la Conférence des bâtonniers
constituent un des piliers de la démocratie. S’adressant à Nicole Belloubet qui
« sembl[ait] ignorer ou feign[ait]
d’ignorer leur rôle et l’importance qu’ils occupent dans l’œuvre de justice »,
Hélène Fontaine a plus particulièrement insisté sur les missions dévolues aux
Ordres et à la Conférence de s bâtonniers.
« La
conférence, c’est le rassemblement des 163 Ordres de province : de l’Hexagone
et d’Outre-mer qui, avec leurs bâtonniers, leurs conseils de l’ordre et leurs
40 000 avocats, organisent et assurent l’accès au droit pour tous sur
l’ensemble du territoire » a-t-elle précisé.
Quant aux bâtonniers, « ils sont les gardiens de la déontologie et
de la discipline et assurent ainsi l’indépendance des Ordres » a-t-elle
ajouté.
Ces derniers sont de très bonne volonté, a assuré la
présidente de la Conférence. Ils ont en effet démontré au fil du temps et des
évolutions législatives et réglementaires leur capacité à s’adapter,
particulièrement lors de la fusion de la profession d’avocat avec celle d’avoué
de première instance, de cour d’appel et de conseil juridique. Mais ils se sont
également accoutumés aux réformes procédurales de grande ampleur (cour d’appel
en 2017, et de première instance en 2020), à la communication électronique, à
l’émergence des legaltechs, à la révolution numérique et à
l’intelligence artificielle.
En outre, selon Hélène Fontaine, ces derniers ne sont pas seulement flexibles et adaptables, mais sont aussi capables d’innover.
Ainsi, a détaillé la présidente, les bâtonniers et les Ordres s’investissent
pleinement dans les modes alternatifs de règlement des différends (MARD), se
sont emparés du divorce par consentement mutuel sans juge, de la procédure
participative de mise en état et de l’acte de procédure d’avocat et encouragent
les avocats de leurs barreaux à se former toujours davantage à l’intelligence
artificielle.
DE L’INDIFFÉRENCE ET DU
MÉPRIS DU MINISTÈRE DE LA
JUSTICE
Malgré tous ses efforts, la profession a cependant
l’impression de ne pas être écoutée, voire méprisée par la Chancellerie, a déploré la présidente de la Conférence des
bâtonniers.
« À
chaque nouvelle loi, chaque nouveau décret, vous rendez notre exercice plus
difficile (…). Nous avons même le sentiment que la suspicion, parfois, dicte
ces réformes, réformes qui n’améliorent ni l’efficacité ni la célérité de la
justice » a dénoncé Hélène Fontaine.
D’abord, a-t-elle précisé, l’exercice
effectif de la justice est devenu difficile en raison du manque de moyens et
d’effectifs. « Il faut des juges, il faut
des greffiers, il faut des moyens, il faut de la considération pour ceux qui
œuvrent parfois en silence, sans se plaindre, dans des conditions de travail
dégradées » a insisté la présidente de la Conférence des bâtonniers. Or, le
ministère de la Justice semble indifférent à ces problématiques budgétaires,
s’est désolée Hélène Fontaine.
Indifférent également aux manifestations des
barreaux, en particulier lors de l’élaboration de la loi de programmation et de
réforme pour la Justice, a-t-elle ajouté.
Sur ce point, la présidente de la Conférence a tout
particulièrement dénoncé les conditions dans lesquelles les décrets d’application
ont été publiés.
En effet, ces décrets ont été publiés très
tardivement, c’est-à-dire les 11, 17 et 20 décembre 2019 pour une entrée en
vigueur au 1er janvier 2020... Or, ces derniers modifient en profondeur le Code de
procédure civile et les pratiques procédurales, a indiqué Hélène Fontaine, et
auraient, par conséquent, mérité
un temps de mise en application plus long.
En outre, a fait remarquer Hélène
Fontaine, certaines juridictions ont été hésitantes jusqu’au dernier moment
quant à l’interprétation de plusieurs dispositions des décrets. Bref, les
Ordres auraient aimé avoir le temps d’organiser une réflexion collective sur
ces textes. « Le respect des bâtonniers,
des Ordres, des avocats, du monde judiciaire et des justiciables aurait
justifié une entrée en vigueur au 1er janvier 2021. Les acteurs de justice
auraient pu ainsi tous réfléchir, se former » a insisté la présidente.
LA RÉFORME
DE LA RETRAITE, UNE VÉRITABLE INJUSTICE
Quant à la réforme des retraites, a
poursuivi Hélène Fontaine, « c’est la
goutte d’eau qui a fait déborder le vase de l’indifférence du gouvernement à
notre égard et de notre exaspération ».
Tout d’abord, pour Hélène Fontaine,
sous couvert d’être un régime universel juste, la réforme des retraites est
profondément injuste.
En effet, cette dernière
« spolie purement et simplement les
avocats » a-t-elle affirmé. Elle dépouille une profession autonome qui n’a
jamais rien coûté à l’État, et dont le régime de retraite « est en équilibre
jusqu’en 2054 au moins », a souligné la présidente de la Conférence des
bâtonniers.
Plus précisément, le doublement des cotisations va
fragiliser un grand nombre de cabinets d’avocats, notamment ceux qui font de
l’aide juridictionnelle. Ces cabinets ne pourront alors plus payer leurs
charges, ils devront alors fermer, ce qui va entraîner des déserts juridiques,
a prédit Hélène Fontaine. « Avez-vous envie de voir disparaître la proximité exemplaire que les
bâtonniers et les Ordres ont su tisser avec nos territoires ? » a-t-elle
interpellé la ministre de la Justice.
Certes, le gouvernement a fait des
propositions pour réduire l’impact de la hausse des cotisations, mais celles-ci « sont largement insuffisantes et n’assurent aucune
garantie pérenne » a affirmé Hélène Fontaine.
Ensuite, la Chancellerie appelle les avocats à la
solidarité. Or, a martelé Hélène Fontaine,
« les avocats sont au contraire
solidaires des autres régimes de retraite en reversant 100 millions d’euros par
an au régime général ». En outre, ils sont également solidaires
entre eux, car ils assurent à chaque avocat une retraite de base identique pour tous.
Bref, pour Hélène Fontaine, ce projet de loi est
flou, mal mené et pas abouti. Cela justifie, selon elle, la colère noire de la
profession. «
Si les avocats ont retiré leur robe, c’est parce qu’ils sont désespérés,
convaincus de ne plus être entendus et considérés » a-t-elle justifié, faisant référence aux évènements récents.
Pour finir, la présidente de la
Conférence des bâtonniers a invité la Chancellerie à faire confiance aux Ordres
et aux avocats. « L’avocat a sa place
dans l’évolution de la société, mais vous ne nous donnez aucun autre espace que
celui de la contestation, s’est-elle désolée, faites confiance aux Ordres,
faites confiance aux avocats, nous valons mieux que le mépris que nous
ressentons tous intimement, avec beaucoup de pudeur. »
Applaudie à tout rompre par ses
confrères, cette dernière a alors demandé aux bâtonniers présents dans
l’assemblée de revêtir leur robe et de marquer leur opposition à la réforme de
la retraite en venant avec elle faire une
« grande photo de famille ».
À l’occasion de cet évènement, les
bâtonniers ont également procédé au renouvellement partiel du bureau de la
Conférence des bâtonniers.
Maria-Angélica Bailly