Désinformation, dissuasion, disparités
territoriales… Mercredi 27 mars, la commission des affaires sociales du Sénat a
entendu les responsables du Planning familial détailler par le menu les
nombreux obstacles qui entravent l’accès à l’IVG. Malgré la
constitutionnalisation de l’avortement, l’association féministe regrette le
manque de « courage politique » pour garantir l’accès effectif à cette
procédure.
«
Les débats sur la constitutionnalisation de l’avortement ont fait prendre
conscience des difficultés d’accès à l’IVG, et nous en sommes très heureuses.
Mais nous alertons depuis des années sur des obstacles ». Pour Sarah
Durocher, présidente de la Confédération nationale du Planning familial, l’inscription
du droit à l’avortement dans le texte fondamental, le 8 mars dernier, ne signe
pas la fin de la bataille pour garantir le droit à l’avortement à toutes les
femmes. Auditionnées le 27 mars au Sénat par la mission d’information de la
Commission des affaires sociales visant à faire la lumière sur les conditions
concrètes d’accès à cette procédure, les représentantes du Planning familial ont
documenté par le menu les nombreuses barrières qui restent à abattre.
Des tentatives de désinformation pour
dissuader les femmes
«
En France, l’avortement est encore un acte à part, certaines femmes sont
culpabilisées, infantilisées », a tenu à rappeler Albane Gaillot, chargée
de plaidoyer de l’association. « Quand une femme tape “avorter” sur
internet, elle a une chance sur deux de tomber sur un site anti-choix ou
anti-droits. L’avortement concerne une femme sur trois. L’accès à une
information fiable est [donc] primordiale », complète Sarah
Durocher. Pour la présidente du Planning familial, la désinformation est un
enjeu majeur : « Les femmes parlent très peu, assure la responsable.
Il y a un tabou à inverser, quand les militants anti-IVG, eux, donnent de la
voix. Ils disposent de moyens financiers importants pour se faire entendre,
pour contourner ou se jouer du délit d’entrave numérique à l’IVG [établi en
2017 et passible de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende, ndlr]. Ils
ont aussi une force de frappe très puissante sur les réseaux sociaux ». En
janvier dernier, un rapport de la Fondation des femmes a établi que près d’une
vidéo sur cinq recommandées par Instagram au sujet de l’avortement contenait de
fausses informations.
Autre
obstacle : la non-application de la loi de 2001 sur l’éducation à la sexualité,
« alors qu’elle est essentielle pour communiquer sur les moyens de
contraception », déplore la présidente. Il y a un an, les associations SOS
Homophobie, Sidaction et le Planning familial ont saisi la justice
administrative pour contraindre l’Etat à organiser chaque année au moins trois
séances d'éducation à la sexualité à l'école, comme le prévoit la législation.
« Il y a un manque de courage politique, dénonce Sarah Durocher, alors
que nous avons la chance, en France, d’avoir une loi que des féministes
demandent dans le monde entier ».
De grandes disparités territoriales dans
l’accès aux droits sexuels et reproductifs
Sans
surprise, l’accès à l’avortement pâtit aussi de l’inégalité d’accès aux soins
sur le territoire français. Paris, très à part, est bien doté, tandis que les
déserts médicaux sont de plus en plus fragilisés. 17% des femmes sont
contraintes d’avorter en dehors de leur département de résidence, selon une étude de la Dress publiée en septembre 2023. Avec des tensions saisonnières : « L’été,
les délais se rallongent, on ne trouve plus d’interlocuteurs dans les
départements pour une IVG », témoigne Albane Gaillot. Et les fermetures de
centres n’aident pas. 130 structures auraient disparu en 15 ans, selon
l’association. « Pourtant, les chiffres des avortements pratiqués augmentent
légèrement », remarquent les sénateurs. Cet indicateur n’est pas gage d’une
meilleure accessibilité, rétorque la présidente du Planning familial : « Une
femme qui souhaite avorter est capable de faire des kilomètres, si elle dépasse
les délais en France. C’est la question du vécu du parcours d’avortement qui
importe. »
La
loi de mars 2022 autorisant la pratique des IVG instrumentales par les
sage-femmes devait répondre aux besoins des territoires délaissés et renforcer
le droit à l’avortement. Mais le décret pris en décembre dernier a restreint
cette pratique, en rendant obligatoire la présence d’un médecin spécialisé,
d’un gynécologue-obstétricien et d’un anesthésiste-réanimateur aux côtés de la
sage-femme. « Ce décret va à l’encontre de l’esprit de la loi. Dans certains
hôpitaux, la pratique sera impossible », dénonce Albane Gaillot. Au début
du mois, le ministre de la Santé Frédéric Valletoux a promis que le texte
serait réécrit. Une nécessité absolue pour le Planning familial.
Delphine Schiltz