ACTUALITÉ

Au Stade français, Thomas Lombard veut « donner un avenir » aux joueurs

Au Stade français, Thomas Lombard veut « donner un avenir » aux joueurs
Publié le 22/10/2020 à 10:14

Invité du Club de l’audace, le DG du Stade français dénonce le poids de l’excellence dans l’ovalie, responsable, selon lui, de joueurs « hors-sol », et prône un rugby plus ouvert et plus en prise avec son temps. « Double projet », RSE, numérique : Thomas Lombard livre ses ambitions pour le club parisien. 




Thomas Lombard se plaît à dire qu’il est un « jeune dirigeant ». L’ancien centre international, devenu consultant pour RMC et Canal+, s’est vu proposer les rênes du Stade français voilà un an. « Je n’étais pas programmé pour ça ! », lance l’invité de Thomas Legrain, ce mercredi de septembre. Pourtant, il accepte, non sans émotion, de prendre la direction générale du club, ce « monument du sport français de plus de 120 ans d’existence »,  Pour l’ex-rugbyman, c’est « une chance » d’évoluer dans cet environnement, de s’inscrire dans cet héritage : « Si on arrive à construire sur ce socle, on peut donner un sens aux projets que l’on met en œuvre. » 


 


« Des sportifs et des hommes »


Malgré son profond respect pour le club parisien qui l’a vu évoluer, Thomas Lombard l’avoue : le Stade français ne tourne « pas très bien » quand il en prend la tête. 


Certes, côté finances, le club ne manque de rien : son propriétaire, l’homme d’affaires suisse Hans-Peter Wild, s’en assure, mais « il ne suffit pas d’avoir de l’argent et d’engager des joueurs, martèle Thomas Lombard. Il faut un programme, un projet, une vision, des gens sur lesquels s’appuyer – comme dans une entreprise. » 


Au titre de ses priorités, le nouveau DG veut donner les moyens à ceux qui deviendront des joueurs de rugby professionnels de s’inscrire dans la culture du club tout en étant certains de réussir leur vie future. 


Car pour Thomas Lombard, le rugby a cela de singulier qu’il a toujours formé « des sportifs et des hommes ». En tout cas, jusqu’en 95, lorsqu’il entre dans l’ère professionnelle après un siècle d’amateurisme. Petit à petit, l’ovalie se voit ainsi imposer de nouvelles contraintes, comme la structuration et la mise en place d’un circuit de formation élitiste, très inspirées du foot. Fatale erreur, estime l’ex-rugbyman. « Ça a cassé le lien avec le double projet – le projet sportif et le projet “de vie” – qui faisait des hommes équilibrés. »


À son époque, témoigne-t-il, juste avant que le rugby ne se professionnalise, tous les joueurs ont ce « double projet », puisqu’ils ne peuvent pas encore vivre de leur sport. Lui-même doit bien se résoudre à faire « quelques études ». « J’ai réussi à obtenir une licence de STAPS tant bien que mal pour être prof de sport, alors que ça ne m’intéressait pas du tout, devenir prof de sport ! » Malgré tout, Thomas Lombard reconnaît que fréquenter les bancs de la fac l’aide alors à rester ouvert et à garder les pieds sur terre, à ne pas se laisser engloutir par le seul monde du ballon ovale. Il s’enrichit aussi au contact de ses co-équipiers : « Ceux dont on s’inspirait faisaient des études ou bossaient à côté. » Tous ont des profils et des parcours variés. Lui, fils unique (« et gâté ») originaire du Chesnay, fréquente « des mecs qui ont passé leur enfance dans des barres d’immeubles à Gennevilliers ». « On n’avait pas tous la chance d’être issus du même tissu social, mais on a appris les uns des autres. J’ai appris d’eux dans leur engagement, leur détermination. Puis tout ça a été balayé car on a décidé de créer un moule du joueur du rugby, et tous les gamins, d’où qu’ils viennent, ont commencé à être façonnés. » Aujourd’hui, rapporte le DG du Stade français, les joueurs connaissent tous le même rituel immuable : ils s’entraînent beaucoup, font énormément de musculation, respectent une diététique irréprochable, dorment dans le cadre du club, et surtout, « ils sont coincés dans une espèce de consanguinité qui limite leur développement », fustige l’ancien centre international, qui juge la rupture avec le monde extérieur « catastrophique ». « On récolte les fruits de ce qu’on a semé, regrette-t-il encore. On a voulu faire de l’excellence dans le sport, mais on a oublié que le sportif devenait meilleur via tout un ensemble de processus. » Thierry Dusautoir, Yannick Jauzion... Voilà la dernière génération à avoir incarné cet équilibre, estime-t-il.


« Depuis le milieu des années 2000, on a des gamins qui ne veulent faire que du rugby. C’est bien, mais ils ne savent même pas ce qu’ils veulent faire après – d’ailleurs, personne ne leur a posé la question. Leur objectif, c’est demain. C’est de signer un contrat. Mais encore faut-il qu’ils arrivent à en décrocher un. Et à 30 ans et quelque, quand leur carrière s’arrêtera, que feront-ils jusqu’à 65 ans ? », s’inquiète Thomas Lombard, qui déplore une « déperdition colossale » du potentiel des néo-rugbymen. « Il faut garder un rapport à la vraie vie, et la vraie vie, ce n’est pas celle du joueur de rugby dont le salaire est de 20 000 euros par mois. On met ces jeunes dans des conditions formidables pour réussir, mais ils sont hors-sol. Quand vous avez un salaire de 20 000 euros, vous devenez forcément un ascenseur social. » 


De leur côté, les présidents de club veulent principalement utiliser une ressource et en tirer « tout ce qu’ils peuvent », dénonce l’ex-rugbyman. Résultat : le XV de France, aujourd’hui, « n’a pas de joueurs emblématiques, pas de charisme, pas de prise de responsabilité », énumère durement le DG du Stade français. Pourtant, ce dernier est persuadé que les joueurs ne sont pas moins « riches et intéressants » qu’il y a 20 ans : on leur donne surtout moins d’ouverture. « La réflexion, la prise de décision, l’analyse… Ce ne sont pas des choses qu’on développe en salle de muscu », ironise Thomas Lombard, qui souhaite arriver « à changer les choses » au sein du Stade français. « Notre mission doit être d’encadrer ces gamins et de leur donner un avenir », maintient-il. 


Dans ce cadre, le club signe des partenariats avec des écoles, qui leur créent des formations post-bac sur mesure, axées autour du milieu du sport. « On a notamment signé un partenariat avec HEC. On discute aussi avec Centrale et Polytechnique », se réjouit le DG. 


L’autre étape du projet, c’est de trouver un lieu où héberger l’intégralité du club. Objectif : souder les joueurs, tout en leur donnant suffisamment d’autonomie pour ne pas les enfermer dans une bulle. « Le matin, ils iront à l’école ou à l’université par leurs propres moyens – en bus, en trottinette –, puis ils se rendront au centre d'entraînement. Et le soir, ils rentreront dormir à la maison, qui sera partagée par un couple de gardiens. Ils seront là pour s’assurer que la cohabitation fonctionne bien ; que les jeunes se respectent et veillent les uns sur les autres. Là, on aura quelque chose qui a un sens, et qui débouchera sur une formation plus concrète », assure Thomas Lombard. 


Selon lui, ces transformations doivent nécessairement aller de pair avec un changement d’état d’esprit. L’ex-rugbyman plaide pour une sensibilisation des entraîneurs : « Il faut leur dire qu’en fonctionnant ainsi, on ne fait pas de la com, on ne s’achète pas une conscience : on fait de meilleurs joueurs. » Le DG du Stade français n’en démord pas : offrir un projet de vie à des joueurs est non seulement vertueux, mais aussi profitable pour le club. « Si on leur donne accès à la connaissance, au savoir, et à la perspective de pouvoir, demain, quand ils arrêteront le rugby, d’avoir une deuxième vie, on en fera de meilleurs hommes. Et si on en fait de meilleurs hommes, on en fera de meilleurs joueurs. Pas l’inverse. » 


 


Recréer du lien


Toutefois, Thomas Lombard ne veut pas s’arrêter là. Nostalgique optimiste, son autre priorité, affirme-t-il, est de faire renaître la ferveur des rassemblements autour du ballon ovale. Car pour l’ancien centre, la « dynamique » du Stade français a été brisée ces dix dernières années : « les actionnaires et les présidents successifs ont soit voulu prolonger l’histoire mais sans réelle conviction, soit souhaité couper avec l’histoire mais sans avoir pensé à celle qu’il fallait écrire derrière. Aujourd’hui, on a perdu beaucoup d’argent, perdu la force des personnes qui étaient associées au club, perdu des supporters. » 




« On va redonner aux gens ce qu’ils ont aime dans le Stade français. »


 

Pour recréer une ambiance, recréer du lien, Thomas Lombard mise beaucoup sur la madeleine de Proust : « On va redonner aux gens ce qu’ils ont aimé dans le Stade français. » Il raconte que Max Guazzini (président du Stade français de 1992 à 2011, ndlr) faisait venir les danseuses du Lido avant les matchs. Des shows d’une quinzaine de minutes que les supporters « ont vu 100 fois », précise-t-il. Alors, l’an dernier, le nouveau DG a fait revenir les danseuses. « On a reçu plein de messages ravis. ça nous pousse à continuer dans ce sens, à savoir, à réfléchir à ce que les gens venaient chercher et dont ils gardent un souvenir marquant autour de la convivialité du club », indique Thomas Lombard, qui voit les choses en grand : « On a un stade splendide avec plein d’espaces de réception. On peut créer tout un événement autour d’un match ! »






Rassembler, oui, mais pas sans innover. Thomas Lombard peut compter, là encore, sur l’influence de Max Guazzini, qui a marqué l’histoire du rugby en grande partie grâce aux changements qu’il a initiés, affirme le DG. « Avec sa vision complètement anticonformiste, Max (Guazzini) a changé la face du sport. Il a transformé les matchs en spectacles, il a fait faire de nouveaux maillots – des maillots avec des panthères ! –, il a pris un calendrier dans lequel il a mis des joueurs nus comme des vers, bref, il a fait des choses qui ne pouvaient pas se faire théoriquement, mais lui les a faites. » Encore plus important, considère Thomas Lombard, l’ancien président a ouvert le rugby à d’autres publics, et a changé la vision très conservatrice liée à ce sport – au départ, un sport pratiqué et regardé uniquement par des hommes. « Max (Guazzini) a contribué à rendre le rugby plus accessible : aujourd’hui, c’est un sport qui se développe, qui se féminise, et c’est tant mieux », observe l’ex-rugbyman.


« On a cette chance de pouvoir être créatifs, de pouvoir être originaux, il faut qu’on utilise de nouveau toutes ces ficelles », avance donc Thomas Lombard. Ce dernier insiste : il faut être en rapport avec son temps. Le Stade français s’est ainsi engagé dans une démarche RSE – responsabilité sociale des entreprises, très en vogue aujourd’hui : son projet est actuellement en cours de certification et de labellisation.


Vivre avec son époque, c’est aussi révolutionner les modes de gouvernance, estime-t-il. Or, jusqu’à maintenant, la gouvernance a rarement été incarnée par des personnes ayant pratiqué le sport en question. « Heureusement, on est désormais tout une génération de joueurs à accéder aux postes de direction, de présidence, dans les clubs. On doit pouvoir amener nos connaissances, notre ouverture, pour créer une connexion », souligne Thomas Lombard.  


Mais le chantier le plus vaste est certainement celui du numérique. En la matière, le DG reconnaît que l’ovalie, en France, accuse un certain retard. « C’est sûr, le foot est à des années-lumière devant nous ! Quand je regarde le storytelling de la NBA, je me dis qu’on est encore au siècle dernier, complètement archaïques. Nous, on en est encore au mec qui filme tous les jours l’entraînement... Il faut qu’on se fasse aider sur notre communication », admet Thomas Lombard. Celui-ci vise des contenus novateurs qui permettront, il l’espère, d’attaquer une cible nouvelle : les 18-25 ans. Car c’est bien là que le bât blesse : « Si vous venez au Stade français, vous verrez que le spectateur moyen a en moyenne 50 ans. Les 18-25 ans ne consomment pas le sport comme les générations d’avant. On doit vraiment réfléchir là-dessus », insiste-t-il. 


Pour ce faire, la dynamique doit venir des clubs, assure le DG : produire leur propre information, partager leurs récits. « Ce que Netflix a fait pour la formule 1, c’est génial en termes d’image : chaque sport a des aventures incroyables à raconter. Si on prend exemple, on va passer au niveau supérieur. »



Bérengère Margaritelli


 


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles