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Autant en emporte ly vens… Quel fils d’une povrette, incarcéré à Meung-sur-Loire après maints déboires, ne pouvant vivre sans versets malgré le sang versé, répète cette phrase à l’envi au XVe siècle ?

Autant en emporte ly vens… Quel fils d’une povrette, incarcéré à Meung-sur-Loire après maints déboires, ne pouvant vivre sans versets malgré le sang versé, répète cette phrase à l’envi au XVe siècle ?
Publié le 15/11/2019 à 12:16

Il s’auto-intitule « povre escolier », se dit « de petite extrace » et écrit dans son « Testament » (strophe XXXV) : « sachiez qu’en grant povreté Ne gist pas grande loyauté ». Villon est tout à la fois son nom et son surnom de fripon, si l’on se réfère au dictionnaire de Furetière, pour qui « villonner » c’est tromper quelqu’un, le friponner.


Trompeur, fripon, meurtrier, poète, François Corbeuil (pour le même Furetière), en réalité François de Montcorbier (pour les historiens), fils d’une « povrette » et d’un père inconnu, naît en 1431. Entre un massacre et un sacre. Le massacre de la Pucelle et le sacre de Henri VI. Le corps de Jeanne d’Arc s’embrase et le zéphyr se transformant en bourrasques emporte ses cendres. Tandis que son âme se répand sur la nation qui balbutie sa construction, le roi d’Angleterre est sacré roi de France à Notre-Dame de Paris. Qui s’embrasera 588 ans plus tard.


Il est adopté par un chapelain, Guillaume de Villon, qui lui laisse son nom, et fait quelques études qui en font un clerc de l’université de Paris, maître ès arts, et qui vont l’amener à écrire et à participer à des spectacles. Vole-t-il lors d’une farce avec d’autres « escholiers » le « Pet-au-diable », une pierre bornant une rue de Paris ? On le suppose. Lors d’une rixe, en 1455, il tue un prêtre. Soutenu par des amis, il échappe à la justice.


En 1456, il vole 500 écus contenus dans le coffre du Collège de Navarre et fréquente des criminels aguerris, les Coquillards. Peu après, en 1457, ce poète au comportement parfois très laid nous laisse le bien joli Lais, dans lequel il se décrit comme « amant martir, du nombre des amoureux sains », et donne des conseils pleins de sous-entendus à ses amis de débauche.


Il s’y amuse beaucoup mais on y devine aussi sa grande culture, puisqu’outre Aristote, il y évoque le droit canon :


« Item, je laisse a Sainct Amant


Le Cheval blanc avec la Mule,


Et a Blaru mon dÿamant


Et l’Asne royé qui reculle.


Et le decret qui articulle


Omnis utriusque sexus


Contre la Carmeliste bulle


Laisse aux curez, pour mettre sus. »


Or, le décret « Omnis utriusque sexus » dont il confie aux curés le soin de le mettre en application, est un canon édicté par le Concile de Latran en 1215 imposant aux fidèles la confession annuelle auprès du seul curé de paroisse. Villon est très au fait des règles religieuses !


Ses méfaits le conduisent au cachot, dans les geôles du château de Meung-sur-Loire, où il connaît la torture, probablement la « question » lors de laquelle il ingurgite sans soif quelques pintes d’eau ! Une panse solide sauve le penseur. Louis XI le fait libérer. Revenu à Paris, il blesse un notable lors d’une rixe. Ses deux compères sont condamnés à mort. Pendant qu’il attend sa condamnation, il compose « Les frères humains », texte qui sera renommé plus tard « La Ballade des pendus ». On y trouve les vers suivants :


« Quant à la chair, que trop avons nourrie,


Elle est piéça dévorée et pourrie,


Et nous, les os, devenons cendre et poudre.


De notre mal personne ne s’en rie ;


Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! »


La peine de mort qui le frappe à son tour est commuée le 5 janvier 1463 en bannissement par le Parlement de Paris. Agé de 32 ans, Villon disparaît totalement et on ignore tout de la fin de sa vie et de sa mort. Celui qui avait connu les oubliettes ligériennes se fait oublier des autorités parisiennes. L’auteur des ballades part définitivement en balade.


Il laisse à la postérité une poésie somptueuse, dont l’empan en fait une œuvre majeure du Moyen âge. Une littéraire et éclectique balade à travers ses poétiques et vernaculaires ballades le fait parfois qualifier de père fondateur de la poésie réaliste.


Il dénonce le comportement des écornifleurs, sangsues, parasites, resquilleurs et autres pique-assiettes dans son « Recueil des Repues franches » décrivant la façon de vivre aux dépens des autres.


S’il admet que les Florentines et les Vénitiennes sont « belles langagières », que les Napolitaines sont « très bonnes caquetières », il met à l’honneur la verve et le visage des parisiennes en concluant chaque strophe de sa « Ballade des femmes de Paris » par : « il n’est bon bec que de Paris » !


Chaque strophe de sa « ballade en vieil langage françois » se termine par « Autant en emporte ly vens »… Villon ne peut se douter qu'un jour, on traduira le roman de l’américaine Margaret Mitchell, « Gone with the wind », mettant en scène la Guerre de Sécession et l’héroïne Scarlett O’Hara, par « Autant en emporte le vent », titre qui sera aussi celui du film adapté du roman. Amateur de rixes à la verve prolixe, batailleur meurtrier et versificateur très doué, incarcéré et torturé par des juges indignés mais libéré par un roi sachant pardonner, Villon, orphelin adopté, auteur encanaillé et décortiqué, utilisant l’argot sans pour autant mépriser l’atticisme éclairé, séduit ses lecteurs pour l’éternité !


 


Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


 


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