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Avalanches ou la délicate recherche de l’erreur

Avalanches ou la délicate recherche de l’erreur
Publié le 18/02/2020 à 11:12


L'aléa est inhérent au milieu montagnard. Les avalanches sont une réelle illustration de ce fait et viennent nous rappeler chaque année, par leurs conséquences dramatiques, que la montagne restera toujours indomptable malgré tous les efforts de l'homme. La saison d'hiver 2018/2019 a emporté 92 personnes dans les avalanches, dont 13 ont trouvé la mort, d'après le bilan de l'Association Nationale pour l’Étude de la Neige et des Avalanches.


Dans le cas de litiges provenant d'un accident d'avalanche, il faut pouvoir déterminer à quel moment des erreurs ont pu être commises (préparation de l'itinéraire, faute durant l’ascension...). Sur la scène judiciaire, ces éléments ont leur importance pour établir les possibles responsabilités. Cette analyse se retrouve dans les décisions suivantes.


 


La responsabilité contractuelle d'un guide de haute montagne peut se trouver engagée lorsqu'une personne qu'il encadre décède du fait d'une avalanche : a-t-il mis en œuvre tous les moyens pour assurer la sécuritéde son groupe ?


La problématique des avalanches concerne globalement tout pratiquant d’activité de haute montagne. Toutefois, les professionnels tels que les guides de haute montagne, du fait de leurs obligations contractuelles à l’égard de leurs clients et de leurs meilleures connaissances du milieu montagnard, se trouvent astreints à une vigilance renforcée. Ainsi, il convient d’analyser les moyens essentiels qu’ils doivent déployer pour assurer la sécurité de leur groupe du fait de ce risque particulier d'avalanche. Peuvent-ils se prévaloir du caractère imprévisible de ce phénomène naturel ? Comment appréhender les différents impératifs du terrain et du groupe face à ce risque ? Les guides sont-ils investis d'une obligation de sécurité de résultat ou bien d’une obligation de moyens ?


La cour d'appel de Grenoble, dans une décision rendue le 6 février 2018, est venue clarifier certaines obligations qui incombent aux guides pour éviter les conséquences parfois dramatiques des phénomènes avalancheux.


En l'espèce, une femme membre d'un club de sports de montagne participe à un stage de quatre jours dans les Hautes-Alpes organisé par cet organisme. Le programme est constitué d'activités telles que le ski de randonnée et l'escalade sur cascades de glace et ce, avec l’encadrement de guides de haute montagne. Durant l'escalade d'une cascade de glace, une avalanche se déclenche et emporte trois participants, dont la personne en question, ce qui entraînera son décès. La responsabilité du guide ayant encadré la sortie est alors mise en cause par la famille de la victime.


Il peut paraître inapproprié de mettre en cause la responsabilité d'un encadrant professionnel, suite à un drame causé par une avalanche, puisque ce phénomène semble imprévisible et incontrôlable. Cependant, ce qui reste un aléa peut aujourd'hui, en partie, être anticipé et évité grâce aux progrès technologiques et météorologiques. De ce fait, les professionnels ne peuvent se limiter à évoquer le phénomène de l'avalanche comme étant une cause de force majeure pour s'exonérer de leurs responsabilités.


En l'espèce, le site des cascades de glace en question est répertorié comme couloir d'avalanche sur la carte de localisation des phénomènes d'avalanche. Il est, ce jour-là, classé en alerte avalanche 3 sur 5, avec évolution au cours de la journée en niveau 4. Il s’avère par ailleurs qu’aucun membre du groupe ne porte de détecteur de victimes d'avalanches (DVA) et que le guide n'a sur lui, ni sonde ni pelle. Comme le rappelle le Carnet Juridique du Ski (7.05, pages 244 et suivantes) et une décision de la cour d'appel de Chambéry du 23 juin 2016, être en possession de ces équipements est une obligation dont l'omission caractérise, à elle seule, l’existence d'une faute. Outre cette obligation de port du matériel adéquat par tous les membres du groupe, l'encadrant se doit également de vérifier la connaissance par les membres de ce groupe, des modalités d'utilisation du dit matériel pour éviter toute ignorance ou confusion lors de sa mise en œuvre.


Dans le cas d’espèce, le guide argue tout d’abord s’être référé aux informations figurant dans un Topoguide, document de portée générale et dont les indications sont destinées au grand public, pour déterminer que l'activité n'était soumise à aucun risque avalancheux. L'argumentaire du guide consiste ensuite à affirmer que le port d'un Appareil de recherche de victimes d’avalanche (ARVA) n'aurait peut-être pas empêché le décès de la victime, laquelle est restée ensevelie sous l'avalanche durant 30 minutes.


La cour d'appel est restée insensible aux tentatives de justification du guide de montagne, en affirmant que ce dernier aurait dû mettre en œuvre les moyens suffisants pour assurer la sécurité des membres du groupe dont il avait la charge. L'avis éclairé d'un enquêteur du pelotons de gendarmerie de haute montagne (PGHM), présent durant le secours de la victime, vient souligner que le guide avait manqué de vigilance et de discernement eu égard aux conditions atmosphériques de chutes de neige et avait sous-estimé la topographie de la cascade.


La juridiction retient donc la responsabilité du guide, en ce qu'il n'aurait pas satisfait à son obligation contractuelle de sécurité de moyens.


 


Cour d'appel de Grenoble, 6 février 2018


Madame Clozel Truche, présidente

Madame Lamoine, conseillère

Monsieur Grava, conseiller

Madame Lock Koon, greffière


 


« L'ensemble de ces éléments (cascade classée comme couloir d'avalanche, risque d'avalanche au niveau 3 “marqué” évoluant niveau 4 “fort” en cours de journée, absence de DVA, de pelle et de sonde...) permet de conclure que le guide de haute montagne n'a pas mis tous les moyens en œuvre pour assurer la sécurité de son groupe compte tenu du risque élevé d'avalanche ce jour-là en conduisant les participants sur une cascade de glace.


En sa qualité de professionnel, il lui appartenait d'analyser concrètement la situation dans tous ses aspects sans se limiter aux pratiques habituelles et aux indications du Topoguide de portée générale comme destiné au grand public.


Enfin, il est indifférent que la cause de la mort de la victime n'ait pas été déterminée médicalement avec précision, le fait qu'elle ait été ensevelie sous une avalanche pendant environ 30 minutes, qu'elle en ait été dégagée inconsciente et que, malgré des tentatives se poursuivant durant 1 heure 30, elle n'ait pas pu être ranimée, permettant de conclure que son décès est bien la conséquence directe des fautes commises par le guide encadrant. »


 


Le constat d'erreurs d'appréciation de quatre militaires gradés ayant entraîné la mort de six légionnaires dans une avalanche


La préparation d'un itinéraire en hors-piste doit être minutieuse, afin d'éviter les risques naturels liés au milieu montagnard. Pouvoir apporter la preuve de cette nécessaire vigilance est essentiel quand un accident se produit et que les personnes impliquées doivent comparaître devant les juridictions. Dans le cadre d'un groupe évoluant en hors-piste, il est important d'avoir une bonne connaissance topographique du parcours, outre la connaissance et la prise en compte des prévisions météorologiques pour ne pas s’exposer aux avalanches. Cependant, d'autres éléments peuvent être retenus, comme le choix du parcours en fonction du niveau technique des participants et la qualité des accompagnateurs.


Le 18 janvier 2016, 52 légionnaires sont conduits par trois militaires gradés sur un itinéraire de ski de randonnée dans le massif de Valfréjus, dans le cadre d'un stage ayant pour but de leur apprendre les bases du déplacement en montagne. Quelques mètres avant la fin de l'itinéraire, une avalanche de 400 mètres de large se déclenche et emporte 18 militaires, dont 6 qui périront. Ceux-ci étaient âgés de 21 à 33 ans.


La juridiction de première instance de Lyon, en sa chambre militaire, a rendu une décision le 20 décembre 2019, formulant son avis sur la question de la responsabilité des militaires gradés ayant organisé cette sortie, avec la mort et les blessures causées aux membres du groupe de légionnaires.


Les gendarmes de la section de recherche de Chambéry ont souligné, après enquête, que l'accident était la résultante « d’un enchevêtrement d'erreurs professionnelles, tant sur le plan de la discipline militaire que sur la connaissance du milieu montagnard ». In fine, il est retenu que des manquements se sont révélés dès la préparation de la sortie, car les prévisions météorologiques n'ont pas été prises en compte, alors même qu'elles étaient affichées quotidiennement dans les bureaux des personnes concernées. De plus, aucune information n’a été demandée aux services locaux. Par la suite, durant la sortie, d'autres problématiques sont apparues, comme le niveau technique limité de certains légionnaires, l'absence de recommandations sécuritaires de la part de l'adjudant ainsi que des erreurs d'orientation sur le parcours.


La question de la prise en compte du niveau technique et du nombre de participants à la sortie est pourtant essentielle pour mesurer la bonne gestion de la sortie par l'encadrant, qu'il soit professionnel ou non.


Le déroulement de l'audience va venir confirmer que la hiérarchie n'était pas bien établie ce jour-là, les prévenus n'étant pas en accord sur les dires des uns et des autres, alors même que pendant une telle sortie, l'attente des membres du groupe encadré repose sur la confiance dans le leader, lequel, ici, n'était pas clairement déterminé.


L'expert nivologue, appelé à exposer son rapport devant la juridiction, ajoutera que la présence d’un important nombre de skieurs avait constitué une surcharge et des sollicitations trop prononcées du manteau neigeux qui, lui, était trop instable. Il en a conclu que l'avalanche a été déclenchée par les légionnaires eux-mêmes et qu'une simple approche spatio-temporelle de la situation aurait dû empêcher de s'engager sur ce parcours.


En l'espèce, le tribunal a retenu la culpabilité des encadrants.


Les prévenus ont interjeté appel, ainsi que le ministère public et les parties civiles.



 



Tribunal de Lyon dans sa formation militaire, 20 décembre 2019


Madame Vernay, Première vice-présidente

Madame Lareal, vice-présidente

Monsieur Antoine, procureur

Madame Amalric, greffière militaire



« C'est alors qu'une avalanche de grande ampleur se déclenchait, emportant une partie importante du détachement. Vingt hommes étaient ensevelis.


Le bulletin d'estimation des risques d'avalanches édité par Météo France la veille, annonçait un risque de 3 sur une échelle de 5 avec un risque marqué.


Ce secteur où évoluaient les militaires était un domaine de montagne, et ne faisait pas partie du domaine skiable de la station. Il ressortait des auditions que les responsables du groupe de militaires ne contactaient pas les pisteurs de la station sur les conditions nivo-météorologiques locales.


Les arrêts pratiqués par les militaires sur le cheminement de la montée provoquaient une accumulation d'hommes, les exposant à se trouver bloqués groupés au milieu de la pente.


L'enquête soulignait cependant que le taux d'encadrement était largement suffisant, et que des précautions étaient prises, notamment la reconnaissance effectuée la veille qui n'était pas obligatoire. »


 


L'absence de responsabilité du guide et du club sportif


Malgré les avancées scientifiques permettant de prévoir les phénomènes naturels tels que les avalanches, certaines catastrophes qui peuvent avoir des conséquences dramatiques échappent aux prévisions. La violence des événements entraîne les familles des victimes à se poser la question de la responsabilité du guide ou du club et à évoquer d’éventuelles fautes commises par l'un ou l'autre.


En l'espèce, un groupe de quatre personnes qui participent à un stage d'alpinisme proposé par le club sportif est encadré par un guide de haute montagne. Une avalanche se déclenche et emporte la cordée. Les quatre participants décèdent et seul le guide survit.


La famille de l’une des victimes argue que le guide a commis une faute d'imprudence et de négligence au regard des conditions météorologiques et du choix du parcours. En outre, les victimes n'auraient pas été informées par le guide des circonstances dans lesquelles se déroulerait la sortie. Selon un expert sollicité par la famille, l'avalanche était prévisible. Cette affirmation contredit l'avis d’un autre expert missionné par le guide selon lequel « seules des avalanches de faible ampleur étaient possibles dans le pire des cas, sans conséquences pour l'intégrité des grimpeurs ». La cour d'appel rejette les arguments de la famille. Elle retient que les quatre participants à la sortie étaient des alpinistes chevronnés et expérimentés, que le club avait averti, sur la fiche du stage, que le niveau des participants devait être élevé et qu’il n’appartenait pas audit club de délivrer des informations plus précises. De plus, la juridiction souligne que le guide s’était montré attentif à son environnement durant l’ascension et qu’il avait indiqué aux enquêteurs qu’il n’avait perçu aucun signe pouvant le mettre en alerte sur la survenance d’une avalanche.


La cour d’appel a conclu qu'il n'était pas démontré avec certitude que le guide ait commis une faute d'imprudence ou de négligence à l'origine du décès des victimes, le désaccord des deux experts sur l'analyse de l'avalanche étant d'ailleurs révélateur du fait que le guide n'aurait pu, par lui-même, prédire l'avalanche et son ampleur.


La cour d’appel confirme le jugement rendu le 29 juin 2017 par le tribunal de grande instance de Nanterre, en ce qu’il a écarté la responsabilité du guide et du club sportif qui n’a pas de lien direct avec le guide lequel n’est pas son préposé. Elle écarte par ailleurs, toute autre responsabilité du club.


 


Cour d'appel de Versailles, 11 avril 2019


Madame Boisselet, présidente

Madame Bazet, conseillère

Madame Derniaux, conseillère

Madame Besson, greffière


 


« Le guide de montagne était soumis à une obligation de sécurité de moyens et, en aucun cas à une obligation de résultat, ce qui s'explique par le danger inhérent à l'activité d'alpinisme ou d'escalade en hiver en haute montagne.


Les enquêteurs ont exclu que le guide ait commis une infraction, à savoir qu'il ait, par imprudence, maladresse, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, causé la mort de quatre personnes.


Il apparaît donc que le guide a pris en compte son environnement tout au long de l'ascension, témoignant ainsi de son souci d'assurer le maximum de sécurité aux membres du groupe et de sa capacité à renoncer à poursuivre en cas de signe inquiétant. »


« C’est à raison que la demande formée sur (le) devoir d’information a également été rejetée par le tribunal.


Aucune faute n’étant retenue à l’encontre de Monsieur D, la mise en cause de la responsabilité du club sur le fondement d’un prétendu lien de préposition est sans objet. »


« Il n’appartenait pas au club de délivrer des informations plus précises ou des avertissements qui relevaient de la compétence du guide…


Les appelants ne démontrent donc pas que le club ait commis la moindre faute. »


Maurice Bodecher,

Bâtonnier 2019/2020 du Barreau d’Albertville,

Avocat (Avocatcimes), Albertville,

Membre du réseau GESICA



Élisabeth Arnaud-Bodecher,

Avocat honoraire,

Co-auteur de « Carnet Juridique du Ski »


Margot Mondon,

étudiante en Master 2

droit de la montagne

(Université Chambéry-Grenoble).


Morgane Mari,

étudiante en Master 
droit de la montagne
(Université Chambéry – Grenoble).




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