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Cercle des stratèges disparus : De l’expertise scientifique à la décision publique

Cercle des stratèges disparus : De l’expertise scientifique à la décision publique
Publié le 26/05/2019 à 09:30

Thierry Bernard, président du Cercle des stratèges disparus a accueilli Roger Genet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). L’occasion de découvrir les missions de celle-ci et la façon dont elle élabore ses recommandations à partir d’une expertise scientifique en appui à la décision publique.




L’ANSES s’intéresse à tout ce qui concerne les risques liés aux expositions (chimique, biologique, physique) de l’Homme dans sa vie quotidienne (eau, air, alimentation, environnement , travail). Son spectre d’activités englobe la sécurité alimentaire, la santé et le bien-être animal, ou encore celle des plantes, la santé environnementale et la santé au travail. La structure est suivie par cinq ministères de tutelle : santé, agriculture, environnement, travail, économie (DGCCRF).


Il s’agit d’une agence d’expertise scientifique. Elle regroupe toutes les spécialités : chimie, biochimie, biologie, pharmacie, médecine, etc. Ses laboratoires travaillent sur les maladies animales, les affections du troupeau, la sécurité des aliments (listériose, salmonelle, …). Ses panels d’experts réunissent 900 experts indépendants extérieurs à l’agence qui, sur la base de l’ensemble de la littérature scientifique, produisent des analyses et recommandations à l’usage des pouvoirs publics. Hormis le médicament et le dispositif médical supervisés par l’agence du médicament, l’ANSES évalue tous les produits qui nécessitent une autorisation de mise sur le marché : produits phytosanitaires, biocides, médicaments vétérinaires.


Aujourd’hui, la démarche scientifique impacte les décisions de toutes nos politiques. Les agences d’expertise scientifique ont été créées et se sont développées récemment. L’AFSSA nait en 1998, suite à la crise de la vache folle. Elle précède la réglementation européenne dite food law qui engendre l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Les offices sanitaires ont organisé une expertise scientifique indépendante pour appuyer les politiques publiques. Pourtant, aujourd’hui, cette expertise est parfois contestée.


Les agences d’expertise ont vu le jour pour rationaliser le débat, pour délivrer des recommandations fiables au décideur public. Mais, au fil des crises sanitaires successives, une défiance s’est installée. La France a été confrontée à Tchernobyl, l’hormone de croissance, le sang contaminé, etc. et les lanceurs d’alerte, les ONG exercent maintenant un contre-pouvoir permanent.


Le principe de précaution s’applique : « dans des domaines de grande incertitude quant à leur impact environnemental, on doit conduire une évaluation de risque et, à partir de là, prendre des mesures proportionnées ». Les experts scientifiques produisent, dans un cadre scientifique et réglementaire précis, des évaluations de risque. C’est-à-dire une graduation de l’incertitude s’appuyant sur des faisceaux d’arguments qui peuvent amener à préciser un sur-risque dans un domaine où l’on est incapable de démontrer directement le lien de cause à effet. Plusieurs exemples récents montrent des situations dans lesquelles un sur-risque (accroissement du nombre de leucémies de l’enfant aux alentours des vignobles par exemple) est suspecté. Dans ce type d’étude sans lien de causalité apparent, l’évaluation du niveau d’incertitude fournit un argument probabiliste au décideur.


Le décideur est en général confronté à un choix binaire, oui ou non ! Le principe de précaution, inscrit dans la constitution, nous différencie de l’approche des pays anglo-saxons. Il nous conduit à autoriser dans les situations où l’on peut écarter le risque, au contraire des anglo-saxons qui n’écartent le risque que lorsqu’il est démontré. Le principe de précaution est-il générateur de surrèglementation européenne engendrant une distorsion de concurrence ? Est-ce un frein à l’économie ou un stimulant des politiques publiques à longs termes ?


On ne parle pas ici d’une expertise judiciaire qui s’appuie sur des faits. L’expertise, telle que l’ANSES la pratique se déroule de façon pluraliste, collective, contradictoire. Le conflit ou le lien d’intérêt fait l’objet d’une analyse scrupuleuse. Le travail collectif assoit l’indépendance de l’organisme qui est renforcée par une transparence totale : méthodes d’évaluation, débats, recommandations, rapports, tout est immédiatement publié. L’ANSES essaie de produire des expertises incontestables, et pour ce faire entretien, un dialogue permanent avec toutes les parties prenantes.


L’ANSES suit un modèle original d’établissement public depuis sa création, puisque son conseil d’administration comprend des organisations représentant les cinq collèges du Grenelle de l’environnement, organisations qui désignent elles-mêmes leur représentants. Industriels, ONG, associations de consommateurs, syndicats, … chacun est représenté. Des comités d’orientation thématique qui regroupent un panel plus large de parties prenantes ont été mis en place. Ils interviennent sur la programmation annuelle de l’agence en faisant état de leurs propres attentes. Par ailleurs, des comités de dialogue s’interrogent sur des questions qui font polémique dans la société et que le gouvernement peine à arbitrer parce qu’il se heurte à des postures (nanomatériaux, radiofréquences, pesticides).


Seules une quinzaine d’agences en Europe et dans le Monde produisent des avis et des évaluations de risque aussi influents que ceux de l’ANSES. Lorsqu’une de ces institutions se penche sur un sujet, toute l’économie connexe attend impatiemment les résultats. Cependant, le choix se fait souvent individuellement entre risque subi et risque choisi. La santé publique devrait objectivement commander d’interdire l’alcool et la cigarette, car le sinistre sanitaire et économique est pachydermique pour la collectivité. Mais concrètement, chaque individu fait librement comme bon lui semble, malgré des milliers de morts annuellement.


 


 


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