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Chevaux mutilés - Au-delà des chiffres : tribune juridique sur les affaires

Chevaux mutilés - Au-delà des chiffres : tribune juridique sur les affaires
Publié le 21/11/2020 à 09:30

Par Marie-Bénédicte Desvallon, Avocate au barreau de Paris,

Blanche de Granvilliers, Avocate au barreau de Paris

Anne-Louise Nicolas-Laurent, Avocate au barreau de Rennes (1)


 


Des équidés mais pas que 


Nos équidés sont en danger. À l’heure où l’on s’accorde tous pour vanter leurs atouts sur le plan psychologique, nos chevaux sont la cible d’actes de cruauté répétés.


Le terme d’équidé recouvre les chevaux (jument, hongre, étalon, poney), mais aussi les ânes et les mulets. Or, ce sont bien toutes les catégories d’équidés qui sont visées. Si on peine à trouver les coupables, c’est aussi en l’absence d’un fil conducteur ou d’un simple lien entre les actes commis : sur le plan géographique, toute la France est concernée, et les équidés sont tantôt de paisibles ânes, des chevaux retraités des courses, des jeunes chevaux non dressés, des poulains, des poneys, des chevaux de sport en exercice. Toute la filière se sent donc concernée. Si dans les premiers temps, les mutilations comprenaient systématiquement une mutilation de l’oreille droite, ce signe a fini par ne plus être systématique. Les blessures sont parfois à l’épaule, au poitrail, à l’encolure, et des chevaux ont été retrouvés mutilés de toutes parts, sans que leur oreille droite ait été touchée. Seul lien entre eux : les chevaux mutilés se trouvaient dans un pré ou une pâture, et étaient dotés d’un tempérament sociable, peu craintif de l’homme. En revanche, ces actes ont, de manière occasionnelle, touché des animaux autres que l’équidé, puisque récemment, vaches et veaux ont également été mutilés. Un veau âgé de 2 à 3 mois a été mutilé (œil et langue) et tué le 12 octobre 2020 dans la région du Jura, alors que jusque-là, seuls des chevaux avaient été victimes dans la région.


Il n’est pas aisé de connaître le nombre exact d’équidés victimes, dès lors que les propriétaires ne vont pas systématiquement porter plainte, et ce, malgré l’intervention des organismes de tutelle rappelant leur soutien et la nécessité de procéder à ce dépôt préalable à toute action en justice. Par ailleurs, le décès est parfois attribué par erreur à une mort naturelle. Il apparaît en revanche que le phénomène n’est pas nouveau, même s’il s’est clairement amplifié récemment. Ainsi, le journal l’Alsace recensait fin 2018, soit il y a deux ans, 153 enquêtes ouvertes pour mutilations de chevaux.


Les derniers chiffres (2) au 15 octobre 2020 :


418 cas recensés de tous types (avérés et parasites),


75 affaires ont donné lieu à une enquête,


62 faits sont en cours de traitement pour identifier les causes,


dans 22 cas sur les 75, les actes perpétrés ont causé la mort de l’animal,


36 classés violents et sadiques : mutilations importantes,


17 derniers cas : blessures d’origine humaine.


Sur le plan géographique, une cartographie a été mise en place et démontre que peu de régions sont épargnées. Devant les répétions de ces actes, les difficultés pour prévenir les attaques et sécuriser les équidés, l’inquiétude voire la psychose se ressent chez les propriétaires qui se sentent démunis malgré la vague médiatique et les propos rassurants des gendarmeries et postes de police.



 

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Quelles sont les victimes reconnues par le droit ?


Qui sont les victimes ? Outre les propriétaires, qui peut se prétendre victime et déposer plainte ?


Il importe au préalable de définir qui sont les propriétaires. Celui qui figure sur la carte d’immatriculation, mais aussi celui qui justifie avoir procédé à l’acquisition partielle du cheval, même si son nom ne figure pas sur le document officiel. La carte d’immatriculation reste un document administratif qui n’est qu’un indice de la propriété. Tous ceux qui justifient avoir un lien avec le cheval victime peuvent se manifester ; on pense au cavalier, notamment, mais également à toute personne démontrant qu’elle a une relation affective avec l’animal. Rappelons que si le cheval est considéré, a priori, comme un animal de rente (destiné à être consommé pour sa viande(3)), rien n’empêche le propriétaire de démontrer qu’il considérait son cheval comme un compagnon, au même titre qu’un chien ou un chat, à charge pour lui d’en justifier. Quand bien même l’équidé en question ne serait pas considéré comme un animal de compagnie, le propriétaire éleveur par exemple peut parfaitement solliciter une indemnisation pour son préjudice moral ou de notoriété, en fonction des circonstances. De même, le club hippique dont certains des chevaux ont été victimes peut également démontrer son attachement à ses chevaux et le préjudice qui en découle.


Précisons en revanche qu’à ce jour, le cheval n’est pas considéré comme une victime directe, et le propriétaire ne pourra pas réclamer, par ricochet, réparation pour le préjudice que son cheval aurait personnellement subi. Autrement dit, la souffrance ressentie par le cheval sera indemnisée du côté du propriétaire qui aura perdu son cheval dans ces circonstances tragiques, mais le propriétaire ne pourra pas réclamer le préjudice direct lié à la souffrance que le cheval a subi lors de ces mutilations. La souffrance de l’animal n’est pas un préjudice réparable, comme cela a été rappelé par la cour d’appel de Bordeaux (4), le 3 mai 2004. Malgré son statut d’être sensible, l’animal ne peut pas voir son intérêt direct représenté en justice (5).


 


Qui peut se constituer partie civile et comment ?


Les victimes, désignées ci-avant, peuvent déposer plainte directement auprès de la gendarmerie concernée (gendarmerie du domicile ou bien du lieu de l’infraction) ou bien en écrivant en recommandé avec accusé de réception au procureur de la République.


Peuvent encore se constituer partie civile les organismes de tutelle ainsi que les associations de protection animale. Ainsi, la Fédération Française d’Équitation, mais également France Galop et Le Trot, dont les statuts précisent qu’elles ont qualité pour se joindre à toute action visant au respect et à la défense des équidés, ont d’ores et déjà indiqué qu’elles se constitueraient partie civile auprès des victimes.


Quant aux associations de protection animale, l’article 2-13 du Code de procédure pénale rappelle que l’association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, et dont les statuts prévoient la défense et la protection des animaux, peut exercer les droits reconnus à la partie civile, notamment en ce qui concerne les infractions réprimant les sévices graves et actes de cruauté. Précisons que leur présence au procès apporte une aide à la fois matérielle compte tenu de leurs moyens, mais également morale et technique, dès lors que certaines disposent d’un service juridique apte à apporter leur connaissance au profit du propriétaire ignorant des rouages de la procédure pénale.


Si une enquête (dite préliminaire) est ouverte, les officiers de police judiciaire (OPJ) procéderont à des investigations par délégation du procureur. Au terme de leur enquête, un procès-verbal de synthèse sera rédigé et transmis au procureur, qui décidera de la suite à donner, à savoir un renvoi devant le tribunal ou une absence de poursuites.


Si un renvoi devant le tribunal (correctionnel ou de police) est ordonné, il sera alors possible de se constituer partie civile au cours de l’audience selon les articles 418 et 536 du Code de procédure pénale, et de demander réparation des préjudices subis.


Toutes les victimes ayant porté plainte sont en principe informées du résultat de l’enquête.


Néanmoins, si aucun individu n’a pu être identifié, il est clair qu’aucune poursuite judiciaire ne pourra avoir lieu.


Une autre voie procédurale est cependant ouverte, puisque les victimes ont la possibilité de contester l’absence de poursuites pénales en faisant désigner un juge d’instruction et en se constituant partie civile, comme le prévoient les articles 85 et suivants du Code de procédure pénale. Le juge d’instruction, s’il accepte, rend une ordonnance de consignation obligeant la partie civile à verser une certaine somme pour que l’enquête soit réouverte – il est néanmoins possible d’obtenir une dispense de consignation si l’on est éligible à l’aide juridictionnelle. Le juge fera poursuivre l’enquête et les parties civiles pourront notamment demander que de nouvelles investigations aient lieu pour tenter de retrouver les coupables. Il peut aussi rendre une ordonnance de refus d’informer s’il considère que les infractions ne sont pas constituées.


En revanche, dès lors que les faits sont constitués et que l’enquête permet de trouver l’auteur, un renvoi devant le tribunal correctionnel pourra être ordonné si les charges sont suffisantes.


Avant de mandater un juge d’instruction et de se constituer partie civile, les victimes ont la possibilité de consulter le dossier pénal qui contient la totalité de l’enquête, ce qui pourra les aider et les aiguiller dans leur choix de poursuivre ou non, via le juge d’instruction, leurs investigations.


Il est dès lors important de se faire assister d’un avocat pour ces démarches et déterminer avec exactitude les préjudices subis.


 


Compétences : une organisation coopérative sans précédent au niveau institutionnel


Jamais la question animale n’aura fait l’objet d’une telle mobilisation par les autorités qui ne soit pas pour des raisons sanitaires.


Au niveau local, chaque parquet suit les affaires qui relèvent de sa compétence ratione loci.
Le magistrat peut se saisir dans le cadre d’un dépôt de plainte ou lors de dénonciations anonymes.


Au niveau national, plusieurs administrations concourent de manière complémentaire à la résolution de ces affaires des chevaux mutilés.


C’est bien parce qu’il y a des affaires, et non pas une affaire, que plusieurs services sous tutelle du ministère de l’Intérieur ont été mobilisés. Le 25 août 2020, l’augmentation sensible des cas conduit la gendarmerie à engager une opération nationale.


Instituée au niveau de la DGGN (6), elle est animée par la SDPJ (Sous-Direction de la Police Judiciaire) et via le BACJ (Bureau de l’Animation et de la Coordination Judiciaire).


Cette structure nationale a pour mission de promouvoir les actions de prévention, le recueil du renseignement et de coordonner les investigations. Ainsi, la SDPJ coordonne les unités opérationnelles en s’appuyant sur le savoir-faire et l’expertise du SCRC, de l’IRCGN et de l’OCLAESP.







Le SCRC – Service Central de Renseignement Criminel de la Gendarmerie – centralise les faits reprochés, procède au croisement des renseignements et coordonne les enquêtes. Le SCRC constitue une structure d’aide à la décision et à l’enquête, à compétence judiciaire nationale, à partir des bases de données élaborées par ses soins.


Il organise la détection, la description, le suivi, l’analyse et l’anticipation des phénomènes criminels à l’échelle nationale et internationale (connaissance des individus et groupes criminels, de phénomènes et séries, des modes opératoires, des menaces et vulnérabilités). Le SCRC mobilise toutes ses composantes, les AnaCrim (7), les analystes de la division des sciences du comportement (DSC), le C3N (8), la division des fichiers et le département des sciences des données.


Ils y analysent les communications, les procédures, et recueillent tous les soit-transmis judiciaires. Ils fournissent également aux unités un canevas d’audition, des consignes d’intervention et d’investigation et un protocole criminalistique. Le SCRC, en lien avec un vétérinaire de la Garde républicaine, étudie l’ensemble des faits pour discriminer ceux qui auraient une origine naturelle/accidentelle de ceux qui auraient une origine humaine.


L’OCLAESP (9) Office Central de Lutte contre les Atteintes à l’Environnement et à la Santé publique – apporte un appui sur demande aux unités dans le cadre des investigations en cours. Dans le cadre de sa division « investigation », l’OCLAESP procède à la veille des réseaux sociaux et plus généralement du web sur les dérives sectaires considérées comme une des pistes parmi d’autres. Cet office central assure également la recherche d’auteurs potentiels ou déjà connus à l’étranger.


L’IRCGN – Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie nationale –, comme le SCRC, relève du pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale. Il apporte son expertise scientifique aux investigations judiciaires complexes, comme celles des chevaux mutilés. L’IRCGN est en charge de l’analyse de tous les scellés transmis par les unités saisies. Pour concentrer les efforts sur les faits avérés, l’IRCGN a établi et transmis aux unités de gendarmerie une liste de vétérinaires qui ont l’habitude de travailler avec des équidés.


La coordination et le suivi des actions des acteurs susvisés sont assurés par le BACJ – Bureau de l’Animation et de la Coordination judiciaire – relevant de la SDPJ – Sous-Direction de la Police Judiciaire – elle-même composante de la DGGN – Direction générale de la Gendarmerie nationale.


Si aujourd’hui aucune piste n’est privilégiée quant au mobile, la qualification des actes pose, elle aussi, nombre d’interrogations, selon que le cheval est retrouvé mort ou vivant.


La question des autopsies se révèle être majeure dans l’orientation des enquêtes.





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Autopsie et expertise vétérinaire


Près de 35 000 chevaux meurent chaque année, toutes causes confondues (10).


Selon les articles L. 926.4 et suivants du Code rural et de la pêche maritime (CRPM), tout propriétaire ou détenteur d’un cadavre d’animal est tenu d’avertir dans les plus brefs délais la personne chargée de l’exécution du service public de l’équarrissage d’avoir à procéder à l’enlèvement du ou des cadavres. Le cadavre doit alors être enlevé dans le délai de 24 heures.


L’article L. 926.2 du CRMP prévoit toutefois l’exception de la pratique d’une autopsie sur place. Notons que sauf réquisition judiciaire ou obligation réglementaire, aucune autopsie n’est effectuée sans l’accord du propriétaire. L’autopsie judiciaire est ordonnée par le juge d’instruction ou par le procureur de la République.


Le réseau Résumeq regroupe les établissements pratiquant des autopsies d’équidés (écoles nationales vétérinaires, laboratoires d’analyses vétérinaires) et des vétérinaires praticiens afin notamment de qualifier les causes de mortalité dans le prisme des maladies.


L’exercice de l’autopsie relève de la compétence exclusive des vétérinaires selon les articles L. 243-1 et R. 242.82 du CRPM.


La détermination de la cause de la mort est essentielle pour la poursuite – ou non – des enquêtes. L’autopsie doit aider à la détermination (i) du caractère ante ou post-mortem des lésions externes et (ii) de l’éventualité d’une intervention humaine.


L’autopsie soulève néanmoins plusieurs difficultés. Tout d’abord quant à la possibilité de la pratiquer, sur place ou dans un centre d’équarrissage, l’équidé étant parfois situé trop loin d’une salle disponible. Des mesures vétérinaires doivent alors être prises pour assurer la conservation de la dépouille.


Les affaires des chevaux mutilés ont également mis en évidence l’absence de formation des vétérinaires pour la pratique d’autopsies médicolégales vétérinaires dans le cadre d’enquêtes criminelles.


On relève par ailleurs que dans la liste des experts agréés par la Cour de cassation, un seul nom figure pour la chirurgie vétérinaire et trois pour la cour d’appel de Paris.


Si les vétérinaires sont largement mobilisés et expérimentés pour identifier les causes sanitaires de mortalité, force est de constater l’incapacité actuelle de rassembler les preuves pour motifs autres que sanitaires.


Pour autant, dans certains cas, il a été signalé que des chevaux mutilés auraient été anesthésiés avant le prélèvement d’organes. Une telle information est majeure pour la qualification des faits et les recours disponibles pour les victimes. En effet, dès lors que l’animal était anesthésié, la qualification d’acte de cruauté ne saurait être retenue.


Dans le contexte de la Covid-19 et des recherches y afférent, alors que les tribunes et débats sur la notion de « One Health » se multiplient, force est de constater que la réflexion sur la coopération entre médecins légistes et vétérinaires ne semble pas à l’ordre du jour en France (11). Une nouvelle démonstration du cloisonnement des compétences et l’approche utilitaire de l’animal alors que la connaissance en médecine humaine permettrait dans ce cas précis d’aider à la détermination des causes de la mort de l’animal. Saluons les travaux de l’université vétérinaire de Lyon qui, par les thèses de ses étudiants, s’engage vers ce décloisonnement.


Afin d’accompagner les vétérinaires contactés par un propriétaire victime, plusieurs organisations relaient des documents utiles pour procéder à ces autopsies et apporter un appui à l’identification de la cause de la mort de l’équidé : AVEF, IFCE, LFCE, LFPC, RESPE et d’autres encore.


À titre d’illustration, il est préconisé, dans le cas d’impossibilité de transport du cadavre vers un centre d’autopsie, de procéder (i) à l’évaluation de la rigidité cadavérique, (ii) des prélèvements des bords de « plaies » pour histologie – afin d’aider à la détermination du caractère ante ou post-mortem des lésions identifiées (sauf si évident, exemple : hémorragie massive) et (iii) a minima, des prélèvements de sang et d’urine le plus rapidement possible (12).


Au niveau institutionnel, citons également la BNEVP – Brigade Nationale des Enquêtes Vétérinaires et Phytosanitaire –, qui est une unité d’investigation de la DGAL – Direction Générale de l’Alimentation. La BNEVP dispose de pouvoirs en matière de police judiciaire et administrative, avec une compétence nationale dans la lutte contre la délinquance organisée dans les secteurs de la sécurité sanitaire des aliments, de la santé et de la protection des animaux notamment. La brigade traite aussi des trafics de produits et denrées d’origine animale.


Une question demeure : à quelle fin les organes des chevaux sont-ils prélevés par les auteurs des faits ?


 


QUALIFICATIONS PÉNALES ENVISAGEABLES ET SANCTIONS


Rappelons au préalable que bien qualifier un acte est indispensable pour envisager la juridiction compétente et la sanction la plus adaptée aux faits.


Le droit français classe, en effet, les infractions en trois catégories selon leur degré de gravité – crime, délit ou contravention. Le juge pénal sera donc cantonné à l’application d’une simple amende s’il s’agit d’une contravention ou, au contraire, pourra prononcer une peine d’emprisonnement dans le cadre d’un délit, catégorie d’infraction la plus grave existant actuellement pour les atteintes portées aux animaux. En effet, aucun acte commis sur un animal, quelle que soit sa gravité, ne peut malheureusement revêtir la qualification de crime en droit français (13).


La qualification choisie aura également un impact sur l’éventuelle retenue de la récidive, qui permet de doubler le maximum des peines encourues (impossible pour les contraventions des quatre premières classes) ou sur le prononcé de peines complémentaires telles les peines de confiscation de l’animal et d’interdiction, à titre définitif ou non, de détenir un animal et d’exercer, pour une durée de cinq ans au plus, une activité professionnelle ou sociale dès lors que les facilités que procure cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l’infraction.


Première qualification à envisager face aux mutilations subies par les équidés : l’infraction de sévices et actes de cruauté, définie à l’article?521-1 du Code pénal comme étant « le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »  Les deux peines complémentaires susvisées sont également prévues.


Cependant, cette infraction ne pourra – en l’état actuel de la jurisprudence – être constituée que si l’on démontre l’intention perverse de l’auteur, qui doit donc avoir « accompli les actes intentionnellement dans le dessein de provoquer la souffrance ou la mort" (14). Malheureusement, ce dol spécial créé par la haute juridiction est parfois difficilement retenu par les magistrats, ce qui peut aboutir à des requalifications voire des relaxes.


Rappelons encore que la circulaire du garde des Sceaux du 16 mai 2005 (15) définissant la politique pénale pour la répression des atteintes commises à l’encontre des animaux soulignait que l’intention perverse n’était pas à démontrer dans les cas de sévices sexuels.


On peut cependant espérer que, face à la gravité des attaques subies par les équidés et l’émotion ainsi suscitée dans l’opinion publique, la position des magistrats au regard de l’intention perverse évoluera.


En tout état de cause, il convient de rassembler des preuves solides dans le dossier. On pense ainsi à la détermination du caractère volontaire de l’acte – pas si évident, compte tenu des nombreux cas où une mort naturelle a été finalement constatée.


Notons enfin que si les mutilations apparaissent comme étant post-mortem, il ne sera pas possible de retenir l’infraction de sévices et actes de cruauté, l’équidé ayant été blessé de manière certes atroce, mais après sa mort.


Deux autres qualifications pénales seraient alors envisageables :


- En cas de mort de l’équidé, on peut envisager l’infraction d’atteinte volontaire à la vie, définie à larticle R.655-1 du Code pénal, qui réprime le fait, « sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité ». Néanmoins, sagissant dune contravention de la 5e classe, la peine possible est une simple amende de 1 500 euros maximum (3 000 euros en cas de récidive).


- En l’absence de décès de l’équidé mais en présence de blessures autres que des mutilations, on peut envisager la qualification de mauvais traitements exercés volontairement et sans nécessité, sanctionnés dans le Code pénal par l’article R. 654-1. Là encore, une simple peine d’amende de 750 euros maximum sera prévue puisqu’il s’agit d’une contravention de 4e classe.


Bien évidemment, les éléments propres à chaque dossier permettront d’orienter vers une infraction de maltraitance ou vers le délit d’acte de cruauté – avec comme objectif d’obtenir une condamnation plus importante de l’auteur des faits – voire même d’envisager d’autres infractions. Cette affaire aura en tout cas – comme tant d’autres auparavant – mis en lumière le manque de sévérité de la législation française actuelle face à des actes d’une gravité certaine subis par les équidés ou les animaux de manière générale.


Au vu de la précision des actes de mutilations, le profil de professionnel tel que vétérinaire ou employé d’abattoir est également à l’étude. Les actes ayant entraîné la mort de l’équidé pourraient alors être qualifiés d’abattage (16) clandestin.


Selon l’article L. 237-2 du CRPM, l’abattage en dehors d’un établissement autorisé dans des conditions illicites est puni de six mois d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.


Dans l’éventualité où il s’agirait d’un professionnel, la personne physique encourrait la peine complémentaire d’interdiction d’exercer ladite activité professionnelle pour une durée de cinq ans au plus.


À noter, par ailleurs, que l’on pourrait aussi s’interroger sur l’application de la qualification d’exercice illégal de la médecine vétérinaire ou de la chirurgie des animaux, réprimé par l’aarticle L. 243-4 du CRPM de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros. La personne doit avoir notamment pratiqué « à titre habituel, des actes de médecine ou de chirurgie des animaux […] ». Mais l’acte de chirurgie est défini par l’article L. 243-1 du même Code comme étant « tout acte affectant l’intégrité physique de l’animal dans un but thérapeutique ou zootechnique ».


S’il est clair que les mutilations ont été pratiquées par une personne ayant des connaissances techniques particulières, on ne pourrait cependant pas retenir cette qualification qui vise uniquement des actes de chirurgie effectués dans un but thérapeutique ou zootechnique.


Outre les faits subis par l’équidé, on pourrait penser aussi à sanctionner l’introduction de l’auteur de ces attaques sur la propriété privée du gardien de l’équidé. Cependant, il n’est apparemment pas possible de retenir la qualification de violation de domicile, puisqu’il faudrait alors démontrer une introduction illicite sur la propriété d’autrui « à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte » (17), ce qui ne relève pas des cas d’espèces rapportés. Néanmoins, en cas d’effraction constatée et si le terrain sur lequel se situait le cheval se trouve à proximité d’une habitation où le propriétaire réside effectivement, on pourrait alors envisager de retenir la notion de violation du domicile.


Enfin, il est un point qui mérite de retenir notre attention : les tentatives de fraudes aux assurances. Il n’est, en effet, pas à exclure que certaines affaires relèveraient d’une « manœuvre frauduleuse » visant à laisser penser à la compagnie d’assurance que les blessures constatées sur l’équidé auraient été causées par un tiers dans le cadre de ces affaires de chevaux mutilés et ce, dans le but de solliciter une indemnisation de la part de l’assurance. Cela pourrait alors être qualifié d’escroquerie, réprimée par l’article 313-1 du Code pénal par une peine de cinq ans d’emprisonnement, outre 375 000 euros d’amende.


 


Un trafic de sous-produits d’animaux ?


Dans la course folle au vaccin contre la Covid-19, soutenue par des budgets vertigineux et où la concurrence fait rage, des chercheurs du Costa Rica expérimentent un traitement à partir de plasma de cheval (18).


Dans quelle mesure les affaires des chevaux mutilés pourraient-elles s’inscrire dans un trafic (19) de sous-produits d’animaux en Europe ? Par « sous-produits animaux », il faut entendre les cadavres entiers ou parties danimaux, les produits dorigine animale ou dautres produits obtenus à partir danimaux, qui ne sont pas destinés à la consommation humaine, y compris les ovocytes, les embryons et le sperme.


On sait que le trafic d’espèces sauvages protégées (20) et leurs sous-produits est un délit passible de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (21).



Quant aux animaux domestiques, qui recouvrent notamment les animaux de compagnie et animaux de rente, la collecte et le traitement de cadavre relèvent de l’activité d’équarrissage (22), mission de service public de l’État. Les conditions d’élimination ou de valorisation des sous-produits d’animaux non destinés à la consommation humaine sont régies par le Règlement (CE) n° 1069/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009.


Ce règlement classe les sous-produits animaux en trois catégories sur la base de leur risque potentiel pour la santé humaine et animale, et l’environnement. Il définit la manière dont les matières de chaque catégorie doivent ou peuvent être éliminées ou valorisées pour certains usages dans le souci de maintenir un niveau élevé de protection de la santé publique et animale.


Pour autant, quelle que soit la catégorie, l’article 33 prévoit une dérogation au bénéfice du secteur de la recherche. Ainsi, les sous-produits d’animaux peuvent être utilisés à des fins de diagnostic, d’éducation et de recherche. Les textes y afférent sont tous des directives (23)(et non des règlements), laissant ainsi aux États membres une marge de manœuvre quant à la transposition par les États dans leur droit national, notamment sur les modalités d’approvisionnement en sous-produits d’animaux.


Si la directive 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques encadre l’utilisation d’animaux vivants, il ressort en l’état du droit positif, sinon un vide juridique, un réel manque de transparence et d’homogénéité sur l’utilisation des organes d’animaux par la recherche.


Ainsi, aux termes des articles L. 236-5 et suivants du CRPM, les sous-produits d’animaux ayant le statut de marchandises communautaires peuvent faire l’objet de contrôles vétérinaires à destination, alors que les douanes procèdent à des contrôles documentaires lors de l’introduction desdits sous-produits sur le territoire.


En revanche, une telle obligation ne s’applique pas aux sous-produits d’animaux et aux produits dérivés transportés par des moyens de transport reliant de manière régulière et directe deux points géographiques de la Communauté européenne (24).


On notera enfin qu’en France, au 31 juillet 2020, sans bruit aucun, l’Assemblée nationale, après un rejet par le Sénat, a réintégré l’article 17 dans le projet de loi Bioéthique qui rend possible la création de chimères animal-homme.


Jusqu’où la recherche peut-elle légitimer l’utilisation d’animaux vivants ou morts à l’heure où on vante les mérites du « One Health » ?


 


Préconisations, signalements et de la prudence dans l’usage des réseaux sociaux


À titre liminaire, on rappellera que lidentification de son équidé, plus qu’une obligation légale prévue aux articles L. 219-9 et suivants du CRPM (25), permet de faciliter la communication entre les institutions et les propriétaires d’équidés.


Ainsi, l’IFCE (26) a pu relayer auprès des propriétaires enregistrés sur le SIRE (27) les outils et préconisations de la Gendarmerie nationale quant aux mesures de prévention à mettre en œuvre.


La Gendarmerie a établi un outil d’autodiagnostic de sécurisation du lieu de détention de l’équidé. Elle a par ailleurs largement communiqué ses recommandations.









De plus, toute personne qui pense être témoin ou détenir des informations peut également formuler un signalement auprès des forces de l’Ordre via les contacts indiqués en fin d’article.


Il est à noter que sur le site du ministère de l’Intérieur, le portail dédié aux contenus illicites de l’Internet (28) permet également de porter à la connaissance du ministère des publications en ligne incitant à commettre des infractions.


Alors que la pratique de dérives sectaires fait partie des nombreuses pistes des enquêteurs, il semble aujourd’hui important de s’arrêter quelques instants sur la multiplication de groupes sur Facebook présentés comme des groupes de victimes ou propriétaires de chevaux. L’on sait que la mobilisation des personnes sur Facebook en cas de perte d’un animal a démontré de nombreuses fois son utilité pour un dénouement heureux. Dans le cas de ces macabres affaires, le partage des photos des chevaux mutilés a malheureusement une portée beaucoup plus forte sur les auteurs ou ceux qui les y incitent que sur la résolution des enquêtes. Elles alimentent aussi une colère stérile.


Pour les victimes, la conduite à tenir par les propriétaires en cas de suspicion d’actes de cruauté fait l’objet de fiches pratiques relayées par RESPE, ou bien encore l’Association Vétérinaire Equine Française (29), entre autres. Comme évoqué plus haut, l’autopsie est déterminante pour orienter l’enquête. Il est donc primordial de ne pas toucher à la scène de crime pour permettre au vétérinaire de procéder aux premières constatations et prendre les mesures conservatoires utiles aux côtés des forces de l’ordre. L’assistance d’un avocat permettra à la victime d’avoir accès à son dossier et de connaître l’évolution de l’enquête.


Rappelons la citation de Pam Brown : « Le cheval nous apprend ce qu’est la domination de soi. »


Alors, oui, la vue de son équidé mutilé est insoutenable, oui, la souffrance qu’il a dû subir est inimaginable, oui, il y a une soif de justice, mais c’est à celle-ci précisément qu’il incombe d’adopter des décisions proportionnées, dissuasives, punitives, dignes de la responsabilité qui est la sienne. Reflet de notre état de civilisation, les décisions judiciaires doivent s’inscrire dans l’effort collectif de tous les acteurs judiciaires pour dissuader et condamner avec une tolérance zéro tout acte de cruauté quel qu’il soit.


 


NOTES :

1) Les auteurs sont membres cofondateurs de l’association Avocats & Droits de l’animal.

2) Sources relayées par l’Institut du Droit équin.

3) Chaque propriétaire peut sortir son animal de la filière bouchère en remplissant la partie du document d’accompagnement du cheval prévue à cet effet. Nous soulignons que cette mesure permet aussi, en cas de vol de votre équidé, que celui-ci ne puisse être abattu pour la consommation humaine. Sur les modalités précises, vous pouvez vous rapprocher de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE).

4) CA Bordeaux – 3 mai 2004 - Juris data n°2004-271846.

5) « La représentation des individus d’une espèce animale devant le Juge Français », Lucille Boisseau Sowinski hors-série n° 22, septembre 2015.

6) Direction générale de la Gendarmerie nationale.

7) Analyse Criminelle.

8) Centre de lutte contre les criminalités numériques.

9) Structure interministérielle créée par le décret n° 2004-612 du 24 juin 2004, l’office est un service de police judiciaire à compétence nationale dont la mission est de lutter contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Elle est placée sous la tutelle de Gendarmerie nationale.

10) Source RESUMEQ – Réseau national de surveillance des causes de mortalité des équidés crée en 2015 – Pour aller plus loin : voir sur le site de l’ANSES.

11) Au niveau international, voir les travaux de l’association IVFSA (International Veterinary Forensic Sciences Association).

12) Voir les fiches de l’OCLAESP, RESPE et la LFPC et l’IFCE notamment.

13) Par une loi fédérale du 29 novembre 2019, les États-Unis ont érigé en crime les actes de cruauté sur animaux. Ils sont passibles de sept ans de prison (contre 2deuxen France).

14) C. Cass - Crim, 30 mai 2006, n° 05-81.525.

15) Circulaire du 16 mai 2005.

16) Art. R. 214-64 du CRPM.

17) Article 226-4 du Code pénal.

18) Plusieurs sources médiatiques dont Cnews.

Autre illustration, le sang d’équidé est notamment collecté à destination des filières pharmacie, cosmétique, de fabrication de kits à usage diagnostique ou de dispositifs médicaux.

19) Pour information, le prélèvement d’organes humains relève de la traite des êtres humains, laquelle est un délit puni de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende selon l’article 225-4-1 du Code pénal. Commis en bande organisée (Art. 225-4-3) ou en recourant à des tortures ou des actes de barbarie (225-4-4), la peine est portée à 20 ans de réclusion criminelle et 3 000 000 euros d’amende.

20) Inscrites dans la convention de Washington 1973 C.I.T.E.S.

21) Art L. 415-3 du Code de l’environnement - sept ans et 750 000 euros lorsqu’il est commis bande organisée (L. 415-6 du Code de l’environnement). « Constitue une bande organisée tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation caractérisée par un ou plusieurs faits matériels d’une ou de plusieurs infractions » (Art 132-71 du Code pénal).

22) Art L. 226-2 du CRMP.

23) Pour les a) des produits cosmétiques - directive 76/768/CEE ; b) des dispositifs médicaux implantables actifs, – directive 90/385/CEE ; des dispositifs médicaux, directive 93/42/CEE; d) des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, directive 98/79/CE; e) des médicaments vétérinaires – directive 2001/82/CE ; f) des médicaments - directive 2001/83/CE.

24) On soulignera par ailleurs que ces articles sont sous le titre Qualité Nutritionnelle et sécurité alimentaire.

25) Réglementation relative à l’identification des équidés et à l’enregistrement de la propriété.

26) Institut français du Cheval et de l’Équitation lequel a un numéro gratuit pour répondre aux questions des propriétaires.

27) Système d’information relatif aux équidés.

28) Portail officiel de signalement de contenus illicites d’Internet.

29) Créée en 1965, l’AVEF rassemble plus de 450 vétérinaires exerçants exclusivement ou partiellement dans le domaine de la médecine ou de la chirurgie équine.

Liste des contacts :

IRCGN : Courriel au chef d’escadron Hervé Daudigny 

herve.daudigny@gendarmerie.interieur.gouv.fr ou au 01 78 47 32 61

BNEVP - Brigade Nationale d’Enquêtes Vétérinaires et Phytosanitaires

Unité d’investigation de la DGAL (Direction Générale de l’Alimentation)

Courriel à bnevp.dgal@agriculture.gouv.fr

ou au : 01 56 29 15 80

IFCE : Numéro gratuit : 0 800 738 908


 


 


 


1 commentaire
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Catherine Raymonde
- il y a 4 ans
Merci pour cet article bien documenté qui ouvre des perspectives

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