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Comment Louis XVI, le plus célèbre des guillotinés, a-t-il participé à la conception de la guillotine ?

Comment Louis XVI, le plus célèbre des guillotinés, a-t-il participé à la conception de la guillotine ?
Publié le 08/03/2019 à 15:01

En 1791, l’Assemblée constituante adopte un Code pénal qui exclut désormais le recours à la torture. À l’instigation d’un élu parisien, le docteur Joseph Guillotin, l’assemblée y inscrit un article 3 énonçant que « tout condamné à mort aura la tête tranchée ». L’article 4 prévoit que les assassins seront conduits à l’échafaud revêtus d’une chemise rouge et que les parricides auront la tête voilée d’une étoffe noire.



Le bourreau, Charles-Henri Sanson, fait remarquer au ministre de la Justice que les épées destinées à la décapitation se brisent parfois et qu’il faut imaginer un autre moyen de décollation. On confie donc au chirurgien militaire Antoine Louis, médecin légiste et inspecteur général des hôpitaux militaires, le soin de concevoir un nouvel instrument tranchant. Le docteur Louis consulte un artisan, le charpentier Guidon, en lui demandant de dessiner une machine en bois de chêne, avec un « tranchoir de bonne trempe, de la solidité des meilleurs couperets, fait par un habile taillandier » qui coupera « par sa convexité », devant glisser « de haut dans les rainures des deux montants ».


Mais le devis du charpentier pour la « machine décrétée par l’Assemblée nationale pour servir à trancher la tête aux criminels condamnés à la peine de mort » est trop élevé. Le bourreau Sanson, qui est par ailleurs violoniste, consulte alors son ami Tobias Schmidt, facteur de clavecins, très habile mécanicien. Le manipulateur d’instruments à décapiter et le facteur d’instruments à clavier ont en commun l’amour de la musique. Un soir, après avoir joué un morceau, les deux compères évoquent la machine à décapiter. Schmidt dessine ce qui va devenir la guillotine, avec sa planche à bascule. Sanson en informe Guillotin. Le roi est mis au courant. Il va curieusement mettre son grain de sel dans la conception de l’instrument qui lui ôtera la vie l’année suivante, et apporter une contribution déterminante.


Louis XVI convoque le docteur Guillotin, le docteur Louis et le bourreau Sanson.


En ce 2 mars 1792 à Paris, l’hiver est inclément. Contraint de résider au Palais des Tuileries, le souverain ne se montre guère. Nombreux sont les courtisans qui ont déserté. La famille royale se fait discrète. La veille, 1er mars, l’empereur Léopold II, frère de Marie-Antoinette, père de 16 enfants, est mort à Vienne. Il avait été le premier souverain européen à promulguer un Code pénal moderne abolissant la peine de mort et les tortures, et il avait fait détruire dans son pays tous les instruments destinés aux exécutions capitales. Son fils François monte sur le trône et ne sait pas que dans quelques semaines, le roi de France, qui gouverne avec les Girondins, va lui déclarer la guerre ! Louis XVI lui-même ne s’en doute guère ! En attendant, il n’a plus accès à la forge qu’il a fait aménager au château de Versailles, dans laquelle il aimait confectionner des serrures à secret et des engins métalliques. Bien qu’il fût plutôt chasseur et pas vraiment fine lame, un nouvel objet d’acier agite l’esprit du monarque plus bricolier que fin serrurier, qui est, par l’absence d’atelier, un peu contrarié : le couperet de la machine à trancher la tête des criminels !


L’anecdote nous est contée dans ses Mémoires par le petit-fils du bourreau, Henri-Clément Sanson, lui-même bourreau, décrit comme souvent « bourré » pour fréquenter quotidiennement un café parisien surnommé le « café du bourreau », connu pour avoir été emprisonné en 1846 pour dettes et avoir remis en gage les bois de justice à son créancier, que le ministère de la Justice dut payer pour pouvoir récupérer la guillotine gagée et permettre la libération du dernier des Sanson afin de procéder à une exécution capitale.


En ce 2 mars 1792 donc, les visiteurs ont parcouru à pas feutrés les vestibules et les corridors déserts du Palais des Tuileries. Le docteur Antoine Louis s’attarde, devant une table « recouverte d’un tapis de velours vert avec une frange d’or » sur le dessin de Schmidt que lui montre Guillotin en attendant l’arrivée du roi. Ce dernier, en habit sombre, semblant, selon Sanson, vouloir « garder l’incognito », montrant « un cou musculeux », interroge le bourreau sur la disposition du couperet, alors dessiné sous forme d’un croissant. Sanson, poliment, sans prendre un air trop tranchant, répond que « la forme du couperet pourrait amener quelques difficultés ». Le roi prend une plume, en souriant, et corrige le dessin. Il substitue une lame oblique au croissant et, admettant qu’il peut se tromper, suggère de faire des expériences avec les deux types de lame. Ce qui sera fait, tant sur des ovins que sur des cadavres de détenus à la prison de Bicêtre. Et, finalement, la lame dessinée d’un trait de plume par le roi, spécialiste de l’enclume, enchâssée dans un mouton de bois qui l’enserre, est la lame la plus efficace. Le 21 janvier 1793, Sanson, qui est secrètement favorable à la monarchie, attendra en vain que les royalistes viennent sauver Louis XVI au moment de son transfert vers l’échafaud et, contrarié mais homme de devoir, professionnel aguerri de la décapitation, redoutant les glaviots de la foule impatiente, fera la démonstration sanglante que le royal trait de plume du condamné permit de tirer un trait définitif sur un cou royal.


Il y a parfois dans l’histoire de la naissance d’une démocratie de piquants récits, de surprenants châssis et de singuliers… raccourcis… !



Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


 


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