En 1791, l’Assemblée constituante
adopte un Code pénal qui exclut désormais le recours à la torture. À
l’instigation d’un élu parisien, le docteur Joseph Guillotin, l’assemblée y
inscrit un article 3 énonçant que « tout
condamné à mort aura la tête tranchée ». L’article 4 prévoit que les
assassins seront conduits à l’échafaud revêtus d’une chemise rouge et que les
parricides auront la tête voilée d’une étoffe noire.
Le bourreau, Charles-Henri Sanson,
fait remarquer au ministre de la Justice que les épées destinées à la
décapitation se brisent parfois et qu’il faut imaginer un autre moyen de
décollation. On confie donc au chirurgien militaire Antoine Louis, médecin légiste
et inspecteur général des hôpitaux militaires, le soin de concevoir un nouvel
instrument tranchant. Le docteur Louis consulte un artisan, le charpentier
Guidon, en lui demandant de dessiner une machine en bois de chêne, avec un « tranchoir de bonne trempe, de la solidité
des meilleurs couperets, fait par un habile taillandier » qui coupera « par sa convexité », devant glisser « de
haut dans les rainures des deux montants ».
Mais le devis du charpentier pour la «
machine décrétée par l’Assemblée nationale pour servir à trancher la tête aux
criminels condamnés à la peine de mort » est trop élevé. Le bourreau Sanson,
qui est par ailleurs violoniste, consulte alors son ami Tobias Schmidt, facteur
de clavecins, très habile mécanicien. Le manipulateur d’instruments à décapiter
et le facteur d’instruments à clavier ont en commun l’amour de la musique. Un
soir, après avoir joué un morceau, les deux compères évoquent la machine à
décapiter. Schmidt dessine ce qui va devenir la guillotine, avec sa planche à
bascule. Sanson en informe Guillotin. Le roi est mis au courant. Il va
curieusement mettre son grain de sel dans la conception de l’instrument qui lui
ôtera la vie l’année suivante, et apporter une contribution déterminante.
Louis XVI convoque le docteur Guillotin,
le docteur Louis et le bourreau Sanson.
En ce 2 mars 1792 à Paris, l’hiver est
inclément. Contraint de résider au Palais des Tuileries, le souverain ne se
montre guère. Nombreux sont les courtisans qui ont déserté. La famille royale
se fait discrète. La veille, 1er mars, l’empereur Léopold II, frère
de Marie-Antoinette, père de 16 enfants, est mort à Vienne. Il avait été le
premier souverain européen à promulguer un Code pénal moderne abolissant la
peine de mort et les tortures, et il avait fait détruire dans son pays tous les
instruments destinés aux exécutions capitales. Son fils François monte sur le
trône et ne sait pas que dans quelques semaines, le roi de France, qui gouverne
avec les Girondins, va lui déclarer la guerre ! Louis XVI lui-même ne s’en
doute guère ! En attendant, il n’a plus accès à la forge qu’il a fait aménager
au château de Versailles, dans laquelle il aimait confectionner des serrures à
secret et des engins métalliques. Bien qu’il fût plutôt chasseur et pas
vraiment fine lame, un nouvel objet d’acier agite l’esprit du monarque plus
bricolier que fin serrurier, qui est, par l’absence d’atelier, un peu contrarié
: le couperet de la machine à trancher la tête des criminels !
L’anecdote nous est contée dans ses
Mémoires par le petit-fils du bourreau, Henri-Clément Sanson, lui-même
bourreau, décrit comme souvent « bourré » pour fréquenter quotidiennement un
café parisien surnommé le « café du
bourreau », connu pour avoir été emprisonné en 1846 pour dettes et avoir
remis en gage les bois de justice à son créancier, que le ministère de la
Justice dut payer pour pouvoir récupérer la guillotine gagée et permettre la
libération du dernier des Sanson afin de procéder à une exécution capitale.
En ce 2 mars 1792 donc, les visiteurs
ont parcouru à pas feutrés les vestibules et les corridors déserts du Palais
des Tuileries. Le docteur Antoine Louis s’attarde, devant une table « recouverte d’un tapis de velours vert avec
une frange d’or » sur le dessin de Schmidt que lui montre Guillotin en
attendant l’arrivée du roi. Ce dernier, en habit sombre, semblant, selon
Sanson, vouloir « garder l’incognito »,
montrant « un cou musculeux »,
interroge le bourreau sur la disposition du couperet, alors dessiné sous forme
d’un croissant. Sanson, poliment, sans prendre un air trop tranchant, répond
que « la forme du couperet pourrait amener quelques difficultés ». Le roi prend
une plume, en souriant, et corrige le dessin. Il substitue une lame oblique au
croissant et, admettant qu’il peut se tromper, suggère de faire des expériences
avec les deux types de lame. Ce qui sera fait, tant sur des ovins que sur des
cadavres de détenus à la prison de Bicêtre. Et, finalement, la lame dessinée
d’un trait de plume par le roi, spécialiste de l’enclume, enchâssée dans un
mouton de bois qui l’enserre, est la lame la plus efficace. Le 21 janvier 1793,
Sanson, qui est secrètement favorable à la monarchie, attendra en vain que les
royalistes viennent sauver Louis XVI au moment de son transfert vers l’échafaud
et, contrarié mais homme de devoir, professionnel aguerri de la décapitation,
redoutant les glaviots de la foule impatiente, fera la démonstration sanglante
que le royal trait de plume du condamné permit de tirer un trait définitif sur
un cou royal.
Il y a parfois dans l’histoire de la
naissance d’une démocratie de piquants récits, de surprenants châssis et de
singuliers… raccourcis… !
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire