Le notaire est un acteur social. Il a une
mission d’explication du droit. L’année 2019 est celle de l’élection du
Parlement européen. Elle est également celle durant laquelle se tiendra le
premier Congrès des notaires de France hors de son territoire à Bruxelles, et
pour cause, son thème porte sur l’International. Le droit international privé a
été depuis de nombreuses années modifié par des textes européens. Comprendre le
processus législatif européen est donc une nécessité pour les notaires.
Le traité de Lisbonne établit une fonction législative
attribuée au Parlement et au Conseil1 sans cependant définir cette
notion.
Le traité prévoit des procédures législatives ainsi
que des actes législatifs. La fonction législative représente un pouvoir
normatif, celui d’adopter des actes selon les procédures législatives visées à
l’article 289 du traité de
fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) (I). Un acte législatif peut
déléguer à la Commission un pouvoir normatif, consistant en l’adoption d’actes
non législatifs de portée générale prévus à l’article 290 TFUE.
Aujourd’hui, l’Europe adopte des mesures
d’amélioration de la fonction législative (II).
I. Les procédures législatives
Ni le Parlement, ni le Conseil, auxquels est confiée
la fonction législative, ne disposent pour autant de leur initiative. En effet,
l’initiative de l’acte législatif (A) revient à la Commission. L’adoption de
cet acte exige le respect d’une procédure instituée par l’article 289 TFUE (B).
A. L’initiative
L’article 17, § 2 du traité de l’Union européenne (TUE), prévoit qu’ « un
acte législatif de l’Union ne peut être adopté que sur proposition de la
Commission, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement »2.
La Commission a l’initiative, quasi exclusive, de
l’acte législatif. Ce pouvoir n’est cependant pas absolu. Il en est ainsi en
matière de politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne,
également connue sous le sigle PESC, la Commission partage cette initiative
avec les États membres d’un côté, et le Haut représentant qu’elle soutient de
l’autre3. C’est également le cas lorsque l’acte législatif est pris
sur demande de la Cour de justice après consultation de la Commission4,
ou sur recommandation de la Banque centrale européenne après consultation du
Parlement européen et de la Commission5.
Cette initiative n’est pas un travail isolé de la
Commission, bien au contraire. La Commission réalise de « larges consultations »
des parties concernées6 en tenant compte de la dimension régionale
et locale des actions envisagées7 qu’elle rend publiques. Cette
consultation peut prendre la forme d’un livre vert, comme celui relatif aux
successions et testaments en 20058, dans lequel la Commission invite
les parties intéressées à répondre à des questions. Les réponses synthétisées
peuvent être publiées sous la forme d’un livre blanc9. Puis la
Commission établit sa proposition d’acte législatif.
La Commission peut être incitée à prendre cette
initiative.
• Par le Conseil, qui dispose d’un pouvoir « d’initiative de
l’initiative » conformément à l’article 241 TFUE ainsi rédigé : « Le Conseil, statuant à la majorité
simple, peut demander à la Commission de procéder à toutes études qu’il juge
opportunes pour la réalisation des objectifs communs et de lui soumettre toutes
propositions appropriées. »
• Mais également par le Parlement, qui possède le même pouvoir en vertu de
l’article 225 TFUE, lequel
dispose : « Le Parlement européen peut, à la majorité des membres
qui le composent, demander à la Commission de soumettre toute proposition
appropriée sur les questions qui lui paraissent nécessiter l’élaboration d’un
acte de l’Union pour la mise en œuvre des traités. »
• Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, un million de citoyens
européens résidant dans au moins un quart des États membres de l’Union peuvent
eux aussi inviter la Commission à présenter une proposition d’acte législatif
qu’ils jugent nécessaire pour mettre en œuvre les traités de l’Union10.
Cette possibilité a été utilisée avec succès à quatre reprises. On peut citer
l’une d’elles, actuellement très médiatisée : « Interdire le
glyphosate ».
La Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire de
présenter ou non un acte législatif à l’adoption11 et de définir le
contenu et les finalités de son acte12. Les propositions de la
Commission bénéficient d’une double garantie prévue à l’article 293 TFUE : premièrement,
les propositions de la Commission sont adoptées (sauf cas particuliers) à
l’unanimité, et deuxièmement, tant que le Conseil n’a pas statué, la Commission
peut modifier, voire retirer sa proposition.
B. La procédure
législative
L’article 289 TFUE prévoit deux procédures législatives : la « procédure
législative ordinaire » (1) et la « procédure législative
spéciale » (2).
La procédure
ordinaire
La procédure législative ordinaire, héritière de la
« codécision » instaurée par le traité de Maastricht, est
aujourd’hui le mode décisionnel le plus courant pour adopter la législation de
l’Union européenne. Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne,
sur un même pied d’égalité, adoptent ensemble les nouvelles normes européennes
dans la majorité des domaines (éducation, environnement, recherche…). Cette
procédure est fixée à l’article 294 TFUE.
Une partie des textes est adoptée dès la première
lecture au moyen de la procédure de trilogue dont le processus est le
suivant : une proposition d’acte, votée en commission parlementaire, est
négociée avec le Conseil avant qu’il soit procédé au vote du Parlement
européen. D’autres textes sont adoptés en deuxième lecture après discussion. La
commission de conciliation est rarement convoquée.
La procédure législative ordinaire présente deux
caractéristiques : la première est l’adoption des actes à la majorité
qualifiée (sauf sur les amendements ayant reçu un avis négatif, qui doivent
être adoptés à l’unanimité), et la seconde est que le Parlement et le Conseil
sont sur un pied d’égalité.
Si la procédure ne remplit pas l’une ou l’autre ou
les deux conditions, elle devient spéciale.
La procédure
spéciale
La procédure spéciale est généralement utilisée dans
des domaines sensibles. Le traité ne prévoit pas de règles précises pour
celle-ci. Il faut s’en référer au cas par cas.
Le Conseil devient alors l’unique décisionnaire, le
Parlement ne donne qu’un avis consultatif. Ce cas est prévu par l’article 242 TFUE, relatif au statut
des comités13, et également par l’article 89 TFUE14, relatif
aux opérations policières transfrontalières. La procédure spéciale s’applique
aussi lorsque l’avis du Parlement est nécessaire, comme prévu à l’article 86 TFUE, relatif au rôle du
parquet européen.
II. L’amélioration
de la fonction législative
L’amélioration est permise par le renforcement du
principe de subsidiarité comme principe fondamental de l’Union (A), mais
également par la politique du « Mieux légiférer » (B).
A. Le principe
de subsidiarité renforcé
L’article 5 TUE consacre le principe de subsidiarité comme principe fondamental de
l’Union européenne, au même titre que les principes de proportionnalité et
d’attribution. Ainsi, « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa
compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où les
objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière
suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional
et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de
l’action envisagée, au niveau de l’Union ».
Les parlements nationaux veillent au respect de ce
principe, conformément à la procédure prévue dans le protocole numéro 215.
Conformément à l’article 6 dudit protocole, tout
Parlement national peut, dans un délai de huit semaines à compter de la date de
transmission d’un projet d’acte législatif, adresser aux présidents du
Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les
raisons pour lesquelles il estime que le projet en cause n’est pas conforme au
principe de subsidiarité. Si les avis motivés représentent un tiers des voix
attribuées aux Parlements nationaux, le projet législatif doit être réétudié,
selon la procédure dénommée le « carton jaune ».
Puis, dans le cadre de la procédure législative
ordinaire, si la majorité simple des voix attribuées aux parlements nationaux
conteste le respect du principe de subsidiarité et que la Commission entend
maintenir sa proposition, le texte est renvoyé au Parlement européen et au
Conseil (le législateur), qui se prononce en première lecture. Si le
législateur estime que le texte n’est pas compatible avec le principe de
subsidiarité, il peut le rejeter à la majorité de 55?% des membres du Conseil
ou de la majorité des voix exprimées au Parlement européen. On parle alors de « carton
orange ».
La procédure du carton jaune a été utilisée trois
fois jusqu’à ce jour : en mai 2012, contre la proposition de règlement de
la Commission concernant l’exercice du droit de mener des actions collectives
dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des
services (« Monti II ») ; en octobre 2013, contre la
proposition de règlement portant sur la création du parquet européen ; et
en mai 2016, contre la proposition de révision de la directive concernant le
détachement de travailleurs16.
B. L’accord « Mieux
légiférer »
L’Union européenne n’intéresse pas ses citoyens. On
observe un taux de participation faible aux élections, et des critiques
s’élèvent tant de la part des citoyens que des États membres sur l’efficacité
de la politique menée à Bruxelles. La Commission, souhaitant provoquer un débat
sur la situation, a publié en juillet 2001 un livre blanc sur la gouvernance européenne. Un
premier accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » (2003/C
321/01) a été signé entre le Parlement, le Conseil et la Commission le 16 décembre 2003 afin d’améliorer la
qualité de la législation.
Dans la continuité, la commission Juncker lance en
2014 un
nouveau programme : « Mieux légiférer ».
Sa mise en œuvre est confiée au Premier vice-président de la Commission, Frans
Timmermans.
Elle comprend quatre volets.
• Le premier volet est la concentration du travail de l’Union sur les textes
importants, et à ce titre, la Commission a procédé au retrait de quatre-vingts
propositions de textes.
• Le deuxième volet concerne la création d’un Comité indépendant d’examen de
la réglementation. Ce comité a été créé le 1er juillet 2015?et a pour mission de
contrôler la qualité de la législation, d’aider la Commission dans le cadre des
travaux d’évaluation et d’analyses d’impact de la Commission, et d’émettre des
avis et des recommandations sur ceux-ci.
• Le troisième volet concerne l’amélioration de la consultation des
citoyens et des parties intéressées.
La Commission procède à des consultations publiques systématiques. Les citoyens
et les personnes intéressées peuvent donner leur avis sur la feuille de route
de la Commission, les analyses d’impact sur la situation législative existante
et les projets législatifs, les analyses d’impact sur les conséquences des projets
législatifs au niveau économique, social et environnemental, les textes adoptés
ainsi que les bilans. La Commission publie un rapport sur ces consultations.
• Le quatrième volet concerne la création de la plate-forme « REFIT ».
Par décision du 19 mai 2015,
la Commission a créé cette plateforme qui regroupe des experts issus du secteur
économique, des partenaires sociaux, de la société civile, du Comité économique
et social européen, du Comité des régions et des États membres, qui pourront la
conseiller. Sur cette plateforme, les citoyens et les « parties
prenantes » (associations, entreprises, collectivités), d’une part, et
les administrations nationales, d’autre part, peuvent communiquer les
difficultés posées par les différentes réglementations européennes et suggérer
des améliorations.
Un nouvel accord a été signé et est entré en vigueur
le 13 avril
2016, entre la Commission, le Parlement et le Conseil, en remplacement de celui
de 2003.
Cet accord prévoit notamment une transparence tout au
long du processus législatif (par la création d’une base de données commune sur
l’état d’avancement des dossiers législatifs dans les trois institutions),
l’élaboration de politiques et d’actes législatifs « fondés sur des
données probantes » par le recours aux études d’impact, une évaluation
annuelle de la charge législative afin que les lois soient adaptées à leur
objet.
NOTES :
1) TUE, Art. 14 et 16.
2) Le TUE définit les objectifs de l’UE, les principes qui
encadrent l’action des institutions européennes ainsi que leur organisation,
les procédures à suivre pour prendre des décisions ou modifier les traités,
ainsi que les relations entre l’UE et les États membres.
3) TFUE, Art. 30.
4) TFUE, Art. 257.
5) TFUE, Art. 129, § 3.
6) TFUE, Art. 11.
7) Prot. n° 2, Art. 2
sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
8) Dernier exemple en date ; le livre vert sur les services
financiers de détail, « De meilleurs produits, un plus large choix et
davantage d’opportunités pour les consommateurs et les entreprises », 2015.
9) Par ex. : Le livre blanc sur l’avenir de l’Europe à
l’horizon 2025 (https://ec.europa.eu/).
10) TUE, Art. 11, § 4 et TFUE, Art. 24, al. 1.
11) TUE, Art. 17, § 2 et TFUE, Art. 289.
12) CJUE, 14 avr. 2015, aff. C-409/13, Conseil c/
Commission.
13) TFUE, Art. 242 : « Le Conseil, statuant à la
majorité simple, arrête, après consultation de la Commission, le statut des
comités prévus par les traités. »
14) TFUE, Art. 89 : « Le Conseil, statuant
conformément à une procédure législative spéciale, fixe les conditions et les
limites dans lesquelles les autorités compétentes des États membres visées aux
articles 82 et 87 peuvent intervenir sur le territoire d’un autre État membre
en liaison et en accord avec les autorités de celui-ci. Le Conseil statue à
l’unanimité, après consultation du Parlement européen. »
15) TUE, Art. 5, § 3.
16) Travaux parlementaires, Rapport d’information, « La
simplification du droit : une exigence pour L’Union européenne » (www.senat.fr).
Maître Caroline Ginglinger-Poyard,
Présidente de la 1re Commission,
Notaire à Saint-Quentin-Fallavier (38070)
Maître Marianne Sevindik,
Rapporteur de la 1re Commission,
Notaire à Rouen (76000)