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Conseil d’État - Qui régule la santé ?

Conseil d’État - Qui régule la santé ?
Publié le 23/04/2019 à 14:16

Question abstruse à laquelle Didier Tabuteau, président de la section sociale du Conseil d’État, n’a pas de réponse instantanée. Santé publique, utilisation des finances sociales, accès à l’offre de soin, il nous fournit néanmoins un tour d’horizon du sujet en réunissant une pléiade d’intervenants qui expliquent chacun la mission ou la vision de leur organisme de tutelle.




Le système français présente la particularité d’être totalement resté en-dehors de la régulation par l’État jusqu’au milieu du XXe siècle. Aujourd’hui, les pouvoirs publics sont omniprésents dans l’organisation du système de santé français après une succession d’événements fondateurs : 1958, les ordonnances Debré ; 1970, la réforme hospitalière ; 1980, la maîtrise de la dépense de la médecine de ville ; 1992, la création de la sécurité sanitaire ; etc. Notre système de santé est maintenant un vaste kaléidoscope de régulateurs publics et privés.


 


Ministère des solidarités et de la santé


Pour Cécile Courrèges, directrice générale de l’offre de soins, les responsabilités ont changé ses dernières années entre le niveau national et le niveau régional. La régulation dans le champ de l’offre est assez récente. La première loi d’importance date de 1970, de la carte sanitaire et de son déploiement. La liberté est un principe fort du modèle : installation, prescription, choix du référent, on la sent partout. La base de 1970 s’est renforcée peu à peu.


L’accès aux soins pour tous sur l’ensemble du territoire, le soutien à l’innovation, un système largement solvable sur le principe d’un financement solidaire, l’évolution de la dépense de santé, le bon emploi des deniers publics et de l’assurance maladie sont autant d’éléments dans le périmètre de la politique publique.
Le système français, certes tardif, compte aujourd’hui de multiples acteurs et quelques instruments majeurs, parmi lesquels financement, autorisation, planification, recommandation pratique, démographie des professionnels de santé et présence territoriale. Depuis quelques années, la plupart de ces outils de régulation étatique ont été transférés au niveau régional. Le champ de la santé est un des plus décentralisés grâce à la création des agences régionales d’hospitalisation (ARH) dans un premier temps, puis avec celle des agences régionales de santé (ARS) après 2010. Structure intégrant en moyenne 500 p
ersonnes, les ARS assument aujourd’hui les responsabilités en matière médico-sociale, hospitalière, sanitaire, ou encore de contrôle de l’eau et de l’air. C’est l’instance à consulter pour un financement, une autorisation, une ouverture ou une fermeture d’activité. Le paradigme s’est transformé. Les décisions sont prises avec les acteurs de terrain dans un esprit d’accompagnement.


 


Haute autorité de santé (HAS)


La HAS, pour sa part, émet des avis indépendants. Son objectif est l’amélioration de la qualité. Malheureusement, il existe peu d’indicateurs. En-dehors des soins, souligne Dominique Le Guludec, présidente de l’institution, il faut se concentrer sur le secteur social et médico-social qui ont un impact énorme sur l’état de santé des citoyens. La gestion de la qualité touche les activités, les tarifs, les pratiques. La haute autorité de santé participe à la réforme des autorisations mise en place par le ministère.


Elle évalue les actes et les produits de santé en vue de leur remboursement. Sont alors appréciés l’efficacité, le service médical rendu, le progrès apporté par rapport aux éléments préexistants. Le rythme d’innovation en France est soutenu. Les nouveautés et leur prix sont disruptifs, d’où l’importance de leur évaluation scientifique (partagée au niveau européen) et de leur considération à l’intérieur d’un ensemble national. À l’efficacité, s’ajoute maintenant la notion d’efficience, qui occupe une place toujours plus prégnante dans les estimations.


La régulation des pratiques englobe une foule d’acteurs. Elle se concrétise par des référentiels de recommandations. Construits en coopération par la HAS, les sociétés savantes, les professionnels et les usagers, ils concernent les soins, les organismes sociaux et médico-sociaux. Basés sur les résultats, ils se veulent pertinents et intègrent la prévention de façon croissante. Indicateurs, mesures, audit externe, les outils ne manquent pas pour réguler la qualité. S’agissant des audits externes, on peut citer la certification des établissements de santé publics ou privés, l’accréditation des professionnels à risque qui gravitent autour de la sécurité des soins, l’évaluation des services sociaux et médico-sociaux. Cependant, tous ces dispositifs manquent d’harmonisation, de diffusion et de transparence.


 


Confédération des syndicats médicaux français (CSMF)


En 1928, émerge la charte de la médecine libérale et la CSMF est créée. La charte énonçait le principe de libre choix du patient, de la liberté d’installation, l’entente directe de paiement, le secret médical, le droit à honoraire pour tout malade traité, le contrôle des patients par les caisses et des médecins par des structures syndicales.


En 1971, le concept d’une convention nationale prend forme. Ce sera le premier fondement de la régulation de la médecine libérale en France. Les médecins acceptent un tarif opposable national. En contrepartie, l’assurance maladie leur fournit un statut social. Cet acte initial a construit une médecine libérale avec un maillage territorial fin.


De 1971 à 2016, dix conventions ont été signées. Le système a essentiellement évolué sur trois points, selon Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF.


D’abord, l’aspect financier et tarifaire passe de plus en plus sous la main de l’État. Il échappe à l’assurance maladie et aux professionnels de santé qui restent attachés à un mécanisme conventionnel. Ensuite, la place de la qualité et de la pertinence de l’avis médical n’est pas incluse dans le système de régulation actuel.
La rémunération sur objectif de santé publique existe bien, mais c’est insuffisant. Enfin, l’accès aux soins rencontre des difficultés en raison de la diversité de positionnement des ARS.


Deux tendances s’affrontent dans les services de l’État : celle de la co-construction en confiance avec les acteurs et celle normative. 17 régions, 101 départements, 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour couvrir le pays, le point de vue comptable ne fait pas tout.


Les médecins se veulent impliqués dans le territoire, mais aussi responsables de s’organiser par eux-mêmes.


 


Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM)


La régulation économique, la maîtrise de l’évolution des dépenses intéressent tout le monde. La CNAM joue sur les prix des produits de santé, les tarifs des établissements et des professions de ville. Efficace, la régulation des prix permet de ramener en partie la tendance de la dépense de santé qui augmente de 4?% chaque année, au rythme d’évolution des ressources consacrées à leur couverture.
À l’avenir, la régulation devrait moins s’appuyer sur les prix et agir sur le volume des soins, la pertinence des actions, et l’efficience des orientations. Cinq leviers vont être actionnés :


performance des pratiques ;


exploitation des données de santé ;


procédure des prises en charge ;


évolution des rémunérations ;


organisation des soins sur le territoire.


Les implications concernent les pouvoirs publics, mais également les fédérations professionnelles. Il faut investir sur une construction commune et se tourner vers des négociations conventionnelles. Cette transformation s’opérera sur un long délai de plus d’un an, d’après Nicolas Revel, directeur général de la CNAM.


Fédération hospitalière de France (FHF)


Notre système est trop centralisé et souffre de réelles contraintes bureautiques. La sphère publique fait des efforts de simplification dans de nombreux domaines, mais jusqu’à présent, l’administration de la santé y échappe, estime Frédéric Valletoux, président de la FHF. On se penche davantage sur le contrôle de la conformité des processus que sur les résultats obtenus. Il faut pousser les hôpitaux publics à se saisir des opportunités d’expérimentation ouvertes par la CNAM.


Malgré un schéma centralisé, le système de régulation est éclaté. Il mène parfois à un ballotement entre plusieurs autorités (ministères, CNAM, Haute autorité de santé…) et il arrive que l’économique prenne le pas sur l’organisationnel. Médecine de ville ou hospitalière, filière sanitaire, sociale, l’ensemble est fragmenté. Cela complique l’efficacité de la régulation dont la cible doit rester le patient.
Au sein de la gouvernance clinique, les personnes au contact des patients et les gestionnaires d’organisation s’accordent. Leur objectif vise à améliorer la prise en charge de la population au coût le plus acceptable pour la société. La gouvernance clinique tient une place centrale dans la notion de responsabilité organisationnelle portée par les acteurs de santé et la FHF.


L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de l’an passé a permis de lancer des expérimentations pionnière sur plusieurs territoires. Autour de deux pathologies (insuffisance cardiaque et diabète), les opérationnels vont construire des parcours cliniques. Les solutions viendront du terrain et ne seront pas nécessairement les mêmes d’une région à l’autre. Les agences régionales de santé pourraient s’investir dans l’animation, l’analyse sur mesure de ce type de projet plutôt que dans des contrôles uniformes. Elles pourraient accompagner les innovations et se faire les relais de l’État stratège. Le secteur de la santé obéit à une légitimité politique, administrative et médicale. Le médecin décide ce qui est juste pour son patient et cela en harmonie avec le Code de déontologie.


 


Autorité de la concurrence (AC)


L’AC est une structure compétente sur l’ensemble du champ économique dont la santé. Ni ministériel, ni financier, ni sectoriel, elle porte un autre regard. Elle dispose d’une palette étendue de moyens et de pouvoirs. Elle délivre les autorisations en matière de concentration, elle émet des avis et peut éventuellement s’autosaisir. Mais l’autorité de la concurrence est surtout réputée pour la répression des pratiques anticoncurrentielles. Comme dans tout secteur, l’entente ou l’abus de position dominante entraîne des dommages graves. L’AC nourrit de nombreux échanges au niveau mondial et européen.


Parfois perçu comme illégitime pour le domaine de la santé, l’autorité de la concurrence s’inscrit en faux contre l’idée que sa vision serait exclusivement économique et financière ; thèmes majeurs qui ne sont pas à négliger pour autant. Un patient est un consommateur et réciproquement. Les rivalités entre fournisseurs existent là comme ailleurs. Les laboratoires étudient de nouvelles formules parce qu’ils visent le même marché. Ils se regroupent, entre autres, pour diminuer les frais de recherche et développement. De même, la concurrence entre cliniques participe à l’amélioration de la qualité des prestations.


Pour Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité de la concurrence, ses services jouissent de l’avantage de suivre tous les secteurs économiques. Ils ont par exemple déjà l’expérience des plateformes ou des nouvelles technologies qui investissent aujourd’hui le marché de la santé.


Concernant le contrôle des concentrations, certains territoires ont peu de cliniques. Celles-ci
désirent parfois se rapprocher. L’institution intervient si cette réunion mène à une position trop forte sur le marché. En effet, lorsque le nombre de prestataires diminue, le patient, le médecin indépendant a moins de choix, et on constate épisodiquement des conséquences négatives sur la qualité des soins. L’Autorité appréhende chaque cas pour en comprendre les mécanismes et impose les conditions utiles au maintien d’un marché concurrentiel et d’un service de bon niveau.


L’organisme exerce également une fonction consultative, par exemple sur la vente de médicaments en ligne. La France a pris cette réforme avec beaucoup de résistance sous la contrainte européenne. L’autorité de la concurrence a alors indiqué au gouvernement que les textes envisagés étaient trop restrictifs, mais son avis n’a pas été suivi. Les textes ont été annulés par le Conseil d’État. Par la suite, le secteur s’est peu développé en France par rapport aux autres pays européens. Aujourd’hui, les patients français achètent leurs médicaments sur des sites belges. L’AC émet aussi des avis auprès des ordres professionnels et du gouvernement pour assouplir les règles déontologiques des professions médicales. Beaucoup d’entre elles limitent fortement la concurrence.


Concernant les pratiques anticoncurrentielles, des amendes importantes sont infligées.
Le dénigrement des médicaments génériques, en particulier, a donné lieu à plusieurs sanctions à l’encontre de sociétés qui essayaient d’empêcher leur mise en circulation pour préserver la vente de leur produit.


L’institution relaie ses décisions vers les acteurs de santé pour qu’ils prennent conscience de ces aspects. La dimension du droit de la concurrence ne saurait être ignorée. Sa considération doit au contraire devenir un réflexe participant à la politique de santé.


C2M


 


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