L'Assemblée
nationale a adopté en première lecture, le 18 mars, un amendement modifiant le
Code du travail. Quelles règles pourraient être appliquées dans les prochains
mois ? Ida Christelle Makanda, juriste en droit du travail, nous apporte
son éclairage.
Appliquant
directement le droit communautaire en matière d'acquisition de congés payés
durant les arrêts maladie, et destinés à « garantir une meilleure
effectivité des droits des salariés », les arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 avaient fait grand bruit, s’attirant les foudres
des entreprises.
Au
grand dam de ces dernières, alors que bien du chemin ait été parcouru depuis,
ultime actualité en date : l’Assemblée nationale a validé à vitesse grand
V, le 18 mars dernier, un amendement du gouvernement proposant un aménagement
des textes.
Le
point sur les étapes ayant mené à l’amendement
Rembobinons.
En novembre dernier, quelques semaines après son revirement de jurisprudence, la
Cour de cassation transmet deux questions prioritaires de constitutionnalité
(QPC) au Conseil constitutionnel.
Trois
mois après, les « Sages » jugent conformes à la Constitution les articles L3141-3 et
L3141-5 du
Code du travail qui privent les salariés d'acquérir des congés payés en cas de
maladie non-professionnelle et empêchent d’en acquérir au-delà d’un an en cas
d'absence pour accident du travail ou maladie professionnelle.
Suivant
les décisions de la Cour de cassation, le gouvernement est ensuite contraint de
s’aligner pour mise en conformité du Code du travail avec le droit européen en
correspondance avec la CJUE. Dans ce cadre, il soumet alors un texte visant à
compléter le Code du travail à l'avis du Conseil d'État, lequel répond le 11
mars 2024.
Last
but not least, cet avis aboutit à
l’introduction par le gouvernement d’un amendement qui crée l’article 32 bis dans le projet de loi « portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union
européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de
droit pénal, de droit social et en matière agricole », visant à assurer cette
conformité. Un amendement qui est donc adopté en première lecture par
l’Assemblée nationale le 18 mars 2024. Voilà où l’on en est aujourd’hui.
24
jours ouvrables par an
L'amendement
prévoit que les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat est
suspendue pour maladie ou accident d'origine non professionnelle seront
assimilées à du temps de travail effectif pour la détermination de la durée du
congé payé. Ces motifs viendront compléter la liste des périodes considérées
comme du temps de travail effectif fixée par l'article L. 3141-5 du Code du
travail.
Les
salariés concernés se verront acquérir deux jours ouvrables de congés payés par
mois d'absence dans la limite de 24 jours ouvrables par période de référence,
soit quatre semaines de congés payés par an (création d’un article L. 3141-5-1
dans le code du travail). Le salarié ne bénéficierait donc pas, en l'état
actuel de l'amendement, de la 5e semaine de congés payés ou des
congés conventionnels, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.
Le
salarié en arrêt de travail pour accident ou maladie d'origine professionnelle
continuera quant à lui d'acquérir 2,5 jours ouvrables de congés payés par mois,
soit 30 jours ouvrables par période de référence. Mais la limite d'une durée
ininterrompue d'un an de l'arrêt de travail, au-delà de laquelle l'absence n'ouvre
plus droit à congé, serait supprimée.
Lorsqu'un
salarié est dans l'impossibilité, pour cause de maladie ou d'accident d'origine
professionnelle ou non, de prendre au cours de la période de prise de congés
tout ou partie des congés qu'il a acquis, il bénéficiera d'une période de
report de 15 mois afin de pouvoir les utiliser (création d’un article L.
3141-19-1 dans le Code du travail). Un accord d'entreprise ou, à défaut, une
convention ou un accord de branche pourrait fixer une durée de report
supérieure.
Des
modalités de report qui diffèrent selon les cas
Le
point de départ de ce délai varie selon que ces congés ont été acquis avant
l'arrêt maladie ou au cours de ce dernier. Ainsi, si les congés acquis n'ont
pas pu être pris au cours de leur période de prise des congés en raison d'un
arrêt de travail, d'origine professionnelle ou non, la période de report de 15
mois débute à compter de la date à laquelle le salarié reçoit, postérieurement
à sa reprise du travail, les informations de son employeur sur les congés dont
il dispose. Au-delà de cette période, les congés seront perdus si le salarié ne
les prend pas alors que l'employeur l'a informé et lui a demandé de les
prendre. En effet, l’amendement met en
place une obligation d’information du salarié par l’employeur, dans les dix
jours qui suivent la reprise du travail, sur le nombre de jours acquis et le
délai dont le salarié dispose pour les poser. Ces informations doivent être
communiquées au salarié par tout moyen conférant date certaine de cette
communication (création d’un article L. 3141-19-3 dans le Code du travail).
En
revanche, lorsque les congés ont été acquis au cours des périodes d'arrêt de
travail pour cause de maladie ou d'accident, la période de report débute à la
date à laquelle s'achève la période de référence au titre de laquelle ces
congés ont été acquis si, à cette date, le contrat de travail est suspendu, en
raison de la maladie ou de l'accident, depuis au moins 12 mois (création d’un
article L.3141-19-2 dans le Code du travail). Lors de la reprise du travail, la
période de report, si elle n'a pas expiré, est suspendue jusqu'à ce que le
salarié ait reçu les informations de son employeur sur les congés dont il
dispose.
Des droits à congé
rétroactifs
Les
nouvelles dispositions s'appliqueraient rétroactivement pour la période courant
entre le 1er décembre 2009 et la date d'entrée en vigueur de la loi
à venir. Toutefois, cette rétroactivité ne pourrait conduire à ce que le
salarié bénéficie de plus de 24 jours ouvrables de congés payés par année
d'acquisition, en considérant les jours déjà acquis sur cette période.
Les
salariés disposeront de deux ans à partir de la promulgation de la loi pour
faire valoir leurs droits auprès de leur employeur pour lequel un contrat de
travail est toujours en cours d’exécution. En effet, dans ce cas, aucune limite
de jours n’est posée : si le salarié a été malade pour raisons non
professionnelles plusieurs fois entre 2009 et 2024, il pourra faire sa demande
de manière rétroactive s’agissant de l’ensemble des congés qu’il aurait dû
acquérir au cours de ces périodes. Un cumul de congés payés supplémentaires
serait alors à prendre en compte pour la comptabilisation de ces derniers ainsi
que la provision comptable correspondante.
En
outre, si le salarié a été en arrêt de travail maladie avant l’adoption de la
loi et qu’il ne travaille plus dans l’entreprise où il a été en arrêt maladie,
l’ancien employeur devra lui verser des indemnités compensatrices de congés
payés. Ici, la prescription triennale s’appliquerait selon les règles de droit
commun en matière de paiement des salaires, ce qui reviendrait donc à prescrire
les régularisations pour les contrats de travail rompus avant 2021.
Enfin,
si la société a été placée en liquidation judiciaire, le salarié qui souhaite faire
valoir ses droits à l’égard de la société peut, dans le temps de la
liquidation, saisir le conseil de prud’hommes à l’encontre du mandataire
liquidateur.