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De pouvoir adjudicateur à acheteur public : la commande publique s’imprègne des techniques d’achat de la sphère privée

De pouvoir adjudicateur à acheteur public : la commande publique s’imprègne des techniques d’achat de la sphère privée
Publié le 25/03/2019 à 16:52

Sous l’impulsion des directives européennes de 2014*, le législateur et le pouvoir réglementaire français sont intervenus pour modifier les contours du droit applicable à la commande publique, en ce compris les marchés publics et les concessions de service public.


Ce droit, en évolution constante, a connu de réelles modifications au cours de ces dernières années. Le vocable « pouvoir adjudicateur », déjà utilisé dans les Codes des marchés publics antérieurs, a toujours sa place au sein du nouveau Code de la commande publique qui s’appliquera au 1er avril 2019. Mais à ses côtés, le terme d’acheteur est également mis en avant. D’ailleurs, l’article L. 1210-1 du Code de la commande publique définit cette notion : « Les acheteurs et les autorités concédantes soumis au présent Code sont les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices. » La commande publique se professionnalise à travers cette notion d’acheteur et tend de plus en plus à s’imprégner des techniques d’achat de la sphère privée. Si cette évolution doit nécessairement s’accompagner d’un changement des mentalités et des pratiques, la rédaction du nouveau Code de la commande publique devrait y concourir. En effet, ce sont bel et bien les contours d’une commande publique performante qui y sont dessinés (I), et ce dans un but évident : une gestion optimisée des deniers publics (II).


Une commande publique performante…


Le développement de la technique de « sourcing » chez les acheteurs publics


Un achat performant est, avant toute chose, un achat pensé en amont, réfléchi et déterminé.


À cet effet, l’acheteur doit apporter une attention toute particulière à la définition de son besoin. Cet exercice parfois complexe sera néanmoins le gage d’une demande comprise par les entreprises consultées, à laquelle elles seront davantage en capacité d’apporter une réponse adaptée. Aux termes de l’article 4 du décret 2016-306 relatif aux marchés publics, et « afin de préparer la passation d’un marché public, l’acheteur peut effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences ». Cet article valide une pratique bien connue des acheteurs privés : le « sourcing » ou « sourçage », qui peinait à se mettre en œuvre au sein des administrations publiques. Si cette technique n’a pas été découverte en 2016, il n’empêche que sa mise en œuvre dans la commande publique et sa maîtrise par les acheteurs publics restaient timides.


Cette technique consiste à se renseigner en amont sur un besoin, ses caractéristiques techniques, ou encore son coût. Par suite, il est alors plus simple de rédiger les pièces de marché et les critères de sélection des offres, puisque l’acheteur a un besoin qu’il a pu identifier et déterminer : la pratique du « sourcing » concourt à une meilleure visibilité de l’achat. Partant, la qualité des offres s’en trouvera également améliorée, tant sur le plan technique que financier ; il est bien plus simple pour une entreprise de répondre à un marché public quand le besoin est clairement déterminé.

 


Des limites au « sourcing », propres à la commande publique


Seule limite au développement de cette pratique, le respect des règles de la commande publique et plus particulièrement de l’égalité de traitement entre les candidats. L’acheteur public doit veiller à ce que les entreprises consultées en amont de tout lancement de procédure ne soient pas pour autant avantagées dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence ou ne disposent pas d’informations dont les autres candidats ne disposeraient pas et qui leur procureraient un avantage. Il est alors rappelé que donner ou tenter de donner un avantage injustifié à un candidat, constitue un délit de favoritisme, pénalement sanctionné par l’article 432-14?du Code pénal, prévoyant une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 euros. Et c’est là toute la spécificité et la complexité du droit de la commande publique : s’imprégner des techniques d’achat performantes de la sphère privée tout en respectant ce carcan législatif et réglementaire qu’est le Code de la commande publique.

 


…pour une gestion optimisée des deniers publics


Le nouveau droit de la commande publique, codifié dans le Code de la commande publique, initié par l’ordonnance du 23 juillet 2015 et le décret du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics, eux-mêmes issus de l’impulsion du droit européen en la matière, confère davantage de latitude aux acheteurs publics concourant ainsi à des achats plus performants.


Si, comme il a été vu ci-dessus, de nouvelles clés ont été données aux acheteurs pour mieux définir leurs besoins, d’autres clés leur sont données en cours de procédure d’attribution des marchés publics. Le développement du recours aux techniques de négociation en est une. La négociation intégrée et développée dans le droit de la commande publique permet, avant l’attribution du marché public ou du contrat de concession, de faire évoluer les offres du candidat, sur le plan technique et/ou financier.


Car les négociations, souvent perçues comme des opérations menées afin d’obtenir un rabais sur les prix proposés, ont en réalité une utilité bien plus large. Bien utilisée, la négociation est un outil indispensable pour l’acheteur, tant sur le plan financier que technique : une négociation réussie n’est pas nécessairement synonyme de réduction. Il s’agirait d’une vision bien restrictive du pouvoir de la négociation qui devra toujours, pour être réussie, être gagnante/gagnante pour chacune des parties. Faire évoluer une offre a également un intérêt sur le plan technique et peut se solder par une amélioration qualitative de l’offre initialement proposée. Un écueil à éviter néanmoins : cette phase de négociation ne doit pas conduire à la modification des offres de manière tellement importante que l’offre négociée s’apparenterait, en réalité, à une nouvelle offre. En d’autres termes, négocier une offre c’est la faire évoluer, mais ne pas la bouleverser.


Il faut également garder à l’esprit que cet outil ne saurait être utilisé, quel que soit le contrat concerné. En matière de contrats de concession (et de délégations de service public), le droit applicable et la pratique de cet instrument contractuel témoignent depuis de nombreuses années de l’importance de la place des négociations. La logique était toute autre en matière de marchés publics puisque les administrations n’y recouraient que de manière exceptionnelle, la négociation étant souvent méconnue ou assimilée à du marchandage.


Comme nous l’avons évoqué auparavant, une telle vision est bien éloignée de la réalité. Et pour aider les mentalités à évoluer et encourager à la pratique des négociations, le nouveau droit de la commande publique multiplie les possibilités de recours à cette technique tout droit venue du monde de l’entreprise. En matière de marchés publics, la négociation est autorisée dans les marchés à procédure adaptée, c’est-à-dire dans les marchés dont le montant (hors taxe et périodes de reconductions comprises) est inférieur au seuil des marchés publics européens. Le nouveau droit de la commande publique n’apporte rien sur ce plan puisque c’était déjà le cas auparavant.


Mais ce ne sont pas les seuls marchés qui peuvent être négociés, et c’est alors qu’émergent les apports du nouveau droit de la commande publique. En effet, et aux côtés des procédures adaptées, nous pouvons citer les marchés lancés selon une procédure concurrentielle avec négociation, prévus par l’article 25 du décret du 25 mars 2016, et qui peuvent être mis en œuvre dans quatre cas distincts : « (…) lorsque le besoin ne peut être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles, lorsque le besoin consiste en une solution innovante, lorsque le marché public comporte des prestations de conception, lorsque le marché public ne peut être attribué sans négociation préalable du fait de circonstances particulières liées à sa nature, sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s’y attachent ». Une troisième procédure prévoit le recours aux négociations : les marchés publics négociés, mais sans publicité ni mise en concurrence préalables, dans des cas strictement définis, notamment en cas d’urgence impérieuse ou en cas de relance d’une procédure infructueuse (aucune offre remise).


Il est alors bien évident que si les cas de recours aux négociations ont été renforcés, c’est parce qu’elles permettent une meilleure gestion des deniers publics. Que la négociation soit financière ou technique, elle permettra une dépense publique davantage justifiée. Elles représentent un véritable levier de la commande publique en ce qu’elles participent à l’amélioration du rapport qualité/prix des offres. Cet outil ne doit donc pas être négligé par les acheteurs publics, qui tendent de plus en plus à la mettre en œuvre. En conclusion, la fonction achat des administrations se professionnalise, pour le plus grand bonheur des entreprises qui se trouvent face à des interlocuteurs avec lesquels elles partagent désormais certains vocables et techniques d’achats, et qui maîtrisent davantage les problématiques économiques et la réalité du marché. Malgré tout, la pratique doit encore s’intensifier, mais également s’accompagner d’une évolution des mentalités et des pratiques internes à ladministration. La locomotive est bien lancée, mais le trajet est encore long.

 NOTE :


*- Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.

- Directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE.

- Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.






Madeleine Babès,

Avocate à la Cour,

Cabinet Huglo Lepage Avocat





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