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Droit de la montagne : la sécurité et l’aménagement des pistes à l’épreuve des réalités sur le terrain

Droit de la montagne : la sécurité et l’aménagement des pistes à l’épreuve des réalités sur le terrain
Publié le 17/02/2020 à 15:46

L’exigence croissante de sécurité sur les pistes et à proximité de celles-ci se heurte à un certain nombre de réalités sur le terrain. Tout d’abord, l’espace montagne n’est pas comparable à un parc d’attraction, dans lequel il faudrait combler chaque ravin, poser des filets sur poteaux fixes pour éviter toute sortie de piste malencontreuse. Ensuite, les conditions climatiques aléatoires ne permettent pas de gérer un domaine skiable comme s’il s’agissait d’un « Ski Dôme » fermé, à température constante, et sans le moindre bouleversement au cours d’une journée, sans le moindre risque de chutes de neige ou de formation de plaques de glace. C’est dès lors avec pragmatisme que les juridictions sont amenées à statuer sur ces questions de sécurité sur pistes et à proximité de celles-ci.

L'entretien des pistes

Un morceau de piquets sur une piste justifie-t-il la mise en cause du service des pistes ? Une skieuse se plaint d’une chute à ski provenant d’un morceau de bois couché dans la neige, ressemblant à un piquet cassé. Le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi en raison du siège social de la compagnie d’assurances de l’exploitant sur son ressort, rappelle que l’obligation de sécurité de ce dernier est une obligation de moyens, nécessitant la démonstration d’une faute « en ne mettant pas à la disposition des skieurs des installations adaptées sécurisées ». S’agit-il d’un danger anormal ?

Certes, a priori, la réponse est positive, mais l’analyse doit être un peu plus précise car l’obstacle n’est pas un morceau de piquet enfoui dans la neige, mais un élément posé à la surface de la neige, dans un espace offrant une bonne visibilité. Dès lors, au vu des pièces du dossier, la responsabilité de l’exploitant est écartée.

Tribunal de grande instance de Nanterre, 7 septembre 2018

Madame Brouzes, présidente Madame Champ, vice-présidente

Madame Lefaix, vice-présidente

« … Le tribunal relève que contrairement à ce que soutient la demanderesse, ses amis ne font pas mention d’un piquet enfoui sous la neige ou dépassant d’une manière dangereuse, et décrivent un morceau de piquet allongé sur la piste, donc posé à la surface de la neige. En outre, si ces témoignages soulignent que ce piquet n’était pas visible pour les skieurs descendant les bosses à proximité, la demanderesse expose dans ses conclusions qu’elle longeait à petite vitesse les bosses sur le côté du Snow Park. Ses déclarations sont appuyées par la production d’une photographie des lieux marquée du tracé de son déplacement, établissant qu’elle ne skiait pas sur les bosses mais se trouvait sur une zone plane, laquelle offrait aux skieurs une bonne visibilité sur leur parcours en ligne droite. Dès lors, si la présence d’un morceau de piquet sur les pistes doit être jugée anormale, il convient de souligner que cet objet est visible pour les skieurs empruntant avec une vigilance normale la partie plane longeant la piste bosselée, et pouvait être évité, a fortiori par une skieuse expérimentée comme la demanderesse. Il en résulte que la faute d’inattention de la demanderesse est à l’origine de sa chute et exonère l’exploitant de sa responsabilité. »

Le même point de vue a été adopté par le tribunal de grande instance d’Albertville dans un jugement du 3 mai 2019. Un moniteur de ski expose qu’il a fait une chute sur une piste bleue en raison d’un amas de neige produit par un enneigeur (ou canon à neige). L’enquête pénale diligentée relève que la bosse litigieuse se trouve sur le tiers gauche de la piste qui, à cet endroit, mesure 30 mètres de large, insistant sur la faible importance et la visibilité de cet amas de neige. Le manquement à l’obligation de sécurité de moyens du service des pistes n’a pas été retenu, dès lors que cette bosse ne présentait pas un caractère anormal.

Tribunal de grande instance d’Albertville, 3 mai 2019

Madame Bourachot, présidente

Madame Pourtier, greffière

« Au regard des éléments du dossier, il convient de retenir que la visibilité était bonne. Seul un témoin déclare que c’était crépusculaire alors qu’il était environ 9 heures et que les conditions météorologiques étaient bonnes, que les déclarations de la victime et du second témoin et l’ensemble des constatations démontrent une excellente visibilité. Par ailleurs, les photographies des lieux mettent en évidence le fait que l’accident est survenu en bas de piste, peu avant l’arrivée sur le front de neige alors que des filets signalaient la nécessité de ralentir, que la disposition et l’importance de la bosse telles que décrites par la victime et les témoins ne sont pas confirmées par les photographies et les constatations des gendarmes, que d’ailleurs les autres membres du groupe n’ont pas chuté. De plus, les deux témoins évoquent la présence d’autres bosses en amont, ce qui aurait dû inciter le skieur expérimenté à ralentir, d’autant qu’il évoluait sur une piste ouverte aux débutants. La seule gravité des blessures et la survenance de l’accident ne sont pas de nature à démontrer que la bosse était de dimension anormale alors que le moniteur reconnaît lui-même qu’il skiait avec rapidité. En conséquence, le moniteur ne démontre pas que la bosse sur laquelle il a chuté présentait un caractère anormal qui aurait nécessité un balisage particulier alors qu’il est courant de rencontrer sur des pistes de ski des ruptures de pente et des bosses en particulier aux abords des canons à neige. Il sera en conséquence débouté de l’ensemble de ses demandes. »

Le balisage des pistes et les éléments de protection

Faute de définition précise de la notion « abord » ou de « proximité » des pistes, par une distance précise par rapport à l’implantation des jalons de délimitation par exemple, chaque accident porté devant les juridictions nécessite une analyse factuelle précise. Les banderoles invitant les skieurs à ralentir en amont d’une zone sont prises en compte, car le comportement individuel doit s’adapter au regard de cet avertissement.

À cet égard, les magistrats rappellent que « la seule survenance d’un accident particulièrement grave ne peut servir à fonder l’anormalité du danger ». Skiant sur une piste bleue, en compagnie de son jeune neveu, une victime quitte la piste, chutant en contrebas de celle-ci sur une vingtaine de mètres, et se blesse gravement.

La juridiction rappelle que le skieur a un rôle actif par le choix des pistes sur lesquelles il décide de pratiquer, par sa vitesse et la maîtrise de sa trajectoire. C’est précisément ce rôle actif qui justifie l’existence d’une obligation de sécurité de moyens (et non de résultat) à la charge de l’exploitant au visa de l’article 1231-1 du Code civil. Puis, les éléments factuels sont repris méticuleusement pour retenir que le lieu de l’accident n’apparaît pas comme une zone présentant un danger anormal ou excessif, et ce d’autant plus qu’en amont de cette zone, des banderoles de 2 mètres de long sur 50 centimètres de haut, de couleur orange fluo, portent l’inscription « ralentir » en quatre langues et le logo « danger ». Dès lors, la demande d’indemnisation a été écartée.

Tribunal de grande instance de Nanterre

23 mai 2019 Madame Gwenaël Cougard, présidente

Madame Sylvie Lefaix, vice-présidente

Madame Sylvie Khalil, juge

« La seule survenance d’un accident particulièrement grave tel que celui dont a été victime Monsieur A ne peut servir à fonder l’anormalité du danger. S’il reproche à l’exploitant de n’avoir pas pris les précautions nécessaires pour éviter une telle chute en implantant des filets, il ne justifie pas que la configuration des lieux dans les conditions existant au jour de son accident ait nécessité des mesures spécifiques de protection supplémentaire. En effet, cette zone ne présentait pas un danger manifestement excessif contre lequel le skieur ne peut se prémunir, ou à même de le surprendre à cet endroit de la piste, sans difficulté technique particulière s’il était tenu compte de l’avertissement délivré plus haut et s’il adaptait sa pratique et sa vitesse à la difficulté présentée par la neige, en particulier si celle-ci était verglacée comme les deux skieurs l’ont évoqué. S’il ne peut être discuté que cette pente présentait un danger, les skieurs avaient été mis en garde et invités à réduire leur vitesse. Le ski est une activité présentant un risque, que les pratiquants acceptent et qui les oblige à adapter leur comportement à leur niveau, aux difficultés présentées par la piste, aux conditions d’enneigement et aux données climatiques. De surcroît, le caractère facile de la piste et sa classification comme piste bleue ne sont pas critiquées par Monsieur A, qui n’a pas évoqué une difficulté pour lui à emprunter cette piste, qu’il n’aurait pas su surmonter en raison d’un niveau insuffisant. Sinon la vitesse et une faute technique, rien ne permet d’expliquer ce pourquoi Monsieur A a quitté involontairement la piste. Aucun manquement à son obligation contractuelle de sécurité de moyen n’est établi à l’encontre de l’exploitant. En conséquence les demandes de Monsieur A sont rejetées. »

En revanche, en présence d’un risque manifeste, la responsabilité de l’exploitant des pistes peut être partiellement retenue. En l’espèce, une commune a fait le choix de procéder à une gestion directe du réseau des pistes, c’est-à-dire sans recouvrir à la mise en place d’une régie, et sans déléguer cette mission de service public à une société mixte ou à une société de droit privé. Les ayants droit d’une victime décédée considèrent que la piste rouge, lieu de l’accident, était insuffisamment jalonnée, notamment à l’intersection où la chute mortelle s’est produite.

Au visa de l’article 1231-1 du Code civil, la preuve de cette faute dans l’aménagement de la piste à sa jonction avec un autre parcours est analysée par la cour d’appel de Chambéry. Pour les magistrats du second degré, l’étendue de l’obligation de moyen s’apprécie en fonction des facteurs de danger prévisible, de la configuration naturelle des lieux et au regard des aménagements réalisés. L’occasion également de souligner que les usagers doivent être informés des aménagements spécifiques réalisés, de leur niveau de difficulté, et « prévenus et protégés des dangers particuliers anormaux et excessifs ». En l’espèce, cette information est apparue insuffisante au regard des procès-verbaux établis par l’officier de police judiciaire spécialisée dans les accidents de montagne. Pour autant, il est apparu que la vitesse de progression de la victime était élevée et peu compatible avec les conditions météorologiques de faible visibilité. Ce sont ces éléments qui ont conduit les magistrats chambériens à confirmer un partage de responsabilité à hauteur de 70 % pour la commune et 30 % pour la victime.

Cour d’appel de Chambéry, 6 juin 2019

Monsieur Madinier, conseiller-président

Monsieur Le Bideau, président de chambre

Monsieur Therolle, conseiller

« Dès lors, au regard du danger particulier que représentait l’existence de la dépression précitée, l’endroit où la victime a quitté la piste présentait une sensibilité majeure qui aurait dû conduire la commune, compte tenu de la fréquentation du domaine, de l’aléa que représente la météo en montagne, à prévenir, au moyen d’un balisage significatif ou d’un filet de protection, un risque manifeste en cas de visibilité limitée conformément à l’article 7 de l’arrêté municipal du 31 décembre 2012 relatif à la sécurité sur les pistes de ski alpin. Aussi, en omettant de mettre en place un dispositif de protection adéquat ou, à tout le moins, en négligeant de procéder à une signalisation spécifique, alors même que ce risque était identifiable au regard des trajectoires fréquemment empruntées par les skieurs, la commune engageait sa responsabilité. Pour autant, comme le précise un témoin dans son audition, la vitesse de progression de la victime était élevée et manifestement peu compatible avec les conditions météorologiques précitées. C’est donc à bon droit que le premier juge a retenu un partage de responsabilité à hauteur de 70 % pour la commune et de 30 % pour la victime. Le jugement entrepris sera donc confirmé… »

Au-delà de l’information due à l’usager, l’absence de dispositif de sécurité suffisant sur une piste bleue peut avoir des conséquences dramatiques. Une petite fille de neuf ans emprunte une piste signalée bleue, perd la maîtrise de sa vitesse et le contrôle de ses skis : elle effectue un saut de 10 mètres lors de la rupture de pente, puis elle vient percuter de face une barrière en bois non protégée, parallèle à la piste. Cet accident mortel a conduit à une procédure pénale qui s’est déroulée d’abord devant le tribunal correctionnel de Thonon (7 juillet 2015), puis devant la cour d’appel de Chambéry (15 septembre 2016).

Ensuite, sur cassation (arrêt du 5 décembre 2017), et renvoi devant la cour d’appel de Grenoble qui a statué le 18 mars 2019. Deux questions juridiques ont été tranchées par les magistrats grenoblois statuant en matière pénale. Tout d’abord, s’agissant de poursuites à l’encontre d’une personne morale, il convenait de respecter les dispositions de l’article 121-2 du Code pénal, c’est-à-dire identifier clairement si un représentant de la société exploitante était ou non à l’origine d’une faute éventuelle. Le chef des pistes, même s’il ne dispose d’aucune délégation écrite, est considéré comme un organe représentant la personne morale : il dispose des compétences, de l’autonomie et de l’autorité dans l’exercice de ses attributions liées, notamment, à l’installation des mesures de sécurité et de protection des pistes.

Ensuite, s’est imposée l’analyse de l’existence d’une faute, « simple » sur le plan pénal s’agissant d’une personne morale (Carnet Juridique du Ski, n° 5.08,5.26,5.27), et la Cour ne s’est pas privée d’indiquer que la responsabilité du maire « aurait pu être envisagée, dès lors que la commission de sécurité des pistes intervenue peu avant l’accident, a validé un dispositif insuffisant ». Pour la cour d’appel de Grenoble , l’exploitant du domaine skiable, tenu d’une obligation de sécurité à l’égard de ses clients, a commis une faute de négligence en n’adaptant pas les dispositifs de sécurité aux usagers de la piste nécessairement débutants et à leur niveau de ski.

Cour d’appel de Grenoble, 18 mars 2019

Monsieur Jacob, président

Madame Philippe, conseillère

Madame Riffard, conseillère

« À l’évidence, au moins dans sa partie supérieure, la piste sur laquelle l’accident a pris naissance n’était pas une piste facile, puisqu’étroite, d’abord bordée d’arbres, puis croisant une autre piste. Il appartenait donc à l’exploitant de prendre toutes les mesures nécessaires, d’information, mais surtout de protection, pour éviter qu’un skieur ayant perdu le contrôle de ses skis et de sa vitesse quitte la piste et se trouve projeté sur un obstacle, comme le prescrit la norme rappelée, la zone présentant un danger de caractère anormal ou excessif, eu égard au faible niveau possible des skieurs, en installant par exemple des filets semblables à ceux qui se trouvaient en amont du lieu de l’accident sur la piste bleue venant en diagonale. En ne prenant aucune mesure de cette nature, une faute de négligence a été commise qui est directement à l’origine de l’accident survenu à la jeune victime. (…) S’agissant du responsable de la sécurité du domaine skiable, fonction exercée par Monsieur P, salarié de l’exploitant, il résulte de la description de son poste de travail intitulé, “chef des pistes” que celui-ci avait un niveau de hiérarchie de direction étant le garant de la sécurité, de l’enneigement de l’entretien du manteau neigeux sur le domaine skiable. Bien que n’étant titulaire d’aucune délégation écrite de responsabilité de la part de son employeur, il disposait des compétences, de l’autonomie et de l’autorité dans l’exercice de ses attributions liées à l’organisation des pistes, à la mise en œuvre des mesures de protection des usagers et de sécurité du domaine skiable, notamment l’installation des mesures de protection des pistes. À ce titre, il était un organe ou un représentant de la société, engageant celle-ci par ses actions fautives. L’exploitant, personne morale, sera en conséquence reconnu coupable du délit qui lui est reproché et le jugement confirmé sur ce point. »

 

 

 

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