La commission des lois
du Sénat, présidée par Philippe Bas, sénateur de la Manche (circonscription de
Saint-Lô), a décidé de rendre publiques, le 10 juillet 2019 au Palais du
Luxembourg, les 58 propositions présentées par Jean-Pierre Sueur,
sénateur du Loiret (circonscription d’Orléans) et rapporteur, dans le cadre de
la mission d’information sur la thanatopraxie. Selon l’étude, le cadre
juridique actuellement en vigueur n’est pas à même de garantir un choix éclairé
aux familles qui ont recours à cette technique. De plus, l’accès à la
profession et son exercice manquent de contrôles.
Suite à ses
observations, la Commission formule des recommandations pour :
• faire
de la protection et de l’information des familles une priorité ;
• mieux prévenir les risques
associés à la thanatopraxie en sécurisant les conditions d’intervention des
thanatopracteurs ;
• renforcer le pilotage des pouvoirs publics sur l’activité de
thanatopraxie ;
• mettre fin aux dysfonctionnements dans l’accès à la profession de
thanatopracteur, mieux l’accompagner dans l’exercice de son métier et accroître
les contrôles publics sur les conditions dans lesquelles ce métier s’exerce.
Protéger les familles
Depuis 1993,
un régime concurrentiel a été mis en place pour les pompes funèbres.
Jean-Pierre Sueur a commencé à suivre spécifiquement ce secteur en 1991. Il œuvre pour sa
régulation. En premier lieu,
le sénateur estime qu’il convient de protéger les familles endeuillées. En
effet, elles prennent beaucoup de décisions dans un laps de temps réduit et
peinent à se concentrer sur un contrat d’obsèques alors que leurs pensées se tournent
vers le défunt.
À
ce propos, les textes posent que
tout contrat obsèques qui n’est pas assorti d’une description détaillée,
précise et personnalisée des prestations, est considéré comme non écrit et sans
aucune valeur juridique. Notons que, selon le ministère de l’Économie et des
Finances, cette loi n’est pas respectée dans 67 % des cas.
Par
ailleurs, la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la
législation funéraire, stipule que tout reste humain, y compris les cendres après crémation,
doit donner lieu au respect, à
la dignité et à la décence. Elle a entraîné une jurisprudence importante. Pour
le Code civil qui distingue deux catégories (les personnes et les choses), les
restes humains constituent une entité médiane. En conséquence, il a fallu
légiférer sur la crémation : les cendres doivent être conservées dans un
cimetière ou dispersées dans la nature, mais elles ne peuvent être « privatisées ».
Le principe suivi veut que chacun puisse se recueillir sur les restes de tout
humain, exactement comme dans les cimetières publics communaux et laïcs.
Cette même
loi insiste sur le volet financier. Elle instaure le « devis modèle » qui
dresse une liste standard de
prestations. Toute entreprise de pompes funèbres habilitée est tenue d’en
définir le prix chaque année. Ce tarif est communiqué aux communes de plus de 5 000 habitants dans le ressort. Les
maires ont l’obligation légale de rendre accessible cette information à leurs
administrés, mais s’acquittent passablement de cette tâche. Pourtant, sachant
qu’il est ardu pour la famille d’analyser un devis ou de faire des comparaisons
dans ces instants douloureux, le « devis modèle » simplifie
cette étape.
Le rapport
sur la thanatopraxie commandé à Jean-Pierre Sueur par la Commission des lois du
Sénat a demandé 84 consultations étalées sur un an ; il avance
58 propositions.
Les premières sont techniques, elles s’opposent en particulier aux pratiques
abusives et réaffirment les cas où la thanatopraxie ne se fait pas :
obstacle médicolégal (autopsie) ; après prélèvement d’organe ; et si
elle est sans intérêt (par exemple 24 heures avant une crémation).
Il existe
une discordance quant au texte réglementaire. Il faut corriger le modèle du
certificat de décès pour assurer sa mise en conformité avec les règles en
vigueur sur le don du corps. La thanatopraxie a récemment été considérée compatible avec les personnes
atteintes du VIH et d’hépatite B. Par suite, le don d’organe dans les
mêmes conditions deviendrait possible…
Il
conviendrait de renforcer la portée du document d’information sur la
thanatopraxie à disposition des familles, de rendre obligatoire sa transmission
avec le devis remis aux familles, de l’annexer au devis modèle déposé dans les
communes et d’étendre sa diffusion aux chambres mortuaires par voie
d’affichage. Les propositions 7 et 8 modifient également l’arrêté du
23 août 2010 qui définit l’ensemble des éléments qui constituent le devis
modèle. Cet arrêté traite uniquement de soins de conservation. Or, il importe
de distinguer trois actes fondamentaux dans la spécialité : la
toilette funéraire,
les soins de présentation (40 à 80 euros) et ceux de conservation (300 à
500 euros). Le terme de thanatopraxie devrait être réservé aux soins de
conservation invasifs. Chaque entreprise devrait annuellement, en vertu de
l’arrêté du 23 août 2010, déclarer le prix de chacune de ces trois prestations à la portée
différente. Dans 40 % des obsèques, une thanatopraxie profonde
est pratiquée. Descendante de l’esprit d’embaumement pratiqué par les égyptiens de l’Antiquité, elle améliore
la durée et l’état de la conservation du corps du défunt.
La Direction
générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes
(DGCCRF) a sanctionné les opérateurs funéraires qui présentent les soins de
conservation comme obligatoire ou les imposent alors qu’il s’agit évidemment
d’une prestation optionnelle ; qui facturent une toilette ou des soins de
présentation lorsqu’ils n’effectuent pas ce travail déjà réalisé intégralement
et gratuitement par le personnel hospitalier ; et enfin qui facturent des
soins sans en préciser la nature.
Autre point,
lois et règlements n’abordent pas aujourd’hui le sujet de l’explantation. Or,
la technologie insère de plus en plus d’objets dans le corps. La plupart
d’entre eux doivent être extraits pour les crémations. Qui doit s’en
charger ? Un médecin peut s’en occuper lors de la déclaration de décès,
mais cela reste rare. Les personnes compétentes pour assumer cette tâche sont
les médecins, les infirmiers par délégation, ou le thanatopracteur.
Prévenir les
risques, sécuriser les conditions d’intervention du thanatopracteur
La pratique de cette spécialité expose à des dangers. Pour protéger le
thanatopracteur, il faut imposer le respect de précautions universelles
standard (page 55 du rapport) : mesures d’hygiène, port de protections
individuelles, matériel à usage unique, exposition accidentelle, gestion et
transport des déchets. Le formol, par exemple, nocif pour la santé et pour
l’environnement, reste actuellement le seul produit efficace pour la
conservation prolongée d’un corps. L’État pourrait confier
à la recherche publique la mission de trouver une alternative. À cela s’ajoute
une obligation évidente de vaccination. Selon Jean-Pierre Sueur, l’inspection du travail
devrait établir un plan de suivi médical des thanatopracteurs et centraliser au
sein du ministère du Travail des actions menées en ce sens.
L’article R. 1335-2 du Code de la santé publique, sur le régime de responsabilité des
producteurs de déchets d’activité de soin à risque infectieux, a besoin d’être
revu pour prendre explicitement en compte les professionnels qui les
collectent, dont les thanatopracteurs. Un contrôle par les agences régionales
de santé sur la conformité et la traçabilité de ce traitement semble
indispensable. Pour le rapporteur, il serait salutaire d’en favoriser la
gestion par les chambres mortuaires par voie de convention, sans décharger les
opérateurs funéraires ni les thanatopracteurs de leurs responsabilités.
Les
dispositions de l’article L. 223-39 du Code général des collectivités
publiques (CGCT) permettant à une chambre mortuaire d’accueillir le corps de
personnes décédées hors de l’établissement de santé gestionnaire de ladite chambre mériteraient
d’être élargies. Les chambres mortuaires sont dans un hôpital ou un
établissement de soin, les chambres funéraires dépendent d’une société de
pompes funèbres dont le statut permet d’accueillir tout corps relevant d’une
autre société de pompes funèbres. À titre dérogatoire, les chambres mortuaires devraient
accueillir des défunts aussi simplement.
Renforcer le pilotage des
pouvoirs publics sur l’activité
La mission préconise également de mettre en place un plan de suivi des
habilitations accordées au titre de la thanatopraxie et d’effectuer des
contrôles inopinés sur le fondement de l’article L. 2213-44 du CGCT. En effet, les procédures
d’habilitation dans les préfectures sont uniquement administratives et
déclaratives. Aujourd’hui, des contrôles manquent sur les contrats obsèques,
les devis modèles, etc. Jean-Pierre Sueur est catégorique : une entreprise
qui ne répond pas volontairement au contrat modèle chaque année devrait voir
son habilitation retirée immédiatement. L’administration doit davantage
sanctionner les opérateurs funéraires par retrait ou suspension de leur
habilitation lorsqu’ils ne respectent pas leurs obligations légales, et
poursuivre pénalement les opérateurs funéraires ou les thanatopracteurs
indépendants qui proposent des prestations sans y être autorisé, estime le
rapport.
De plus, il est nécessaire d’en savoir plus sur la
profession et de lutter contre son exercice clandestin. Cela demande
d’améliorer l’organisation des pouvoirs publics
impliqués dans le contrôle et la régulation de la thanatopraxie. La mise en
œuvre d’un référentiel dématérialisé des opérateurs funéraires comprenant les
indicateurs quantitatifs et qualitatifs afin de suivre l’exercice de la
profession en améliorerait la compréhension. Basiquement, établir un formulaire
unique numérique de déclaration préalable à la thanatopraxie favoriserait
l’harmonisation des informations délivrées. Le sénateur propose aussi de créer
un fichier national des thanatopracteurs.
Mettre fin aux disfonctionnements
d’accès à la profession, mieux l’accompagner
Le ministère de l’Intérieur doit chapeauter le diplôme de thanatopracteur
(avec l’appui du ministère de la Santé et celui du Travail).
Aujourd’hui, il existe une formation théorique validée par un examen
sous forme de questionnaire à choix multiple. Les étudiants reçus sont placés
dans une entreprise auprès d’un thanatopracteur afin d’acquérir un enseignement
concret. Des membres du jury national des thanatopracteurs sont dépêchés
quelques mois plus tard pour faire passer l’épreuve pratique. Toute cette
organisation émane du comité national d’évaluation de la formation pratique de
thanatopracteur (CNT), constitué par les neuf établissements de
formation. Jean-Pierre Sueur demande une organisation publique pour la
validation de ce diplôme, mais aussi de :
• revoir le
processus d’élaboration des épreuves théoriques en confiant au président du
jury national la détermination du contenu des sujets en total indépendance des
organismes de formation ;
• relever le numerus
clausus ;
• contrôler les organismes de formation ;
• mettre en place une formation continue et un
guide des bonnes pratiques ainsi que des règles déontologiques.
Signalons enfin que l’inscription en formation théorique n’exige aucun
prérequis, tout le monde peut y accéder sans connaître nécessairement la
réalité du métier. Or, la profession est dure psychologiquement, le
thanatopracteur se trouvant quotidiennement au contact de cadavres. En
conséquence, il est constaté un écart significatif entre le nombre de diplômés
et celui des praticiens. La mission conseille que tout postulant passe une
semaine auprès d’un thanatopracteur avant de pouvoir s’inscrire, cela afin
d’éviter de s’engager dans des études en pure perte.
Les 9
principales propositions
1. Clarifier la définition légale de la thanatopraxie
et distinguer dans les devis modèles (désormais obligatoires) le coût des
toilettes funéraires, des soins de présentation et de la thanatopraxie (soins
de conservation).
2. Garantir le libre choix des familles de recourir à
la thanatopraxie.
3. Assurer l’accès à la thanatopraxie pour les défunts
porteurs de certaines infections transmissibles.
4. Imposer le respect de précautions universelles
standard dans l’exercice de la thanatopraxie et proposer un suivi médical à
tous les thanatopracteurs.
5. Faire un bilan fin 2021 de la thanatopraxie à domicile
et, le cas échéant, mettre fin à cette pratique.
6. Doter les pouvoirs publics d’outils de suivi et de
contrôle de la thanatopraxie.
7. Réformer la formation de thanatopracteur, préciser
et élargir le contenu des enseignements, et garantir l’impartialité et
l’indépendance des évaluateurs du diplôme national.
8. Relever le numerus clausus pour diversifier
l’offre de thanatopracteurs sur le territoire.
9. Mettre en place une
formation professionnelle continue et un Code de déontologie propre à la profession
de thanatopracteur.
C2M