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Entretien avec Delphine Gallin, présidente de l’ACE : « Les marchés du droit ne cessent d’évoluer et s’élargissent avec de nouvelles compétences à développer pour nos confrères »

Entretien avec Delphine Gallin, présidente de l’ACE : « Les marchés du droit ne cessent d’évoluer et s’élargissent avec de nouvelles compétences à développer pour nos confrères »
Publié le 14/10/2019 à 17:42

Avocate au barreau de Marseille, Delphine Gallin est la première femme à accéder au poste de président de l’Avocats Conseil d’Entreprise (ACE). Après deux mandats en tant que membre du Conseil national des barreaux, Delphine Gallin est également membre du Conseil de l’Ordre du barreau de Marseille. À l’occasion du 27e congrès de l’Ace, qui se déroulera les 17 et 18 octobre prochains à Lyon, le JSS s’est entretenu avec cette dernière afin de l’interroger sur la fonction d’avocat en entreprise, le congrès et les actualités récentes qui touchent la profession.




 




Comment expliquez-vous votre affinité particulière avec le monde de l’entreprise ?


Je crois que dès l’enfance, j’ai été bercée par l’entrepreneuriat et l’exercice libéral, mes parents étant respectivement professionnel libéral et commerçant.


Je n’ai jamais imaginé exercer une profession où je ne pourrais pas être totalement maître de mon outil de travail. Exercer en tant qu’avocat avec le statut libéral, ou même en qualité d’associé, est parfois difficile et demande une énergie de tous les jours, mais à mes yeux, rien n’est plus important que de pouvoir insuffler une énergie qui transcende un collectif.


Accompagner des clients, motiver des équipes pour une croissance commune, c’est avant tout ça qui, de mon point de vue, caractérise l’entrepreneuriat, et c’est une grande satisfaction lorsque l’on réussit à y parvenir.


 


Quelles sont, à votre sens, les trois principales caractéristiques d’un bon accompagnement juridique et fiscal ? 


L’anticipation, la réactivité et l’écoute. En réalité, ceux sont les qualités essentielles à tous juristes, et ce, quelle que soit la matière dans laquelle ils interviennent. La typologie de la clientèle diffère, mais les attentes demeurent les mêmes. Il nous appartient de cultiver une relation client qui commande une exigence de tous les instants. Je pense que cette exigence s’est renforcée avec l’immédiateté de nos échanges, nos clients attendent une réponse claire, précise et imminente.


L’intervention de l’intelligence artificielle dans nos pratiques quotidiennes renforce encore le niveau d’exigence, il nous appartient de nous adapter à ces nouvelles tendances de consommation du droit. C’est, en partie, un des axes de réflexion de notre prochain congrès.


C’est un challenge de taille et nous pensons, à l’ACE, que l’avocat est en capacité d’y répondre.


 


Quels conseils donneriez-vous à un jeune confrère qui débute sa carrière ?


De garder ses yeux et ses oreilles grands ouverts, tant les opportunités ne cessent de croître.


J’exerce la profession d’avocats depuis plus 15 ans et j’observe avec satisfaction combien nos métiers ont été bouleversés en moins de 10 ans.


L’interprofessionnalité d’exercice, l’ouverture de nos cabinets aux autres professions du droit, le développement des activités commerciales connexes et accessoires et demain, peut-être, l’ouverture aux capitaux extérieurs de nos structures d’exercice…


Les marchés du droit ne cessent d’évoluer et s’élargissent avec de nouvelles compétences à développer pour nos confrères (mode alternatif de règlement des litiges, mandat en transaction immobilière etc.). Il est vrai que ces nouveaux champs d’intervention s’accompagnent également d’une recomposition de nos activités plus classiques et qu’il n’est pas toujours aisé de s’adapter.


C’est alors que les institutions nationales et ordinales ont un rôle déterminant à jouer et doivent impérativement s’adapter.


Il appartient aux organisations professionnelles comme l’ACE, que je représente, d’être les moteurs de ces changements, et d’accompagner nos confrères dans ces mutations, c’est tout autant un objectif qu’un devoir.


 


Vous êtes la première femme à la présidence de l’ACE. Autour de vous, de plus en plus de femmes sont nommées pour la première fois à la tête de grandes organisations. En quoi cela est-il important, selon vous ?


Au-delà du caractère satisfaisant d’être une « première », cela démontre, à mon sens, que le monde du droit a atteint une maturité sociale dont je ne peux que me satisfaire. Le Conseil national des barreaux (CNB) a fêté ses 27 ans, l’ACE aussi, et ces deux institutions sont présidées pour la première fois par une femme élue à leur tête.


Il reste cependant encore beaucoup de progrès à réaliser et il ne faut pas que des mandats comme le mien masque le fait que de nos jours encore, la progression des femmes dans nos métiers demeure insatisfaisante et que le plafond de verre existe toujours pour beaucoup d’entre nous.


 


Le thème du colloque 2019 de l’ACE – IA, Intelligence Avocat – est plutôt bien trouvé. Comment vous est venue l’idée de cette thématique et quels en sont les principaux enjeux ?


C’est le conseil régional de l’ACE à Lyon, sous la présidence de François Coutard, qui a eu l’idée de cette thématique. Je leur rends hommage et les remercie, car c’est une idée brillante.


Jouer sur la vague de l’intelligence artificielle en s’appropriant l’éco-système qui l’entoure, c’est l’enjeu de notre congrès.


Se poser la question de l’Intelligence Avocat, c’est s’interroger sur notre capacité, en tant qu’avocat, acteur central du marché du droit, à ne pas subir l’essor de l’IA dans nos « business models », mais plutôt à apprendre à en faire un atout au service du développement de nos cabinets.


 


Quels seront les points abordés lors des ateliers ? La loi PACTE et l’interprofessionnalité (sujet qui vous préoccupe particulièrement) seront-elles évoquées ?


La première plénière portera notamment sur les nouveaux outils au service de nos développements, comme l’interprofessionnalité. Il s’agira de dresser un bilan deux ans après l’adoption de l’interprofessionnalité d’exercice en s’inspirant d’exemples concrets de cabinets qui ont sauté le pas en s’associant avec des cabinets d’expertise comptable ou des notaires.


Quant à la loi PACTE, elle sera notamment évoquée dans le cadre de notre atelier traitant des nouveaux outils de financement des entreprises, au rang desquels figurent le recours aux levées de fonds en cryptomonnaie (ICO), puisque la loi PACTE règlemente pour la première fois ce secteur en pleine expansion.





« L’intervention de l’intelligence artificielle dans nos pratiques quotidiennes renforce encore le niveau d’exigence ».






Pouvez-vous nous en dire plus sur le « Parcours IA » qui sera présenté la première journée du colloque, au cours de la plénière ?


Le Parcours IA propose aux congressistes qui le souhaitent de suivre exclusivement un parcours imaginé et pensé par Fabrice Mauléon, Sophie Lapisardi et William Feugère, et dont l’objectif est d’étudier différentes méthodes d’innovation afin de faire évoluer nos cabinets.


Seront ainsi abordés le marketing digital ou encore la méthode de la proposition de valeur.


Ce parcours fera l’objet d’une restitution spécifique lors de la plénière de clôture afin que chacun puisse tout de même en retenir l’essentiel.


C’est une première et cela rencontre un franc succès.


 


Que pensez-vous du rapport Gauvain et des propositions qu’il formule en vue de protéger les entreprises françaises des lois et mesures à portée extraterritoriale ? Que pensez-vous de l’extraterritorialité imposée par les Américains ?


Le député Raphaël Gauvain, déjà promoteur de la loi relative à la protection du secret des affaires en 2018, a rendu public un rapport qui propose des mesures susceptibles de contrer les effets des législations étrangères à portée extraterritoriale, avec comme objectif de renforcer la place de nos entreprises dans la compétition économique internationale. Le député s’interroge sur les capacités de nos entreprises à lutter à armes juridiques égales contre leurs concurrents américains, dans cette guerre économique assumée et revendiquée par l’administration du président Trump.


À cette interrogation, le rapport donne une réponse négative et envisage plusieurs mesures afin de lutter contre les inégalités concurrentielles liées à l’application de lois étrangères à effet extraterritorial, dont, notamment, celle de la création du statut de l’avocat salarié en entreprise.


À l’ACE, nous avons toujours été en alerte et conscient des enjeux que portait l’avocat salarié en entreprise, au-delà même des problématiques corporatistes que le sujet révèle.


Notre corpus législatif se doit d’être plus protecteur de nos industries et performant face aux textes à portée extraterritoriale. L’avocat salarié en entreprise est un des outils au service de cet objectif.


 


Le gouvernement Philippe réforme à tout va. Quels sont, selon vous, les dossiers législatifs à surveiller pour les avocats-conseils d’entreprise ?


La réforme des retraites est, à ce jour, le sujet qui préoccupe et qui préoccupera toute la profession d’avocat, et ce quel que soit le domaine d’intervention dans les mois à venir.


À ce jour, les propositions que formule le rapport dit « Delevoye » n’apporte aucune garantie quant au maintien d’un régime de retraite juste et solidaire à l’instar de celui que propose la Caisse nationale des barreaux français (CNBF).


Nous nous devons d’être vigilants et coordonnés dans la phase de consultation en cours. L’ACE, via l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) au sein de laquelle nous siégeons, entend contribuer significativement et exprimer avec force les oppositions nombreuses et légitimes que l’ensemble de nos confrères exprime.


 


Propos recueillis par l’équipe du JSS


 


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