Greffier associé du
tribunal de commerce de Paris et vice-président d’Infogreffe depuis 2016,
Dieudonné Mpouki a succédé à Bernard Bailet à la présidence du groupement
d’intérêt économique (GIE) en janvier dernier.
Quel est votre plan
d’action ou autrement dit, quels sont les objectifs majeurs de votre
présidence ?
Être en mesure de réaliser leurs démarches à tout
moment et de manière simple est une attente forte de la part des entrepreneurs.
Ainsi, notre premier objectif se situe aujourd’hui dans la poursuite de la
dématérialisation des démarches des entreprises, avec un double enjeu
d’accessibilité et de sécurité des parcours en ligne.
La force d’Infogreffe est de s’appuyer à la fois sur
l’expertise juridique des greffiers des tribunaux de commerce, et leur
compréhension des besoins concrets des entrepreneurs – parce que nous les
côtoyons au quotidien, mais aussi parce que nous sommes nous-mêmes des chefs
d’entreprise ! – alliées aux moyens techniques du GIE. Si nous avons
dépassé en 2018 le million de formalités réalisées sur Infogreffe.fr, nous sommes aujourd’hui engagés pour offrir aux
entreprises la possibilité de réaliser 100 % de leurs formalités en ligne
d’ici la fin de l’année. C’est un objectif ambitieux qui mobilise chaque jour
l’ensemble des collaborateurs d’Infogreffe.
Ensuite, j’ai à cœur de participer à mieux faire
connaître notre profession et la manière dont nous agissons au service de la
vie des entreprises et de la transparence de la vie économique. Je travaille
pour cela aux côtés du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce
(CNGTC), qui représente notre profession auprès des pouvoirs publics, et de
notre présidente, Sophie Jonval.
Le tribunal digital a
ouvert le 10 avril dernier. Quels sont les changements que cela va apporter
pour les justiciables tout d’abord, et pour les juridictions elles-mêmes
ensuite ?
Le tribunal digital constitue à la fois une évolution
pour les greffiers de tribunaux de commerce et une révolution pour la justice
commerciale !
Une évolution, car la mise en œuvre du tribunal
digital s’inscrit dans la suite logique de la dématérialisation des démarches
des chefs d’entreprise auprès des tribunaux et des greffes de commerce, après
celle des formalités du registre du commerce et des sociétés depuis 2007 ;
mettant ainsi en exergue notre capacité d’innovation et notre volonté d’œuvrer
à la simplification des démarches des entreprises.
Une révolution, parce que pour la première fois, le
justiciable est en mesure de saisir une juridiction commerciale de manière
entièrement dématérialisée. Concrètement, chaque entreprise peut désormais
accéder en ligne aux 134 tribunaux de commerce depuis un portail unique, afin
d’initier une action en justice, ou bien encore pour suivre l’avancement de ses
dossiers et procédures.
Il s’agit d’abord pour nous de répondre à un enjeu
d’accessibilité de la justice commerciale. Trop d’entrepreneurs renoncent
encore aujourd’hui à agir pour faire valoir leur droit, notamment en cas
d’impayés. Pourtant, ce sont ces défauts de paiement qui grèvent chaque année
leurs trésoreries à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros, et
poussent nombre d’entreprises à la faillite. C’est une situation à laquelle
nous ne pouvons nous résigner. Nous nous sommes ainsi inscrits dans la
perspective dessinée par la Chancellerie, notre ministère de tutelle, de créer
un véritable service public numérique de la justice, et avons imaginé ce
portail en ligne accessible simplement et par tous.
Le deuxième enjeu, c’est bien entendu celui de la
sécurité des saisines en ligne. Nous devions imaginer un outil permettant de
concilier cet impératif de sécurité sans mettre en péril l’accessibilité du
portail au plus grand nombre. Nous avons ainsi conçu MonIdenum, service en
ligne qui permet au chef d’entreprise et à ses mandataires de créer en quelques
clics leur identité numérique, leur donnant mandat pour agir en ligne et
engager judiciairement leur société. MonIdenum est la clé d’entrée au tribunal
digital.
Enfin, le tribunal digital répond à un objectif de
transparence de la justice commerciale, en permettant aux chefs d’entreprise et
à leurs représentants légaux de consulter à tout moment l’état d’avancement de
leurs différents dossiers et procédures engagées devant le tribunal de
commerce.
Le gouvernement veut
mettre en place un guichet unique dématérialisé et un registre général
dématérialisé. Comment se positionne Infogreffe par rapport à ces deux
projets ?
C’est une question qui relève de l’implication de la
profession au sens large, au-delà donc d’Infogreffe. Ce que nous disons, c’est
que nous disposons du savoir-faire et de l’expertise nécessaires au déploiement
d’un tel dispositif, cela sur deux aspects majeurs.
D’une part, la tenue de registres de publicité
légale. Les greffiers sont notamment responsables du registre du commerce et
des sociétés (RCS), qui réunit déjà près de 80 % des agents économiques
français. Avec 5,5 millions d’inscrits et 80 000 mises à jour
quotidiennes, c’est d’ailleurs le registre de publicité légale le plus
important tant au plan national qu’européen. Dès lors, la tenue du RCS nous
amène à collaborer avec tous les acteurs de la création d’entreprise concernés
par les réformes de PACTE, tels que les Centre de formalités des entreprises
(CFE), lors de l’enregistrement au RCS des formalités liées à l’activité d’une
entreprise, l’INSEE pour la délivrance en ligne du numéro SIREN et donc
l’immatriculation sans délai, ou bien encore l’ Institut national de la
propriété industrielle (INPI), pour la transmission quotidienne des données
certifiées des entreprises françaises issues des 134 greffes des tribunaux de
commerce. Nous disposons donc d’une expérience qui nous semble incontournable
pour mettre en œuvre rapidement le futur registre général.
D’autre part, la dématérialisation – et c’est là
qu’Infogreffe intervient ! Nous avons développé depuis plus de trente ans
cet outil performant qui est aujourd’hui la première plateforme permettant aux
entreprises d’effectuer directement en ligne leurs démarches relevant du greffe
du tribunal de commerce, en toute sécurité et sans intermédiaire. L’enjeu,
c’est d’alléger le poids que peuvent représenter certaines obligations légales
et démarches administratives, sans mettre en péril la sécurité des parcours en
ligne et l’étendue des contrôles qui vont être effectués par les greffiers et
leurs collaborateurs. Car tenir un registre, ce n’est pas seulement faire de la
saisie de dossiers et enregistrer des déclarations en ligne ! Il en va de
la sécurité juridique de tout notre écosystème entrepreneurial, mais aussi de
l’efficience de nos dispositifs de lutte contre la fraude, le blanchiment
d’argent et le financement du terrorisme. Nous sommes d’ailleurs de plus en
plus engagés en matière de police économique, et travaillons de concert avec
les régulateurs et autorités telles que Tracfin, l’Agence française
anticorruption, la délégation nationale à la lutte contre la fraude… qui ont
avant tout besoin, pour accomplir leur mission et contribuer à assainir
l’économie française, des données les plus fiables et à jour possibles sur la
réalité du tissu économique.
Mais pour revenir au cœur de votre question, nous
faisons bien entendu partie des acteurs réunis par le gouvernement pour
envisager la mise en œuvre concrète de la loi PACTE, notamment en ce qui
concerne le guichet unique et le registre unique dématérialisé. La mise à
disposition d’Infogreffe en tant que plateforme de recueil et de traitement des
formalités en ligne des entreprises fait partie des pistes, visant à mettre en
œuvre ces réformes rapidement et de manière durable et efficace, sans surcoût
pour la puissance publique et donc le contribuable. Mais nous attendons
aujourd’hui la nomination du délégué interministériel pour avancer plus concrètement.
" Le tribunal digital répond à un objectif de
transparence
de la justice commerciale"
La profession a annoncé
récemment la mise à disposition gratuite de l’extrait Kbis électronique pour
l’entrepreneur. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quelles en seront les
modalités ?
C’est un engagement qui a été pris par notre
profession en début d’année, pour répondre aux attentes des entreprises
relevant d’actions très concrètes susceptibles d’alléger rapidement le poids
économique que peuvent représenter pour elles certaines démarches
administratives.
L’enjeu, c’est donc de permettre à tous les chefs
d’entreprises immatriculées au registre du commerce et des sociétés d’accéder
en ligne, de manière totalement gratuite et illimitée, à leur Kbis numérique. à cet effet, les équipes d’Infogreffe
sont aujourd’hui mobilisées pour concevoir, d’ici la fin de l’année, un espace
en ligne sur lequel le chef d’entreprise pourra télécharger son Kbis numérique,
lui permettant d’attester de son identité auprès des administrations et de
leurs partenaires.
Pour y accéder de manière parfaitement sécurisée,
chacun pourra se connecter à son espace en ligne au moyen de son identité
numérique personnelle, MonIdenum, délivrée par les greffiers des tribunaux de
commerce. Chaque dirigeant peut d’ailleurs d’ores-et-déjà activer son identité
numérique sur le portail en ligne dédié, monidenum.fr.
Sur ce site, après avoir transmis une copie de sa pièce d’identité, le chef
d’entreprise se voit attribuer gratuitement son identité numérique personnelle,
lui permettant de faire automatiquement valoir ses droits sur ses sociétés.
Aujourd’hui, la majeure
partie des formalités sont disponibles par voie électronique. Toutefois, la
publicité de la cession de parts de sociétés civiles ne l’est toujours pas. Une
évolution est-elle envisagée ?
Le périmètre des formalités pouvant être réalisées
en ligne est en constante évolution. Nous avons priorisé ces dernières années
le développement des événements les plus fréquents pour atteindre, en tout
début d’année 2019, la quasi-exhaustivité d’entre eux. La publicité des
cessions de parts répond à des dispositions réglementaires qui remontent à
1978, époque où la dématérialisation n’existait pas. Sur le plan informatique,
tout est réalisable, mais la première des priorités reste naturellement la
sécurité juridique.
Ceci étant, une évolution du texte demeure donc
nécessaire pour adapter ces dispositions au monde numérique. C’est aussi
l’engagement de la profession qui relaie ces besoins auprès de notre ministère
de tutelle, le ministère de la Justice, et plus précisément la Direction des Affaires
civiles et du Sceau (DACS). Nous avons bon espoir que les textes puissent ainsi
prochainement permettre un tel dépôt qui faciliterait les démarches.
Le ministère de la Justice
a publié des arrêtés de candidature dans les DROM afin d’y installer des
greffes de commerce. Avez-vous une visibilité sur le délai de mise en
œuvre ? Les greffes des DROM seront-ils raccordés à Infogreffe ?
En effet, après plusieurs années d’attente de la part
des acteurs économiques ultra-marins, le gouvernement a pris la décision
d’étendre la compétence territoriale des greffiers de tribunaux en Guadeloupe,
Martinique, Guyane ainsi qu’à Mayotte et La Réunion. La création de nouveaux
offices de greffiers sera effective dans les tout prochains mois. Pour ces territoires,
l’accès à Infogreffe.fr est un enjeu
incontournable pour permettre aux entreprises d’effectuer leurs démarches de
manière plus rapide et fluide, ceci afin de ne pas entraver leur développement.
D’une part, le site de formalités en ligne évitera aux chefs d’entreprises et
leurs mandataires d’avoir à se déplacer au greffe, et d’autre part, la
diffusion des informations légales prendra son plein effet au profit de la
sécurité juridique des opérations et investissements réalisés dans ces
départements.
Strasbourg a récemment été
raccordé à Infogreffe. Pouvez-vous vous prononcer sur la situation à venir des
autres greffes de l’Est de la France ? Un planning est-il envisagé ?
Tout à fait. La diffusion des extraits Kbis des
entreprises inscrites aux RCS de Strasbourg et Mulhouse est possible depuis
plus d’un an. L’objectif est de couvrir la diffusion des informations légales
pour l’ensemble des registres locaux, qu’ils soient tenus ou non par les
greffiers de tribunaux de commerce. Nous espérons pouvoir mettre en œuvre cet
objectif cette année.
Propos recueillis par Cécile Leseur