Ancien bâtonnier de Lille, Hélène Fontaine a
été élue le 28 juin 2019 à la présidence de la Conférence des bâtonniers.
Elle est entrée en fonction le 1er janvier dernier, et succède
ainsi à Jérôme Gavaudan, qui présidait la Conférence des bâtonniers depuis
janvier 2018. Elle revient pour le JSS sur son
parcours et les priorités de son mandat, mais livre aussi ses réflexions sur
l’actualité impactant la profession d’avocat.
Pouvez-vous vous présenter ?
J’ai fait mes études à la faculté de droit de Lille. J’ai obtenu un DEA
de droit privé, puis j’ai commencé une thèse en droit social que j’ai arrêtée
lorsque j’ai obtenu mon examen d’avocat. J’ai ensuite été avocate en tant que
collaboratrice pendant sept ans, puis je me suis installée.
Par la suite, j’ai eu un parcours ordinal en étant plusieurs fois
membre du Conseil de l’Ordre du barreau de Lille. Je présidais en même temps la
Commission Projet Pédagogique Individuel (PPI) pour les élèves-avocats à
l’École des Avocats de Lille.
Après plusieurs mandats, je suis devenue bâtonnier de 2013 à 2014, puis
vice-présidente de la Conférence régionale des bâtonniers du
Nord-Pas-de-Calais. Au terme de ce mandat, j’ai été élue à la Conférence des
bâtonniers en tant que membre du bureau. Au bout de deux ans, j’en suis
devenue vice-présidente.
Au départ, je me suis beaucoup occupée de l’aide juridictionnelle, et de
l’accès au droit.
Je travaillais aussi à la Commission civile de la Conférence et suis devenue
présidente de cette Commission après le départ en retraite de mon prédécesseur.
Je suis également experte CCBE en droit de la famille et en matière d’aide
juridictionnelle.
J’ai été élue Première vice-présidente de la Conférence des bâtonniers
le 28 juin 2019. Et depuis le 1er janvier 2020, j’ai pris la tête
de la Conférence des bâtonniers à la suite de Jérôme Gavaudan.
Quels seront les priorités et les axes de
votre mandat ?
Je compte toujours me battre sur le sujet de l’AJ (aide
juridictionnelle). J’ai toujours été marquée par le fait que des avocats travaillent
à perte, et qu’un certain nombre d’entre eux soit en grande difficulté à cause
de cela. J’ai fait partie de la Commission aide juridictionnelle de la
Conférence des bâtonniers, et je suis avec beaucoup d’attention les changements
qui concernent (anciennement) l’article 91 avec la convention locale
relative à l’aide juridique. Les avocats contribuent au service public de la
justice, donnent de leur temps, de notre argent et n’ont pas de considération.
C’est tout à fait scandaleux !
Outre cela, dans mon programme de campagne, il y a deux parties. Je
souhaite que la Conférence des bâtonniers ait un rôle politique plus fort et
qu’elle entretienne des rapports de plus grande proximité avec les bâtonniers.
En ce qui concerne le rôle politique de la Conférence,
je pense que celle-ci a plus que jamais une place à prendre. Les deux années
précédentes, un gros travail a été fait pour que l’unité de la profession
puisse advenir. Je vais continuer, durant mon mandat, à favoriser cet équilibre
et faire en sorte que chacun trouve sa place, car c’est ce qui rend possible
l’unité. La Conférence des bâtonniers c’est la voix des territoires, la voix de
ce qu’il se passe concrètement sur le terrain. Elle permet à tous les
justiciables d’avoir accès à un avocat. Cela est primordial, d’autant plus que
la territorialité est de plus en plus revendiquée. Je pense ainsi aux gilets
jaunes. Les Français en ont assez que l’on pense uniquement à Paris ou aux
grandes métropoles. Ils demandent l’accès au droit et à la justice pour tous.
Pour nous, il est donc essentiel que nous soyons au plus près des justiciables.
Car ces notions d’Ordinalité et de territorialité sont plus que jamais
d’actualité.
J’insisterai
également pendant mon mandat sur les valeurs de notre profession. La Conférence
des bâtonniers doit être présente lorsque des droits sont bafoués en France ou
à l’étranger. Nous avons par exemple beaucoup soutenu Maître Nasrin
Sotoudeh. De même, une délégation de bâtonniers se rend régulièrement en
Turquie.
Le dernier point que je voudrais éclaircir concerne l’autorégulation de
la profession. Ce terme renvoie au fait que la profession se contrôle
elle-même. Par exemple, il est essentiel que la Conférence des bâtonniers forme
les bâtonniers pour qu’ils soient bien avertis de l’importance de
l’autorégulation. Car si nous ne le faisons pas, ce sera une instance qui nous
est extérieure qui le fera. Nous perdrions alors notre indépendance, ce qui est
un de nos principes essentiels. Nous devons absolument montrer que nous savons
nous autoréguler et pour cela nous devons démontrer que cet autocontrôle est
fort.
Il est donc extrêmement important de former les bâtonniers en matière de
déontologie, en matière disciplinaire, de financement, etc. C’est notre seule
option pour préserver cette autorégulation des ordres. Les Assises de
l’Ordinalité ont permis de mettre en lumière l’importance des ordres dans le
contrôle de la qualité. Nous allons continuer à travailler sur cette notion de
qualité, car le contrôle c’est l’autorégulation. Lors des Assises, nous avons
également pu bénéficier de témoignages d’autres pays qui ont montré à quel
point ce contrôle peut être extrêmement fort.
Le deuxième axe de mon mandat concerne la proximité
de la Conférence avec les bâtonniers. D’abord, la Conférence des bâtonniers
rend des services aux bâtonniers et aux membres des Conseils de l’Ordre. Elle
organise beaucoup de formations, notamment le séminaire des dauphins qui
s’adresse aux bâtonniers nouvellement élus. Ainsi, dès qu’ils sont élus, ces
derniers viennent se former à la Conférence sur des questions de déontologie,
de discipline, sur les CARPA (Caisses autonomes des règlements pécuniaires des
avocats), reçoivent le guide du bâtonnier élu, etc. Cette formation dure
désormais deux jours. Elle permet aux bâtonniers de se connaître et donc d’être
soudés et solidaires ensuite. C’est très important pour l’unité de la
Conférence. Cette dernière doit en outre être présente quand un bâtonnier a
besoin d’aide. Une journée spéciale dédiée aux anciens bâtonniers va également
être mise en place. Elle permettra d’écouter leurs attentes, de recevoir leurs
témoignages et leurs expériences.
« Nous
allons nous battre tous ensemble dans l’intérêt des ordres. »
Que retenez-vous du mandat de votre prédécesseur ?
Ce que je retiens, c’est tout le travail sur l’unité de la profession.
En effet, avant le mandat de Jérôme Gavaudan, quand nous allions à la
Chancellerie pour négocier, nous n’étions pas vraiment unis, on ne disait pas
tout à fait la même chose… et le ministère profitait de cela. Mais très
rapidement, la Conférence a mis en place avec le CNB (Conseil national des
barreaux) et le barreau de Paris une stratégie de front uni. Celle-ci a fini
par payer. Nous avons obtenu certaines choses, pas tout, loin de là, mais plus
que par le passé, nous sommes en mesure de nous faire entendre, et c’est
uniquement parce que nous sommes unis. Nous avons désormais une force qui est
incontestable.
Jérôme Gavaudan a fait un très beau mandat. Il s’est vraiment battu
pour les Ordres. Il était toujours au combat sur les territoires. Il a été sur
tous les fronts. En ce qui me concerne, je compte bien poursuivre ce qu’il a
fait. La passation s’est d’ailleurs faite dans de très bonnes conditions. Nous
sommes différents, mais nous avons une multitude de points communs. Dès le
début de mon élection, le président m’a permis de rentrer dans des dossiers, et
même de prendre la tête de certains sujets. Jérôme m’a fait confiance, et il
existe entre nous une confiance réciproque.
Que pensez-vous des actions menées par la
Chancellerie ces deux dernières années ?
En général, ce qui me préoccupe beaucoup, c’est que nous subissons
un grand nombre des décisions du gouvernement. Je pense par exemple au
communiqué sur la suppression éventuelle des juges d’instruction en fonction
des résultats électoraux. Ça, c’est quand même incroyable ! Il y a là une
vraie remise en question de la place de la justice dans l’État de droit.
Concernant la loi Justice, en matière de procédure civile en
particulier, nous n’avions pas jusqu’à récemment les projets de décrets, alors
que les magistrats les avaient. Nous avons l’impression de toujours passer en
dernier alors que nous travaillons sur les mêmes sujets nous aussi.
Cette absence de communication nous a beaucoup ennuyés, car une partie
de ces décrets devait s’appliquer dès le 1er janvier. Or, à la
mi-décembre nous en étions encore à travailler avec la Commission civile de la
Conférence pour fournir des modèles aux bâtonniers. Nous étions à la veille de
l’application des décrets ! C’est très angoissant pour les avocats et les
bâtonniers. Le fait d’être devant le fait accompli nous met très en colère.
Certes, certains points ont été reportés, mais presque aucun concernant
la procédure civile, à part les assignations avec prises de date, mais c’est
uniquement parce que la Chancellerie n’a pas les moyens du numérique pour faire
le nécessaire.
La loi
Justice a apporté de toutes petites avancées, je le reconnais, je pense
notamment à la représentation obligatoire (qui était d’ailleurs une demande de
la profession). C’est un plus pour la profession. Une déception cependant pour
l’exécution provisoire. Nous avions demandé à ce que ça ne fasse pas partie du
décret, car cela prive les justiciables d’un double degré de juridiction. On ne
nous a pas écoutés. C’est la raison pour laquelle il y eu un recours.
La profession poursuit sa mobilisation
contre la réforme des retraites. Quels sont les enjeux de cette réforme pour
les avocats ?
Le gouvernement ne connaît pas bien notre profession.
Nous nous gérons très bien nous-mêmes depuis fort longtemps, et
maintenant on veut nous mettre dans une espèce de grand paquebot. On nous a dit
au départ qu’on subirait une augmentation des cotisations de 14 % et que
notre régime de base serait de 1 000 euros au lieu de
1 400 euros comme avant… Qui accepterait une chose pareille ?
Puis, on nous a dit que cette perte serait compensée par une baisse de
la CSG.
On a tenté également de nous rassurer sur le sort de nos réserves.
Pour finir, on nous a reproché de ne pas être solidaires. C’est
totalement faux. D’abord, au sein de la profession, nous sommes solidaires avec
ceux qui choisissent ou sont obligés de faire de l’aide juridictionnelle (AJ).
Nous avions ainsi décidé que le régime de base serait le même pour tous, que
l’on fasse de l’AJ ou du droit des affaires, soit un minimum de
1 400 euros par mois.
Et maintenant on prévoit de baisser cela.
Ensuite, cette solidarité nous la payons à d’autres régimes de manière
très importante. Enfin, c’est bien beau de parler d’universel, sauf que nous,
nous sommes des indépendants. Nous n’avons pas de congés maladie, pas de 35
heures, et nos charges sont de 100 %. Bref, le système qu’ils estiment
juste est en fait très injuste.
Nous ne sommes pas écoutés sur ce sujet des retraites, comme dans de
multiples domaines d’ailleurs.
En engageant en effet sa responsabilité par le biais de l’article 49-3
de la Constitution, le gouvernement a choisi le passage en force pour faire
adopter son projet de loi à l’Assemblée nationale.
Le recours au 49-3 est intervenu alors que nous avions très longuement
préparé le débat parlementaire en rencontrant des députés et en faisant déposer
de très nombreux amendements.
Sans surprise, les deux motions de censure qui ont été déposées ont été
rejetées par l’Assemblée nationale. Les barreaux se sont fortement mobilisés et
continuent de le faire sous des formes les plus diverses. Ils sont déterminés.
Le gouvernement souhaite toujours que les avocats compensent sur leurs
propres deniers la hausse des cotisations retraite, ce qui n’est pas
acceptable.
Dans le texte adopté, il n’y a, au surplus, aucune sécurité juridique
et financière.
Nous avons un système qui fonctionne et on nous impose un système sans
garantie.
La profession étudie avec beaucoup d’attention la constitutionnalité et la
conventionnalité des textes, continue un travail de sensibilisation notamment
auprès des sénateurs et se penche également sur la question au regard du droit
européen.
Quelle est votre position concernant le
numérique ?
Notre Conférence doit être ancrée dans son temps. C’est pourquoi nous
ne pouvons occulter le numérique. Nous devons être modernes en prenant en
considération les nouvelles façons de communiquer. Les bâtonniers l’attendent.
Tout ce qui se passe dans notre société, en termes de moyens et modes de
communication, doit s’appliquer à la Conférence des bâtonniers. Le numérique
est un moyen de créer plus de liens, il faut en profiter. La Conférence doit
également aider et accompagner les bâtonniers qui se sentent perdus face à
cette évolution.
Concernant les legaltech, il faut qu’on joue notre rôle
d’encadrement. La Commission règles et usages et la Commission exercice du
droit du CNB font d’ailleurs un gros travail à cet égard. Des procès sont
ouverts lorsque c’est contraire à nos règles, à notre déontologie, à nos valeurs
d’avocat. La Conférence essaie de faire remonter ce qu’il se passe dans les
barreaux, puis elle en fait part au Conseil national des barreaux.
Il existe de très bonnes relations entre les Commissions du Conseil
national des barreaux et nos Commissions. Ainsi, en tant que présidente de la
Commission civile, je me rendais régulièrement à la Commission Textes du CNB.
La Conférence a beaucoup agi dernièrement
contre les discriminations. Qu’allez-vous faire en ce sens ?
Je poursuivrai ce qui a déjà été fait. J’ai beaucoup travaillé avec le
CNB et les syndicats, notamment sur le rôle des bâtonniers vis-à-vis de leurs
confrères dans ce domaine. En effet, le rapport du Défenseur des droits était
critique. Certains accusaient les bâtonniers de ne pas balayer devant leur
porte. Nous avons donc construit tout un système et signé une charte avec le
CNB et le barreau de Paris le 26 septembre 2019 contre les discriminations et
le harcèlement dans la profession d’avocat. Nous allons continuer à former des
référents « discrimination/harcèlement », notamment dans les
Conférences régionales. Là encore, c’est un bel exemple de travail en commun
entre la Conférence, le CNB et le barreau de Paris.
Quelle est la place de l’Europe dans la
profession d’avocat selon vous ?
Je suis très européenne. D’ailleurs, beaucoup de points d’ordre
juridique sont décidés au niveau européen, or nous n’avons pas toujours, dans
notre culture française, le réflexe européen. Ce que je souhaite c’est que les
bâtonniers l’aient, et qu’ils le répercutent à leurs avocats. Durant mon
mandat, j’ai d’ailleurs prévu de faire à chaque assemblée générale, un « quart
d’heure européen », afin de transmettre ce réflexe et pour que les
avocats se rendent compte à quel point ce qu’ils vivent en droit interne est
complètement réglé par le droit international. Il y aura également une
assemblée générale à Bruxelles au cours de ce mandat. Nous ne pouvons ignorer
toutes ces directives européennes qui vont être transposées en France. Il faut
que j’emmène avec moi mes bâtonniers sur ce terrain-là.
Que pensez-vous de la création possible du
statut d’avocat salarié en entreprise ?
À mon avis, on ne peut dépasser une certaine barrière qui est celle de
l’indépendance des avocats. Or, quand on est salarié, il y a un lien de
subordination, il y a un lien de dépendance. Cette question de l’avocat en
entreprise revient sans arrêt sur le tapis. Il ne faut pas l’ignorer, même si
nous n’y sommes pas favorables. D’ailleurs nous avions invité à notre assemblée
générale du 22 novembre dernier Monsieur Raphaël Gauvain. En ce qui
concerne la compétitivité des entreprises françaises, pour nous, c’est surtout
une question de secret professionnel qui doit être davantage protégé. Nous
sommes ainsi en train de réfléchir sur la question du legal privilege.
Bref, nous savons que quelque chose va se passer et on y réfléchit, en ayant en
tête que cette notion d’indépendance est une ligne rouge que l’on ne peut
franchir.
Avez-vous confiance en l’avenir de la
profession ?
Oui, car nous formons une grande équipe avec les bâtonniers. Nous
allons nous battre tous ensemble dans l’intérêt des ordres, et des avocats,
puisque les bâtonniers les représentent. Nous serons sur tous les fronts, sur
tous les sujets touchant à la profession tout en veillant à ce que la place de
chacun – CNB, barreau de Paris, et Conférence – soit bien respectée. Nous
allons poursuivre les combats sus-cités. Nous resterons très vigilants au fait
que les justiciables aient un accès au droit effectif ainsi qu’à l’avenir de
nos ordres. Les Assises de l’Ordinalité ont d’ailleurs montré à quel point les
ordres étaient incontournables. Mon mandat sera extrêmement chargé.
Quelle serait votre devise pour le mandat à
venir ?
Je citerai ce que j’ai dit à la fin de mon discours quand j’étais
candidate : « Debout les ordres, en avant les ordres ! »
Propos
recueillis par Maria-Angélica Bailly