Jean-François Humbert,
61 ans, est notaire associé à Paris depuis 1989. Élu à la présidence du
Conseil supérieur du notariat (CSN) en octobre dernier, celui-ci défend « une profession indépendante qui s’agrandit,
une profession reconnue et respectée qui est utile à tous, clients comme
pouvoirs publics, une profession unie et solidaire qui garantit à tous ses
membres, sans exception, un espace de développement et d’épanouissement ». Pour le Journal
Spécial des Sociétés, il a accepté de
revenir sur ses premiers mois de présidence. Entretien.
Maître Humbert, vous êtes
notaire associé depuis 1989. Vous dirigez une étude à Paris dans le 18e arrondissement.
Avant la présidence du CSN, avez-vous déjà connu l’expérience de mandats de
représentation de la profession ?
Depuis 20 ans, mes confrères m’ont en effet fait
l’honneur de m’accorder leur confiance à de nombreuses reprises. J’ai ainsi été
membre de la Chambre des notaires de Paris, puis une première fois délégué au
Conseil supérieur du notariat où durant deux années, j’ai exercé la fonction de
vice-président. La présidence de l’institut d’études juridiques m’a été confiée
à une période où le Code civil a été profondément réformé : successions,
libéralités, sûretés, incapacités ont été adaptées aux nouveaux modes
d’existence, à la recomposition des familles et à une volonté de fluidifier les
transmissions patrimoniales.
Par la suite, j’ai présidé la Chambre des notaires de Paris à une période riche
de réflexions sur l’organisation de ma profession dans le cadre de la
commission présidée par Jean-Michel Darrois. Après avoir présidé le Cridon de
Paris pendant quatre ans, je suis à ce jour en charge de représenter
l’ensemble des notaires de France dans le cadre de mes fonctions au Conseil
supérieur du notariat.
1 600 notaires
sont apparus ces deux dernières années. Est-ce que tous s’en sortent bien
économiquement ? Des règles d’implantation seraient-elles profitables,
voire salutaires ?
Comme pour toute création d’entreprise, les
démarrages sont naturellement lents. Certains créateurs, qui avaient une
clientèle personnelle, s’en sortent aujourd’hui mieux que d’autres. Mais
au-delà du nombre, ce qu’il convient de noter est la modification possible de
l’image de ma profession. Cette soudaine création d’un très grand nombre
d’offices conduit à une forme d’atomisation des structures. Près d’un office
sur cinq dorénavant n’emploie aucun salarié, ce qui n’était pas le cas
auparavant. Le côté positif est que ces créations permettent la constitution de
réseaux d’offices.
Ce sur quoi nous sommes en revanche particulièrement vigilants est le danger,
par suite de ces nouvelles règles, de conduire à une désertification des zones
rurales. C’est malheureusement déjà avéré, lorsque certains arrondissements ne
comprennent plus d’office quand auparavant ils en avaient au moins un.
Comment le CSN peut-il
aider les 733 nouveaux notaires prévus sous deux ans à réussir leur
envol ?
Le Conseil supérieur, ainsi que l’ensemble des
instances de la profession, sauront accueillir ces nouveaux notaires comme ils
l’ont fait lors de la précédente vague de créations. Des réunions
d’information, des tutorats pour ceux qui le souhaitent, des journées
d’intégration continueront à être organisés afin de veiller à ce que demain
comme hier n’existe qu’un seul notariat.
La cellule assistance au sein du CSN est également présente pour répondre aux
demandes de ces créateurs sur l’organisation juridique de leurs futures études.
Cette volonté d’accueil ne nous empêche pas néanmoins
de constater que la loi croissance n’est pas respectée. Elle-même, dans son article 52, précisait que les créations
devaient se faire à un rythme progressif. 50 % d’offices en plus en deux ans, ce
n’est pas un rythme progressif. Or, cette brusque augmentation mettra
nécessairement en difficulté les études les plus fragiles, c’est-à-dire au
premier chef celles récemment créées. Ces créations ne sont pas une réponse à
une demande de services qui se serait accrue dans la même proportion.
Mais au-delà de cet accueil, je tiens à réaffirmer
que je souhaite établir avec les différentes administrations une relation plus
saine, car aujourd’hui je suis obligé de faire le constat d’une approche
éparpillée des problèmes, sans cohérence d’ensemble, chacun y allant de sa
petite mesure. Le pseudo pragmatisme engendre le désordre, et génère une
inquiétude légitime chez des professionnels qui ne voient légitimement dans ce
mitage qu’une forme de harcèlement.
C’est tout le sens de la convention d’objectifs que
je souhaite signer avec l’État pour fixer les obligations du notariat, et les
engagements de l’État à notre égard.
Une de vos premières
actions a été le renouvellement de l’accord de coopération franco-allemand du
notariat. Pourriez-vous nous en esquisser les grandes lignes ? Le CSN
envisage-t-il d’autres échéances internationales prochainement ?
Le président Bormann et moi-même avons renouvelé à
Trèves, au début du mois de janvier, la convention de coopération qui, depuis
plusieurs années, a été établie entre les deux notariats français et allemand. Nos
deux pays jouent un rôle moteur dans la construction européenne, y compris dans
la construction d’une Europe du droit.
Les axes de notre coopération ont été définis pour
renforcer la collaboration de nos instances professionnelles afin, par exemple,
de pouvoir autant que faire se peut porter d’une voix unique les travaux des
instances européennes du notariat. En outre, plusieurs groupes de travail ont
été organisés afin de partager nos expériences en matière de nouvelles
technologies et pour faciliter la circulation des actes notariés. Nous
organiserons des réunions d’information communes à destination des
ressortissants de nos pays ; pour mieux coopérer nous sommes convenus
d’accueillir et d’échanger des stagiaires ainsi que d’organiser des actions de
formation conjointes. Nous organiserons enfin de concert des manifestations
ensemble, notamment dans le déploiement de nos actions internationales
respectives.
Les régimes matrimoniaux
européens viennent d’entrer en vigueur. Quel est le public concerné par leur
application ? Les mécanismes suivis offrent-ils des choix, comme c’est par
exemple le cas pour les testaments d’individus liés à plusieurs pays ?
Le règlement européen du 24 juin 2007 sur les régimes
matrimoniaux vient en effet d’entrer en vigueur.
Les principes définis par ce règlement reposent sur des notions simples :
universalité pour que la loi applicable soit retenue même si elle n’est pas
celle d’un État participant, unité, tous les biens étant couverts par une même
loi, permanence du rattachement, ce qui est une avancée majeure et exclusion
par principe des questions de renvoi qui était source de complexité et
d’incertitude. C’est une simplification par rapport au régime antérieur. Sont
concernés tous nos concitoyens qui constituent des couples internationaux parce
que la nationalité est différente au sein du couple, parce que leur résidence
change d’État. Le règlement leur laisse le choix de désigner la loi applicable
à leur régime matrimonial, loi de leur nationalité ou de leur résidence
habituelle. S’ils ne le font pas, des critères de rattachement objectif ont été
définis entre la résidence habituelle, la nationalité commune ou encore l’État
avec lequel existaient les liens les plus étroits au moment de la célébration
du mariage.
Malheureusement, et peut-être est-ce l’un des effets
d’une forme de désintérêt, voire de contestation, vis-à-vis de l’idée
européenne, ou encore de rejet que puissent exister des solutions supra
nationales qui pourtant doivent simplifier la vie de nos concitoyens, nombreux
sont les États qui ont décidé de ne pas participer à ce règlement régimes
matrimoniaux. La plupart des pays de l’Europe de l’Est, le Danemark, l’Irlande
n’y participent pas. Cette attitude est révélatrice et diffère de celle adoptée
pour l’application du règlement succession.
La loi pour la
modernisation de la justice a attribué de nouvelles missions aux notaires. Dans
la mesure où les études restent disséminées selon un maillage très fin sur
l’ensemble du territoire quand parallèlement des tribunaux ou des
administrations ferment, pensez-vous que de nouvelles tâches pourraient être
assumées par le notariat ?
Vous avez raison de relever cette caractéristique
essentielle du notariat qu’est le maillage territorial, dont l’utilité est trop
souvent méconnue par certaines administrations parisiennes. Les études ne sont
pas situées près des tribunaux ou près des grands centres administratifs, mais
se trouvent au plus près de leurs clients. Ils les connaissent, savent leurs
besoins, sont au courant des particularités locales. C’est cette présence
partout, y compris dans les territoires les plus reculés qui ancrent les
notaires dans la vie quotidienne. Ils sont donc disponibles et compétents pour
remplacer le juge lorsque dans un effort de clarification, le ministre de la
Justice recentre l’intervention du juge sur sa véritable fonction qui est celle
de trancher un conflit. Dans ce cadre, quelques missions complémentaires ont
été confiées aux notaires, peu nombreuses et très essentiellement liées à des
missions de service public, ou pour remplacer l’accomplissement de certaines
formalités qui étaient inutiles, mais qui rendaient plus complexes des
opérations, telle que l’homologation des changements de régime matrimonial.
Cette démarche pourrait se poursuivre utilement. Je
pense par exemple aux ventes sur saisie immobilière que les notaires pourraient
parfaitement organiser, à l’instar des ventes par adjudication volontaire dont
ils sont coutumiers. Cette organisation n’ôterait naturellement aucune tâche
aux avocats qui continueraient de représenter leurs clients en poursuite ou en
défense.
Le marché immobilier s’est
bien porté en 2018. Le président de la République a émis l’hypothèse d’une
augmentation des taxes de cessions. Quelle est la position des notaires sur ce
point ?
La fiscalité immobilière est déjà en France l’une des
plus élevées de tous les pays développés. La part des prélèvements sur le
patrimoine immobilier qui est un indice parfaitement objectif montre que dans
notre pays, celle-ci s’élève à 3,3 % du PIB. La France se situe au second
rang des pays de l’OCDE. En Allemagne par exemple, cette même part représente
0,8 % du PIB.
Imposer les plus-values immobilières réalisées à
l’occasion de la vente de sa présence principale, qui représentent les trois
quarts de toutes les ventes, comme cela serait imaginé, accroître encore les
droits de mutation à titre de onéreux n’auraient pour conséquence que de
ralentir le marché immobilier. Ces mesures ne pourraient donc qu’être
préjudiciables à l’économie dans son ensemble. L’immobilier représente en effet
près de 10 % des emplois et près de 20 % du PIB de notre pays. Les
notaires alertent les pouvoirs publics sur le danger de mesures qui
conduiraient à paralyser le marché.
Rappelons-nous la période passée lorsqu’entre 1995 et 1997, le marché s’est
considérablement contracté sous le poids des impôts qui avaient été fortement
augmentés. C’est le gouvernement de la cohabitation en 1997 qui avait desserré cet
étau.
La loi fiscale consacre
une large part à la réforme du régime de l’intégration. À l’échelle
internationale, quels avantages/inconvénients y voyez-vous pour les
groupes ?
La loi de finances pour 2019 réforme effectivement le
régime d’intégration fiscale. Est notamment modifié, sans que cette liste soit
complète, le champ des dividendes intra groupe qui sont éligibles au régime
mère-fille. De leur côté, les subventions intra groupe et la quote-part de
frais et charges imposable à raison de plus-values à long terme sont
neutralisées.
Sur le plan politique, la France devait prendre en
considération plusieurs arrêts récents de la Cour de justice de l’Union
européenne qui tient pour contraires à la liberté d’établissement certains des
avantages des régimes de groupe nationaux d’États membres de l’UE, dont le régime de groupe français.
Il ne vous a pas échappé que selon le rapport du
Sénat, cette réforme n’est qu’une étape vers une harmonisation de la fiscalité
des entreprises. L’enjeu est bien de préserver l’attractivité du régime
français tout en évitant des contentieux futurs avec Bruxelles. Il n’en demeure
pas moins, comme l’a souligné un commentateur de la réforme, que « le
régime de groupe français perd peu à peu de son ADN et le régime de
l’intégration fiscale se désintègre peu à peu ».
Une autre mesure fait couler beaucoup d’encre, à savoir la réforme de l’abus de droit par la nouvelle
définition qui en est donnée et la création d’une fraude à la loi à deux
étages. La substitution du mot « principalement » au mot
« exclusivement » agite évidemment la planète des conseils et
autres cabinets dont la spécialité était, il faut bien le reconnaître,
l’ingénierie funambulesque conduisant à des montages exotiques. Le notariat
n’est pas concerné. Il faut néanmoins espérer que l’application de cette
nouvelle définition sera raisonnable.
Propos recueillis par Myriam de Montis