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Entretien avec Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat

Entretien avec Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat
Publié le 04/03/2019 à 16:46

Jean-François Humbert, 61 ans, est notaire associé à Paris depuis 1989. Élu à la présidence du Conseil supérieur du notariat (CSN) en octobre dernier, celui-ci défend « une profession indépendante qui s’agrandit, une profession reconnue et respectée qui est utile à tous, clients comme pouvoirs publics, une profession unie et solidaire qui garantit à tous ses membres, sans exception, un espace de développement et d’épanouissement ». Pour le Journal Spécial des Sociétés, il a accepté de revenir sur ses premiers mois de présidence. Entretien.


 


Maître Humbert, vous êtes notaire associé depuis 1989. Vous dirigez une étude à Paris dans le 18e arrondissement. Avant la présidence du CSN, avez-vous déjà connu l’expérience de mandats de représentation de la profession ?


Depuis 20 ans, mes confrères m’ont en effet fait l’honneur de m’accorder leur confiance à de nombreuses reprises. J’ai ainsi été membre de la Chambre des notaires de Paris, puis une première fois délégué au Conseil supérieur du notariat où durant deux années, j’ai exercé la fonction de vice-président. La présidence de l’institut d’études juridiques m’a été confiée à une période où le Code civil a été profondément réformé : successions, libéralités, sûretés, incapacités ont été adaptées aux nouveaux modes d’existence, à la recomposition des familles et à une volonté de fluidifier les transmissions patrimoniales.
Par la suite, j’ai présidé la Chambre des notaires de Paris à une période riche de réflexions sur l’organisation de ma profession dans le cadre de la commission présidée par Jean-Michel Darrois. Après avoir présidé le Cridon de Paris pendant quatre ans, je suis à ce jour en charge de représenter l’ensemble des notaires de France dans le cadre de mes fonctions au Conseil supérieur du notariat.


 


1 600 notaires sont apparus ces deux dernières années. Est-ce que tous s’en sortent bien économiquement ? Des règles d’implantation seraient-elles profitables, voire salutaires ?


Comme pour toute création d’entreprise, les démarrages sont naturellement lents. Certains créateurs, qui avaient une clientèle personnelle, s’en sortent aujourd’hui mieux que d’autres. Mais au-delà du nombre, ce qu’il convient de noter est la modification possible de l’image de ma profession. Cette soudaine création d’un très grand nombre d’offices conduit à une forme d’atomisation des structures. Près d’un office sur cinq dorénavant n’emploie aucun salarié, ce qui n’était pas le cas auparavant. Le côté positif est que ces créations permettent la constitution de réseaux d’offices.
Ce sur quoi nous sommes en revanche particulièrement vigilants est le danger, par suite de ces nouvelles règles, de conduire à une désertification des zones rurales. C’est malheureusement déjà avéré, lorsque certains arrondissements ne comprennent plus d’office quand auparavant ils en avaient au moins un.


 


Comment le CSN peut-il aider les 733 nouveaux notaires prévus sous deux ans à réussir leur envol ?


Le Conseil supérieur, ainsi que l’ensemble des instances de la profession, sauront accueillir ces nouveaux notaires comme ils l’ont fait lors de la précédente vague de créations. Des réunions d’information, des tutorats pour ceux qui le souhaitent, des journées d’intégration continueront à être organisés afin de veiller à ce que demain comme hier n’existe qu’un seul notariat.
La cellule assistance au sein du CSN est également présente pour répondre aux demandes de ces créateurs sur l’organisation juridique de leurs futures études.


Cette volonté d’accueil ne nous empêche pas néanmoins de constater que la loi croissance n’est pas respectée. Elle-même, dans son article 52, précisait que les créations devaient se faire à un rythme progressif. 50 % d’offices en plus en deux ans, ce n’est pas un rythme progressif. Or, cette brusque augmentation mettra nécessairement en difficulté les études les plus fragiles, c’est-à-dire au premier chef celles récemment créées. Ces créations ne sont pas une réponse à une demande de services qui se serait accrue dans la même proportion.


Mais au-delà de cet accueil, je tiens à réaffirmer que je souhaite établir avec les différentes administrations une relation plus saine, car aujourd’hui je suis obligé de faire le constat d’une approche éparpillée des problèmes, sans cohérence d’ensemble, chacun y allant de sa petite mesure. Le pseudo pragmatisme engendre le désordre, et génère une inquiétude légitime chez des professionnels qui ne voient légitimement dans ce mitage qu’une forme de harcèlement.


C’est tout le sens de la convention d’objectifs que je souhaite signer avec l’État pour fixer les obligations du notariat, et les engagements de l’État à notre égard.


 


Une de vos premières actions a été le renouvellement de l’accord de coopération franco-allemand du notariat. Pourriez-vous nous en esquisser les grandes lignes ? Le CSN envisage-t-il d’autres échéances internationales prochainement ?


Le président Bormann et moi-même avons renouvelé à Trèves, au début du mois de janvier, la convention de coopération qui, depuis plusieurs années, a été établie entre les deux notariats français et allemand. Nos deux pays jouent un rôle moteur dans la construction européenne, y compris dans la construction d’une Europe du droit.


Les axes de notre coopération ont été définis pour renforcer la collaboration de nos instances professionnelles afin, par exemple, de pouvoir autant que faire se peut porter d’une voix unique les travaux des instances européennes du notariat. En outre, plusieurs groupes de travail ont été organisés afin de partager nos expériences en matière de nouvelles technologies et pour faciliter la circulation des actes notariés. Nous organiserons des réunions d’information communes à destination des ressortissants de nos pays ; pour mieux coopérer nous sommes convenus d’accueillir et d’échanger des stagiaires ainsi que d’organiser des actions de formation conjointes. Nous organiserons enfin de concert des manifestations ensemble, notamment dans le déploiement de nos actions internationales respectives.


 


Les régimes matrimoniaux européens viennent d’entrer en vigueur. Quel est le public concerné par leur application ? Les mécanismes suivis offrent-ils des choix, comme c’est par exemple le cas pour les testaments d’individus liés à plusieurs pays ?


Le règlement européen du 24 juin 2007 sur les régimes matrimoniaux vient en effet d’entrer en vigueur.
Les principes définis par ce règlement reposent sur des notions simples : universalité pour que la loi applicable soit retenue même si elle n’est pas celle d’un État participant, unité, tous les biens étant couverts par une même loi, permanence du rattachement, ce qui est une avancée majeure et exclusion par principe des questions de renvoi qui était source de complexité et d’incertitude. C’est une simplification par rapport au régime antérieur. Sont concernés tous nos concitoyens qui constituent des couples internationaux parce que la nationalité est différente au sein du couple, parce que leur résidence change d’État. Le règlement leur laisse le choix de désigner la loi applicable à leur régime matrimonial, loi de leur nationalité ou de leur résidence habituelle. S’ils ne le font pas, des critères de rattachement objectif ont été définis entre la résidence habituelle, la nationalité commune ou encore l’État avec lequel existaient les liens les plus étroits au moment de la célébration du mariage.


Malheureusement, et peut-être est-ce l’un des effets d’une forme de désintérêt, voire de contestation, vis-à-vis de l’idée européenne, ou encore de rejet que puissent exister des solutions supra nationales qui pourtant doivent simplifier la vie de nos concitoyens, nombreux sont les États qui ont décidé de ne pas participer à ce règlement régimes matrimoniaux. La plupart des pays de l’Europe de l’Est, le Danemark, l’Irlande n’y participent pas. Cette attitude est révélatrice et diffère de celle adoptée pour l’application du règlement succession.


 


La loi pour la modernisation de la justice a attribué de nouvelles missions aux notaires. Dans la mesure où les études restent disséminées selon un maillage très fin sur l’ensemble du territoire quand parallèlement des tribunaux ou des administrations ferment, pensez-vous que de nouvelles tâches pourraient être assumées par le notariat ?


Vous avez raison de relever cette caractéristique essentielle du notariat qu’est le maillage territorial, dont l’utilité est trop souvent méconnue par certaines administrations parisiennes. Les études ne sont pas situées près des tribunaux ou près des grands centres administratifs, mais se trouvent au plus près de leurs clients. Ils les connaissent, savent leurs besoins, sont au courant des particularités locales. C’est cette présence partout, y compris dans les territoires les plus reculés qui ancrent les notaires dans la vie quotidienne. Ils sont donc disponibles et compétents pour remplacer le juge lorsque dans un effort de clarification, le ministre de la Justice recentre l’intervention du juge sur sa véritable fonction qui est celle de trancher un conflit. Dans ce cadre, quelques missions complémentaires ont été confiées aux notaires, peu nombreuses et très essentiellement liées à des missions de service public, ou pour remplacer l’accomplissement de certaines formalités qui étaient inutiles, mais qui rendaient plus complexes des opérations, telle que l’homologation des changements de régime matrimonial.


Cette démarche pourrait se poursuivre utilement. Je pense par exemple aux ventes sur saisie immobilière que les notaires pourraient parfaitement organiser, à l’instar des ventes par adjudication volontaire dont ils sont coutumiers. Cette organisation n’ôterait naturellement aucune tâche aux avocats qui continueraient de représenter leurs clients en poursuite ou en défense.


 


Le marché immobilier s’est bien porté en 2018. Le président de la République a émis l’hypothèse d’une augmentation des taxes de cessions. Quelle est la position des notaires sur ce point ?


La fiscalité immobilière est déjà en France l’une des plus élevées de tous les pays développés. La part des prélèvements sur le patrimoine immobilier qui est un indice parfaitement objectif montre que dans notre pays, celle-ci s’élève à 3,3 % du PIB. La France se situe au second rang des pays de l’OCDE. En Allemagne par exemple, cette même part représente 0,8 % du PIB.


Imposer les plus-values immobilières réalisées à l’occasion de la vente de sa présence principale, qui représentent les trois quarts de toutes les ventes, comme cela serait imaginé, accroître encore les droits de mutation à titre de onéreux n’auraient pour conséquence que de ralentir le marché immobilier. Ces mesures ne pourraient donc qu’être préjudiciables à l’économie dans son ensemble. L’immobilier représente en effet près de 10 % des emplois et près de 20 % du PIB de notre pays. Les notaires alertent les pouvoirs publics sur le danger de mesures qui conduiraient à paralyser le marché.


Rappelons-nous la période passée lorsqu’entre 1995 et 1997, le marché s’est considérablement contracté sous le poids des impôts qui avaient été fortement augmentés. C’est le gouvernement de la cohabitation en 1997 qui avait desserré cet étau.


 


La loi fiscale consacre une large part à la réforme du régime de l’intégration. À l’échelle internationale, quels avantages/inconvénients y voyez-vous pour les groupes ?


La loi de finances pour 2019 réforme effectivement le régime d’intégration fiscale. Est notamment modifié, sans que cette liste soit complète, le champ des dividendes intra groupe qui sont éligibles au régime mère-fille. De leur côté, les subventions intra groupe et la quote-part de frais et charges imposable à raison de plus-values à long terme sont neutralisées.


Sur le plan politique, la France devait prendre en considération plusieurs arrêts récents de la Cour de justice de l’Union européenne qui tient pour contraires à la liberté d’établissement certains des avantages des régimes de groupe nationaux d’États membres de l’UE, dont le régime de groupe français.


Il ne vous a pas échappé que selon le rapport du Sénat, cette réforme n’est qu’une étape vers une harmonisation de la fiscalité des entreprises. L’enjeu est bien de préserver l’attractivité du régime français tout en évitant des contentieux futurs avec Bruxelles. Il n’en demeure pas moins, comme l’a souligné un commentateur de la réforme, que « le régime de groupe français perd peu à peu de son ADN et le régime de l’intégration fiscale se désintègre peu à peu ».


Une autre mesure fait couler beaucoup d’encre, à savoir la réforme de l’abus de droit par la nouvelle définition qui en est donnée et la création d’une fraude à la loi à deux étages. La substitution du mot « principalement » au mot « exclusivement » agite évidemment la planète des conseils et autres cabinets dont la spécialité était, il faut bien le reconnaître, l’ingénierie funambulesque conduisant à des montages exotiques. Le notariat n’est pas concerné. Il faut néanmoins espérer que l’application de cette nouvelle définition sera raisonnable.


 


Propos recueillis par Myriam de Montis


 


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