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Entretien avec Jérôme Fournel, directeur général de la Direction générale des Finances publiques

Entretien avec Jérôme Fournel, directeur général de la Direction générale des Finances publiques
Publié le 30/03/2020 à 12:06

La Direction générale des Finances publiques (DGFiP), direction de l’administration publique centrale qui dépend du ministère de l’Action et des Comptes publics, contribue à la solidité financière des institutions publiques et favorise un environnement de confiance dans la société, l’économie et les territoires. Modernisation des services, délocalisation… Zoom sur l’actualité de la DGFiP avec son directeur général, Jérôme Fournel.


 


Pouvez-vous revenir brièvement sur votre parcours ?


Après avoir été diplômé de HEC et de l’ENA, j’ai commencé ma carrière à la direction du budget en 1995, puis j’ai rejoint le FMI à Washington en 1999. À mon retour en France mi-2002, j’ai rejoint les cabinets ministériels, d’abord comme conseiller du ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, puis, à compter de 2004, comme conseiller budgétaire du Premier ministre, puis responsable du pôle économique auprès du Premier ministre.


En 2007, je suis devenu directeur général des douanes et des droits indirects, avant de rejoindre l’IGF en 2013 et de présider notamment le conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. En 2017, je retrouve les cabinets ministériels comme directeur de cabinet auprès de Gérald Darmanin.


C’est depuis mai 2019 que je suis à la tête de la Direction générale des Finances publiques.


 


Quelles ont été les grandes actualités marquant l’année 2019 ?


2019 a débuté par le prélèvement à la source, modifiant profondément le mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu. Le bilan est très positif : 38 millions de foyers fiscaux concernés, une appropriation par les contribuables avec 6 millions d’opérations de gestion de prélèvement, des entités soumises à la DSN très bien préparées et une approbation massive de la réforme par les Français.


Nous avons aussi accéléré dans la mise en œuvre de la loi ESSOC, avec déjà une trentaine de groupes entrés dans le partenariat fiscal et 135 PME dans le dispositif d’accompagnement fiscal personnalisé. Des pratiques nouvelles ont pris un essor considérable avec 35 000 régularisations en cours de contrôle, soit dix fois plus qu’en 2018.


2019 est aussi l’année où nous avons commencé à tirer parti de la loi de lutte contre la fraude, via une pénalisation accrue, mais également des possibilités plus importantes de transaction.


D’autres évolutions ont eu lieu en matière d’exploitation des échanges automatisés et d’intelligence artificielle au service du contrôle.


Enfin, il me faut parler de la grande réorganisation des services de la DGFiP, dont les jalons ont été posés en 2019 : il s’agit du nouveau réseau de proximité qui vise à transformer nos modes de présence dans les territoires.



« À terme, tous les actes et déclarations soumis à l’enregistrement
pourront être déposés en ligne. »


 



Quels sont les chantiers à venir pour 2020 ?


En 2020, nous poursuivrons la démarche du Nouveau Réseau de proximité, qui proposera nos services au plus proche des élus et des usagers : plus de professionnalisme, plus de conseil, plus de proximité. Les premiers effets de ce grand projet commencent en 2020, et se poursuivront en 2021 et 2022.


Un autre chantier innovant pour 2020 est celui de la déclaration automatique. Après la déclaration de revenus en ligne, qui a conquis un grand nombre de contribuables (70 % des foyers fiscaux en 2019), la déclaration préremplie du contribuable éligible sera automatiquement prise en compte par l’administration s’il ne modifie rien. Ce chantier, structurant pour notre maison, sera porteur d’allègement de tâches pour nos agents, et d’allègement de démarches pour nos usagers.


Par ailleurs, les évolutions numériques du contrôle fiscal vont se poursuivre en 2020 avec de grands chantiers concernant l’utilisation de la donnée. Nous faisons monter en puissance les outils de big data, avec la mise en place d’un lac de données afin de toujours mieux cibler les contrôles et d’en améliorer l’efficacité.


 


La DGFiP a récemment apporté des précisions sur la nouvelle règle de la répression de l'abus de droit fiscal. Qu’indiquent-elles, en substance ?


Avant cette nouvelle règle, codifiée à l’article L. 64 A du livre des procédures fiscales, seuls les actes à but exclusivement fiscal étaient concernés par des dispositions générales anti-abus. Désormais, l’administration peut écarter les actes à but principalement fiscal, pris à compter du 1er janvier 2020.


Le choix de la voie fiscale la moins imposée reste ouverte au contribuable, s’il ne se place pas artificiellement dans une situation visée par le législateur pour remplir un objectif principalement fiscal.


Les commentaires administratifs publiés soulignent aussi que l’application du nouveau texte suppose, comme celle des dispositions préexistantes en matière d’abus de droit, que le contribuable fasse une application d’un texte de loi qui va à l’encontre des objectifs du législateur.


Précisons que la nouvelle règle concerne tous les impôts, sauf l’impôt sur les sociétés, visé par une clause anti-abus spécifique.


Enfin, le texte ne prévoit pas l’application automatique d’une sanction, à la différence des dispositions préexistantes relatives à l'abus de droit. L’administration doit ainsi motiver spécifiquement les pénalités de droit commun qu'elle appliquera en cas d'abus démontré par ses services de contrôle.


 


Les bons résultats de la lutte contre la fraude ont été très médiatisé. Pouvez-vous nous parler de ces algorithmes qui permettent de mieux cibler les contrôles fiscaux ?


Pour valoriser le grand nombre de données dont dispose la DGFiP, nous avons engagé la modernisation des travaux de ciblage des contrôles fiscaux avec la mission requête et valorisation (MRV) qui développe l'utilisation des nouvelles méthodes d'analyse de données et le décloisonnement des données via un entrepôt unique.


Nous sommes capables d’identifier des critères et d’établir un profil de fraude appliqué ensuite à une population cible, grâce à des techniques d’apprentissage automatique reposant sur trois outils principaux :


les modèles supervisés (analyse des contrôles réalisés au cours des années antérieures) ;


les modèles non supervisés (détection des groupes d'entreprises ou de particuliers ayant un comportement assimilable à de la fraude) ;


l'analyse de réseaux (détection des entités ayant une proximité forte avec des personnes fraudeuses ou suspectes).


Ces outils sont des aides à la programmation des contrôles mais, naturellement, l’humain, le vérificateur reprend la main soit pour écarter une programmation non pertinente, soit pour réaliser le contrôle.


 


De nombreuses formalités légales peuvent être réalisées de manière dématérialisée, mais les services de l’État travaillent toujours avec une version papier pour enregistrer les actes des sociétés. Avez-vous des réflexions en cours sur ce sujet ?


La DGFiP travaille actuellement à la dématérialisation de l'enregistrement et à sa simplification.


Côté dématérialisation, nous concevons un téléservice de dépôt en ligne des déclarations de dons, de succession et de cessions de droits sociaux. Les premiers dépôts dématérialisés des déclarations de dons par les particuliers sont prévus en janvier 2021, et courant 2021 pour les déclarations de cessions de droits sociaux non constatées par un acte. À terme, tous les actes et déclarations soumis à l'enregistrement pourront être déposés en ligne.


Côté simplification, l’enregistrement des actes de prorogation et de dissolution de société n’est plus obligatoire depuis le 1er janvier 2020.


 


Suite à une réorganisation des services d’enregistrements (SDE) d’actes pour les sociétés, tels que l’augmentation ou la réduction de capital, les délais de traitement ont été fortement allongés ces derniers temps, pénalisant les entreprises qui doivent faire des formalités au Registre du commerce et des sociétés (RCS) de mise à jour de leur Kbis. Comptez-vous proposer des solutions sur ce point ?


Entre 2016?et 2019, la DGFiP a réorganisé et rationalisé le réseau des services chargés de l'enregistrement. La mission, auparavant exercée dans les services des impôts des entreprises, est maintenant assurée par des services dédiés, spécialisés dans les matières mêlant droit civil et droit fiscal. Dans la plupart des départements, ce sont des services de la publicité foncière et de l'enregistrement (SPFE). Dans les départements aux plus gros enjeux, ainsi qu'en Alsace-Moselle pour des raisons historiques que vous connaissez s'agissant du RCS, ce sont les services départementaux de l'enregistrement (SDE).


Toute réorganisation d'ampleur peut générer des retards dans les premiers temps. Ils se résorbent actuellement et la poursuite des chantiers de transformation sur ces sujets fait de la résorption des délais un axe prioritaire. Par ailleurs, comme je l’ai indiqué précédemment, le dépôt des actes et déclarations va progressivement, dès 2021 pour certains actes de sociétés, relever de procédures dématérialisées, ce qui facilitera et accélérera leur traitement et améliorera encore la qualité de service qu'attendent – et c'est bien légitime – les entrepreneurs.


 


Votre Direction est largement concernée par la modernisation des services publics. Pouvez-vous nous en dire plus ?


Je l’ai dit plus haut, la DGFiP a entamé la démarche du Nouveau réseau de proximité (NRP).


Cette réforme s’envisage tout d’abord sous l’angle de l’accueil de proximité : la nouvelle carte de nos services fait l’objet de concertations dans chaque département.


Le second axe porte sur notre offre de services aux collectivités territoriales, désormais articulée autour d’un cadre dédié au conseil au plus près des élus (le conseiller aux décideurs locaux), et des services de gestion comptable chargés des tâches courantes.


Nous avons aussi entamé une démarche de modernisation du recouvrement des créances publiques. Depuis début 2019, l’unification du recouvrement entre DGFiP et Douane se traduit par le transfert progressif à la DGFiP de certaines taxes gérées par la Douane.


À plus long terme, un portail unique de recouvrement commun à la DGFiP, la DGDDI et l’ACOSS permettra aux entreprises de satisfaire une partie des obligations fiscales et sociales.


Enfin, la DGFiP s’est engagée dans une stratégie numérique ambitieuse. Au-delà de la dématérialisation de nos procédures, la modernisation de nos services passe par l’utilisation accrue de la donnée et de l’intelligence artificielle pour travailler encore plus efficacement. Les traitements analytiques et prédictifs se multiplient, que ce soit dans le domaine du contrôle fiscal, de la dépense, de la détection précoce des entreprises en difficulté ou de la relation avec nos usagers.


 


Basée en Île-de-France, la DGFiP envisage de délocaliser ses services en région. Quels facteurs sont venus motiver ce choix ?


Conformément aux volontés du gouvernement et notamment du ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, un mouvement de démétropolisation de nos services va être engagé. L’objectif est de désengorger les métropoles et grandes villes en transférant certaines missions vers des villes moyennes, tout en offrant aux agents volontaires une meilleure qualité de vie. La délocalisation portera sur 3 000 emplois au sein du ministère de l’Action et des Comptes publics, dont 2 500 au sein de la DGFiP, pour des services administratifs qui, sauf exception, n’ont pas vocation à accueillir physiquement les usagers puisqu’ils regrouperont des tâches d’appui ou à distance.


Suite à l’appel à candidatures lancé le 17 octobre 2019, 408 collectivités ont manifesté leur intérêt pour l’accueil de nos services.


Une première liste de cinquante collectivités éligibles à l’accueil de certains de nos services a été diffusée fin janvier, et une sélection complémentaire de candidatures devrait être effectuée d’ici quelques semaines.


 


Propos recueillis par Myriam de Montis


 


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