Auteur de deux essais
qui traitent de l’évolution de la société depuis quelques décennies, – 50 ans de mariage et Et comment vont les enfants ? – Maître Pierre Dauptain, notaire depuis 1996, revient sur les
impacts que ces changements ont engendré dans la pratique de la profession
notariale et sur l’évolution du rôle du notaire, qui est aujourd’hui amené à
remplir des missions autrefois dévolues aux juges. Face à la complexité de
certaines situations, notamment successorales et patrimoniales, le notaire est
devenu un véritable conseiller familial.
Pouvez-vous vous présenter ?
J’ai 55 ans, j’ai été nommé notaire en 1996 et j’ai récemment publié
deux essais aux éditions L’Harmattan-Pepper ; le premier – 50 ans de mariage – sur l’évolution du couple au cours des cinquante
dernières années, le second – Et comment vont les enfants ? – sur
celle de la parentalité. Dans ces ouvrages, je propose un regard notarial, mais
aussi sociologique et historique, sur des sujets qui nous concernent tous, et
que j’illustre par des références à des ouvrages juridiques, des débats
parlementaires, des articles parus dans la presse ou sur le net, mais aussi des
chansons et des films qui ont marqué ces années et sont le reflet de ces
évolutions.
En tant qu’observateur
privilégié de la société, quels sont les grands changements sociétaux, dans les
domaines de la famille et du patrimoine, auxquels vous avez assisté depuis que
vous exercez ?
Le changement le plus remarquable est sans doute que
l’on est passé d’une société de la permanence à une société de l’éphémère. Là
où nos aînés ne connaissaient qu’un mariage, un métier exercé le plus souvent
dans la même entreprise durant toute leur carrière, un logement acquis après le
mariage et qu’ils conservaient toute leur vie, les jeunes d’aujourd’hui ont
probablement devant eux plusieurs vies : des unions successives, avec ou sans
enfants, avec ou sans mariage, des carrières professionnelles accidentées avec
des périodes de recherche d’emploi, d’autres en CDD ou en auto-entreprise, et
différents logements, pas toujours dans la même région ou dans le même pays,
puisque la mobilité est devenue une vertu.
En quoi ces mutations
ont-elles eu un impact sur votre activité ? Avez-vous affaire au même type
de clients qu’il y a 20 ans par exemple ?
Les deux principaux impacts que l’on observe sur
l’activité des notaires sont sur la durée de détention des résidences
principales qui devient de plus en plus courte et, bien entendu, sur la
multiplication des séparations au sein de couples mariés comme de couples non
mariés. Les deux phénomènes pouvant au reste être liés, puisque la raison
pour laquelle on revendra un bien sera malheureusement parfois la séparation du
couple qui l’a acquis.
La législation est-elle
devenue plus compliquée à mettre en œuvre, notamment en ce qui concerne les
successions et les héritages ?
C’est surtout au regard des ventes immobilières que
la législation s’est complexifiée dans le souci de la protection de
l’acquéreur, avec les réglementations en matière de diagnostics, mais aussi la
loi Alur, qui nécessite de réunir un grand nombre d’informations avant la
signature de la promesse de vente, et la loi SRU, qui ouvre un délai de
rétractation au bénéficiaire de la promesse de vente.
Pour ce qui concerne le droit de la famille, c’est
le phénomène de déjudiciarisation qui peut être souligné. Le notaire, de plus
en plus, est amené à remplir des rôles autrefois dévolus au juge. Il s’est vu
confier de nouvelles missions : par exemple, constater la saisine du
légataire universel désigné par testament olographe (la procédure d’envoi en
possession n’est plus systématique), recueillir les déclarations de
renonciation à succession, constater l’acceptation pure et simple d’une
succession par un majeur sous tutelle.
Plus généralement, on assiste à une multiplication de lois tendant à donner au
citoyen la maîtrise de son existence et à le rendre libre de conduire la vie
qu’il souhaite, à se détacher du poids de l’opinion publique et de la morale.
On peut citer bien sûr le divorce par consentement mutuel (qui entre également
dans le mouvement de déjudiciarisation) qui n’est plus prononcé par un juge,
mais constaté par le notaire après que les époux ont signé une convention de
divorce par acte d’avocat. Une réforme qui est venue bousculer l’idée d’un
mariage institution au profit d’un mariage contrat.
On peut évoquer le pacs, premier pas vers
l’officialisation des couples homosexuels, suivi du mariage pour tous. Pour la
maîtrise de la parentalité, on peut se reporter, si l’on veut remonter dans le
temps, à la légalisation de la pilule et à celle de l’avortement, puis aux
premières lois de bioéthique qui ont réglementé l’assistance que la médecine
pouvait apporter aux couples infertiles.
Enfin, concernant le risque de perdre ses facultés
cérébrales sur la fin de sa vie, on peut parler du mandat de protection future,
qui vise à permettre d’éviter une tutelle et de garder la maîtrise de la perte
éventuelle de son discernement.
La loi Claeys-Leonetti de
2016 autorise tout citoyen à rédiger ses directives
anticipées. En quoi consiste ces dernières, et quels sont leurs effets ?
Les directives anticipées vont dans le sens de ce
mouvement de maîtrise de son existence. Elles permettent d’exprimer sa volonté
relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de
la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux. Elles
sont apparues dans la loi Leonetti de 2005. Et la loi Claeys-Leonetti de 2016? es a rendues quasi
contraignantes pour le médecin.
« Les
directives anticipées
vont dans le sens de ce mouvement de maîtrise de son existence ».
Quel est le profil des
personnes qui rédigent leurs directives anticipées ?
Les personnes qui interrogent leur notaire au sujet
des directives anticipées expriment presque toujours leur hantise de subir un
acharnement thérapeutique. Pour autant, les Français qui rédigent leurs
directives anticipées restent rares. Le docteur Christine Decherf a observé,
lors de la conférence sur le thème de la fin de vie qui s’est tenue à la
Chambre des notaires de Paris avec Alain Finkielkraut, qu’à l’entrée de son
unité de soins palliatifs qu’elle a créée à Arras, seulement 3 % des
patients ont fait cette démarche, et ce, alors que la plupart sont pourtant
atteints depuis un certain temps, d’une maladie évolutive.
Le projet de loi bioéthique sera examiné en
septembre a décrété le Premier ministre. Les notaires ont-ils été
consultés lors de l’élaboration de ce texte ? Quelles recommandations
générales feriez-vous si vous étiez vous-même consulté ?
Que je sache, le projet de loi bioéthique qui sera examiné en septembre
ne traitera pas de la fin de vie : la loi Claeys-Leonetti de 2016? st très récente et encore trop méconnue pour qu’il s’agisse déjà de la
modifier. Il sera en revanche traité de la PMA (Procréation médicalement
assistée) dite « pour toutes ». Je ne sais pas si les notaires
ont été consultés à ce sujet, mais j’estime qu’il serait utile qu’ils le soient
pour deux raisons. La première est qu’alors qu’auparavant, il partageait ce
rôle avec le juge, le notaire est dorénavant le seul désigné par le législateur
pour recueillir le consentement à une PMA avec un tiers donneur. Or, une PMA
pour un couple de femmes ou pour une femme seule nécessitera, par définition,
l’intervention d’un tiers donneur. La seconde raison est que le notaire se
trouve dans son activité au cœur des familles, et qu’il reçoit ainsi les
confidences de ses clients sur ces sujets délicats et intimes de la filiation.
Quant à la principale recommandation que je ferais si j’étais consulté sur le
sujet, ce serait de distinguer, beaucoup plus qu’on ne le fait aujourd’hui, la
question de la PMA pour les couples de femmes et celle de la PMA pour les
femmes seules. Les enjeux sont tout à fait différents. Dans un cas, il s’agit
de poursuivre un mouvement législatif et sociétal entamé depuis la loi de 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe et, par là-même, qui a déjà
légalisé l’homoparentalité via l’adoption. Dans le second, de savoir si
la loi doit proposer l’assistance des médecins pour créer des familles
monoparentales.
Propos
recueillis par Maria-Angélica Bailly