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Entretien avec Philippe Coen, fondateur et président de Respect Zone

Entretien avec Philippe Coen, fondateur et président de Respect Zone
Publié le 26/06/2019 à 10:03

Engagée dans la lutte contre la cyberviolence et ses conséquences, Respect Zone, fondée par Philippe Coen, défend un Internet plus sûr. Parmi les moyens mis en place par l’ONG, celle-ci invite tout un chacun – particuliers, entreprises, institutions, etc. – à signer la Charte Respect Zone, engagement récemment pris par le Journal Spécial des Sociétés. Prônant des règles minimales de vivre-ensemble et de tolérance à l’égard d’autrui, Philippe Coen revient, à travers cet entretien, sur le lancement de l’association, ses missions, et plus largement, sur la régulation des réseaux sociaux.


 


Quand et comment est née l’ONG Respect Zone ?


Respect Zone est née d’un double constat. Celui du caractère irrespirable des échanges en ligne entre individus, et du constat qui rend insupportable le fait de ne savoir que faire lorsqu’un individu, ou un groupe d’individus, se fait violenter sur Internet. Le fait que la logique du respect soit le grand oublié de la construction digitale m’inquiète au plus haut point. Aussi, mes enfants ont été témoins de cyberviolence (notamment contre un enseignant), et je me voyais mal leur répondre : « sur Internet, on n’a pas de recours en pratique, trop long, trop cher, trop complexe ou en vain ». En tant que parent, citoyen, nous n’avons pas besoin d’avoir été directement victime pour se mobiliser contre la haine ou le harcèlement, ou même les incivilités. Lorsque la haine gagne, l’expression se bride. La passivité a permis les pires drames de l’histoire. Ce drame, il se déroule à petit feu sur Twitter, etc., et à n’y rien faire, on laisse faire. Ce combat est un combat de liberté d’expression en fait. Et d’une manière plus globale, j’ai cette conviction qu’un citoyen est un acteur, et qu’il se doit de répondre à la devise qui m’inspire le plus : « fais ce que dois ».


 


Pouvez-vous nous présenter vos missions ? Que contient la Charte de l’association, à laquelle plus de 600 signataires ont adhéré ?


Les usagers individuels, personnes physiques, ont accès en licence gratuite de « creative commons » à notre label Respect Zone qui fonctionne comme un tag, un nudge (coup de pouce), ou un badge d’engagement, et donc de défense en ligne. Il est utilisé sur la photo de profil ou les sites Internet des individus (plusieurs milliers) ou des entreprises. Respect Zone compte effectivement 600 signataires de la Charte en ligne, mais aussi 10 000 followers sur Facebook, près de 1 000 sur Instagram et 2 000 sur Twitter. 3 500 ont déjà signé l’appel à « libérer le respect sur les réseaux sociaux » dont Christiane Féral-Schuhl, Christian Charrière-Bournazel, Rafael Nadal, Arnaud Clément, Philippe Santoro, Éliette Abécassis, Laura Flessel, Jean-Michel Apathie, Emmanuel Pierrat, Bernard Cazeneuve, des chefs d’entreprise, et nombre de juristes en entreprise qui sont à l’origine de ce mouvement.


La Charte est excessivement courte et simple (juste 4 paragraphes compréhensibles dès l’âge de 9 ans, (voir en bas de page). Elle dit pourtant, en mots simples mais précis, les choses essentielles de l’engagement pour le respect de la personne humaine en ligne. Cet outil juridique, défendu par le droit des marques, opère comme un code d’auto éthique sur les espaces de parole en ligne. Pour résumer, la charte Respect Zone dit tout simplement : « je ne viole pas la loi du respect de base quand je m’exprime, et lorsque je suis en charge d’un espace, que je sois un jeune, un moins jeune, une organisation, je modère les espaces numériques donc j’ai la charge ».


 


En 2018, un Cercle des juristes, composé de 70 avocats, directeurs juridiques, juristes, magistrats, étudiants… a été créé. Pouvez-vous nous en dire plus ?


Suite à la labellisation des plus hautes instances du droit en France, avec l’AFJE (Association française des juristes entreprise), le CNB (Conseil national des barreaux), le Barreau de Paris, l’APRAM (Association des praticiens du droit des marques et des modèles), et bientôt le Cercle Montesquieu, etc., cette initiative de juristes se devait de constituer son Cercle des juristes. En juin 2018, j’ai proposé de créer un rassemblement des juristes pour le respect en ligne. En m oins d’un an, le nombre des juristes est passé à 70 experts de tous âges, expériences et métiers. Des professeurs, des juristes, des avocats, des étudiants en droit constituent ce groupe si utile à la lutte contre les cyberviolences. Il est bien difficile en effet de lutter contre les cyberviolences sans procéder en maillage de compétence. La défense des droits humains sur Internet demande des compétences variées : protection des données personnelles, pénales, civiles, consommation, cybersécurité, droit à l’image, expérience de l’atteinte à la réputation, droit de la presse, droit international… Travailler en réseaux de compétence bénévole est assurément un plus pour venir au secours des victimes. Notre cellule d’aide et d’orientation gratuite des victimes de cyberviolences est particulièrement équipée avec ce réseau ouvert de compétence. Toutes les bonnes volontés sont bienvenues.


Le Cercle des juristes assure aussi la mission de représentation de l’ONG auprès des pouvoirs publics et suit la feuille de route qui consiste à porter les 50 propositions de textes de droit souple pour améliorer les systèmes de prévention du fléau du cyberharcèlement, de la cyberhaine et la de cyberadicalisation.


 


Le CNB, qui a récemment adhéré à votre ONG, a lancé, de concert avec le ministère de l’Éducation nationale, la 1re Journée du droit dans les collèges, et dont la thématique était consacrée, pour cette première édition aux « droits et devoirs de chacun sur les réseaux sociaux ». Quel regard portez-vous sur cette initiative ?


Cette initiative est admirable. Avec notre partenariat nouvellement créé, l’initiative en collège prendra, pour le CNB, une ampleur nouvelle : celle de permettre à des juristes de rejoindre les rangs des avocats pour ces interventions en classe, et ne plus à avoir à faire « bande à part », permettant aussi de pérenniser le travail du CNB. En labellisant « Respect Zone » chaque école visitée lors de la journée du droit, le CNB peut désormais laisser la trace positive de son passage éducatif, et lancer, à chaque intervention, le programme scolaire « Respect Zone », qui s’inscrit sur l’année entière, avec ses activités, son Parcours Respect, sa signalétique si caractéristique pour sanctuariser par la règle de droit les lieux de l’éducation, son livret d’accueil pour des établissement scolaire en ligne sur notre site Internet et son programme d’Ambassadeurs Respect Zone pour travailler le pair à pair : c’est-à-dire travailler en profondeur et non pas un jour par an sur l’appropriation des concepts par les jeunes eux-mêmes pour briser le concept de la parole verticale qui existe à l’école, et qui existait dans le concept de la journée du droit.


 


Le 8?mai dernier, Respect Zone a lancé la campagne anti-haters en ligne. De quoi s’agit-il ?


La campagne anti-haters est une manière d’isoler les haineux en ridiculisant leurs propos tout en restant sur un message positif. L’idée de l’encerclement positif est disruptive en soi. Nous offrons SOS Respect Zone aux porteurs du label pour missionner des Respect Squads qui agissement sous bannière Respect Zone et inondent d’idées et de messages positifs les comptes des personnes trolls ou harceleurs pour déclencher ce que les individus attendent en définitive le plus : que soit articulée la règle de droit dans l’espace numérique et que les idées d’humanité l’emportent sur les non idées des messages de haine. Dans un environnement non pollué, on promettra à nos enfants une société numériquement plus respirable ;  il en va de nos responsabilités de citoyen du monde numérique.



« Le fait que la logique du respect soit le grand oublié
de la construction digitale m’inquiète au plus haut point ».




Le 10 mai dernier, le président de la République, Emmanuel Macron, a rencontré le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, afin d’échanger sur la régulation des contenus haineux en ligne. Quelles sont selon vous les autres démarches qui dans ce sens vous semblent prioritaires ?


Cette démarche en tant que telle est prioritaire. Lorsque l’ONG Respect Zone a été consultée par le gouvernement sur l’élaboration de la Charte à présenter au G7?à Biarritz en août prochain, nous avons, avec satisfaction, retrouvé l’esprit de la charte Respect Zone lancée en 2014. La régulation ne peut être que le fait des gouvernements ou que le fait des entreprises. Le mix entre régulation et co-régulation positive est la voie que nous dessinons pour une saine régulation de l’Internet et des réseaux sociaux. L’appel de Christchurch est fondamental, il participe de cette prise de conscience internationale. Les entreprises comme les GAFA connaissent des revenus parfois supérieurs à des grandes nations. Certains créent leur propre monnaie. On en arrive à la reconnaissance d’une forme de supra souveraineté privée. Sans régulation claire et positive, c’est tout notre système démocratique qui est en danger. Respect Zone est une plateforme de résistance démocratique selon l’École de Guerre économique dirigée par Christian Harbulot qui a inventé le concept de l’intelligence économique auquel nous avons raccordé le concept de l’intelligence juridique pour régler les maux du monde.


 


En effet, la réponse ne devrait-elle pas être européenne ? Ou mondiale ?


La réponse à un fléau global se doit, pour être efficace, d’être globale elle aussi. C’est pour cela que Respect Zone et sa charte ont été traduites en 22 langues, et nous sommes preneurs de langues supplémentaires. Il est vain de croire qu’une régulation supra nationale efficace peut rassembler les voix des paix démocratiques (minoritaires) et celles des autres pays sur le thème de la régulation de la violence en ligne. C‘est pour cette raison que nous proposons ce concept du respect by design aussi à porter par les opérateurs et les institutions et la société civile. Créer un mouvement positif a des conséquences mesurables. C’est le principe de la responsabilité sociétale des entreprises qui est en jeu. Qui aujourd’hui aimerait consommer des biens ou services de consommation d’une entreprise anti éthique ?


 


Certains considèrent que la violence du mouvement des « gilets jaunes » serait en réalité la violence des réseaux sociaux qui aurait traversé l’écran. Qu’en pensez-vous ?


Les réseaux sociaux ont largement aidé la mobilisation et ont permis des inflammations. Lorsque nous avons entamé une campagne pour montrer les menaces que subissent les journalistes au quotidien, nous avons été surpris de la violence anti journalistes en ligne revendiquée par les gilets jaunes. En répondant positivement et rappelant que les journalistes sont des êtres humains qui ont également le droit au respect en ligne, nous avons pu, faire bouger les lignes. Il reste un gros travail d’humanisation numérique à effectuer.


 


Récemment, en Malaisie, une jeune fille s’est suicidée après avoir lancé un sondage sur Instagram. Quelles questions cela pose-t-il ?


Cela questionne le manque de fondamentaux lors de la prise en mains des portables et lors des souscriptions aux réseaux sociaux. Notre idée est simple : contribuer, avec la communauté des juristes que nous appelons à nous rejoindre, au permis Brevet de modérateur. Il n’est pas acceptable qu’une famille expose ses enfants à tous les dangers en ligne sans qu’une formation courte, même de deux minutes, ne soit prévue lors de la prise d’arme par destination qu’est l’offre d’une tablette ou d’un portable à un mineur. Cette proposition Respect Zone, parmi les 50 émises, a déjà été reprise par le Parlement dans ses propositions d’amendement à la loi Avia. Une victoire de la raison contre l’inanité de l’absence d’éducation et de prévention en ligne.




Propos recueillis par Myriam de Montis et Constance Périn

La Charte Respect Zone


1) Je respecte l’autre

La liberté de l’expression, de la pensée et de la critique sont des droits fondamentaux que je défends. Aussi, que ce soit en ligne ou dans l’espace physique, j’écoute l’autre et j’adopte une communication non-violente et responsable, en conformité avec la présente Charte d’auto-modération Respect Zone.

 


2) Je modère mes contenus

Internet et les réseaux sociaux sont des espaces de liberté où chacun peut communiquer, partager, apprendre et s’épanouir. Les droits de tous doivent y être respectés, pour construire un espace d’échanges, de respect des autres et de soi-même.

Je m’engage à ne pas diffuser ni partager tout contenu (texte, son ou vidéo) :

a) harcelant,

b) raciste, discriminant, ou stigmatisant en raison de : l’origine, la croyance, la couleur de peau, la religion réelle ou supposée (par exemple : chrétienne, musulmane, juive),

c) homophobe ou sexiste,

d) discriminant ou stigmatisant en raison du physique, du handicap,

e) incitant à la haine, la violence, le terrorisme ou la barbarie,

f) malveillant ou intime et personnel ; et néanmoins divulgué sans le consentement de la personne concernée.

D’une manière générale, j’émets ou je partage des contenus en responsabilité et en faisant preuve de sens critique.


 3) Je modère mes espaces numériques

Lorsque j’ai connaissance d’un contenu en ligne contraire à la Charte Respect Zone, sur un espace numérique que j’administre ou dont j’ai la responsabilité (exemple ma page Facebook ou mon site Internet), je modère très rapidement, en contexte et de manière appropriée selon les cas, soit :

en répondant de manière critique (contre-discours), ou/et

en signalant ce contenu inapproprié à la plateforme (ex. YouTube, Facebook, Twitter, etc.), ou/et

en retirant ce contenu.


4) J’affiche le label

De manière visible, j’affiche le label Respect Zone sur ma photo de profil, mes réseaux sociaux, mes sites, mes zones de commentaires et espaces numériques.  À chaque insertion du label Respect Zone, je pointe vers www.respectzone.org .

Je reconnais que le label Respect Zone appartient à l’association Respect Zone qui autorise l’usage de cette marque selon les termes de la présente Charte.


 


 


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