L’étendue de la responsabilité de l’exploitant des pistes et du skieur
ou du surfeur qui se blesse plus ou moins gravement continue de susciter des
interrogations.
Les zones
d’entraînement
Tout d’abord, il peut s’agir de zones particulières d’entraînement que
l’exploitant, et plus particulièrement le service des pistes, met à la
disposition d’un organisme sportif.
La première question soulevée par les juridictions consiste à
rechercher ce que le contrat de mise à disposition prévoit exactement :
accès à cette zone, damage, mise en place des protections, détermination des
tracés d’entraînement.
L’existence d’une convention écrite permet de clarifier la répartition
des obligations entre l’exploitant et l’organisateur bénéficiaire de cet
espace, mais dans certaines situations qui deviennent, fort heureusement, de
plus en plus rares, soit la convention est ancienne et succincte, soit elle
n’est pas formalisée, au nom de l’adage « c’est l’usage depuis
longtemps ».
C’est dans ce dernier contexte que la Cour de cassation, par un arrêt
du 27 juin 2018, a approuvé une décision de la cour d’appel de Chambéry.
Un moniteur stagiaire s’est gravement blessé (paraplégie) lors d’un
entraînement libre sur une piste de slalom dédiée, confiée à une école de ski.
La vitesse étant induite dans ce type de préparation sportive, il chute suite à
une erreur technique et vient heurter violemment une cabane située en dehors de
la piste. Il reproche à l’encontre de l’école de ski une absence de protection
suffisante de cet obstacle.
La haute juridiction ne se prive pas de reprocher – à mots couverts –
tant à l’école de ski délégataire de cet espace qu’au service des pistes, de ne
pas s’expliquer « sur les conditions juridiques de la mise à
disposition » de cette piste d’entraînement. Et pour cause : il
n’existait aucune convention écrite sur les conditions d’utilisation…
Toutefois, par un raisonnement exempt de critique, la Cour de cassation
retient qu’en dehors des entraînements et compétitions organisés par l’école de
ski, il ne peut exister « une obligation de sécurité permanente »
dans cet espace réservé.
Le choix du moniteur stagiaire d’utiliser cette zone à titre personnel
et librement conduisait à écarter toute responsabilité de l’école de ski.
Cour
de cassation, civ. 1, 27 juin 2018
Madame Batut, présidente
Madame Le Gall, conseiller référendaire rapporteure
Madame Kamara, conseillère doyenne
« Mais attendu qu’après avoir constaté que la
piste sur laquelle a eu lieu l’accident dépend du domaine skiable accessible
par gravité à partir du sommet des remontées mécaniques, et que, si aucune
partie ne s’est expliquée sur les conditions juridiques de la mise à
disposition de cette piste à l’école de ski, il est toutefois admis par tous
que la société concessionnaire de la mission de service public d’exploitation
des remontées mécaniques, en assure l’entretien et le damage ; l’arrêt
retient qu’il n’incombe pas au syndicat, une obligation générale de sécurité, à
défaut de preuve d’un engagement contractuel de sa part, qui seul pourrait être
à la source d’une telle obligation ; que, de ces constatations et
énonciations, la cour d’appel a déduit, à bon droit, que le syndicat n’était
pas tenu d’une obligation de sécurité permanente sur cette piste en dehors des
entraînements et compétitions organisées par lui ; que le moyen n’est pas
fondé… rejette le pourvoi. »
les snow
parks
Les snow parks (pour reprendre cet
anglicisme) peuvent être à l’origine de graves blessures lorsque le
comportement de l’utilisateur n’est pas adapté aux lieux spécifiquement
aménagés.
C’est la position retenue par la cour d’appel de
Grenoble dans un arrêt du 18 septembre 2018.
Un jeune homme se lance sur une bosse « big
air », effectue une figure de style et chute au moment de la
réception, avec pour conséquences de graves lésions corporelles.
Plusieurs aspects de cette décision permettent
d’apprécier le raisonnement suivi par les magistrats grenoblois.
Tout d’abord, dès lors que la zone ne comporte pas
de défaut technique (par exemple blocs de glace, mauvais damage…), l’analyse
s’oriente clairement sur le devoir d’information de la station.
En l’espèce, il est relevé que l’entrée dans la zone
« snow park » se fait au moyen d’un passage réduit, avec des
banderoles installées qui précisent clairement le degré de difficulté des
modules, conformément à la norme.
Faut-il qu’un moniteur ou un pisteur soit positionné
à l’entrée de cette zone ? La victime soutenait « qu’il aurait été »
nécessaire que soit délivré oralement un conseil et une information à chaque
pratiquant.
Mais comment orienter et estimer le niveau technique
réel du pratiquant pénétrant dans cette zone, alors qu’il doit mesurer lui-même
ses capacités pour choisir un parcours adapté ?
La cour d’appel de Grenoble a éclarté cette
argumentation en retenant qu’une telle présence ne s’imposait pas.
Ensuite, au visa des témoignages produits, l’origine
de l’accident était attribuée à une vitesse excessive et à une prise d’élan
trop importante du pratiquant.
Pour les magistrats, il appartient à l’utilisateur
d’une zone spécifique, de décider de son élan, en fonction de son niveau, sans
que ladite zone d’élan n’ait besoin d’être matérialisée, le référentiel AFNOR
relatif aux pistes spécifiquement aménagées ne l’imposant pas.
Cour
d’appel de Grenoble, 18 septembre 2018
Monsieur Dubois, président
Madame Lamoine, conseillère
Monsieur Grava, conseiller
« …
L’exploitant du domaine skiable est tenu d’une obligation de sécurité de moyens
à l’égard des usagers de ce domaine skiable... Si cette obligation est
renforcée dans le cadre d’aménagements spécifiques apportés au terrain naturel
de nature à en augmenter la dangerosité, ce renforcement ne change pas la
nature de cette obligation, et la juridiction saisie doit donc apprécier si des
moyens suffisants ont été mis en œuvre par l’exploitant pour assurer la sécurité
des usagers… au vu de l’ensemble des éléments du dossier, c’est à bon droit que
le tribunal a retenu qu’il n’était démontré aucun manquement de l’exploitant de
la station à son obligation de moyens tel qu’il ait directement concouru à la
survenance du dommage et qu’il a, par conséquent rejeté les demandes de
Monsieur X. Confirme le jugement déféré. »
Le water
slide
L’information des pratiquants utilisateurs d’un
« water slide » nécessite une attention particulière.
Cet aménagement consiste en une étendue d’eau artificielle, d’une longueur
de 15 mètres, mise en place en bas d’une piste damée et qu’il convient de
franchir en évitant de chuter.
Une skieuse adulte, après avoir laissé son jeune fils emprunter ce
parcours sans difficulté, s’élance : filmée par son époux, elle se
positionne trop en arrière et chute, ce qui lui provoque une torsion de la
colonne vertébrale.
Dans un premier temps, le tribunal de grande instance d’Albertville
(devenu tribunal judiciaire depuis le 1er janvier 2020), par un
jugement du 15 décembre 2017, retient que la pratiquante qui s’élance sur
ce type de parcours, a conscience du risque que comporte une telle activité –
notamment en cas de chute. Dès lors, en l’absence de faute de l’exploitant dans
l’aménagement de ce secteur visible et annoncé par des panneaux, aucune
responsabilité ne pouvait être retenue.
Telle n’est pas l’analyse de la cour d’appel de
Chambéry qui, dans un arrêt du 27 juin 2019, réforme ce jugement sur la
base d’un défaut d’information de l’exploitant pour cet aménagement spécifique.
Pourtant, des panneaux de préconisations étaient en
place, incitant le candidat à vérifier si l’aire d’arrivée était dégagée, à
respecter l’ordre de départ, puis à libérer rapidement l’aire d’arrivée – avec
le port du casque vivement conseillé.
Mais pour les magistrats de la Cour, « aucune
mention n’est relative aux risques spécifiques de cet exercice, au niveau de
difficulté potentiel et aux compétences requises pour réussir l’entreprise
escomptée ».
Ainsi, même si le parcours est visible, l’obligation
de sécurité qui incombe à l’exploitant se trouve étendue à une information
spécifique et renforcée dans une zone spécifiquement aménagée.
La Cour ajoute que la vidéo met en exergue une
différence de niveau entre la piste de ski et la piscine, « élément de
déséquilibre venant nécessairement accentuer le risque de chute ».
Une part de responsabilité incombe-t-elle à la
skieuse qui n’a pas adopté la position adéquate alors que son époux, audible
sur la vidéo versée aux débats, lui enjoignait de corriger sa position et de se
redresser ? Pour les magistrats chambériens, la responsabilité de
l’exploitant doit être entièrement retenue « indépendamment du
comportement personnel de la victime à qui il ne peut être reproché une faute
de posture en l’absence de toute information sur la conduite à tenir ».
Cette analyse découle sans doute du fait qu’il
s’agit là d’une activité non-présente dans la configuration naturelle des
pistes de ski d’une station et que les magistrats considèrent que de telles
zones ne se résument pas à un simple espace ludique sans risque ni danger.
C’est sans doute réduire le rôle actif du skieur lorsqu’il emprunte une piste
ou pénètre dans un espace spécifiquement aménagé.
Cour
d’appel de Chambéry, 27 juin 2019
Monsieur Madinier, présidente
Madame Oudot, conseillère
Monsieur Therolle, conseiller rapporteur
« … L’examen de la photographie de l’attraction
ainsi que la vidéo de la chute de Madame B mettent en exergue une différence
de niveau entre la piste de ski et la piscine, éléments de déséquilibre venant
nécessairement accentuer le risque de chute. En conséquence, il est établi que
l’exploitant a manqué à son obligation de sécurité de moyen en n’avertissant
pas les usagers des risques de chute et d’accident encourus. Sa responsabilité
dans l’accident de Madame B doit être retenue indépendamment du
comportement personnel de celle-ci à qui il ne peut être reproché une faute de
posture en l’absence de toute information sur la conduite à tenir. La décision
de première instance sera donc réformée en ce sens… »
Maurice Bodecher,
Bâtonnier 2019/2020 du Barreau
d’Albertville,
Avocat (Avocatcimes), Albertville,
Membre du réseau GESICA
Élisabeth Arnaud-Bodecher,
Avocat honoraire,
Co-auteur de « Carnet Juridique du
Ski »
Margot Mondon,
étudiante en Master 2
droit de la montagne
(Université Chambéry-Grenoble).
Morgane Mari,
étudiante en Master
droit de la montagne
(Université Chambéry – Grenoble).