Le 27 juin dernier, le Conseil
national des barreaux a organisé les États généraux de l’avenir de la
profession d’avocat. Une journée qui clôturait les débats et les consultations
menés depuis novembre 2018, et lors de laquelle ont été présentées aux avocats
et élèves-avocats 40 propositions – élaborées par quatre groupes de travail –
sur l’identité, la qualité, la compétitivité et l’unité de la profession. À
l’issue de cet évènement, sur l’ensemble de ces propositions soumises au vote
des professionnels, 30 d’entre elles ont été retenues.
Dans son programme de campagne
pour la présidence au Conseil national des barreaux, Christiane Féral-Schuhl
avait fait savoir que si elle était élue, elle convoquerait les premiers États
généraux de l’avenir de la profession d’avocat, un débat consultatif d’environ
neuf mois dont l’objectif serait de réaffirmer la légitimité du CNB auprès des
professionnels.
Une fois élue, la présidente du
CNB a réaffirmé cette volonté lors de l’assemblée générale décentralisée du
Conseil les 14 et 15 septembre 2018. Face aux mutations sociétales et
numériques que connait notre société, l’Institution n’est « peut-être
plus totalement adaptée aux attentes du citoyen, voire aux attentes des jeunes
avocats », avait-elle assuré. Selon elle, il faut donc repenser la
profession en termes d’offres et de relations clients. L’enjeu est
d’importance, car il s’agit ni plus ni moins de rappeler la place et le rôle de
l’avocat dans notre société.
Placés sous le thème « Ensemble,
construisons la société de droit de demain », les États généraux de
l’avenir de la profession d’avocat ont donc été lancés par le CNB en novembre
2018.
Neuf mois plus tard, après de
nombreuses étapes, les débats ont abouti le 27 juin dernier à une journée
entière consacrée aux États généraux de l’avenir de la profession d’avocat à la
Maison de la Mutualité.
LES DIFFERENTES ETAPES DE LA CONSULTATION
Les États généraux de l’avenir
de la profession d’avocat ont débuté avec une première consultation en ligne du
20 novembre au 20 décembre 2018, intitulée « Quels avocats
pour quels défis dans la société du 21e siècle ? ».
Avocats et élèves-avocats étaient invités à voter sur les propositions soumises
par le CNB ou par d’autres contributeurs, mais aussi à les
reformuler ; à les enrichir ou même à en soumettre des nouvelles. Deux
thèmes conduisaient cette consultation ; quels sont les défis de société
auxquels les avocats doivent répondre ? (Vieillissement de la population,
migrations, conquête spatiale, énergie, démocratie... Et quels avocats
relèveront ces défis ?). Et comment déterminer les nouveaux contours de la
profession ?
Les résultats de cette première
consultation ont ensuite permis de constituer quatre groupes de travail ouverts
aux avocats, mais également à la société civile, lesquels ont été chargés
d’élaborer des propositions à partir des priorités définies lors de la première
consultation.
Les groupes se sont réunis de
mars à mai 2019 et ont tenté de répondre à des questions essentielles telles
que : l’avocat du 21e siècle peut-il être utile à la
société ? Comment être une profession plus forte, plus moderne, plus
compétitive ?
• Le groupe
de travail « Identité de l’avocat » a réfléchi aux sujets
suivants : rôle et respect de l’avocat dans le système judiciaire et au
sein des juridictions – Indépendance et secret professionnel – Accès à la
profession/numérus clausus – Mobilités professionnelles – Périmètre du droit –
Justice sans juge/MARD.
• Le
groupe de travail « Qualité de la prestation » s’est penché
sur la formation initiale et l’installation – la formation continue et les
spécialisations – la collaboration – les conditions d’exercice et les
difficultés.
• Le
groupe de travail « Compétitivité des cabinets » a réfléchi
aux honoraires des avocats, aux autres sources de revenus et nouveaux modes
d’exercice, ainsi qu’aux charges des professionnels.
• Enfin,
le groupe de travail « Unité de la profession » a planché sur
les problématiques suivantes : gouvernance/organisation/ moyens financiers
– influence et représentativité – outils : service aux avocats et aux
justiciables.
Chaque thématique étudiée dans
ces groupes de travail s’est articulée autour de trois axes : qualité,
utilité, adaptabilité. L’objectif étant de parvenir à formuler 5 à 12
propositions concrètes par groupe.
Comme indiqué plus tôt, les
groupes de travail ont été constitués pour être les plus représentatifs
possible de la profession. C’est donc en tout 22 avocats contributeurs,
9 avocats twittos, 18 élèves-avocats des 11 écoles en
France, 19 élus du CNB qui composaient les équipes… Ces dernières étaient
également ouvertes sur la société civile. Chaque groupe de travail a en effet
auditionné des personnes extérieures au métier d’avocat comme des
professionnels du chiffre, des chefs d’entreprise, des professeurs
d’université, des huissiers, etc.
Après deux mois de travail, les
quatre groupes sont parvenus à formuler 40 propositions pour l’avenir de
la profession d’avocat. Celles-ci ont été soumises à une consultation début
juin auprès des avocats et élèves-avocats. Ces derniers avaient jusqu’au
27 juin 2019 17h pour voter pour celles qu’ils préféraient.
En outre, ce même jour, toute
la profession s’est réunie lors des États généraux de l’avenir de la profession
d’avocat à la Maison de la Mutualité. Ce grand rassemblement a clôturé les
débats et les consultations menés depuis novembre 2018.
une journée de reflexion pour preparer l’avenir
Cette grande réunion des
avocats a commencé par une brève intervention de Maître Jean-Luc Forget,
vice-président du Conseil national des barreaux.
« Cette
aventure a commencé il y a plusieurs mois. Ce n’est pas un achèvement
aujourd’hui, mais le point d’orgue de cette démarche » a-t-il
commencé. Se tournant ensuite vers la présidente du CNB, Christiane-Féral
Schuhl, Jean-Luc Forget a félicité cette dernière pour l’engagement pris « lorsqu’[elle
a] souhaité [s’]engager au sein du Conseil pour le présider ».
Cette journée, a-t-il ajouté,
constitue donc « Le respect d’une démarche qui a été présentée dès le
départ. », c’est-à-dire celle de se demander si le CNB est bien
« en résonnance avec les inquiétudes, les soucis, les préoccupations de
la profession ».
Malgré
tout, ces 40 propositions ne sont pas celles du CNB, a poursuivi son
vice-président, « parfois elles sont même en contradiction avec le
travail du Conseil », a-t-il reconnu. Elles sont celles de tous les
professionnels.
En outre,
a précisé l’avocat, cette grande consultation n’est pas un sondage, mais a pour
but de « permettre à ceux qui avaient envie de donner leur avis, de
donner leur orientation ».
« L’institution
reprendra ces propositions, les instruira, les traitera ou décidera parfois de
ne pas les traiter, et on vous dira pourquoi », a conclu Jean-Luc
Forget.
Le vice-président du CNB a
ensuite laissé la place aux différents groupes de travail qui ont présenté
leurs propositions pour l’avenir de la profession.
LES propositions des groupes de travail
Identité
Le
premier groupe de travail consacré à l’identité de l’avocat était co-animé par
Françoise Artur, ancienne bâtonnière du barreau de Poitiers et membre du CNB,
et Nicolas Gilet, avocat à Poitiers, ainsi que par la co-rapporteure, Gabrielle
Barnaud, élève-avocate à Bordeaux (la deuxième co-rapporteure Roxane Chambaud,
élève-avocate à l’EDA Sud-Est était absente ce jour-là). Pour préparer les
propositions, les membres du groupe ont auditionné les personnes
suivantes : Jean Danet, avocat honoraire, maître de conférences à la
faculté de droit de Nantes et membre du Conseil supérieur de la
magistrature ; le mouvement ADT Quart Monde dont Éric Baudeu, responsable
département DH et Justice ; le CREA/IHEJ en présence d’Anne-Laure-Hélène
des Ylouses, membre du CNB, déléguée au CREA et Gilles Pillet, professeur à
l’ESCP, directeur scientifique du CREA.
Parmi les
propositions présentées par ce groupe, on trouvait notamment :
l’instauration d’un droit à une consultation préalable par un avocat pour toute
personne éligible à l’aide juridictionnelle ; l’institutionnalisation de
la place de l’avocat dans le fonctionnement des juridictions par une réforme du
Code de l’organisation judiciaire ; l’obligation d’utiliser l’adresse mail
« @avocat-conseil.fr » pour l’inscription au tableau ;
assortir par une modification législative, l’acte d’avocat issu d’un mode
alternatif de la force exécutoire et de la signature électronique, etc.
Au terme
de cette première table ronde, Olivia Dufour, présidente du Cercle des
journalistes juridiques (CJJ), a été invitée à s’exprimer sur les débats.
Celle-ci a préféré présenter sa vision de l’état actuel de la profession.
« Je
crois que les palais de Justice sont en train de devenir des usines à jugement »,
a-t-elle déclaré. Selon elle en effet, les magistrats sont éreintés. Les
chiffres sont éloquents : 40 % sont en souffrance au travail, et l’on
compte 4/5 de suicides par an. Bref, pour Olivia Dufour « l’avocat est
en train d’être chassé comme dans les Temps modernes de Chaplin ».
Même dans
l’architecture du palais « on voit que l’avocat est chassé physiquement ».
« Les plaidoiries ne nous intéressent plus. C’est une perte de temps »
a-t-elle parfois entendu de la bouche de certains magistrats. Certains pensent
même que les avocats « sont de simples auxiliaires de justice »
a-t-elle dénoncé.
Pour
elle, cela est très grave, car derrière l’avocat, c’est le justiciable qui est visé.
Olivia
Dufour s’est ainsi dite très inquiète de voir que les avocats en sont désormais
réduits à s’interroger « sur leur place dans le processus judiciaire et
d’essayer de l’affirmer ». « C’est terrifiant »,
a-t-elle jugé.
Qualité
Le
deuxième groupe de travail s’est penché sur le thème de la qualité de la
prestation. Il était composé de 11 personnes et était co-animé par
Jean-François Mérienne, ancien bâtonnier, membre élu du CNB, barreau de
Dijon ; Marie-Laure Viel, ancienne bâtonnière, membre élue du CNB, barreau
de Saint-Quentin. Quant aux deux co-rapporteurs, il s’agissait de Stéphane
Baller, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, et Margot Cavagna-Crestani,
avocate au barreau de Chambéry. Parmi les personnes qui ont été auditionnées
par cette équipe, on compte : Enké Kédebé directrice de l’école
Erage ; Sylvie Magnen, directrice RH chez EY Avocats ; Xavier Aurey, lecturer
à l’Université d’Essex (UK), docteur en droit (Université Panthéon-Assas Paris)
et président du Réseau des cliniques juridiques francophones…
Les
propositions de ce groupe ont questionné la place du numérique au sein de la
profession, mais aussi la formation à dispenser aux élèves-avocats. Pierre
Berlioz, directeur de l’EFB, présent dans l’assistance, s’est notamment
exprimé : « Je crois que c’est une erreur capitale de faire une
césure entre l’université et les écoles d’avocats et de vouloir les opposer, de
mettre un mur entre les deux. Il faut au contraire qu’il y ait des ponts
très importants entre l’université et les écoles d’avocats » a-t-il
déclaré.
Une autre
participante a même souhaité que soient réinstaurées les deux années de stage
obligatoires autrefois.
Olivier
Cousi, bâtonnier élu du barreau de Paris, l’a assuré : « Nous
avons besoin d’une profession qui soit adaptée à la modernité ».
Parmi les propositions que ce
groupe a élaborées, on trouvait : le renforcement de la
professionnalisation en aménageant une alternance entre les enseignements et
une expérience professionnalisante afin d’améliorer l’accès à la profession et
l’entrepreneuriat des élèves-avocats ; le développement des cliniques
juridiques, avec le soutien des barreaux et en synergie si possible avec les
incubateurs pour renforcer la formation, l’apprentissage et la professionnalisation
des élèves avocats et étudiants ; l’instauration d’un contrôle a
posteriori par les Ordres des conditions d’exécution du contrat de
collaboration libérale, etc.
Au terme de cette table ronde,
Olivia Dufour a de nouveau été entendue : « Ce qui vient d’être dit,
je l’entends depuis plus de 20 ans : formation, installation,
spécialisation, collaboration libérale » a-t-elle déclaré. Trois
aspects cependant manquaient au débat selon elle : le risque de fracture
par rapport au numérique entre les anciennes et les futures générations ?
Le sujet du burn-out (et notamment le surmenage des associés) mais
encore un sujet insuffisamment pris en compte « la demande des jeunes
d’être managés ».
La présidente du CNB a clos les
discussions de la matinée. Celle-ci a rappelé les enjeux de ces États
généraux : « Ce qui est important c’est cette parole libre.
C’était l’engagement que j’avais pris. [Celui] de pouvoir échanger,
dialoguer sur des sujets sur lesquels nous tournons en rond depuis 20 ans ».
« La profession a énormément changé, a-t-elle ajouté, l’évolution
se poursuit. On la déploie soit dans la résistance, soit dans la construction. »
Quoi qu’il en soit, pour
elle : « à travers ces propositions qui ont été débattues, qui ne
sont pas parfaites bien sûr, il y a place à cette fierté de construire ensemble
la profession ».
Les débats de l’après-midi ont
porté sur les thèmes de la compétitivité et de l’unité de la profession.
Compétitivité
Le troisième groupe sur la
compétitivité des cabinets était animé par Anne Krummel, membre du CNB. Les
co-rapporteurs étaient Karadec Coeffic, élève-avocat à l’EDAGO, et Madleen
Bressler, élève-avocate à Bordeaux. Au sein des personnes auditionnées par ce
groupe, on trouve : François Pinon ; ancien directeur juridique du
Groupe ACCOR, médiateur de Pacte PME ; Frédéric Roussel, notaire ;
Cédric Kieffer, huissier et Nicole Calvinhac, vice-présidente du Conseil
supérieur de l’Ordre des experts-comptables, présidente de la Commission
« Secteur Performance des cabinets ».
Les propositions de cette
troisième équipe ont porté sur des sujets plus clivants que ceux de la matinée.
Maître Olivier Cousi l’a
rappelé, faisant référence au rapport Gauvin : « Nous sommes à la
croisée des chemins ».
La proposition concernant
« l’autorisation de la rémunération de l’apport d’affaires » a
notamment divisé les avocats.
Maître Adjedj, bâtonnier de
Carpentras, a ainsi déclaré que « quand on fait rentrer la notion
d’argent… c’est l’indépendance qui est en jeu. Car certains ont compris que le
droit peut être un marché (cf. levée de fonds). » Pour lui en effet,
si l’on accepte cette proposition, il n’y aura plus de garde-fous : « Demain
ce sont les grands capitaux qui feront le droit. » a-t-il protesté.
Pour un
de ses confrères, au contraire, puisque la compétitivité des avocats français
est aussi à l’étranger, « on va se retrouver avec l’obligation d’être
compétitifs, alors que nos règles seront pires que celles de nos voisins. »
C’est pourquoi, pour celui-ci : « la rémunération de l’apport
d’affaires, il faut l’autoriser, et même l’ouvrir à toutes les professions avec
lesquelles on travaille ».
Quant à
la proposition sur « la rémunération de l’avocat exclusivement au
résultat obtenu, notamment dans les cas où l’exigibilité de la créance est
incontestable », certains ont fait part de leur crainte que cette
proposition ne soit profitable qu’aux gros cabinets tandis que les plus
petits « se paupériseraient ».
Pour d’autres au contraire,
« aujourd’hui même les legaltech utilisent des honoraires de
résultat ».
Unité
Enfin, le
dernier groupe qui s’est exprimé a suscité les plus vives réactions.
Celui-ci était animé par
Stéphane Lallement, membre du CNB, Odile Haxaire, élève-avocate à l’EDARA, et
co-rapporté par Laurent Pettiti, vice-président de la commission des affaires
européennes et internationales du CNB. Quant aux personnes auditionnées par ce
groupe, il y avait : Jean-Pierre Machelon, constitutionnaliste ;
Gérald Tremblay et Antoine Aylwin, avocats au Québec ; Fadhel Mahfoudh,
actuel ministre des Droits de l’homme en Tunisie et ancien bâtonnier de l’Ordre
national de Tunisie, et Jacques Lucas, Premier vice-président du Conseil
national de l’Ordre des médecins.
Parmi les
propositions, celle portant sur l’élection au suffrage universel du président
du Conseil national des barreaux, celle sur la suppression des vice-présidences
de droit du bâtonnier de Paris et du président de la Conférence des bâtonniers,
et celle sur l’inscription dans la loi que le CNB est la seule institution
représentative de la profession d’avocat ont littéralement déchainé les
passions. Les anciens clivages entre Paris et la Province ont notamment resurgi
durant les échanges.
RESULTATS DE LA CONSULTATION
Au terme
de cette journée, sur les 40 propositions défendues par les différents
groupes de travail, 30 ont été retenues. Au total, sur les quelque 66 000
avocats que compte la profession, environ 7 692 avocats ont voté,
soit un peu plus d’un avocat sur dix. Un succès mitigé, donc. Certains se sont
montrés très investis quand d’autres sont restés indifférents, voire critiques,
face à cette consultation qu’ils ont jugée opportuniste. Cependant, pour
Christiane Féral-Schuhl qui s’est exprimée suite aux résultats de cette
consultation, il s’agit tout de même d’une victoire. « J’ai une pensée
pour les neuf avocats sur dix qui n’ont pas voté. Pour moi, ils ont
définitivement perdu le droit de se plaindre de leur institution »,
a-t-elle déclaré.
Que
va-t-il ensuite se passer ? Le Conseil national des barreaux va se saisir
des propositions retenues par les États généraux de l’avenir de la profession
d’avocat dès septembre prochain et arbitrera en assemblée générale. Ces
décisions votées en assemblée générale seront ensuite portées auprès des
pouvoirs publics et dans le débat public, courant 2019-2020. Les résultats des
réformes engagées seront enfin présentés à la Convention nationale des avocats
en novembre 2020. C’est en tout cas ce que prévoit le programme.
Maria-Angélica Bailly