Alors que la majorité des Français interrogés est favorable à la légalisation
de la mort assistée, une proposition de loi pour aller plus loin sur l’aide à
la fin de vie sera débattue à l’Assemblée nationale le 27 mai 2024. Retour sur
l’évolution des débats juridiques, politiques et éthiques sur le sujet.
Alors qu'un projet de loi sur
la fin de vie a été présenté mercredi 10 avril en Conseil des ministres, et
devra faire l'objet d'une première lecture de l’Assemblée nationale le 27 mai
prochain, professeurs en droit public et privé,
médecins, chercheurs, maîtres de conférences en philosophie et en sociologie
étaient réunis, les 4 et 5 avril 2024, dans le cadre du colloque « Frontières
de la vie et la mort ». L’évènement était organisé par la Faculté de droit de
Nancy et l’Institut de recherches sur l’évolution de la nation et de l’État.
Cette rencontre intervient un
peu moins d’un mois après les annonces d’Emmanuel Macron, qui affirmait, dans
les colonnes de Libération et de La Croix, qu’un projet de loi ouvrant « à une aide à mourir sous conditions strictes » était en cours.
Une
perception de la mort évolutive, au gré des progrès technologiques
Toutes et tous les
universitaires réunis dans l’amphithéâtre nancéien s’accordent sur un point :
notre perception de la vie, de la fin de vie et donc de la mort change
continuellement. Selon Michel Castra, maître de conférences en sociologie,
l’expérience subjective du malade se place de plus en plus au centre des
préoccupations, à mesure que les technologies évoluent. Grâce aux nouveaux
outils médicaux, il est désormais possible de maintenir une personne en vie, en
l’alimentant par sondes, en lui permettant de respirer ou d’assurer la
circulation du sang par des pompes externes.
Au regard des progrès
technologiques, les médecins se sont questionnés dès les années 1970 : À quel
moment les soins doivent-ils être arrêtés ? Selon quels critères ? Qui doit
être impliqué dans le processus ? De plus, les progrès de la médecine nous
permettent de vivre plus longtemps avec une forte probabilité de mourir d’une
maladie chronique de longue durée. En ce sens, la fin de vie et la mort
s’institutionnalisent et se « technicisent » puisqu’elles ont lieu, en majorité,
à l’hôpital. Pour le professeur en sociologie, « on est aujourd’hui dans un contexte de mort lente et les termes de «
fin de vie », de « phase terminale » traduisent une réalité nouvelle : mourir
prend du temps ». Michel Castra abonde : « on assiste à un brouillage des frontières de la vie et de la mort »,
même si la loi du Code de la Santé publique de 2005 prévoit que
la mort débute lorsque l’activité cérébrale s’arrête, en plus d’une inactivité
motrice et respiratoire.
Soins
palliatifs et suicide assisté, deux modèles opposés… en apparence
Et puisque mourir prend du
temps, la fin de vie doit faire l’objet d’une prise en charge spécifique, comme
le prévoit la loi du 9 juin 1999. Ce texte érige le principe de droit à mourir
sans souffrances évitables et pérennise l’accès aux soins palliatifs. Il s’agit
de services hospitaliers dédiés à soulager la douleur du malade, quand celui-ci
ne peut pas être guéri. Pour Michel Castra, les soins palliatifs sont un moyen
de « détechniciser, de démédicaliser, en
apparence » la fin de vie en mettant en œuvre de nouveaux protocoles, en
opposition aux soins curatifs. Le maître de conférences observe « un processus où l’essentiel se retrouve
aujourd’hui dans l’expérience individuelle ». Bien mourir, serait une mort
choisie, entourée, préparée et acceptée au sein des soins palliatifs. Ces
unités de soins seraient le moyen d’une « réappropriation
de soi, face à la médecine curative et à ses dérives ». Une perception de
la mort retranscrite dans les textes puisque la loi Léonetti, ratifiée en 2005
et modifiée en 2016 (Claeys-Léonetti) sanctuarise le principe de laisser mourir
sans faire mourir. Ce texte érige le principe du refus d’obstination
déraisonnable de soins, sous des conditions strictes, avec la possibilité, en
phase terminale d’une maladie, d’une sédation profonde et continue jusqu’au
décès.
L’autre modèle de fin de vie,
en apparence opposé aux soins palliatifs, est l’euthanasie, ou le suicide
assisté. Ces deux derniers procédés sont illégaux en France, et cristallisent
une grande partie du débat éthique sur la fin de vie. Pour Michel Castra, les
soins palliatifs et le suicide assisté (ou l’euthanasie) « sont plus proches qu’on ne le pense puisqu’ils appellent à l’autonomie,
à la responsabilité de la personne confrontée à la mort, à une volonté d’éviter
toute douleur et souffrance et à l’idéal d’une mort apaisée, sereine, et
maîtrisée ».
Le
droit à la fin de vie plus individuelle, illusoire ?
L’individualisation de la
mort repose aussi sur la place prépondérante donnée à la volonté du malade. « C’est là que se situe le malaise » dans
le droit, selon Fanny Grabias, maître de conférences en droit public. Elle
ajoute : « Le droit français n’est qu’une
illusion, et l’illusion repose sur une contradiction entre ce qui est perçu et
la réalité ». Pour Fanny Grabias, « ce qui est perçu » étant les lois, et «
la réalité » étant les décisions de justice.
En effet, dès 2002, le Code
de santé publique prévoit que le médecin respecte la volonté de la personne et
« qu’aucun acte ou traitement ne peut
être pratiqué sans le consentement libre et éclairé » du patient. En 2016,
la loi Claeys-Léonetti renforce le respect de la volonté du malade. Ce texte
met à disposition les « directives anticipées », c’est-à-dire « des volontés exprimées par écrit sous forme
de directives formalisées », soumettant le corps médical à les respecter,
en cas de prise en charge d’un patient inconscient. Fanny Grabias observe ici
une « remise en cause du paternalisme
médical, même dans le cas où la vie de la personne est en jeu ». Mais selon elle, « l’illusion se révèle lorsque l’on regarde les cas de contentieux ».
La maître de conférences en
droit public prend alors pour exemple une affaire datant de 2022, dans laquelle
un patient - témoin de Jéhovah - a refusé de recevoir des transfusions
sanguines, quand bien même sa vie était en danger. Le patient, d’abord inconscient
lors de sa prise en charge, détenait sur lui des directives anticipées, au sein
desquelles il refusait toute transfusion. L’équipe médicale a tout de même
décidé de le transfuser. Devant le non-respect de sa volonté, le patient porte
l’affaire jusqu’au Conseil d'état. Mais le plaignant essuie un refus : le
Conseil d'état adopte un arrêt du 20 mai 2022 dans lequel il considère les
transfusions justifiées puisque le pronostic vital du patient était engagé. Une
condition prévue par la loi Claeys-Léonetti.
« C’est un retour du paternalisme juridique et médical, le droit français est ambivalent »,
s’exclame Fanny Grabias. Elle ajoute : « l’idée
est que le patient autonome est celui qui veut conserver la vie alors que celui
qui refuse un traitement serait non-autonome. Conséquence : le droit à la vie
prévaut sur la volonté ».
La
fin de vie éminemment politique
En 2022, l’IFOP publiait un
sondage selon lequel 82% des répondants considéraient l’euthanasie ou le
suicide médicalement assisté comme des soins de fin de vie. Mais cette demande
d’acquérir de plus amples libertés sur la fin de vie n’est pas nouvelle, selon
Ludivine Starck Laurent. La docteure en science politique illustre son propos :
en 2011, déjà, avant le vote de la loi Claeys-Léonetti, les sondages de l’IFOP
révélaient que 90% des personnes interrogées souhaitait une évolution de la loi
sur la fin de vie et estimait justifié d’être associé à une telle législation.
Pour Ludivine Starck Laurent, « l’opinion
publique française est prête et s’intéresse de plus en plus aux débats sur la
fin de vie ».
Pourtant, les politiques et
le législateur ne se sont pas saisis de la question, selon la chercheure car « aucun projet de loi n’interviendra entre
2012 et 2024 ». Emmanuel Macron a donc saisi l’opportunité politique en
affichant dans son programme, lors de la campagne électorale de 2022, sa
volonté de relancer les débats législatifs sur la fin de vie, avec un « modèle
de la fin de vie à la française ». Un choix du président qui n’est pas anodin
pour la chercheure : « c’est une
opportunité politique le concernant, car une telle loi va marquer son projet politique alors que son quinquennat
précédent n’en avait pas vraiment. »
Ludivine Starck Laurent tient
aussi à préciser le contexte politique délicat de ces annonces présidentielles
: au tournant de l’année 2022, Emmanuel Macron sortait d’une crise de défiance
à l’égard des politiques, avec les manifestations des Gilets jaunes, en 2018. À
ce contexte peu avantageux s’ajoute le secteur de la santé ébranlé par
l’épidémie de Covid. En réponse à ces deux crises successives, Ludivine Starck
Laurent observe « un replacement de la
démocratie en intégrant le citoyen dans le processus de réflexion ».
De fait, la Convention
citoyenne sur la fin de vie est créée en décembre 2022. 184 citoyens tirés au
sort ont planché durant 27 jours sur différentes propositions adressées au
gouvernement, afin de modifier la réglementation en vigueur sur la fin de vie.
Résultat : 75% de la Convention citoyenne s’est positionnée en faveur d’une
aide active à mourir, sous conditions. Pour Ludivine Starck Laurent, la
Convention citoyenne met en exergue la volonté d’Emmanuel Macron d’élargir les
débats « au-delà des seuls experts et de
dépolitiser le sujet ». La chercheure conclut cependant : « la dépolitisation de la fin de vie a tout de
même une limite », car in fine, le gouvernement gardera la main sur la future législation.
Il a déjà proposé son projet de loi sur la fin de vie au Conseil des ministres
le 10 avril 2024. Les débats à l’Assemblée nationale débuteront, quant à eux,
le 27 mai 2024.
Inès
Guiza