De nombreuses règles strictes encadrent le droit à l’image des athlètes
pendant les JO, particulièrement convoités par les grandes marques qui espèrent
associer des produits à leur image.
L’image des sportifs fait
rêver. Pour les entreprises, ils permettent d’associer à leurs produits des
valeurs très positives. Les sportifs sont les « meilleurs représentants de
la fameuse expression ‘esprit sain dans un corps sain’ », souligne Vincent
Mauriac, avocat associé chez Mauriac Avocats (1).
Les sportifs permettent aux
entreprises de communiquer « en mettant en avant des qualités humaines
indéniables », comme « l’abnégation, le partage, le courage, le respect,
la performance, la santé », poursuit-il. Dès qu’un athlète atteint une
certaine notoriété, les entreprises vont chercher à signer un contrat avec lui
dans lequel il s’engage à céder tout ou partie de ses droits à l’image,
c’est-à-dire un contrat de sponsoring ou de parrainage.
En contrepartie, le sportif
reçoit un soutien matériel ou financier. Les contrats liés à son image sont la «
deuxième source de revenus des sportifs, juste après les salaires », fait
remarquer Vincent Mauriac. Le droit à l’image est en « lien direct »
avec la propriété intellectuelle car « on assiste à la patrimonialisation de
l’image et du nom sportif », précise-t-il.
Les contrats liés à l'image
des athlètes qui participent aux Jeux olympiques sont généralement différents
de ceux des footballeurs. Les clubs professionnels de football sont autorisés
par le code du sport à conclure avec leurs joueurs des contrats relatifs à
l’exploitation de leur image, nom et voix. Le sportif touche en échange des
redevances qui sont indexées sur le niveau des recettes générées par
l’exploitation commerciale de son image, dans le cadre des contrats signés par
le club avec les sponsors. Ces redevances sont touchées par le joueur en plus
du salaire prévu dans son contrat de travail.
La situation est différente
pour les sportifs qui n’ont pas de club, notamment les athlètes qui participent
aux Jeux olympiques dans une discipline individuelle. Dans ce cas, « le
sportif athlète va signer directement un accord de parrainage avec
l’entreprise, en échange d’un soutien financier pour les meilleurs d’entre eux,
et/ou un soutien matériel, car cela coûte très cher », explique Vincent
Mauriac. L’athlète individuel négocie le plus souvent avec l’aide d’un agent
lorsqu’il signe un contrat avec une entreprise.
Dans ce contrat, on retrouve
généralement une clause permettant au sponsor d’utiliser l’image du sportif,
mais aussi parfois des obligations de représentation, de relations publiques,
de participations à des séances d’autographes ou encore à des ouvertures de
magasins. « L'athlète se transforme en VRP. Il assure à la fois un rôle de
mannequin, mais également des obligations à réaliser de véritables prestations
de services pour son sponsor », résume Vincent Mauriac. Il peut y avoir des
« contrats très simples » et des « contrats très élaborés qui sont
très impliquant » pour l’athlète.
Pour
les JO 2024, les athlètes cèdent leur droit à l’image
En l’absence de contrat, le
sportif tombe dans le régime classique du droit à l’image, qu’il soit célèbre
ou non. « Comme tout un chacun, il va pouvoir s’opposer à l’usage de son
image et obtenir, le cas échéant, l’indemnisation de son préjudice économique
s’il y a eu divulgation de son image sans son accord », développe Vincent
Mauriac.
Pour
les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, les athlètes signent un
document dans lequel ils cèdent leur droit à l’image au Comité
d'organisation des Jeux olympiques (Cojo). L’objectif pour
les organisateurs est de pouvoir diffuser des photos et vidéos des athlètes
pour faire la promotion des JO avec les sponsors officiels, lors d’opérations
publiques ou lors de la retransmission par les diffuseurs. Une première version
de contrat de cession des droits à l’image a été soumise à signature sous la
forme d’un courrier adressé aux athlètes en amont des Jeux. Elle devait être
revue après février 2024 en intégrant des parties distinctes (autorisation de
diffusion des images séparée de la partie relative aux partenaires commerciaux)
(2).
De l’autre côté, de
nombreuses conditions s’appliquent à l’athlète et ses partenaires qui
souhaitent faire la promotion de son image pendant et après les Jeux.
Ces conditions sont définies
par la règle 40 de la Charte olympique du Comité international olympique (CIO)
(3). Les principes de cette règle 40 sont spécifiques aux JO 2024 de Paris, car
les dispositions évoluent à chaque édition. Ces dispositions se divisent en
deux grandes catégories.
D’abord, celles qui
s’appliquent aux partenaires
olympiques et paralympiques officiels des JO, c’est-à-dire les « marques ou
les sociétés ayant des contrats de parrainage ou de licence officiels »
avec les organisateurs de Paris 2024. Sont inclus les diffuseurs auxquels les organisateurs
ont accordé les droits de retransmission.
Ensuite,
il y a la catégorie des partenaires olympiques et paralympiques non officiels,
c’est-à-dire les « marques ou sociétés, ayant signé un contrat personnel
avec un participant, mais n’ayant pas de contrat de parrainage ou de licence
officiels » avec les organisateurs des JO.
Les
partenaires officiels ayant signé un contrat personnel avec un athlète sont
libres d'utiliser son image à des fins publicitaires et de diffuser des
messages publicitaires de « félicitations » durant les périodes des JO.
Quant aux athlètes, ils sont libres de faire la promotion de leurs partenaires
et de leur « adresser des messages de remerciement », prévoit la règle
40.
Les
règles sont différentes pour les partenaires non officiels. Pendant la période
des JO, les sponsors personnels sont autorisés à utiliser l’image des
participants à des fins publicitaires, mais seulement si cette publicité ne «
contient aucune propriété olympique ou paralympique », comme des logos ou
mascottes.
En outre,
l’utilisation de l’image des participants à des fins publicitaires n’est
autorisée que si elle « constitue une publicité générique »,
c’est-à-dire n’utilisant aucune image ou vidéo des JO, ni aucune propriété
olympique ou paralympique.
La
principale garantie de financement des JO
Les organisateurs des Jeux
ont ainsi mis en place des règles très strictes concernant le droit à l’image
et la propriété intellectuelle. Cela répond avant tout à la nécessité de
garantir le financement des JO en attirant les investisseurs et sponsors privés,
les coûts d’organisation étant trop importants pour être supportés par les
seules caisses publiques ou les fédérations sportives.
Le budget du Comité
d'organisation des JO 2024 de Paris, estimé à 4,38 milliards d’euros fin 2023,
est financé à 97% par des ressources privées. La vente des droits de
retransmission et droits commerciaux, partenariats et licences, devrait en
financer plus de la moitié : « 1,2 milliard provenant de la dotation du CIO,
dont 750 millions de droits de retransmission et 470 millions des Top Partners,
auxquels s’ajoutent 1,2 milliard provenant des partenariats propres du Comité
d’organisation et plus de 125 millions des licenciés de Paris 2024 »,
rapporte Laurent Nowak (4), associé-partner et conseil en propriété
industrielle chez Plasseraud IP.
Les partenaires officiels «
jouissent donc de l’exclusivité de pouvoir apposer ou associer leurs propres
marques à ces actifs extraordinaires que sont les propriétés olympiques et
paralympiques », souligne-t-il. Ils sont « essentiels pour qu’un
événement mondial comme les Jeux olympiques et paralympiques, qui devrait être
vu par 5 milliards de téléspectateurs à travers le monde et attirera près de 10
millions de visiteurs, puisse avoir lieu essentiellement par le biais de
financements privés ».
Pendant la durée des JO, la «
garantie, primordiale, de cette exclusivité revient au Comité d’organisation,
qui doit donc lutter quotidiennement contre les atteintes portées aux droits
qu’il détient ou dont il assure la défense sur le territoire français »,
ajoute Laurent Nowak. Les marques, logos, mascottes des Jeux de Paris, ainsi
que les termes « JO », les « Jeux Olympiques » et l’adjectif «
Olympique », sont strictement protégés.
« En plus d’une
protection classique par les marques ou les dessins et modèles, certaines de
ces propriétés olympiques se sont vu reconnaître le statut de marques notoires
par les tribunaux français sur le fondement du code de la propriété
intellectuelle », explique Laurent Nowak.
Les propriétés olympiques et
paralympiques sont également couvertes par des dispositions spéciales prévues
dans le code du sport.
Le geste sportif peut-il être protégé comme une œuvre d’art ?
Le geste
sportif peut-il être considéré comme celui d’un artiste et ainsi protégé par
les droits d’auteur ? D’après les spécialités, la réponse n’est pas tranchée
dans les conditions actuelles du droit. Le sprinteur jamaïcan à la retraite, Usain Bolt, est titulaire
d’une marque de l’Union européenne portant sur sa silhouette en noir et blanc,
déposée en novembre 2009 et renouvelée en 2019, souligne Thibault Lachacinski
(5), avocat associé au cabinet NFALAW. D'autres silhouettes célèbres de
sportifs ont été enregistrées à titre de marque, comme le logo « jumpman »
de Michael Jordan et qui a rendu ce dernier multimillionnaire.
Le droit des marques
représente donc un « outil pour le moins efficace pour assurer la
patrimonialisation du geste sportif », au moyen « d’un simple
enregistrement renouvelable tous les 10 ans » qui donne un droit exclusif
aux titulaires, explique Thibault Lachacinski.
Cependant, l’appréhension du
geste sportif par le droit d’auteur est difficile. Le code de la propriété
intellectuelle confère à « l’auteur d’une œuvre de l’esprit, du seul fait de
sa création, un droit de propriété incorporelle sur cette œuvre »,
précise-t-il. Il n’existe aucune opposition de principe à accueillir le geste
sportif parmi les créations protégeables par le droit d’auteur.
Le code de la propriété
intellectuelle fixe une liste des œuvres de l’esprit susceptibles d’être
protégées. « On y trouve notamment les œuvres littéraires, les conférences,
les plaidoiries… et plus près du geste sportif ‘les œuvres chorégraphiques’ »,
relève Marc Peltier (6), maître de conférences en droit à l’université de Nice
Sophia-Antipolis. Ainsi, une chorégraphie de patinage artistique lors des JO
semble pouvoir être protégée au titre du droit d’auteur, du moins
théoriquement.
Or, pour être protégé, le
geste sportif doit pouvoir être considéré comme artistique. « Il s’agit là
d’un obstacle potentiellement difficile à surmonter, dès lors que – par nature
– le geste sportif est avant tout un geste technique, apportant une réponse
sportive à une situation de jeu nécessitant une intervention de l’athlète pour
atteindre un objectif », analyse Thibault Lachacinski.
Le geste sportif s’inscrit
dans un « contexte sportif contraint et soumis aux règles de la compétition
». En outre, la « spontanéité/ improvisation propre au geste sportif et
sa nature instinctive, tout comme sa brièveté, ne favorisent pas non plus son
appréhension par le droit d’auteur », ajoute-t-il.
Ainsi, considérer le geste
sportif comme une invention ou une œuvre pourrait « entraîner l’application
d’un régime juridique inapproprié », conclut Marc Peltier.
Sylvain Labaune
1/ Conférence du 23 septembre
2023 : « Les défis du sport face à la propriété intellectuelle » au Centre
d'études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI) https://www.youtube.com/watch?v=W2TVeKUT228
2/ Paris 2024 : bisbille sur le droit à l’image des sportifs, l’organisation
plaide la « maladresse »
https://www.leparisien.fr/sports/JO/paris-2024/paris-2024-bisbille-sur-le-droit-a-limage-des-sportifs-lorganisation-plaide-la-maladresse-10-02-2023-PRJWBOE7KNBXVK7AUCET6PDA5U.php
3/ Consignes de communication pour l’application de la règle 40, Comité
national olympique et sportif français (CNOSF), décembre 2023 https://cnosf.franceolympique.com/api/media/sites/default/files/2024-03/Re%CC%80gle%2040%20-%20Consignes%20communication%20OLY%20-%20PARA%20-%20Paris%202024_VF.pdf
4/ « La protection spéciale des Propriétés Olympiques et Paralympiques en
France », décembre 2023
https://blip.education/la-protection-speciale-des-proprietes-olympiques-et-paralympiques-en-france
5/ « La patrimonialisation du geste sportif », Jurisportiva, Thibault
Lachacinski, mars 2023
https://www.jurisportiva.fr/articles/la-patrimonialisation-du-geste-sportif
6/ « Peut-on patrimonialiser le geste sportif ? », Marc Peltier, 2015
https://www.museedusport.fr/sites/default/files/Peut-on%20patrimonialiser%20le%20geste%20sportif_Marc%20Peltier.pdf