Invité des Rencontres
économiques Aix en Seine, Jacques Attali plaidait, vendredi 3 juillet,
pour une société altruiste et un investissement massif dans ce qu’il nomme
« l’économie
de la vie », soit la santé,
l’alimentation, l’éducation, la recherche, l’énergie propre, etc.
Après la crise sanitaire
mondiale que nous affrontons et face aux crises économiques et sociales à
venir, l’empathie deviendra-t-elle la valeur cardinale du XXIe siècle ?
La prise en compte des plus vulnérables, des personnes les plus fragiles
s’installera-t-elle au cœur de notre société post Covid-19 ? C’est la
question posée, vendredi 3 juillet, lors d’une masterclass des Rencontres
économiques Aix en Seine et à laquelle s’efforce de répondre l’invité Jacques Attali.
L’économiste et écrivain, président de la fondation Positive Planet, a beaucoup
réfléchi à ce sujet et, plus que l’empathie, il réclame que le siècle à venir
soit placé sous le signe de l’altruisme. « L’empathie, c’est la clef qui ouvre la porte mais la clef ne
suffit pas. L’empathie, c’est la capacité à reconnaître et à comprendre le
point de vue des autres. […] C’est la prise de conscience de ce que les autres
peuvent avoir un avis différent du vôtre mais cela ne va pas aussi loin que
l’altruisme, qui est de tirer des conséquences de ce que j’ai compris du point
de vue des autres pour déterminer mon propre comportement. L’altruisme est une
conséquence de l’empathie. […] Je me méfie de l’empathie si elle n’est qu’un
comportement de riche bourgeois qui prétend comprendre mais qui, pour autant,
ne tire pas les conséquences nécessaires », analyse-t-il. Cette crise
pourrait donc nous faire prendre conscience collectivement de la nécessité
d’une autre forme de société. Une société qui ne serait pas fondée sur l’égoïsme
ou le profit, mais bien sur l’empathie et l’altruisme, c’est-à-dire un vivre
ensemble où l’on agirait « dans
l’intérêt des autres », espère Jacques Attali.
Pour une économie de la vie
L’économiste fait le distinguo
entre deux types d’économies qui correspondent à ces deux modèles de
société : l’économie de la mort versus l’économie de la vie1,
basée sur l’empathie et l’altruisme. Dans le premier modèle, celui de notre
société, on cache la mort, et « comme
on ne la voit plus, on consacre moins de ressources que nécessaire à la
santé ». Lui propose un basculement vers l’économie de la vie. En
effet, « la pandémie a permis la
prise de conscience très simple que des secteurs vitaux avait été oubliés. La
santé par exemple, le secteur de l’hygiène, de l’alimentation et donc de
l’agriculture, l’éducation, la recherche, l’énergie propre, la gestion des
déchets, la culture, la démocratie, les médias, la sécurité, l’assurance, le
crédit, la logistique, le logement propre… », énumère-t-il. Ces
secteurs d’activités correspondent aujourd’hui entre 30 % et 65 % du
PIB selon les pays alors qu’ils devraient s’élever à 80 % selon lui.
Il faudrait alors reconnaître
certains secteurs comme « zombies »
(le plastique, la chimie, le pétrole, le textile et les industries de luxe,
l’automobile, l’aviation…) et les réorienter massivement dans cette économie
vertueuse. « Je ne veux pas dire
qu’il faut mettre au chômage tous les gens qui y travaillent mais il faut les
former en les rémunérant pour les convertir aux secteurs de l’économie de la
vie. Il faut assumer que donner de l’argent à Renault, Airbus pour continuer à
produire des voitures dont personnes ne veut ou des voitures qui vont polluer,
c’est absurde. Donner de l’argent à Airbus pour produire des avions, c’est
absurde. […] Donner de l’argent à des entreprises pour survivre encore un
instant monsieur le bourreau, c’est criminel parce que c’est de l’argent perdu »,
s’insurge-t-il. Les dépenses de santé sont aussi productives sinon bien plus
que les dépenses automobiles, argue-t-il, il faut donc les encourager.
On peut « faire
pire » qu’au XXe siècle
Pour l’économiste, ces
changements radicaux seraient la seule solution afin d’éviter aux enfants de
l’an 2000 de connaître la pandémie à 20 ans, la dictature à 30, et le désastre
climatique à 40. En comparaison, pour l’instant, le XXIe siècle a
commencé un peu moins mal que le XXe siècle (Première Guerre
mondiale en 1914, grippe espagnole en 1918, crise économique en 1929, Seconde
Guerre mondiale…), mais « on a
davantage les moyens de faire pire », alerte Jacques Attali. Face à ce
constat, il plaide pour une réforme de la Constitution qui affirmerait que
« toute décision contraire à
l’intérêt des générations futures [soit] inconstitutionnelle ».
Pour lui, pas de doutes,
l’économie de la vie l’emportera : « Cela va prendre du temps mais cette économie gagnera. »
Il ne se pense pas optimiste.
D’ailleurs, que l’on choisisse l’optimisme ou son pendant, le pessimisme,
« on a déjà perdu », car
c’est une position de spectateur. Plus que l’un ou l’autre, l’essentiel est
d’agir et « être un acteur s’impose
à tous les niveaux : comme consommateur, comme producteur, comme
épargnant, comme citoyen. Il faut privilégier partout l’économie de la vie »,
martèle l’économiste au terme de la masterclass.
Maïder Gérard
1) L’Économie de la vie. Se préparer à ce qui vient, Jacques Attali,
2020, Fayard.