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Jouets, propriété intellectuelle et contrefaçon

Jouets, propriété intellectuelle et contrefaçon
Publié le 21/12/2019 à 09:30


La période de Noël étant arrivée, les ventes de jouets explosent pour le bonheur des petits et souvent des grands. Mais l’industrie du jouet est, tout comme d’autres secteurs économiques aux enjeux colossaux, la cible des contrefacteurs.


En Europe, les contrefaçons de jouets représentent 14 % des saisies réalisées par les services douaniers, derrière les cigarettes mais devant les vêtements1. Les saisies de jouets représentent une valeur supérieure aux saisies de médicaments d’après une étude de l’OCDE2. L’EUIPO, l’office chargé de l’enregistrement des marques et dessins et modèles au niveau communautaire, a publié en 2015?une étude sur les conséquences économiques de la contrefaçon pour le secteur du jouet3.


Pour les contrefacteurs, il est particulièrement facile et rapide de copier des jouets, et de les mettre sur le marché.


Face à la contrefaçon, les moyens de protection des jouets sont pourtant multiples.


Un jouet peut être protégé de façon cumulative et distributive par des droits de propriété industrielle (marque, dessins et modèles pour l’apparence du produit, mais aussi de son emballage, brevet en cas d’invention portant sur un aspect technique), tous ces droits ayant en commun de nécessiter l’accomplissement d’une formalité (un dépôt auprès des Offices territorialement compétents, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en France par exemple), ou bien par le droit d’auteur, qui naît sur une œuvre originale du seul fait de la création, sans besoin de dépôt – même si dans certains pays, l’enregistrement d’un « copyright » est prévu par la législation locale.


Un peu à la marge des jouets, les jeux vidéo bénéficient également d’une protection sur leurs différents éléments : logiciel, base de données, « gameplay », dessins, musique, contenus audiovisuels. Toutefois pour ces produits, les mesures techniques de protection sont le premier rempart contre la contrefaçon.


L’INPI, dans une étude datée de décembre 20164, et le site www.ipwatchdog.com, dans un long article très détaillé5, ont largement illustré les différentes protections accordées à plusieurs jouets iconiques : Sophie la Girafe (dont le sifflet a fait l’objet d’un brevet), poupée Barbie, Monopoly, Game Boy – tous noms protégés au surplus par des marques soigneusement déposées par leur titulaire.


Les titulaires des droits cherchent d’ailleurs souvent à se voir accorder des droits aussi larges que possible sur leurs jouets – l’affaire du Rubik’s Cube6, visant à protéger sa forme par une marque tridimensionnelle (et donc un droit perpétuel sous réserve de renouvellement de la marque) en est une illustration. La brique LEGO n’est d’ailleurs pas qu’une brique – c’est une marque enregistrée par l’EUIPO, et il en va de même de la figurine Playmobil7. Juridiquement, force est de constater que ces jouets se reconnaissent immédiatement – ils sont bien des indicateurs d’origine et donc des marques valables.


Dans tous les cas, il est essentiel de définir très en amont, bien avant la mise sur le marché, une stratégie efficace de protection.
En premier lieu, confidentialité et secret (dont la protection a été récemment renforcée par la loi du 30
juillet 20188) sont à privilégier. Prudence également quant à la divulgation des jouets, qui pourrait empêcher le dépôt d’une demande de brevet ou de modèle.


Ensuite, il s’agit de définir une stratégie de dépôt, en définissant les éléments à protéger. Comment les protéger, et sur quels territoires (pays de vente et de fabrication des jouets, mais aussi pays soupçonnés d’héberger les contrefacteurs) ? La protection étant en principe acquise suivant la règle du premier arrivé, il est essentiel de ne pas tarder – les contrefacteurs étant souvent eux-mêmes très réactifs.


Bien évidemment, les spécificités locales (nécessité de procéder à un dépôt de copyright, traduction en langue locale, système de sous-classification utilisé pour les dépôts de marques en Chine…) sont autant d’écueils à éviter pour assurer un portefeuille de droits complets et efficaces.


La protection ainsi accordée aux jouets permettra de lutter aussi efficacement que possible contre les contrefacteurs. Les communiqués de presse annonçant des saisies de quantités importantes de jouets en témoignent9.


En France, outre la possibilité d’obtenir à l’amiable10 la cessation des actes de contrefaçon (qui peuvent n’être que le résultat d’une négligence d’un tiers de bonne foi), l’arsenal à la disposition des titulaires de droits de propriété intellectuelle (PI) est très fourni, et a déjà largement démontré son efficacité : droit à l’information étendu, saisies-contrefaçon, intervention des autorités douanières, etc.


Rappelons également les conséquences financières en cas de contrefaçon, avec une indemnisation renforcée depuis la loi de 2014 (dommage subi, préjudice moral, bénéfices et économies réalisées par le contrefacteur) et des mesures drastiques (publication de la condamnation, destruction des produits contrefaits). S’agissant également d’un délit pénal, les peines possibles sont lourdes : trois ans de prison et 300 000 euros d’amende en cas de contrefaçon, fermeture des établissements concernés.


Les dispositions légales ont d’ailleurs encore été récemment renforcées par la loi numéro 2019-486 du 22 mai 2019 dite loi PACTE11, et l’ordonnance numéro 2019-1169 du 13 novembre 201912, transposant une directive européenne de 2015 relative aux moyens de lutte contre les marchandises contrefaisantes en transit (et non destinées à une mise sur le marché de l’UE) et à lutter contre les actes préparatoires de contrefaçon.


Toutefois dans une économie globalisée, la lutte contre les contrefacteurs devra bien souvent être menée à l’étranger, et plus particulièrement en Chine, qui concentre environ 70 % de la fabrication mondiale de jouets.


Les autorités chinoises sont de plus en plus sensibles à ces questions : l’Agence chinoise de lutte contre la contrefaçon (AIC) peut être particulièrement efficace13, et le droit local se durcit constamment. La loi du 23 avril 2019, applicable depuis le 1er novembre dernier, prévoit de lutter plus efficacement contre les dépôts de marque manifestement frauduleux, tout en doublant le montant des indemnités dues en cas de contrefaçon de marque14. Au niveau douanier, un système d’enregistrement de droits de PI (marques, brevets, copyright) permet de bénéficier de l’intervention de la Douane chinoise.


En outre, il est également possible de lutter contre les ventes en ligne, réalisées sur des sites tels que taobao.com, 1688.com ou alibaba.com, en déclarant auprès des sociétés exploitant ces sites les droits de PI.


Des affaires très largement médiatisées viennent confirmer que la Chine n’est pas un état de non-droit s’agissant de contrefaçon de jouets, comme l’ont récemment démontré des affaires concernant Peppa Pig (atteinte au copyright déposé en Chine en 2014 sur les personnages) ou encore Lego15 (atteinte au copyright également). La marque LEGO a d’ailleurs été reconnue comme « well-known » par la Cour de Beijing, renforçant sa protection sur ce marché crucial pour l’industrie du jouet.


Ceci étant, malgré une évolution positive sous la pression des partenaires occidentaux, les volumes colossaux expédiés de Chine ne peuvent tous être contrôlés, et une part substantielle des contrefaçons peut être mise sur le marché – la qualité des imitations réalisées rendant souvent difficile leur détection.


En définitive, face aux contrefacteurs, les fabricants de jouets ne sont pas démunis et les outils juridiques, sans cesse renforcés et adaptés, permettent une protection efficace. Ceci étant, il s’agit d’une matière complexe, internationale, et la réflexion autour d’une protection adaptée doit être accompagnée par un professionnel.
Les conseils en propriété industrielle16 sont, de par leurs compétences complètes en matière de PI (brevets, marques, dessins et modèles) et leur réseau international, les interlocuteurs privilégiés de ces problématiques.


 


Fabrice Pigeaux,

Conseil en propriété industrielle,

Santarelli


 


1) https://www.capital.fr/economie-politique/le-palmares-des-produits-les-plus-contrefaits-en-europe-1351454

2) Trends in Trade in Counterfeit and Pirated Goods, étude réalisée conjointement avec l’EUIPO, 18 mars 2019, https://www.oecd.org/newsroom/trade-in-fake-goods-is-now-33-of-world-trade-and-rising.htm

3) https://euipo.europa.eu/tunnel-web/secure/webdav/guest/document_library/observatory/resources/research-and-studies/ip_infringement/study4/toys_games_fr.pdf

4) Les jouets vus par la propriété industrielle, https://www.inpi.fr/sites/default/files/etude_jouets0212.pdf

5) https://www.ipwatchdog.com/2018/12/23/iconic-patented-toys-games/id=91631/

6) https://www.dalloz-actualite.fr/flash/rubik-s-cube-un-face-face-sur-sa-forme-et-sa-fonction-technique#.XepRGOhKiUk

7) Respectivement, marques EU n° 4938635 et 10065258.

8) https://www.village-justice.com/articles/secret-des-affaires-une-loi-meconnue-protegeant-les-informations-sensibles-des,30922.html

9)https://www.nouvelobs.com/economie/20190428.OBS12209/les-lego-etaient-des-faux-un-reseau-demantele-en-chine.html

10) La tentative d’une résolution amiable est d’ailleurs un préalable obligatoire à la saisie d’un juge depuis le décret 2015-282 du 11 mars 2015.

11 )https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=5DC91E88AE766475081C20BBF749948B.tplgfr21s_2? cidTexte= LEGITEXT000038497477&
dateTexte=20200101

12) https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039373287&categorieLien=id

13) https://www.capital.fr/entreprises-marches/chine-30-millions-de-dollars-de-faux-jouets-saisis-en-chine-1336505

14) https://www.china-briefing.com/news/chinas-new-trademark-law-effect-november-1-2019/

15) https://www.scmp.com/news/china/society/article/2160776/chinese-firms-ordered-stop-selling-peppa-pig-themed-toys-after ; https://www.reuters.com/article/us-lego-china-copyright/toymaker-lego-wins-court-case-against-chinese-copycats-idUSKCN1NA2QF

16) Site de la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle : https://www.cncpi.fr/


 


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