Le bourdon Emmanuel est en deuil et ne
sonnera pas à Pâques. La lourde cloche de Notre-Dame de Paris, si fière de son Te Deum de 1944 et des Noëls
festifs de la capitale, est accablée. La cathédrale des fêtes et des obsèques,
des baptêmes et des mariages heureux, haut-lieu de l’Esprit et de l’espoir, s’est
tue. Les amoureux s’y asseyaient dans la nef et s’y embrassaient. Sa flèche s’y
dressait vers le ciel et s’y est embrasée. Il y a en ce Carême un cruel lundi
des cendres. Médiévale mais éternelle. Lapidaire et lumineuse. « Joyeuse et…
douloureuse », disait Péguy. Désormais silencieuse. Dévêtue. Habillée de ses seuls arcs-boutants
qui ont tenu. Gargouilles et chimères sont restées stoïques à travers les
flammes. Les anges et les Rois de Juda de sa façade veillent. Les matines, les
laudes, les vêpres et autres complies ne s’y accompliront plus avant longtemps.
Les obus germains du kaiser l’ont miraculeusement épargnée en 1918 et la fureur du Führer désobéi n’a
pas réussi à l’exterminer. Louis XIV y a ajouté des décors. Napoléon y a mis en
scène son sacre. Pierre Cochereau, sur les 5 claviers de son orgue aux 86 jeux,
a enchanté ses voûtes gothiques. Hailé Sélassié d’Éthiopie s’y est recueilli à
la mémoire du général de Gaulle. Helmut Kohl y a pleuré en priant pour l’âme de
François Mitterrand. Notre-Dame, dans la Cité. Au cœur d’une île baignée par le
fleuve séquanien qui a vu passer les invasions et les réconciliations, et qui a
inspiré tellement d’artistes poussant leur talent au paroxysme, architectes,
sculpteurs, verriers… Notre-Dame, leur chef-d’œuvre. La majestueuse église, qui
a tant enflammé romanciers et peintres sans jamais se consumer, qui a tant
rassuré pèlerins et fidèles, qui a tant ébloui les visiteurs venus de partout,
a créé bien du lien entre les peuples. Elle doit renaître, vite, car elle est la
grand-mère dix fois nonagénaire universelle. En réalité intemporelle. Celle dont
tous les habitants de la Terre sont les protégés. Notre-Dame. Forte émotion.
Grave commotion. Mais pas de résignation ! On rêve que son cœur y batte à nouveau
dans son choeur. Une relique rare est toujours là, quelque part dans la Cité.
Nombreux sont ceux qui disent qu’elle a couronné un homme ayant souffert pour
les hommes. Ils pensent que cet homme crucifié aurait ressuscité. La couronne d’Épines
a été préservée. Puisse son reliquaire ressusciter rapidement à son tour !
Étienne Madranges,
Ancien directeur d’administration centrale