ACTUALITÉ

L’avenir de la gestion de la forêt française

L’avenir de la gestion de la forêt française
Publié le 20/12/2019 à 09:49




La forêt constitue en France un objet historique et central de la politique de protection de l’environnement. Mis en place sous l’administration de Colbert (notamment par l'Ordonnance de 1669 de Louis XIV « sur le fait des Eaux et Forêts »), la longévité et le renouveau des règles d’exploitation et de protection des forêts traduisent la forte conscience des enjeux qui entourent cet élément incontournable du patrimoine naturel français.


En effet, en 2018, les forêts couvraient 16,9 millions d’hectares, soit 31 % du territoire de France métropolitaine (une augmentation de la superficie boisée de 21 % sur ces trente dernières années1), qui se répartissent entre 25 % de forêts appartenant à des personnes publiques et 75 % à des personnes privées (12,6 millions d’hectares).


Si les origines de la législation forestière sont anciennes et évolutives, c’est à raison des fonctions uniques et essentielles que la forêt occupait, et qu’elle est vouée à occuper. De longue date, l’on reconnaît que les forêts remplissent quatre fonctions majeures : la production de bois, la protection de la biodiversité, l’accueil du public, et la protection contre les risques naturels. À l’avenir, la filière forêt-bois aura un rôle essentiel à jouer dans l’atténuation du changement climatique, où ses fonctions de source d’énergie et de matériaux, de protection de la biodiversité et surtout, de stockage du carbone, devront faire l’objet d’une attention exacerbée2.


C’est donc au regard de ses fonctions traditionnelles que la réglementation a été établie, et au regard de celles d’avenir que devront être établies les nouvelles règles et politiques d’encadrement des forêts.


À l’heure actuelle, s’il existe deux régimes principaux de gestion des forêts, l’un pour les forêts des personnes publiques (II), l’autre pour celles des personnes privées (III), leur coordination est assurée par l’existence d’objectifs et d’orientations communs qui les encadrent en amont, et dont l’évolution est la condition sine qua non de l’adaptation de la filière forêt-bois à ses fonctions d’avenir (I).


 

Domaine national de Chambord


Les outils de planification et de gestion forestière : une mise en œuvre de la politique forestière nationale


Planifier une gestion harmonieuse et cohérente d’un patrimoine aussi vaste que celui des forêts françaises nécessite une politique globale en toile de fond, dont la mise en œuvre ne peut qu’être gérée par un programme national décliné à l’échelle régionale pour une adaptation à l’échelle territoriale la plus précise possible.


Si la politique forestière française intègre depuis la loi d'orientation forestière de 2001 l’enjeu du développement durable, c’est la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 qui a résolument fait basculer cette politique vers des objectifs d’avenir, en prévoyant que par celle-ci, l’État veille à « l'optimisation du stockage de carbone dans les bois et forêts, le bois et les produits fabriqués à partir de bois » mais aussi à la biodiversité, à l'adaptation des forêts au changement climatique, tout en veillant à la satisfaction des besoins des industries du bois, et au développement des territoires (article L. 121-1 du Code forestier).


Cette politique se traduit dans les faits par la rédaction d’un Programme National de la Forêt et du Bois (PNFB) qui précise pour dix ans les orientations de la politique forestière, et détermine les objectifs économiques, environnementaux et sociaux fondés sur des indicateurs de gestion durable ; pour sa parfaite élaboration, il est soumis à la participation du public et à l’avis du Conseil supérieur de la forêt et du bois (article L. 121-2-2 du Code forestier).


Mais la forêt étant une source de biodiversité majeure, ce programme doit être compatible avec les orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques (article D. 121-1 du Code forestier).


Conscient des difficultés d’application directe à l’échelle locale, le législateur a prévu que dans les deux ans suivant l'édiction du PNFB, un Programme régional de la forêt et du bois (PRFB) adapte à chaque région les orientations et les objectifs du PNFB (article L. 122-1 du même code), tandis que le PNFB peut prévoir les territoires interrégionaux qui justifient, de par leurs caractéristiques communes, une coordination des programmes régionaux de la forêt et du bois. Ce PRFB se décline lui-même à une échelle plus fine, soit régionale, soit départementale, dont les documents doivent tenir compte du PRFB (même article). Il s’agit ici des directives régionales d’aménagement (ou DRA, pour les forêts domaniales), des schémas régionaux d’aménagement (ou SRA, pour les forêts des collectivités territoriales relevant du régime forestier) et des schémas régionaux de gestion sylvicole (ou SRGS, pour les forêts privées).


Cette architecture en cascade vise à garantir que la politique forestière ne reste pas lettre morte, et s’attache véritablement à ses objectifs d’avenir : contribuer à l’atténuation du réchauffement climatique tout en protégeant la biodiversité et l’activité économique nécessaire. Mais le PNFB actuel est-il suffisant au regard de ces objectifs ?


Pour la stratégie nationale bas-carbone, le volet forêt revêt une importance particulière : elle est un espace de séquestration du CO2 à fort potentiel et une source de matière essentielle pour atteindre un mix énergétique plus équilibré. Dans le scénario idéal, les forêts françaises absorberaient en 2050 plus de 30 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de toutes les émissions de l’industrie, des transports, de la production d’énergie et du traitement des déchets.


Mais le PNFB 2016-2026 actuellement en vigueur semble pourtant insuffisant sur ces aspects. S’il constate que la filière forêt-bois permet de compenser environ 20 % des émissions françaises de CO2 grâce au stockage de carbone en forêt, dans les produits bois et à la substitution d’énergies fossiles et de matériaux, il ne prévoit aucun objectif chiffré d’augmentation de la compensation, que l’on est pourtant en droit d’attendre3. Or, en tant que premier échelon du maillage territorial de la politique forestière nationale, ses lacunes se répercutent sur l’ensemble des programmes et schémas subséquents, ce qui laisse penser qu’à court terme, cette politique est insuffisante, et qu’à plus long-terme, elle devra continuer à opérer des changements drastiques pour que la France atteigne ses objectifs de réduction d’émissions de CO2 et d’équilibre dans sa politique énergétique.


 


La gestion des forêts publiques


Les forêts appartenant aux personnes publiques (25 % de la surface boisée en France métropolitaine) doivent, comme telles, être considérées comme des espaces où l’action de l’administration doit remplir une mission d’intérêt général. Un rapport du Programme des Nations unies pour l'Environnement de 2011 (PNUE) estime en effet qu'en investissant 40 milliards de dollars supplémentaires par an dans le secteur forestier (soit une hausse de 0,034 % du PIB mondial), la déforestation pourrait diminuer de moitié d'ici 2030, et les plantations d'arbres augmenteraient de près de 140 %. L’investissement public pourrait ici se révéler absolument essentiel.


Ces forêts sont en principe soumises au régime forestier (article L. 211-1 du Code forestier) qui constitue un ensemble de règles applicable à celles qui appartiennent aux personnes publiques. Il s’agit pour faire simple des bois et forêts de l’État (ainsi que des forêts domaniales) et des collectivités territoriales. Elles font partie du domaine privé de ces personnes publiques.


Aussi, en vertu des articles L 221-1 et suivants du Code forestier, la gestion des forêts soumises au régime forestier est confiée à l’Office National des Forêts (ONF), un établissement public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l'État.


Plus précisément, l’État passe un contrat pluriannuel avec l’ONF qui détermine notamment les obligations de service public à sa charge, les missions d’intérêt général qui lui sont confiées et les moyens nécessaires à leur mise en œuvre.
En somme, la mise en œuvre de la politique nationale est complètement déléguée par contrat. Il faut donc espérer, sans pouvoir le contrôler, que ce contrat prenne en compte tous les enjeux du PNFB, car la participation du public et du Conseil supérieur de la forêt et du bois n’est pas prévue à ce stade.


Cependant, l’ONF peut compter sur les DRA et les SRA pour une gestion conforme au PRFB, mais aussi sur des instruments encore plus précis que sont les arrêtés d’aménagement (article D. 212-1 et suivants du Code forestier), qui doivent respecter les déclinaisons du PRFB dans leur élaboration, et qui sont des documents de gestion qui prévoient l'aménagement forestier nécessaire à chaque bois ou forêt relevant du régime forestier.


Or, si la gestion des forêts françaises ne semble pas en péril, dans un contexte où la surface forestière croît sans cesse depuis une trentaine d’années, l’ONF pourrait être démantelée et les forêts des personnes publiques soumises au régime forestier seraient alors confiées à des personnes privées.


Dans quelles mesures alors ces personnes privées seront-elles en mesure de faire application des objectifs des politiques nationales et régionales, notamment dans un objectif de gestion durable ? C’est l’inquiétude que partagent le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel (SNUPFEN) et France Nature Environnement face à cette éventualité où les logiques productivistes pourraient l’emporter sur celles de la conservation et de la solidarité territoriale4.


L’avenir des forêts publiques est donc à ce stade incertain. Mais si la gestion des activités économiques se retrouvait séparée de celle des activités « environnementales », alors il faudrait songer à renforcer au sein des arrêtés d’aménagement le respect des engagements nationaux, par l’inscription d’objectifs chiffrés de stockage du carbone, et de production de bois pour des périodes définies, dont le respect serait contrôlé et sanctionnable par un organisme indépendant de la filière forêt-bois.


Cependant, les forêts soumises au régime forestier ne représentent que 25 % du total de la surface forestière métropolitaine. D’où les enjeux principaux pour l’avenir de la forêt française qui se concentrent sur les forêts privées.


 


La gestion des forêts privées


Depuis une loi de 1963, le principe est posé que les propriétaires privés de forêts sont responsables de l’équilibre biologique du pays et de la satisfaction des besoins en bois (désormais article L. 112-2 du Code forestier). Mais pour ce faire, ils ne sont pas livrés à eux-mêmes.


Majoritaires sur le territoire métropolitain, les forêts appartenant aux personnes privées représentent 12,2 millions d'hectares (75 % de la surface boisée) appartenant à 3,5 millions de propriétaires différents, où 37 % de la surface concerne des propriétés de moins de 10 hectares. Pour en éviter une gestion anarchique, un cadre commun s’impose.


Elles répondent ainsi à un mode de gestion différent, qui pour autant n’échappe pas aux objectifs du PNFB en ce qu’il est décliné au niveau régional par les PRFB (œuvre des commissions régionales de la forêt et du bois) appliqués par des schémas régionaux de gestion sylvicole (œuvre des conseils régionaux de la propriété forestière ou CRPF).


En principe, depuis 2014, les propriétaires forestiers privés sont tenus de gérer leurs forêts conformément à un plan simple de gestion (ou PSG – pour toute parcelle d’une surface égale ou supérieure à 25 hectares) établi pour 10 ans au minimum et 20 ans au maximum (L. 312-1 et suivants du Code forestier), conformément aux directives et schémas régionaux, donc au SRGS (L. 122-3 du Code forestier). Il prévoit une brève analyse des enjeux économiques, environnementaux et sociaux de la forêt, et fixe le programme de coupes. S’il est agréé par le CRPF compétent, le propriétaire peut alors procéder sans formalités aux exploitations et coupes prévues.


La principale faiblesse de la gestion de ces forêts réside dans l’absence de gestion concertée par les propriétaires privés, qui gèrent au total 12 millions d’hectares, répartis entre des dizaines de milliers de propriétaires. Le morcellement est donc prégnant, et le législateur n’a pas osé contraindre les propriétaires, mais les a seulement incités à constituer des groupements forestiers ou associations syndicales de gestion forestière (articles L. 331-1 et suivants du Code forestier). Tout repose donc sur la validation du contenu des PSG par les CRPF, conformément au SRGS. Ce qui revient à nouveau à dire que lorsque les schémas régionaux sont insuffisants au regard des objectifs d’avenir de la forêt (stockage du carbone, production orientée vers du bois de chauffage ou de construction, etc.), il est très peu probable que les propriétaires privés s’engagent dans une voie plus vertueuse de gestion durable qui d’apparence leur est imposée.


Que faire dès lors pour remédier à ces lacunes ? Au-delà d’une révision drastique du PNFB pour la prochaine période (après 2026), et partant du constat qu’encourager l’initiative privée ne fonctionne pas réellement, deux pistes supplémentaires sont envisageables.
La première consisterait à contraindre les propriétaires privés au regroupement pour une gestion concertée afin de compenser les effets de morcellement. La seconde – complémentaire – pourrait consister en une incitation fiscale à constituer des obligations réelles environnementales basées (L. 132-3 du Code de l’environnement) sur le potentiel de stockage du carbone d’une forêt. Plus précisément, il pourrait s’agir pour les propriétaires privés de grever leurs biens d’une obligation de maintenir un potentiel de stockage de quantité de CO2
?à un niveau déterminé, voire de l’augmenter, de limiter certaines coupes, de favoriser certaines espèces en allant au-delà de ce que prévoit le SRGS, etc.


En somme, les acteurs de la gestion de la forêt française doivent prendre conscience des fonctions d’avenir que les forêts seront amenées à jouer dans l’atténuation du réchauffement climatique, afin d’accorder sur celles-ci le prochain programme national et tous les éléments subséquents qui en font application aux plus petites échelles territoriales. Avec la politique bas-carbone qui se profile de plus en plus sérieusement, la forêt française a un rôle essentiel à jouer, que seule une nouvelle politique forte et contraignante – notamment pour les acteurs privés, majoritaires – pourra concrétiser.


 


NOTES :


1) Institut national de l’information géographique et forestière, « Le mémento – Inventaire forestier 2018 ».

2) A. Roux, J.-F. Dhôte (Coordinateurs), D. Achat, C. Bastick, A. Colin, A. Bailly, J-C. Bastien, A. Berthelot, N. Bréda, S. Caurla, J-M. Carnus, B. Gardiner, H. Jactel, J-M. Leban, A. Lobianco, D. Loustau, C. Meredieu, B. Marçais, C. Moisy, L. Pâques, E. Rigolot, L. Saint-André, B. Schmitt (2017). « Quel rôle pour les forêts et la filière forêt-bois française dans l’atténuation du changement climatique ? Une étude des freins et leviers forestiers à l’horizon 2050 ». Rapport d’étude pour le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, INRA et IGN, 96 p. + 226 p. (annexes).

3) Programme national de la forêt et du bois 2016-2016, ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.

4) https://reporterre.net/Forets-publiques-l-Etat-reflechit-au-demantelement-de-l-ONF.


 


Benjamin Huglo,

Docteur en droit,

Huglo Lepage Avocats



Antoine Juquin,

Juriste


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles