La forêt constitue en France un objet historique et central de la
politique de protection de l’environnement. Mis en place sous l’administration
de Colbert (notamment par l'Ordonnance de 1669 de Louis XIV « sur le fait des Eaux et Forêts »),
la longévité et le renouveau des règles d’exploitation et de protection des
forêts traduisent la forte conscience des enjeux qui entourent cet élément
incontournable du patrimoine naturel français.
En effet, en 2018, les forêts couvraient 16,9 millions d’hectares, soit
31 % du territoire de France métropolitaine (une augmentation de la
superficie boisée de 21 % sur ces trente dernières années1),
qui se répartissent entre 25 % de forêts appartenant à des personnes
publiques et 75 % à des personnes privées (12,6 millions d’hectares).
Si les origines de la législation forestière sont anciennes et
évolutives, c’est à raison des fonctions uniques et essentielles que la forêt
occupait, et qu’elle est vouée à occuper. De longue date, l’on reconnaît que
les forêts remplissent quatre fonctions majeures : la production de bois,
la protection de la biodiversité, l’accueil du public, et la protection contre
les risques naturels. À l’avenir, la filière forêt-bois aura un rôle essentiel à
jouer dans l’atténuation du changement climatique, où ses fonctions de source
d’énergie et de matériaux, de protection de la biodiversité et surtout, de
stockage du carbone, devront faire l’objet d’une attention exacerbée2.
C’est donc au regard de ses fonctions traditionnelles que la
réglementation a été établie, et au regard de celles d’avenir que devront être
établies les nouvelles règles et politiques d’encadrement des forêts.
À l’heure actuelle, s’il existe deux régimes principaux de gestion des
forêts, l’un pour les forêts des personnes publiques (II), l’autre pour celles
des personnes privées (III), leur coordination est assurée par l’existence
d’objectifs et d’orientations communs qui les encadrent en amont, et dont
l’évolution est la condition sine qua non de l’adaptation de la filière
forêt-bois à ses fonctions d’avenir (I).
Domaine
national de Chambord
Les outils de planification et de
gestion forestière : une mise en
œuvre de la politique forestière nationale
Planifier une gestion harmonieuse et cohérente d’un patrimoine aussi
vaste que celui des forêts françaises nécessite une politique globale en toile
de fond, dont la mise en œuvre ne peut qu’être gérée par un programme national
décliné à l’échelle régionale pour une adaptation à l’échelle territoriale la
plus précise possible.
Si la politique forestière française intègre depuis
la loi d'orientation forestière de 2001 l’enjeu du développement durable, c’est la loi
d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 qui a résolument fait
basculer cette politique vers des objectifs d’avenir, en prévoyant que par
celle-ci, l’État veille à « l'optimisation du stockage de carbone
dans les bois et forêts, le bois et les produits fabriqués à partir de bois »
mais aussi à la biodiversité, à l'adaptation des forêts au changement
climatique, tout en veillant à la satisfaction des besoins des industries du
bois, et au développement des territoires (article L. 121-1 du Code
forestier).
Cette politique se traduit dans les faits par la rédaction d’un
Programme National de la Forêt et du Bois (PNFB) qui précise pour dix ans
les orientations de la politique forestière, et détermine les objectifs
économiques, environnementaux et sociaux fondés sur des indicateurs de gestion
durable ; pour sa parfaite élaboration, il est soumis à la participation
du public et à l’avis du Conseil supérieur de la forêt et du bois (article L. 121-2-2 du Code forestier).
Mais la forêt étant une source de biodiversité majeure, ce programme
doit être compatible avec les orientations nationales pour la préservation et
la remise en bon état des continuités écologiques (article D. 121-1 du Code forestier).
Conscient des difficultés d’application directe à
l’échelle locale, le législateur a prévu que dans les deux ans suivant
l'édiction du PNFB, un Programme régional de la forêt et du bois (PRFB) adapte
à chaque région les orientations et les objectifs du PNFB (article L. 122-1 du même code), tandis que
le PNFB peut prévoir les territoires interrégionaux qui justifient, de par
leurs caractéristiques communes, une coordination des programmes régionaux de
la forêt et du bois. Ce PRFB se décline lui-même à une échelle plus fine, soit
régionale, soit départementale, dont les documents doivent tenir compte du PRFB
(même article). Il s’agit ici des directives régionales d’aménagement (ou DRA,
pour les forêts domaniales), des schémas régionaux d’aménagement (ou SRA, pour
les forêts des collectivités territoriales relevant du régime forestier) et des
schémas régionaux de gestion sylvicole (ou SRGS, pour les forêts privées).
Cette architecture en cascade vise à garantir que la
politique forestière ne reste pas lettre morte, et s’attache véritablement à
ses objectifs d’avenir : contribuer à l’atténuation du réchauffement
climatique tout en protégeant la biodiversité et l’activité économique
nécessaire. Mais le PNFB actuel est-il suffisant au regard de ces
objectifs ?
Pour la stratégie nationale bas-carbone, le volet
forêt revêt une importance particulière : elle est un espace de
séquestration du CO2 à fort potentiel et une source de matière essentielle pour atteindre un
mix énergétique plus équilibré. Dans le scénario idéal, les forêts françaises
absorberaient en 2050 plus
de 30 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de toutes
les émissions de l’industrie, des transports, de la production d’énergie et du
traitement des déchets.
Mais le PNFB 2016-2026 actuellement
en vigueur semble pourtant insuffisant sur ces aspects. S’il constate que la
filière forêt-bois permet de compenser environ 20 % des émissions
françaises de CO2 grâce au
stockage de carbone en forêt, dans les produits bois et à la substitution
d’énergies fossiles et de matériaux, il ne prévoit aucun objectif chiffré
d’augmentation de la compensation, que l’on est pourtant en droit d’attendre3.
Or, en tant que premier échelon du maillage territorial de la politique
forestière nationale, ses lacunes se répercutent sur l’ensemble des programmes
et schémas subséquents, ce qui laisse penser qu’à court terme, cette politique
est insuffisante, et qu’à plus long-terme, elle devra continuer à opérer des
changements drastiques pour que la France atteigne ses objectifs de réduction
d’émissions de CO2 et
d’équilibre dans sa politique énergétique.
La gestion des forêts publiques
Les forêts appartenant aux personnes publiques (25 % de la surface
boisée en France métropolitaine) doivent, comme telles, être considérées comme
des espaces où l’action de l’administration doit remplir une mission d’intérêt
général. Un rapport du Programme des Nations unies pour l'Environnement de 2011 (PNUE) estime en effet qu'en investissant 40 milliards de dollars
supplémentaires par an dans le secteur forestier (soit une hausse de
0,034 % du PIB mondial), la déforestation pourrait diminuer de moitié
d'ici 2030, et les plantations d'arbres augmenteraient de près de 140 %.
L’investissement public pourrait ici se révéler absolument essentiel.
Ces forêts sont en principe soumises au régime forestier (article L. 211-1 du Code forestier) qui constitue un ensemble de règles
applicable à celles qui appartiennent aux personnes publiques. Il s’agit pour
faire simple des bois et forêts de l’État (ainsi que des forêts domaniales) et
des collectivités territoriales. Elles font partie du domaine privé de ces
personnes publiques.
Aussi, en vertu des articles L 221-1 et suivants du Code forestier, la gestion des forêts soumises au régime
forestier est confiée à l’Office National des Forêts (ONF), un établissement
public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de
l'État.
Plus
précisément, l’État passe un contrat pluriannuel avec l’ONF qui détermine
notamment les obligations de service public à sa charge, les missions d’intérêt
général qui lui sont confiées et les moyens nécessaires à leur mise en œuvre.
En somme, la mise en œuvre de la politique nationale est complètement déléguée
par contrat. Il faut donc espérer, sans pouvoir le contrôler, que ce contrat
prenne en compte tous les enjeux du PNFB, car la participation du public et du
Conseil supérieur de la forêt et du bois n’est pas prévue à ce stade.
Cependant,
l’ONF peut compter sur les DRA et les SRA pour une gestion conforme au PRFB,
mais aussi sur des instruments encore plus précis que sont les arrêtés
d’aménagement (article D. 212-1 et suivants du Code forestier),
qui doivent respecter les déclinaisons du PRFB dans leur élaboration, et qui
sont des documents de gestion qui prévoient l'aménagement forestier nécessaire
à chaque bois ou forêt relevant du régime forestier.
Or, si la
gestion des forêts françaises ne semble pas en péril, dans un contexte où la
surface forestière croît sans cesse depuis une trentaine d’années, l’ONF
pourrait être démantelée et les forêts des personnes publiques soumises au
régime forestier seraient alors confiées à des personnes privées.
Dans quelles
mesures alors ces personnes privées seront-elles en mesure de faire application
des objectifs des politiques nationales et régionales, notamment dans un
objectif de gestion durable ? C’est l’inquiétude que partagent le Syndicat
national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel (SNUPFEN) et
France Nature Environnement face à cette éventualité où les logiques
productivistes pourraient l’emporter sur celles de la conservation et de la
solidarité territoriale4.
L’avenir des forêts publiques est donc à ce stade incertain. Mais si la
gestion des activités économiques se retrouvait séparée de celle des activités
« environnementales », alors il faudrait songer à renforcer au sein
des arrêtés d’aménagement le respect des engagements nationaux, par
l’inscription d’objectifs chiffrés de stockage du carbone, et de production de
bois pour des périodes définies, dont le respect serait contrôlé et
sanctionnable par un organisme indépendant de la filière forêt-bois.
Cependant, les forêts soumises au régime forestier ne représentent que
25 % du total de la surface forestière métropolitaine. D’où les enjeux
principaux pour l’avenir de la forêt française qui se concentrent sur les
forêts privées.
La gestion des forêts privées
Depuis une loi de 1963, le principe est posé que les propriétaires
privés de forêts sont responsables de l’équilibre biologique du pays et de la
satisfaction des besoins en bois (désormais article L. 112-2 du Code forestier). Mais pour ce faire, ils ne sont pas
livrés à eux-mêmes.
Majoritaires sur le territoire métropolitain, les forêts appartenant aux
personnes privées représentent 12,2 millions d'hectares (75 % de la
surface boisée) appartenant à 3,5 millions de propriétaires différents, où
37 % de la surface concerne des propriétés de moins de 10 hectares.
Pour en éviter une gestion anarchique, un cadre commun s’impose.
Elles répondent ainsi à un mode de gestion différent, qui pour autant
n’échappe pas aux objectifs du PNFB en ce qu’il est décliné au niveau régional
par les PRFB (œuvre des commissions régionales de la forêt et du bois)
appliqués par des schémas régionaux de gestion sylvicole (œuvre des conseils
régionaux de la propriété forestière ou CRPF).
En principe, depuis 2014, les propriétaires forestiers privés sont tenus
de gérer leurs forêts conformément à un plan simple de gestion (ou PSG – pour
toute parcelle d’une surface égale ou supérieure à 25 hectares) établi
pour 10 ans au minimum et 20 ans au maximum (L. 312-1 et suivants du Code forestier), conformément aux directives et schémas
régionaux, donc au SRGS (L. 122-3 du Code
forestier). Il prévoit une brève analyse des enjeux économiques,
environnementaux et sociaux de la forêt, et fixe le programme de coupes. S’il
est agréé par le CRPF compétent, le propriétaire peut alors procéder sans
formalités aux exploitations et coupes prévues.
La principale faiblesse de la gestion de ces forêts réside dans
l’absence de gestion concertée par les propriétaires privés, qui gèrent au
total 12 millions d’hectares, répartis entre des dizaines de milliers de
propriétaires. Le morcellement est donc prégnant, et le législateur n’a pas osé
contraindre les propriétaires, mais les a seulement incités à constituer des
groupements forestiers ou associations syndicales de gestion forestière
(articles L. 331-1 et suivants du Code forestier). Tout repose donc sur la
validation du contenu des PSG par les CRPF, conformément au SRGS. Ce qui
revient à nouveau à dire que lorsque les schémas régionaux sont insuffisants au
regard des objectifs d’avenir de la forêt (stockage du carbone, production
orientée vers du bois de chauffage ou de construction, etc.), il est très peu
probable que les propriétaires privés s’engagent dans une voie plus vertueuse
de gestion durable qui d’apparence leur est imposée.
Que faire dès lors pour remédier à ces lacunes ? Au-delà d’une
révision drastique du PNFB pour la prochaine période (après 2026), et partant
du constat qu’encourager l’initiative privée ne fonctionne pas réellement, deux
pistes supplémentaires sont envisageables.
La première consisterait à contraindre les propriétaires privés au regroupement
pour une gestion concertée afin de compenser les effets de morcellement. La
seconde – complémentaire – pourrait consister en une incitation fiscale à
constituer des obligations réelles environnementales basées (L. 132-3 du
Code de l’environnement) sur le potentiel de stockage du carbone d’une forêt.
Plus précisément, il pourrait s’agir pour les propriétaires privés de grever
leurs biens d’une obligation de maintenir un potentiel de stockage de quantité
de CO2?à un niveau déterminé, voire de l’augmenter, de limiter
certaines coupes, de favoriser certaines espèces en allant au-delà de ce que
prévoit le SRGS, etc.
En somme, les acteurs de la gestion de la forêt française doivent
prendre conscience des fonctions d’avenir que les forêts seront amenées à jouer
dans l’atténuation du réchauffement climatique, afin d’accorder sur celles-ci
le prochain programme national et tous les éléments subséquents qui en font
application aux plus petites échelles territoriales. Avec la politique
bas-carbone qui se profile de plus en plus sérieusement, la forêt française a
un rôle essentiel à jouer, que seule une nouvelle politique forte et
contraignante – notamment pour les acteurs privés, majoritaires – pourra
concrétiser.
NOTES :
1) Institut
national de l’information géographique et forestière, « Le mémento –
Inventaire forestier 2018 ».
2)
A. Roux, J.-F. Dhôte (Coordinateurs), D. Achat, C. Bastick,
A. Colin, A. Bailly, J-C. Bastien, A. Berthelot,
N. Bréda, S. Caurla, J-M. Carnus, B. Gardiner,
H. Jactel, J-M. Leban, A. Lobianco, D. Loustau,
C. Meredieu, B. Marçais, C. Moisy, L. Pâques,
E. Rigolot, L. Saint-André, B. Schmitt (2017). « Quel
rôle pour les forêts et la filière forêt-bois française dans l’atténuation du
changement climatique ? Une étude des freins et leviers forestiers à
l’horizon 2050 ». Rapport d’étude pour le ministère de l’Agriculture
et de l’Alimentation, INRA et IGN, 96 p. + 226 p. (annexes).
3) Programme
national de la forêt et du bois 2016-2016, ministère de l’Agriculture et de
l’Alimentation.
4) https://reporterre.net/Forets-publiques-l-Etat-reflechit-au-demantelement-de-l-ONF.
Benjamin Huglo,
Docteur en droit,
Huglo Lepage Avocats
Antoine Juquin,
Juriste