Par un arrêt du 30 janvier 2020, la Cour
suprême européenne donne raison à 32 détenus, et invite la France à prendre des
mesures contre le surpeuplement carcéral.
C’est une décision importante en faveur des détenus. La Cour européenne
des droits de l’homme (CEDH), par un arrêt du 30 janvier 2020, J.M.B. et autres c. France, vient de condamner la
France pour ses conditions de détention dans des prisons surpeuplées.
La juridiction suprême européenne avait été saisie individuellement par
32 requérants issus des centres pénitentiaires de Ducos
(Martinique), Faa’a Nuutania (Polynésie française), Baie-Mahault (Guadeloupe)
ainsi que des maisons d’arrêt de Nîmes, Nice et Fresnes ; tous soutenus
par l’OIP (Observatoire international des prisons).
« Pas
de conditions de détention décentes »
Dans leurs
requêtes, introduites entre le 20 février 2015 et le 20 novembre 2017, ces détenus
invoquaient notamment la violation de l’article 3 (interdiction des traitements
inhumains et dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme,
alléguant que leurs conditions de détention étaient inhumaines et dégradantes.
Ainsi, le centre pénitentiaire de Ducos était pointé pour « la
proximité de la table à manger avec les toilettes, séparées du reste de la
cellule par un rideau », et pour l’insalubrité des cellules, « infestées
de rats, cafards, souris et fourmis », mais aussi pour la saleté des
toilettes, le manque d’hygiène, d’aération et de lumière, un climat de
violence, ou encore l’insuffisance voire l’absence de soins.
À la maison
d’arrêt de Nîmes, unique établissement pénitentiaire du Gard où le taux de
surpopulation était de 205 %
en janvier 2019, les requérants dénonçaient en outre l’état de vétusté des
cellules qu’ils « devaient parfois partager avec des détenus très âgés
dont ils devaient s’occuper ».
La Cour
européenne estime que les requérants ont, « pour la majorité d’entre
eux, disposé d’un espace personnel inférieur à la norme minimale requise de 3 m² pendant l’intégralité de leur
détention, situation aggravée par l’absence d’intimité dans l’utilisation des
toilettes ».
Pour les requérants qui ont disposé de plus de 3 m² d’espace personnel, la
juridiction suprême européenne considère que « les établissements dans
lesquels ils ont été ou sont détenus n’offrent pas, de manière générale, des
conditions de détention décentes ni une liberté de circulation et des activités
hors des cellules suffisantes ».
Elle observe
par ailleurs que si le gouvernement donne « une explication sécuritaire »
à l’absence de cloisonnement complet des sanitaires, cette justification « n’est
pas compatible avec l’exigence de protection de l’intimité des détenus
lorsqu’ils partagent des cellules sur-occupées », souligne-t-elle.
Des recours préventifs
ineffectifs
Les 32 requérants alléguaient par
ailleurs la violation de l’article 13 de la
Convention européenne des droits de l’homme (droit à un recours effectif) à
leur égard.
La CEDH leur
a également donné raison sur ce fondement, en affirmant que les recours
préventifs – le référé-liberté et le référé mesures utiles – étaient « ineffectifs
en pratique ».
En effet,
selon cette dernière, le pouvoir d’injonction conféré au juge a une portée
limitée, et la surpopulation carcérale et la vétusté de certains établissements
font « obstacle à la possibilité de faire cesser pleinement et
immédiatement des atteintes graves aux droits fondamentaux ».
La CEDH
réclame des mesures à la France
Par ailleurs, au-delà des six établissements directement concernés, la
Cour européenne des droits de l’homme « vient condamner le caractère
structurel des mauvaises conditions de détention en France, et demande à la
France de prendre des mesures permettant la résorption définitive de la surpopulation
carcérale », souligne l’OIP, qui rappelle en outre que 39 prisons françaises ont jusqu’à aujourd’hui été condamnées par la
justice pour conditions indignes de détention, dont 9 par la CEDH.
Qualifié par nombre de défenseurs des droits « d’historique »,
cet arrêt consacre donc une portée fondamentale, puisque « pour la
première fois, la CEDH impose à la France de procéder à des réformes générales »,
indique à son tour Nicolas Hervieu, juriste en droit public et droit européen
des droits de l’homme. Selon la juge européenne O’Leary, la décision devrait
donc jouer « un rôle important de catalyseur des changements qui
doivent être opérés par l’État ». Wait and see…
Bérengère Margaritelli