Pour mieux réparer le dommage corporel des
victimes, les professionnels du droit appellent à faire évoluer le droit
positif et la jurisprudence autour des postes de préjudices patrimoniaux prévus
dans la nomenclature Dintilhac, à l’instar de l’incidence professionnelle,
« mal indemnisée » et « difficile à démontrer », estime
la magistrate Marie-Christine Lagrange.
Dans la nomenclature Dintilhac, les postes de préjudices patrimoniaux
indemnisent les préjudices à caractère économique d’une victime. Véritable
révolution en 2005, ces postes doivent toutefois muter aujourd’hui, de l’avis
des spécialistes.
Ainsi, à l’occasion de son nouveau cycle « Réparation du dommage
corporel : défis et perspectives », la Cour de cassation organisait
le 17 septembre dernier, au cœur de sa Grand’Chambre, un colloque
d’inauguration invitant à revisiter les postes de préjudices patrimoniaux.
Objectif : faire prospérer la réflexion en dressant un état des lieux du
droit positif et en interrogeant les pratiques à l’œuvre, « pour faire
émerger les difficultés les plus saillantes et s'intéresser aux perspectives
d’évolution », affirme Anne Guégan, maître de conférences HDR à
l’École de droit de la Sorbonne et modératrice de la conférence.
Le tout, précise-t-elle, sur fond de réforme de la responsabilité civile,
« qui ne cesse d’être annoncée mais ne voit pas le jour »,
avec la seule certitude que le dommage corporel sera inscrit dans le Code
civil.
Assistance
par tierce personne : « connaître les besoins au quotidien »
Premier poste de préjudice soulevé par les intervenants :
l'assistance par tierce personne. Celle-ci figure dans la nomenclature
Dintilhac, considérée comme poste autonome s’agissant des préjudices
permanents, mais seulement une subdivision en ce qui concerne les préjudices
temporaires, explique Patrice Jourdain, professeur émérite de l’Université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Concrètement, cette assistance comprend l’aide infirmière, l’aide-ménagère,
l’aide à la personne, mais aussi la garde, l’éducation, l’entretien des enfants
ou encore l’aide administrative pour la gestion des affaires courantes. Dans un
arrêt de 2013, la Cour de cassation donne d’ailleurs une définition qui fait
apparaître deux conditions essentielles : l’existence d’un déficit
fonctionnel permanent (ainsi, les victimes par ricochet ne sont pas
concernées), et une assistance dans les actes de la vie quotidienne, ce qui
exclut donc l'assistance professionnelle. Mais la jurisprudence a apporté
d’autres précisions, par exemple l’absence d’incidence de l’aide familiale sur
le montant de l'indemnisation, l’absence de subordination de l’indemnisation à
des justificatifs de dépenses – ce qu’on indemnise, ce sont les besoins de la
victime, pas les dépenses qu’elle a été amenée ou non à exposer –, ou encore le
droit à un service dit « prestataire », c’est-à-dire que la victime
peut demander à être indemnisée quand elle va solliciter une entreprise
spécialisée qui va mettre un personnel à sa disposition. Elle n’est donc pas
obligée d’être indemnisée uniquement au titre d’un service dit
« mandataire », autrement dit, si elle emploie elle-même une
personne.
On peut se poser la question de l’assistance par tierce personne quand la
victime est hospitalisée. Sur ce point, note Patrice Jourdain, « la
jurisprudence est assez sévère » : en principe, la victime n’a
pas besoin d’une tierce personne, et n’a pas à être indemnisée à ce titre,
comme l’a rappelé un arrêt de 2019. « C’est une jurisprudence
critiquée, à juste titre me semble-t-il, estime le professeur. Ce n’est
pas parce que la victime est hospitalisée qu’elle n’a pas besoin d’une tierce
personne. Elle peut avoir des enfants dont il faut s’occuper ou elle peut avoir
besoin d’une assistance administrative. »
Le jugement peut d’ailleurs prévoir seulement certaines périodes
d’hospitalisation. Dans ce cas, deux solutions sont envisagées par la Cour de
cassation : soit la suspension de la rente allouée pendant la période en
question, soit une affectation des arrérages de la rente au paiement des frais
d’hospitalisation qui resteraient à la charge de la victime. Et si aucune
hospitalisation n’a été prévue au moment où le jugement a été rendu, par la
suite, il ne peut plus y avoir de suspension ou d’affectation des arrérages au
paiement des frais hospitaliers, ajoute Patrice Jourdain.
Un autre point pose question : qu’en est-il si les proches de la
victime ont joué le rôle de la tierce personne et ont été indemnisés ? La
victime peut-elle toujours demander une indemnisation ?
La Cour de cassation estime que oui dans un arrêt de 2013. « En
l'occurrence, une mère avait cessé son activité professionnelle pour s’occuper
de son enfant handicapé : elle avait été indemnisée pour son préjudice
propre, ce qui n’a pas empêché la victime d’obtenir elle aussi une
indemnisation », illustre le professeur.
Les bases de la notion d’assistance par tierce personne étant posées,
l’avocate Bénédicte Papin martèle qu’il s’agit de l’un des postes les plus
fondamentaux pour permettre à une victime de se reconstruire et envisager un
nouveau projet de vie. « Il n’est pas rare de constater que ce poste
peut constituer jusqu’à 30, 40 voire
50 % de l’indemnisation qui revient à une victime », appuie-t-elle, regrettant que dans le cadre d’une
expertise, il ne soit passé sur ce poste « que quelques minutes,
censées pourtant ouvrir droit à une indemnisation qui doit couvrir le besoin de
toute une vie ». D’où l’intérêt, selon elle, d’aborder ce sujet avec
« beaucoup de pugnacité et un dossier suffisamment étayé »
pour permettre à la personne de bénéficier de l’indemnisation intégrale de son
préjudice.
Problème, soulève l’avocate, il y a parfois une corrélation entre le taux
de déficit fonctionnel permanent (AIPP) et le temps de présence de la tierce
personne. Or, juge-t-elle, « il faut totalement décorréler ces deux
notions qui n’ont rien à voir ».
Un point de vue partagé par Marie-Christine Lagrange, magistrate
honoraire, qui juge une telle connexion « très dommageable ».
« On peut avoir un taux d’incapacité relativement faible et avoir quand
même besoin d’une tierce personne. D’ailleurs, dans un arrêt récent de la Cour
de cassation, on se rend bien compte qu’il est normal que quelqu’un qui ne peut
plus porter quoi que ce soit car il a les deux bras abîmés, ait besoin d’une
tierce personne », met-elle en évidence.
Bénédicte Papin appelle donc à « s’attacher au plus près à
connaître la vie de la victime pour pouvoir connaître ses besoins au quotidien ».
À ce titre, elle considère qu’il est nécessaire de prendre en considération une
journée-type ou une semaine-type, du moment où la personne se lève jusqu’à son
coucher. « La tierce personne doit se substituer à la victime dans les
actes de la vie courante, mais c’est aussi celle qui stimule, incite,
supervise, coache, porte une surveillance bienveillante durant la nuit, aide à
la parentalité… C’est pourquoi une expertise au domicile de la victime est
indispensable ». Or, aujourd’hui, mis à part les états
pauci-relationnels (état de conscience minimale) ou lourdement handicapés,
quasiment aucune expertise ne se passe au domicile de la victime. Une lacune
« extrêmement préjudiciable », déplore l’avocate.
Autre biais dommageable pour les victimes : la recherche de la
responsabilité peut se faire au détriment de l’évaluation des préjudices. Anaïs
Français est avocate au sein du cabinet Wenger-Français, notamment spécialisée
dans la défense des professionnels de santé dans le cadre de la mise en cause
de leur responsabilité. Elle regrette que « dans les affaires où il y a
une responsabilité médicale, très souvent, on s’attache d’abord à se prononcer
sur la responsabilité. D’ailleurs, l’expert est généralement passionné par la
recherche de responsabilité, beaucoup moins par l’évaluation des préjudices »,
pointe-t-elle.
L’intervention d’un unique expert peut, elle aussi, questionner. Bénédicte
Papin plaide ainsi pour la désignation automatique d’un collège d’experts. À
ses yeux, un seul expert n’est pas toujours capable de pouvoir évaluer l’importance
de la tierce personne. « Nous devons sensibiliser les magistrats sur
cette désignation d’experts qui doit être la plus étendue possible »,
insiste-t-elle.
« Il faut un expert médical spécialisé, ou bien que celui-ci
accepte de désigner un neurologue, un psychiatre ou autre » opine
Anaïs Français. Elle cite un arrêt de la cour d’appel de Versailles de 2020,
qui a infirmé une ordonnance de référé ayant ordonné deux expertises
indépendantes en nommant un ergothérapeute et un médecin chargés de missions
différentes. « La Cour a répondu que ce n’était pas possible, car cela
risquait de complexifier le rapport et les conclusions expertales, et a
considéré qu’un expert médical unique pouvait être désigné dans ce cadre, avec
la possibilité de s’adjoindre tout sapiteur ou sachant de son choix, et
notamment un ergothérapeute », développe l’avocate.
De son côté, si Marie-Christine Lagrange approuve les expertises
collégiales en théorie, en pratique, assure-t-elle, « c’est la croix et
la bannière ». « Désigner plusieurs experts, c’est la
quadrature du cercle pour les juridictions : c’est déjà le cas à Paris,
imaginez dans certaines villes de province ! » La magistrate
honoraire, consciente que ce problème est « très regrettable »,
admet qu’elle n’a pas de solution, à l’heure qu’il est, pour qu’il soit procédé
autrement. « La solution du sapiteur ergothérapeute est très souvent
adoptée, encore faut-il le trouver. Même si ce n’est pas un ergothérapeute
expert, il doit être suffisamment compétent et disponible pour accepter sa
mission. »
Même son de cloche du côté de la juridiction administrative. La magistrate
au tribunal administratif de Paris Marie-Nil Chounet, qui précise que
le juge se fie à l’évaluation de l’expert mais n’est pas tenu par son appréciation,
fait part de son expérience : « Parfois, des éléments vont nous
amener à considérer que cet avis de l’expert n’est pas celui qui nous semble le
plus juste. Certes, il serait préférable de recourir à un collège d’experts,
mais je rejoins Marie-Christine Lagrange : on a déjà de grandes
difficultés, dans un temps contraint, à trouver des spécialistes pertinents,
sans conflits d’intérêts. Rajouter un nouvel expert, c’est rajouter de la
complexité, du temps, des possibilités de contradiction. » Quand
l’expertise est problématique ou insuffisante, d’autres éléments sont pris en
compte, assure-t-elle. En particulier, la documentation sur le besoin et sur
l’aide apportée sont cruciaux, appuie-t-elle.
« Il faut documenter l’aide par tierce personne par tous les moyens
possibles, car l’expertise est centrale, mais dans les conditions qui sont les
nôtres et dans le cadre où l’expert dit une vérité qui est la sienne »,
concède-t-elle. D’autant que dans certains cas, il peut y avoir une exacte
évaluation en fonction de la réalité des dépenses exposées. Ainsi, la cour
administrative d’appel de Versailles a accepté, dans un arrêt de 2015,
d’indemniser les frais exposés en les évaluant non pas au montant SMIC horaire
mais au vu de la réalité des dépenses exposées, sur justificatifs, pourvu que
cela reste dans un ordre de grandeur raisonnable.
Parmi les autres points faisant débat, Bénédicte Papin évoque ensuite
l'articulation aide technique/aide humaine. Elle souhaite mettre les choses au
clair : « On entend souvent que l’aide technique permet de
diminuer la durée de présence de la tierce personne. Mais il ne faut pas
confondre. L’aide technique va apporter du soulagement, du soutien. Cela dit, quid
si ce matériel tombe en panne ? Il faut bien alors une personne pour pallier
cette absence. Même chose, si l’on apporte un matériel qui doit être manipulé,
une aide humaine est nécessaire. Oui, une aide technique peut être apportée,
mais elle ne doit pas gommer la nécessité d’une tierce personne. Elle peut
pallier une dépendance, mais ne compense pas la perte d’autonomie d’une
personne. »
Anaïs Français, de son côté, nuance : bien qu’elle comprenne le point
de vue de sa consœur, il lui semble que l’intérêt de l’expertise est d’avoir
une vision globale de la situation de la victime. « Il convient donc de
voir ce qui pourrait l’aider à retrouver une autonomie, une indépendance, et,
dans certains cas, ces éléments pourront être de nature à diminuer le besoin en
tierce personne. » L’avocate cite un exemple bien précis : un
arrêt de la cour d’appel de Lyon datant de 2015. Dans cette affaire,
monsieur M., appareillé depuis 2007 d’une prothèse lui
permettant de se déplacer et d’accomplir des actes de la vie courante, est
manifestement autonome. « Son autonomie sera renforcée quand il
profitera des fonctionnalités supplémentaires de la prothèse Genium (genou
électronique, ndlr), qui permet notamment de monter/descendre des escaliers,
et d’une maison aménagée. Cela semble plus judicieux pour monsieur M. de
bénéficier d’un logement parfaitement adapté et d’une prothèse haut de gamme
qui lui permettent d’avoir autonomie et indépendance, que d’un besoin chiffré
et évalué en tierce personne », estime l’avocate.
Pour sa part, Marie-Christine Lagrange reconnaît que l’on peut valablement
reprocher au juge du fond de sous-estimer la quantité nécessaire d’heures de
tierce personne. « Il est vrai que dans son pouvoir souverain, le juge
a tendance à être restrictif », avoue-t-elle, précisant qu’elle
s’est « souvent battue » pour qu’il soit décidé
d’allouer un nombre d’heures de tierce personne, mais n’a pas toujours
réussi. La magistrate honoraire rapporte aussi que les juges sont souvent
« très frileux », car l’enjeu économique « est énorme,
et il l’est d’autant plus quand la victime est jeune ».
La magistrate en profite pour axer le débat plus généralement sur la
conception liée à la tierce personne. « Quand on parle de la tierce
personne provisoire, avant consolidation, ce n’est pas un poste de préjudice,
c’est inclus dans le reste des frais divers. Cela montre à quel point, au
moment de la nomenclature, on ne lui a pas attaché l’importance qu’il aurait
fallu lui attacher », pointe-t-elle. Marie-Christine Lagarde ajoute
par ailleurs que l’on a très longtemps considéré que la notion de tierce
personne ne recouvrait que l’aide pouvant être apportée pour réaliser les actes
de la vie quotidienne. Or, dit-elle, la nomenclature Dintilhac est très claire,
et quand elle parle de la tierce personne, elle lui donne plusieurs
composantes : préserver la sécurité de la victime, suppléer sa perte
d’autonomie et contribuer à restaurer sa dignité. Sur la notion de dignité, la
magistrate indique que certains avocats de victimes ont invoqué cet aspect
inclus dans la définition de la nomenclature, puisque deux arrêts récents (2019 et 2020) y font allusion. « Je veux mettre en garde les avocats,
notamment de victimes, contre les nouvelles motivations. Les avocats ont
tendance à dire qu’il faut une tierce personne pour restaurer la dignité de la
personne. Encore faut-il le démontrer », affirme-t-elle. Et
d’insister : « Tout est un problème de preuve. Il faut prouver ce
qu’est la dignité pour votre client, cette victime bien précise – car le
principe de l’individualisation de l’indemnisation, c’est cela –, et en
quoi est-elle atteinte. Sinon, vous n’obtiendrez jamais plus d'heures que
celles qui consistent à pallier les carences dans la réalisation des actes de
la vie courante. » La magistrate précise qu’elle a vu « évoluer
les notions » et que le même problème refait surface régulièrement :
« les avocats utilisent de nouveaux critères, de nouveaux
arguments, sans rien démontrer. Évidemment, ça fait un flop. Alors que si vous
démontrez, vous faites avancer la jurisprudence. »
Les
frais de logement adapté, un "casse-tête" ?
Autre poste ayant concentré l’attention des conférenciers : les frais
de logement adapté.
Comme pour l’assistance par tierce personne, ces derniers sont considérés
comme un poste autonome dans la nomenclature Dintilhac s’agissant des
préjudices permanents, et seulement comme une subdivision des frais divers en
ce qui concerne les préjudices temporaires, précise de nouveau Patrice
Jourdain. « La jurisprudence est assez importante sur cette question et
parfois un peu confuse », avertit le professeur, qui distingue
d’entrée de jeu trois types de situation.
Tout d’abord, quand la victime est propriétaire de son logement :
s’il est possible d’adapter son logement, la victime sera indemnisée pour le
coût des frais d’adaptation. Si ce n’est pas possible, elle sera indemnisée du
surcoût lié à l’acquisition d’un nouveau logement adapté. « Concrètement,
cela signifie qu’on l’indemnisera pour le prix d’acquisition de ce nouveau
logement et qu’on déduira de ce prix d’acquisition le prix de vente ou la
valeur de son ancien logement, à quoi il faudra ajouter des frais de
déménagement », détaille Patrice Jourdain.
Si la victime est en revanche locataire de son logement, dans certains
cas, « assez rares », il sera possible, avec l’autorisation du
propriétaire, de modifier le logement pour l’adapter. Si ce n’est pas possible,
une autre hypothèse, « assez rare également », consiste à
indemniser pour le surcoût de loyer lié à la location d’un nouveau logement
adapté. Si aucune de ces solutions n’est possible, alors la jurisprudence,
« assez généreuse », commente le professeur, permet à la
victime d’acquérir un nouveau logement et d’être indemnisée du coût
d’acquisition ainsi que de l’aménagement de ce nouveau logement, s’il n’était
pas suffisamment adapté. En dernier recours, si cela est encore une fois
impossible, elle pourra prétendre à la construction d’un nouveau logement et
aura le droit d’obtenir une indemnisation au titre du prix d’acquisition du
terrain, du coût de la construction du logement sur ce terrain, sans oublier la
commission de l’agent immobilier. « La jurisprudence est assez
favorable dans la mesure où elle ne tient pas compte de l’économie réalisée par
le non-paiement des loyers, ni du fait que, ce faisant, la victime réalise un
placement immobilier », souligne Patrice Jourdain, qui ajoute qu’il
existe uniquement une exigence de causalité posée par la Cour de cassation.
« Cette jurisprudence est souvent critiquée, car on considère qu’il
faudrait au moins déduire du prix les loyers capitalisés dont la victime fait
l’économie. Mais si on le faisait, alors elle n’aurait pas les fonds
nécessaires pour acquérir le terrain et la construction. Il s’agit donc d’une
solution qui s’impose au titre du principe de la réparation intégrale de son
préjudice », expose-t-il.
Dernier cas de figure, plus complexe : la victime n’avait pas de
logement au moment de l’accident (par exemple, si elle vivait chez ses
parents). À ce titre, un arrêt de la 2e chambre civile de la
Cour de cassation de 2013?limite l’indemnisation au coût de l’aménagement d’un
logement acquis après l’accident, au motif que l’assureur n’a pas à financer
l’acquisition de la propriété d’un bien que la victime aurait dû acquérir,
n’ayant pas vocation à demeurer indéfiniment chez ses parents. Un autre arrêt
de 2017 retient que si l’aménagement d’un logement imposé par le handicap est
incompatible avec une location, alors la victime qui fait construire a droit au
coût de l’acquisition d’un terrain et au coût de la construction. La Cour pose
ici la condition de nécessité de la construction d’un logement adapté. Un autre
arrêt de 2014 affirme pour sa part que si le coût d’acquisition
est partiellement pris en charge par la compagne de la victime, cette part n’a
pas à être indemnisée. Pour Patrice Jourdain, il s’agit d’un arrêt surprenant,
car « on n’a pas à tenir compte de l’aide apportée par des proches pour
évaluer le préjudice de la victime ».
La jurisprudence est toutefois moins sévère la plupart du temps. Elle
retient par exemple, dans le cadre de l’aménagement du logement réalisé par un
proche, que la victime directe peut toujours demander réparation du préjudice,
même si les dépenses d’aménagement ont été prise en charge. Dans une autre
affaire, des parents avaient exposé des frais pour adapter leur logement au
handicap de leur enfant victime, et quelque temps après, celui-ci avait acquis
un logement. La victime a pu être indemnisée pour l’acquisition du logement et
pour les frais d’aménagement réalisés par ses parents avant qu’elle n’acquière
le nouveau logement. Enfin, un arrêt de la Cour de cassation de 2017?illustre le fait que dans certains cas, il est possible pour les proches
d’obtenir une indemnisation en plus de celle obtenue par la victime. Par
exemple, quand des parents font face à des frais pour aménager leur logement
pour recevoir leur enfant.
S’agissant des mineurs, le juge administratif n’hésite pas à procéder en
deux temps, affirme Marie-Nil Chounet. « Lorsque nous avons des mineurs
devant nous qui vont être amenés, à l’âge adulte, à vouloir habiter de façon
indépendante, nous réservons sur ce point le jugement, quitte à ce que la
personne revienne devant nous. Cela nous semble être une façon plus pertinente,
même si contraignante, de coller au plus près à l’évaluation du besoin le moment
venu. »
La magistrate est également revenue sur la « grande difficulté »
éprouvée par le juge administratif consistant à indemniser toute la part mais
seulement la part relative à l’adaptation nécessaire du handicap. « Quand
la personne est propriétaire, c’est relativement facile. Quand elle est
locataire, surtout du parc social, la situation est bien plus complexe. Plus
les personnes ont une situation précaire au niveau du logement, plus
l’indemnisation est compliquée, car elle implique des changements majeurs en
termes de qualité du logement, etc. », soutient-elle.
Bénédicte Papin le déplore elle aussi : les frais de logement
adapté sont « souvent un casse-tête ». L’avocate attire
l’attention notamment sur les difficultés rencontrées par les victimes mineures.
D’abord, quand l’enfant se trouve encore en service de rééducation, comment
faire pour qu’il puisse vivre sous le même toît que sa famille ? « Si
on part du principe que le logement n’est pas adaptable, il faut envisager
l’acquisition d’une maison ou d’un terrain. Mais alors, à quel nom établir
l’acte d’acquisition ? » interroge l’avocate. Car si c’est au nom
des parents, le jour où ces derniers décèdent, se posera la question pour la
victime de récompenser ses frères et sœurs, puisque nul n’est contraint de
rester en indivision : « de quels fonds disposera-t-elle pour les
régler et rester dans la maison ? » questionne de nouveau
Bénédicte Papin.
Si c’est au nom de l’enfant, en revanche, il faut alors obtenir l’accord du
juge des tutelles. Mais la victime acceptera-t-elle, une fois adulte, de
continuer à vivre aux côtés de ses parents ?
« Il faut envisager l’avenir, mais aussi permettre de construire un
présent pour tout le monde, dans le temps de l’accident et de ses suites »,
affirme-t-elle. L’avocate cite l’un de ses dossiers actuels : il s’agit
d’une famille qui a été victime d’un accident de la circulation. L’un des trois
enfants à l’arrière est devenu tétraplégique. Il se trouve dans un centre de
rééducation fonctionnel qui, depuis plusieurs mois, demande aux parents de
l’accueillir dans le cadre de permissions thérapeutiques. « Sauf que le
logement HLM ne permet pas la venue de l’enfant, ni même de franchir le hall de
l’immeuble », se désole Bénédicte Papin. Le père de famille a essayé
de trouver une autre location plus adaptée, mais étant au chômage juste avant
l’accident, sans fiche de salaire, la tâche est quasi-impossible. « Se
pose la question de l’achat. Nous avons réussi à obtenir des provisions, mais
sur les préjudices extrapatrimoniaux, et le juge des tutelles nous indique
qu’elle ne se sent pas autorisée à permettre le déblocage des fonds pour
acquérir une maison ou un terrain. Ici on tourne en rond ! »
pointe l’avocate. La famille a demandé à la compagnie d’assurance d’obtenir des
provisions à valoir sur les frais de logement adapté. Réponse de la
compagnie : d’accord, sous condition d’une expertise architecturale
préalable. « Mais une expertise de quoi, puisqu’il n’y a pas de terrain
ni de maison ? C’est une vraie difficulté », martèle Bénédicte
Papin.
« Cet exemple montre à quel point le juge des tutelles est démuni,
car c’est un juge comme un autre, il n’a pas forcément de formation en
réparation du dommage corporel », réagit Marie-Christine Lagrange, qui
ajoute que ses collègues ont « la trouille devant les sommes en
jeu », ce qui est « totalement compréhensible ». La
magistrate en appelle donc à mettre en place des formations spécifiques, qui
soient « plus poussées » et « obligatoires ».
Elle témoigne : en 2011, alors qu’elle a pris sa (première) retraite, un
avocat lui téléphone et lui dit que sur l’un de ses dossiers, le juge des
tutelles ne sait pas s’il peut ou non accepter une transaction qu’il vient de
conclure pour un enfant né lourdement handicapé du fait d’une faute médicale
lors de l’accouchement de sa mère. Cependant, le magistrat est d’accord pour
que Marie-Christine Lagrange regarde le dossier, et de faire une audience où
elle sera consultante. « Je ne suis pas sûre qu’en matière de
procédure, cela se tenait, mais nous avons fait comme ça. Je lis le dossier, et
je conclus que le juge peut donner son accord à la transaction. Il s’agit ici
de sommes colossales en jeu. Mais la démarche faite par l’avocat montrait bien
à quel point il y avait un vide de formation. »
L’incidence professionnelle, poste « polymorphe »
mais « mal indemnisé »
Le colloque se focalise enfin sur les postes de préjudices professionnels.
Parmi eux, les pertes de gains professionnels actuels (PGPA), qui ne
posent pas beaucoup de questions. Un élément important à retenir, indique
Patrice Jourdain : un arrêt de la Cour de cassation de 2010 souligne la nécessité d’une réévaluation, si elle est demandée par la
victime, de l’indemnité allouée en réparation des pertes de gains
professionnels au jour de la décision, en fonction de la dépréciation
monétaire. « Ce ne sont pas seulement les pertes de revenus qu’on peut
indemniser à ce titre, mais aussi des pertes en capital », précise le
professeur. C’est le cas par exemple quand la victime commerçante ne peut plus
exploiter son fonds de commerce et doit le vendre : on pourra l’indemniser
au titre de la moins-value résultant de la cession de son fonds de
commerce.
Plus complexes en revanche sont les pertes de gains professionnels futurs
(PGPF). Là encore, Patrice Jourdain distingue trois cas.
Le cas, d’abord, d’une victime qui avait un emploi au moment de
l’accident, mais qui, au jour du jugement, n’a pas retrouvé d’emploi, alors
qu’elle est inapte à sa profession antérieure. Ici, la victime a droit à une
indemnisation de ses PGPF sur la base de son salaire antérieur perdu et peut
refuser les offres de reclassement de son ancien employeur. Le motif étant que
la victime d’un dommage n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt
du responsable, selon une jurisprudence constante, rappelée dans un arrêt de
mars 2020.
Elle n’a pas non plus à justifier de la recherche d’un emploi, et peut
ainsi faire le choix de ne pas rechercher d’emploi si elle n’est plus en mesure
d’exercer sa profession antérieure, alors qu’elle pourrait exercer d’autres
professions, selon une jurisprudence majoritaire. « Il y a quand même
quelques arrêts en retrait », nuance Patrice Jourdain. Le professeur
fait notamment référence à un arrêt tout récent de la Cour de cassation qui
relève, pour indemniser une victime de l'intégralité de ses PGPF, que celle-ci
avait effectué des démarches pour trouver un emploi. « On pourrait
déduire de cet arrêt qu’elle a subordonné une indemnisation intégrale de ses
pertes de gains professionnels futurs à des démarches dans le but de retrouver
un emploi », observe le professeur. Par ailleurs, d’autres arrêts
sont, eux, « nettement en retrait par rapport à la jurisprudence
dominante », ajoute Patrice Jourdain. À l’instar d’un arrêt de 2017 où la Cour de cassation limite les PGPF en cas de refus du reclassement
proposé par l’employeur, ou encore d’un arrêt de 2019 qui estime que l’indemnisation intégrale des pertes de gains
professionnels futurs, en l'occurrence au moyen d’une rente viagère, suppose la
preuve d’une inaptitude professionnelle définitive.
Deuxième hypothèse : la victime était au chômage au moment de
l’accident et devient inapte : « elle a droit à l’intégralité de
ses PGPF ou au moins à une perte de chance », explique le
professeur.
Dernier cas, celui du jeune enfant. S’il est définitivement inapte à
l’exercice de toute profession, il aura droit à l’intégralité de ses PGPF.
Problème : comment les évaluer ? Plusieurs possibilités sont retenues
par les tribunaux, d’inégale importance : ainsi, « les juges du
fond ont déjà retenu soit le SMIC, soit le salaire médian soit le salaire moyen »,
recense Patrice Jourdain.
Le professeur évoque ensuite un autre poste de préjudice
professionnel : le préjudice scolaire universitaire et de formation, qui
concerne les enfants en bas âge. Dans ce cadre, la Cour de cassation et le
Conseil d’État ont déjà admis un cumul des PGPF et du préjudice scolaire
universitaire ou de formation, souligne-t-il.
Dernier poste de préjudice professionnel : l’incidence professionnelle.
« De nouveau, cette incidence professionnelle est-elle cumulable avec
une indemnisation au titre des PGPF ? La réponse de principe est oui, au
moins pour la plupart des sous-postes, parfois avec des conditions »,
rapporte le professeur. Ainsi, concernant la dévalorisation sur le marché du
travail, ou la pénibilité accrue au travail, le cumul est possible, sous
réserve qu’une aptitude professionnelle soit conservée. Même chose pour les
pertes de gains professionnels futurs et les frais de reclassement ou de
reconversion : le cumul est possible si la victime demeure apte à une
activité professionnelle. Le cumul est encore « admis très souvent »
au titre des PGPF et de la perte de chance professionnelle ; avec la perte
du droit à la retraite, ou encore avec l’abandon de la profession
antérieure : « ce qu’on indemnise, ce n’est pas le préjudice
purement économique, mais la dimension extrapatrimoniale, la dimension sociale »,
commente Patrice Jourdain. À ce titre, un arrêt de la chambre criminelle de la
Cour de cassation de 2019 affirme qu’il faut tenir compte de la « situation
d’anomalie sociale » de la victime pour l’indemniser au titre de la
profession antérieure. En revanche, « en contradiction avec toutes ces
jurisprudences très favorables au cumul », un arrêt de la 2e chambre
civile de 2017? st venue estimer que lorsque le juge alloue au titre
des PGPF une rente viagère, cela implique une inaptitude professionnelle
totale de la victime, incompatible avec l’incidence professionnelle. Quant au
jeune enfant, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont déjà pu juger que
celui-ci ne pourrait pas cumuler les PGPF et une incidence professionnelle,
« une solution discutable », pour Patrice
Jourdain.
Rebondissant sur l’incidence professionnelle, Marie-Christine Lagrange
considère qu’il s’agit d’un poste de préjudice « très mal
indemnisé », alors même qu’il permet, « quand il est bien
gonflé, d’empêcher que les créances des organismes sociaux soient imputées sur
le déficit fonctionnel permanent (DFP) ». Pour la magistrate
honoraire, l’incidence professionnelle est mal indemnisée, car elle a subi
« de plein fouet », au moment où la nomenclature a été mise en
application, « une confusion avec les PGPF, de la part des défenseurs
de victimes ». Ce qui explique, d’après elle, que la réflexion sur ce
poste de préjudice spécifique n’ait pas tout de suite porté ses fruits. « La
nomenclature donne un catalogue à la Prévert, mais ce sont principalement des
composantes de l’incidence professionnelle objectivables. » Marie-Christine
Lagrange explique en effet qu’on peut facilement les déterminer, les prouver ou
les calculer à partir des revenus perçus avant le fait dommageable. Ce qui est
moins facile, en revanche, est d’indemniser la composante subjective de ce
poste, le ressenti de la victime par rapport à sa nouvelle situation. « C’est-à-dire
le regard de son employeur, de ses collègues, sur sa façon de travailler, les
efforts énormes qu’elle est obligée de faire pour travailler comme avant, perte
d’envie de travailler, fatigue, peur des autres, se sent diminuée… Chacun ne
réagit pas de la même façon face au même handicap en milieu professionnel,
avance la magistrate.
Le travail donne une identité professionnelle, une identité sociale, qui
font qu’on est inclus dans la société. »
Un avis partagé par Marie-Nil Chounet : la magistrate parle d’un
poste de préjudice « composite, polymorphe », fait, comme elle
le dit elle aussi, d’éléments objectifs – difficulté de reclassement
professionnel, questions de formation et de marché du travail – mais aussi une
dimension « qui touche à la valeur symbolique du travail, la façon dont
on se le représente ». Et parfois, l’incidence professionnelle est
plus facile à prouver, car plus facile à percevoir, dans certains dossiers que
dans d’autres. Elle raconte une affaire qu’elle a eu à traiter, dans laquelle
un danseur ne pouvait plus danser. « On s’imagine très bien l’incidence
professionnelle, avec ce talent qui ne peut plus être exercé. » Idem,
narre-t-elle, avec un serrurier très spécialisé de l’APHP, à qui il avait été
fait droit à l’incidence professionnelle. « Mais pour des métiers comme
des chauffeurs routiers, métiers que l’on rencontre plus souvent, peut-être
est-il parfois, et de façon injuste, plus difficile de quantifier la perte propre
à ce métier-là », reconnaît Marie-Nil Chounet.
Pour Marie-Christine Lagrange, en revanche, peu importe la profession, le
poste de préjudice d’incidence professionnelle, dans toutes ses dimensions, est
« particulièrement difficile à démontrer ». « Il ne
suffit pas de dire que la victime a perdu un doigt, qu’elle était violoniste,
et que c’est affreux. Là encore, il faut prouver pourquoi c’est affreux »,
insiste-t-elle.
La magistrate revient également sur un reproche « récurrent »,
fait aux juges judiciaires, d’allouer des indemnités « à la louche ».
« Mais nous n’allouons pas à la louche, et nous ne faisons pas de
forfait », martèle-t-elle ; bien qu’une cour d’appel ait, tout
récemment, et « sans complexe », s’indigne la magistrate,
affirmé qu’elle allouait tant d’euros forfaitairement, « le forfait
encourt forcément la cassation ». « Nous, juges, indemnisons
avec nos critères, dans le secret de nos délibérés : à force de dossiers,
apparaissent des critères récurrents », appuie Marie-Christine
Lagrange, qui assure que les avocats les font progresser dans le choix de ces
critères. « Qu’ils nous donnent des critères fiables, objectifs sur du
subjectif, des témoignages ! reprend la magistrate. Je pense que ce
poste d’incidence professionnelle pâtit de ce qu’il arrive en fin de course des
préjudices patrimoniaux, lorsque l’argumentation est en bout de souffle, alors
qu’il s’agit d’un élément fondamental », regrette-t-elle.
Anaïs Français l’admet : elle n’est « pas loin » de
partager la position de Marie-Christine Lagrange sur cette question. « Parfois,
nos demandes sont assez peu motivées. Or le préjudice professionnel doit être
justifié
in concreto, et tous les éléments permettant de justifier le calcul
doivent être communiqués : bulletins de paie avant/après, avis
d’imposition, relevé de carrière, dossier médecine du travail… »,
développe l’avocate, qui estime qu’il appartient aux robes noires de faire
preuve d'imagination pour justifier les demandes formulées. Elle cite justement
un arrêt de la Cour de cassation, venu il y a peu illustrer l’importance de
l’imagination. Il s’agissait en l’occurrence d’un tromboniste professionnel
victime d’un accident de la circulation. Ce dernier sollicite un expert en
référé – un médecin spécialisé en médecine physique et en réadaptation – et le
rapport d’expertise est déposé. Mais le tromboniste estime que ledit dossier ne
va pas suffisamment dans son sens, au vu de sa situation très particulière. Il
demande donc devant le juge des référés la désignation d’un professeur de
trombone émérite. Le juge des référés le déboute, considérant qu’il s’agit là
d’une nouvelle demande d’expertise. Saisie, la cour d’appel de Nîmes infirme
alors l’ordonnance, considérant que l’expert a accompli sa mission, mais avec
des conclusions lacunaires sur certaines questions, notamment la problématique
de l’incidence professionnelle. Cependant, la Cour de cassation casse et annule
l’arrêt, estimant que la cour d’appel de Nîmes a méconnu les pouvoirs du juge
des référés. « En l’espèce, la victime n’a pas été efficace
procéduralement, mais c’est bien la preuve que l’imagination peut venir
éclairer un magistrat », se réjouit Anaïs Français.
« Tout comme le professeur de trombone émérite, l’expert-comptable
est un professionnel dont la compétence et la sagacité sont très importantes
pour évaluer ce poste de préjudice », avance pour sa part
Bénédicte Papin. Cette dernière mentionne l’exemple du travailleur indépendant,
et relève le préjudice économique encouru par son entreprise. « Si le
travailleur indépendant était l’homme clé de son entreprise, qui lui donnait
une impulsion, un dynamisme, forcément, son absence a eu un impact majeur sur
la vie de celle-ci », justifie l’avocate. L’expert-comptable va donc
pouvoir analyser la perte d’opportunité, la perte d’exploitation ; il va
pouvoir intervenir sur des contrats qui auraient dû être signés, etc., fait
remarquer Bénédicte Papin.
Anaïs Français s’interroge en outre sur la façon de prendre en compte la
réelle valeur sociale du travail. « Le désœuvrement, l’anomalie sociale
existent. Mais au-delà de l’indemnisation monétaire, eu égard au lien social, à
l’indépendance, à l’autonomie, au positionnement au sein de la société,
peut-être conviendrait-il de réfléchir aux mesures permettant une vraie
réinsertion », accentue-t-elle, mettant en exergue que le taux de
chômage des personnes en situation de handicap est deux fois plus important que
la moyenne. « Nous avons tous intérêt à ce que la victime d’un accident
soit réinsérée au mieux », plaide l’avocate. Celle-ci cite l’étude
d’un ESAT (établissement et service d'aide par le travail), parue dans l’Information
psychiatrique de 2014, qui évoque justement la notion de « devenir »
de la personne. « Il s’agit de retrouver un équilibre, à défaut de
retrouver la situation préalable, et de pouvoir se doter d’un projet de vie »,
souligne Anaïs Français. Ce qui résume bien le souhait légitime de toutes les
victimes d’accidents.
Bérengère Margaritelli