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La Cour des comptes encourage les musées à tirer davantage profit de la demande internationale

La Cour des comptes encourage les musées à tirer davantage profit de la demande internationale
Publié le 20/06/2019 à 09:30

Dans un récent rapport, la Cour des comptes, chargée d’analyser la valorisation à l’international des musées tricolores en matière d’ingénierie culturelle, incite notamment les établissements à protéger juridiquement leurs actifs face à la concurrence, à renforcer la vente de produits dérivés, ou encore à contribuer davantage à la création ex nihilo d’établissements à l’étranger.




la demande du Sénat, la Cour des comptes a analysé la valorisation à l’international, par les musées nationaux, de leur marque et de leur savoir-faire en matière d’ingénierie culturelle. Dans un rapport de mars 2019, rendu public le 12 juin dernier, l’Institut dresse dans un premier temps un tableau plutôt positif : les grands établissements culturels français contribuent selon elle « de façon significative » à la diplomatie d’influence et au rayonnement de la France sur la scène internationale. « Leur notoriété participe pleinement de l’image de la France dans le monde », souligne la juridiction financière, qui indique en outre que les musées ont accumulé au fil du temps un capital de compétences « de très haut niveau ».


D’autant qu’avec la globalisation des échanges, des possibilités amplifiées d’action à l’international sont apparues, ce qui a poussé ces établissement à développer des stratégies de développement à l’international, notamment via l’exportation de prestations et la valorisation de leurs marques. Cependant, pour les rapporteurs, le potentiel des musées français n’est pas encore suffisamment exploité : il faut, estiment-ils, tirer davantage profit de la demande internationale.


Une demande qui s’avère d’ailleurs en forte croissance. Et si la Cour des comptes note que les pays émergents sont « demandeurs de l’expertise et des collections des musées français pour assurer la “montée en gamme” de leur propre potentiel muséal », elle pointe qu’aucune évaluation précise de cette demande n’a jusqu’à présent été réalisée par les acteurs du secteur. Une cartographie de cette demande serait ainsi « indispensable » pour que les musées français puissent « en tirer pleinement parti ».


 


Les musées doivent « conforter leur stratégie entrepreneuriale », selon la Cour des comptes


Face à la constitution d’un nouveau marché mondial de l’ingénierie et des transferts culturels, la Cour des comptes recommande déjà aux musées tricolores de veiller à entretenir leur réputation « sur une scène culturelle désormais mondialisée » pour attirer toujours plus de visiteurs et de mécènes étrangers. Elle appelle par ailleurs les musées à « conforter leur stratégie entrepreneuriale », en appuyant la dimension internationale de la stratégie « d’entreprise culturelle » dans laquelle ils sont engagés depuis le début des années 2000.


Selon elle, la démarche entrepreneuriale que la nouvelle donne culturelle « pousse les musées à adopter » consisterait d’abord en la protection juridique de leurs actifs face à la concurrence, « préalable indispensable pour garder la maîtrise exclusive de leur politique de valorisation ». La Cour des comptes dresse en effet le constat que chaque établissement mène une politique qui lui est spécifique en matière de dépôt de marque, le ministère de la Culture n’ayant pas élaboré de cadre de référence, « pas plus qu’il ne s’assure, par un suivi approprié, que l’étendue et le niveau de protection de ces marques soient cohérents avec les risques encourus », déplore la juridiction financière. Les rapporteurs recommandent ainsi aux musées d’accomplir des démarches pour le dépôt et l’enregistrement de leur marque, de leur assurer une extension internationale suffisante « pour être prémunis contre son utilisation indue ou frauduleuse à l’étranger », et de mettre en place des dispositifs de veille.


« Les droits afférents à l’image extérieure des musées, notamment de leur bâtiment, souvent prestigieux ou emblématique au plan architectural, relèvent d’un cadre juridique insuffisamment protecteur, alors même que les possibilités d’usage commercial de cette image par des tiers sont démultipliées avec la diffusion de celle-ci sur Internet », considère par ailleurs la Cour des comptes, qui en appelle à une réforme des dispositions en vigueur afin de compléter la protection des domaines nationaux instituée par la loi du 7 juillet 2016.


Autre enjeu pour une meilleure stratégie entrepreneuriale : plus de présence et de partenariats à l’international. Le rapport précise que cela pourrait passer par la mise en œuvre d’une « véritable politique de promotion » via la politique de communication et d’animation culturelle.


Les rapporteurs insistent en outre sur la mobilisation des ressources humaines, qui doit être, à leur sens, accentuée : « Au-delà de compétences et savoir-faire de leurs agents (...), la prospection et la représentation à l’étranger reposent, pour l’essentiel, sur l’implication personnelle des équipes de direction. »


 


« Adapter et renouveler leur offre en conséquence »


Se livrant à un inventaire des pratiques permettant de valoriser l’ingénierie et les marques culturelles, la Cour des comptes pointe que la plupart pourraient être renforcées, à l’instar de la vente de produits dérivés.
En effet, alors que ces derniers représentent la pratique la plus évidente de valorisation directe par les musées de leurs marques, ils ne font toutefois « pas l’objet de développements spécifiques à l’international, en-dehors des expositions montées à l’étranger », souligne le rapport, qui exhorte ainsi les établissements culturels à « adapter et renouveler leur offre en conséquence ». Et notamment via leurs sites Internet, puisque « les outils numériques offrent l’opportunité d’amplifier la notoriété des musées et de valoriser leurs collections à l’échelle internationale », rappellent les rapporteurs.


Bonne nouvelle : en dépit de ce retard, la juridiction financière constate l’essor de deux pratiques : les licences de marque et le cobranding ou partenariat de marques, qui « offrent de réels leviers de rayonnement global pour les marques des musées ». Bien que limitées, elles peuvent ainsi constituer une source de recettes « intéressante » pour les musées, ajoute la Cour des comptes.


D’autres activités, mises en place depuis de nombreuses années, produisent de bons résultats qui peuvent être encore améliorés. Outre le prêt d’œuvres à titre gracieux, les institutions françaises ont en effet développé depuis vingt ans une activité de coproduction d’exposition, qui permettent une mutualisation des coûts d’organisation d’expositions temporaire, et une activité de vente d’exposition « clés en main » à l’étranger, itinérante ou sur mesure, qui présente pour les musées prestataires l’opportunité de dégager des ressources propres additionnelles « parfois très significatives », comme pour le musée Picasso-Paris avant sa réouverture. Une activité qui a « pris de l’ampleur » suite à l’émergence de nouveaux acteurs qui disposent souvent d’infrastructures et de moyens financiers mais pas de collections, et auxquels il s’agit donc de répondre favorablement, enjoint la Cour des comptes.


Cette dernière l’affirme : le bilan de ces pratiques de valorisation de l’ingénierie et des marques culturelles montre qu’elles permettent aux grands musées français d’être reconnus comme « des acteurs majeurs de la scène culturelle internationale, tout en constituant un supplément modéré de ressources ». Leurs recettes restent en effet, pour l’heure, minoritaires dans le total des ressources propres, représentant ainsi par exemple, pour la période 2012-2018, 0,8 million d’euros pour le Château de Versailles et 1,7 million d’euros pour le musée du Louvre. « La tarification de ces prestations reste encore décidée au cas par cas et pourrait faire l’objet d’une formalisation plus poussée, de même que le suivi des ressources nettes apportées par les expositions », observent les rapporteurs.


Ces derniers opèrent également un focus sur un nouveau type d’offre, et encouragent au développement « d’une offre globale circonscrite à des opérations singulières ». En effet, l’ouverture du musée Guggenheim de Bilbao en 1998 avait marqué, expliquent-ils, le départ d’une « nouvelle forme d’activité internationale, réservée à quelques institutions muséales de réputation mondiale, consistant à participer ou même à initier la création ex nihilo d’établissements à l’étranger en y présentant, dans un bâtiment emblématique construit à cet effet, des œuvres issues de leurs fonds patrimoniaux ».


Cependant, la Cour déplore qu’une telle activité reste « relativement ponctuelle ». Ainsi, en France, seuls deux musées se sont jusqu’à présent positionnés sur ce genre d’opération : le Centre Pompidou avec les Centres Pompidou provisoires, et le Louvre, avec la création du Louvre Abou Dabi.


 


La création de structures ad hoc jugée indispensable


La Cour des comptes attire aussi l’attention sur la nécessité de mobiliser des acteurs pour, dit-elle, « consolider la position de la France sur le marché de l’expertise culturelle ». Elle juge à cet effet que la création de structures ad hoc apparaît « indispensable à la bonne réalisation de projets de très grande ampleur, nécessitant une mobilisation conjointe de plusieurs établissements sur la durée », et félicite à ce titre la récente création d’un comité conjoint de pilotage de l’expertise culturelle associant les ministères de la Culture et de l’Europe et des Affaires étrangères ainsi que les opérateurs de soutien. But de la manœuvre : instituer un dialogue régulier et développer une vision plus transversale des projets en cours. Mais il faut faire plus, considère la juridiction financière. Selon elle, cette initiative pourrait être soutenue par la mise en place d’un réseau numérique partagé. Celui-ci « constituerait à la fois un annuaire de l’offre d’expertise disponible et un espace de partage des ressources méthodologiques, des expériences et des bonnes pratiques entre les établissements culturels nationaux et territoriaux. Il pourrait être ouvert à l’expertise culturelle en général et non au seul champ muséal ».


 


Bérengère Margaritelli


 


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