Dans cet
entretien, Gérard Sousi, président de l’Institut Art & Droit, et Philippe Lefevre,
avocat, nous dévoilent une facette de Gian Maria Tosatti. Artiste italien de
renommée mondiale, il parle de la « Quadriennale de Rome » qui est
placée sous sa direction.
Natif de
Rome, résident à Naples, l’artiste Gian Maria Tosatti est également écrivain, journaliste et photographe. Leader sur la
scène contemporaine italienne, il s’est vu confier l’intégralité du Pavillon
Italien à la dernière Biennale de Venise. En 2021, l’État italien le sollicite
pour prendre la direction de la Quadriennale de Rome.
Cette
institution ancienne a pour vocation de faire rayonner l’Art des créateurs
d’Italie. Alors qu’il n’existe toujours pas dans le pays de structures de
promotion des artistes, la Quadriennale les répertorie et s’ingénie à les faire
connaitre.
Philippe
Lefebvre : En quelle année la Quadriennale a-t-elle été créée ?
Gian
Maria Tosatti : La Quadriennale de Rome
a été fondée en 1927 en tant qu'institution chargée de mener des recherches sur
l'art contemporain italien et de promouvoir sa diffusion internationale. À
l'époque, la formule la plus fonctionnelle pour accomplir cette mission était
de créer une grande exposition internationale qui avait lieu à Rome tous les
quatre ans et présentait les dernières recherches des artistes de notre pays.
Depuis
presque cent ans, les expositions quadriennales ont toujours eu lieu, marquant
des moments importants pour le développement de l'art italien. Mais au cours
des dernières décennies, le système artistique international a radicalement
changé. La Quadriennale a donc, elle aussi, changé.
PL :
Quel est son rôle ?
GMT : En Italie, il existe trois institutions nationales qui
s'occupent de l'art contemporain. Deux d'entre elles portent sur la recherche :
la Biennale de Venise, dédiée à l'art international, et la Quadriennale de
Rome, dédiée à l'art italien. La troisième institution est le Maxxi qui, en
tant que musée, a pour mission de mener la recherche historique. Dans ce cadre
organique qui comprend également un réseau dense d'institutions territoriales,
régionales et municipales, la Quadriennale peut être considérée comme le
cerveau du système artistique italien. C’est l’institution qui doit surveiller,
étudier, comprendre et raconter en temps réel ce qui émerge et se développe
dans l’art de ces dernières années.
PL :
Quels ont été vos objectifs ?
GMT : Lorsque j'ai été nommé directeur artistique, mon travail
principal consistait en deux objectifs, d'une part restructurer l'architecture
interne de l'institution, et d'autre part la repositionner sur le plan
international.
En fait,
en 2021, la structure était encore presque la même que celle conçue en 1927,
toute l'activité étant concentrée sur la construction de la grande exposition
qui aurait lieu tous les quatre ans. Mais les temps avaient changé.
Aujourd’hui, le système artistique est beaucoup plus étendu et répandu, tant au
niveau national qu’international. Il existe de nombreux artistes actifs et même
le monde académique - avec lequel nous, en tant qu'institution scientifique,
devons traiter - s'est énormément développé en termes d'études contemporaines.
Nous avons donc maintenu l'idée de la grande exposition comme moment populaire,
mais nous avons considérablement augmenté les activités internationales de
recherche et de promotion qui ont lieu pendant les quatre années qui séparent
une exposition de l'autre.
Parallèlement,
le travail de positionnement international nous a amené à faire comprendre à
l'étranger que lorsqu'une institution publique ou une fondation étrangère est
intéressée à réaliser une exposition sur un artiste italien ou sur une
perspective liée à l'art italien, la Quadriennale est prête à aider
scientifiquement et économiquement. Nous avons récemment soutenu la grande
exposition de Roberto Cuoghi au Friedricianum de Kassel, celle de Rossella
Biscotti chez Fabra i Coats de Barcelone, celle de Giuseppe Stampone au Mambo
de Bogota, et avons également organisé, en collaboration avec le ministère des
Affaires étrangères, le Pavillon italien à la Biennale de Gwanjiu en Corée du
sud. État
PL :
Quel est le statut juridique des artistes ?
GMT : Ce sont des travailleurs indépendants au même titre que
n’importe quel professionnel. Ils sont imposés comme des entrepreneurs. Ils ne
cotisent pas à un fonds de pension spécifique. Ils sont adhérents à la caisse
de retraite générale de l’État qui a le taux le plus élevé parmi toutes les
caisses de retraite des autres catégories (architectes, journalistes, avocats,
…).
En
Italie, il n’y a pas d’assurance maladie. Le système national de santé est
totalement gratuit. Il s’agit d’un grand patrimoine culturel de l’Italie qui
mérite d’être souligné, mais qui n’est pas toujours à la hauteur de sa valeur
idéale.
Au plan
fiscal, les artistes sont encore considérés comme indépendants et assujettis à
la TVA.
Ces
charges pèsent sur leur entreprise qui ne répond pas aux économies d’échelles,
de sorte que même un artiste à succès ne pourra jamais sortir d’une tranche
d’imposition qui est la plus sévère en Italie et qui pénalise les entrepreneurs
qui n’ont généralement pas les moyens pour développer leur entreprise en la
rendre stable.
Travail de Gian Maria Tosatti
PL :
Quelles sont vos actions principales ?
GMT : Au cours de la seule première année de travail, nous
avons augmenté les activités de l'institution de 800 %. Nous avons plusieurs
programmes de recherche qui ont d'excellents résultats en matière de diffusion.
Par exemple, nous publions une revue bilingue (italien et anglais) intitulée «
Quaderni d'arte Italiana », à travers laquelle nous rédigeons la « première
ébauche » de l'histoire de l'art italien contemporain de 2000 à aujourd'hui.
Nous avons un programme pour approfondir la recherche des très jeunes artistes
qui nous semblent les plus intéressants, et un autre dans lequel nous invitons
d'importants conservateurs étrangers à étudier en résidence avec nous l'art
italien et à rédiger ensuite des essais commandés par nous sur ce qu'ils ont
trouvé. C’est un dialogue avec l'art de leur pays particulièrement intéressant.
À partir de ces textes, nous créons ensuite des expositions dans notre siège de
la Piazza Navona.
PL :
Dans le cadre de la quadriennale de Rome, quel type de contrat stipulez vous avec les artistes que vous présentez ? Quid de leurs droits d’auteur ?
GMT : La quadriennale présente des artistes dans des contextes
et des modalités très différentes, des expositions aux résidences. Il existe
une multitude contrats variés que nous développons. Chacun est spécifique à
l’engagement que nous demandons à l’artiste.
Certains
artistes italiens sont inscrits auprès de la SLAE, société d’auteurs qui
protège les droits attachés aux œuvres et le droit à l’image. D’autres ne
revendiquent pas de droits sur leurs œuvres et autorisent leur reproduction
gratuite.
PL :
Pouvez-vous donner un aperçu du travail accompli ?
GMT : En plus des projets que j'ai mentionnés, nous avons créé
des bourses de recherche postdoctorale qui ont donné naissance à une série de
publications scientifiques sur l'art italien du XXIe siècle. Nous avons créé un
programme de résidences internationales impliquant des artistes numériques pour
la première année et, la deuxième année, nous nous concentrons sur des artistes
travaillant sur des thèmes postcoloniaux. Nous publions les meilleures thèses
de doctorat des universités italiennes qui traitent de l'art contemporain. Nous
avons créé un réseau entre toutes les universités pour faire travailler les
doctorants en équipe. Nous dispensons également une formation pour le public.
Nous
organisons un festival. C’est l'occasion d'une rencontre annuelle entre les
institutions culturelles italiennes pour discuter. Par ailleurs, nous avons
créé une grande équipe de critiques. Elles travaillent en équipe et connaissent
le travail de chacun.
Enfin,
nous sommes à l'écoute des besoins des artistes. Nous leur fournissons les
outils pour s’adapter à l’univers de l'art en mutation qui devient de plus en
plus européen.
Propos recueillis par Philippe Lefevre
et Gérard Sousi