Dans le
contexte actuel de pandémie de Coronavirus-Covid19, quelles sont les solutions
offertes par le droit français pour se protéger contre des inexécutions
contractuelles, ou à l’inverse pour justifier des manquements causés par cette
pandémie ?
La force
majeure et l’imprévision peuvent être invoquées en droit français, mais dans
des conditions spécifiques ; en outre, les parties à un contrat régi par
le droit français sont libres de prévoir les conditions dans lesquelles la
force majeure et/ou l’imprévision peuvent être invoquées, ce qui signifie qu’il
n’y a pas de solution uniforme et que chaque contrat doit être vérifié au cas
par cas.
La force majeure
L’article 1218 du Code civil
définit la force majeure comme un événement échappant au contrôle du débiteur,
qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat,
dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées et qui
empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Toutefois, les parties
ont toute latitude pour aménager contractuellement cette définition (liste
limitative ou non d’événements expressément prévus par les parties comme étant
des événements de force majeure).
De manière générale, et si les épidémies et pandémies ne sont pas
expressément prévues dans les contrats, deux critères majeurs sont
déterminants :
• l’imprévisibilité de l’événement, qui est
évaluée au moment de la conclusion du contrat ;
• l’irrésistibilité, c’est-à-dire
l’impossibilité d’éviter les effets de cet événement par la mise en place de
mesures appropriées.
Ces critères sont appréciés au cas par cas par les tribunaux en
fonction des circonstances de chaque espèce.
Dans le cadre de précédentes épidémies, la jurisprudence s’est fondée
sur les critères suivants pour écarter la force majeure :
• épidémie largement annoncée et prévue
(grippe H1N1) ;
• maladie surmontable qui pouvait être
soulagée par des antalgiques (Chikungunya) ;
• maladie insuffisamment certaine ou grave
(la peste).
Si l’échelle et la vitesse de propagation du Coronavirus-Covid19, les
mesures strictes et sans précédent prises par les gouvernements, la déclaration
du gouvernement français d’appliquer la qualification de force majeure à
l’épidémie de Coronavirus-Covid19 en matière
de marchés publics et la récente qualification de « pandémie »
annoncée par l’OMS peuvent constituer des arguments de nature à caractériser
l’imprévisibilité de cette pandémie, encore faudra-t-il démontrer son
irrésistibilité et donc l’impossibilité de mettre en place des mesures
alternatives telles que, par exemple, la mise en place de sources
d’approvisionnement alternatives.
Si la force majeure est caractérisée, une distinction est à opérer
selon que :
• l’empêchement en résultant est temporaire,
auquel cas l’exécution du contrat sera suspendue ;
• l’empêchement en résultant est définitif,
auquel cas l’une ou les parties pourront provoquer la résolution de plein droit
du contrat et être libérées de leurs obligations.
De la même façon que la définition de la force majeure peut être
aménagée conventionnellement par les parties, ses effets et ses conséquences
peuvent également être prévus au contrat ; d’où la nécessité de vérifier
le contrat avant d’appliquer la règle générale.
L’imprévision
Il est également envisageable de se prévaloir du régime de
l’imprévision prévu à l’article 1195 du Code civil, qui permet de demander la renégociation du contrat lors
de la survenance de circonstances qui étaient imprévisibles lors de sa conclusion,
et qui rendent son exécution excessivement onéreuse pour une partie, alors
qu’elle n’a pas accepté d’en assumer le risque.
Toutefois, comme pour la force majeure, il convient de vérifier dans un
premier temps le contrat ou les conditions générales en cause : les
circonstances imprévisibles peuvent être définies ou adaptées
contractuellement, et le régime de l’imprévision peut même être écarté par le
contrat.
En résumé, il est important de vérifier les clauses des contrats qui
ont été conclus avant la pandémie de Coronavirus-Covid19, concernant :
• la force majeure, afin de vérifier
que :
- les épidémies et les
pandémies sont précisément qualifiées d’événement de force majeure ; dans
le cas contraire, l’appréciation se fera au regard des critères d’imprévisibilité
et d’irrésistibilité détaillés ci-dessus ;
- les effets et les
conséquences d’un tel événement de force majeure sont prévus ; dans le cas
contraire, le contrat sera suspendu ou résilié, en fonction de la durée de
l’empêchement ;
• l’imprévision, afin de vérifier que la
faculté de renégociation dans de tels cas n’a pas été exclue ou encadrée par le
contrat.
En l’absence de contrat, les dispositions du Code civil relatives à la
force majeure (article 1218 du Code
civil) et à l’imprévision (article 1195 du Code civil) s’appliquent, comme décrit ci-avant.
Anne Dumas-L’Hoir,
Associée en charge du département contrats et
contentieux,
Sekri Valentin Zerrouk, Avocats à la cour