ACTUALITÉ

La politique d’adaptation au changement climatique en France : d’un droit souple à l’émergence d’obligations juridiquement contraignantes ?

La politique d’adaptation au changement climatique en France : d’un droit souple à l’émergence d’obligations juridiquement contraignantes ?
Publié le 21/07/2019 à 09:30



Ainsi que le propose un rapport du conseil économique pour le développement durable (CEDD) de février 2010, ladaptation au changement climatique peut être définie comme « l’ensemble des évolutions d’organisation, de localisation et de techniques que les sociétés devront opérer pour limiter les impacts négatifs du changement climatique et en maximiser les effets bénéfiques (1) ».


Qu’il s’agisse du réchauffement des températures moyennes constatées, de la transformation du régime des précipitations, de la montée du niveau des mers ou encore du développement de situations de stress hydrique, une myriade de manifestations naturelles nouvelles résultant des phénomènes de changements climatiques impacte d’ores et déjà la France comme le reste du monde (2).


Les effets attendus dans les vingt à trente prochaines années ne pouvant quasiment plus être endigués (3), cette situation nécessite aujourd’hui le développement d’une politique d’adaptation ambitieuse au vu des risques environnementaux et sanitaires, dont l’enjeu a pu être résumé par certains comme ayant pour objet de « gérer l’inévitable (4) ».


Bien que l’état actuel du dernier projet de réforme constitutionnelle n’ait à ce jour l’ambition d’inscrire à l’article 1er de la Constitution française que l’action « contre les changements climatiques (5) », l’adaptation au changement climatique (qui en est le complément) est néanmoins en passe de s’élever du rang de simple défi à celui d’une réelle politique, faisant évoluer les éléments de cette dernière d’un rang de soft law à celui d’obligations juridiquement contraignantes.


Afin d’expliciter une telle lecture, le présent article se propose de présenter brièvement les sources internationales de cette politique d’adaptation au changement climatique (I.), avant de démontrer en quoi les objectifs d’une telle politique sont aujourd’hui en passe de pouvoir être considérés comme revêtant un certain caractère contraignant (II.).


 


Les sources internationales de la politique d’adaptation au changement climatique


Les sources en droit international


Sujet global s’il en est car affectant l’ensemble de la communauté internationale, l’adaptation au changement climatique comme son complément, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, trouvent naturellement leurs sources premières dans le droit international.


Ainsi, dès 1992, la Convention-Cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques (CNUCC) (6) s’accordait sur le principe selon lequel il incombe aux États de « prendre des mesures de précaution pour prévoir, prévenir ou atténuer les causes des changements climatiques et en limiter les effets néfastes », tout en soulignant que « pour atteindre ce but, il convient que ces politiques et mesures [...] comprennent des mesures d’adaptation et s’appliquent à tous les secteurs économiques » (article 3§3).


La planification constituait déjà un outil à privilégier puisque la Convention devait ensuite préciser qu’il appartient aux États d’établir et de mettre en œuvre des « programmes nationaux et, le cas échéant, régionaux, contenant [...] des mesures visant à faciliter l’adaptation voulue aux changements climatiques » (article 4§1).


Au titre de l’Accord de Paris en date du 12 décembre 2015, les États signataires, dont la France, se sont en outre engagés à « renforcer leurs capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques » (article 2§1. b).


Tout en réaffirmant « l’objectif mondial en matière d’adaptation, consistant à renforcer les capacités d’adaptation, à accroître la résilience aux changements climatiques et à réduire la vulnérabilité à ces changements, en vue de contribuer au développement durable et de garantir une riposte adéquate en matière d’adaptation dans le contexte de l’objectif de température », l’article 7 de l’Accord de Paris précise encore les contours des engagements des États en matière d’adaptation, en leur imposant de se fixer des objectifs transversaux d’adaptation, d’entreprendre des processus de planification de l’adaptation, de mettre en place ou renforcer des plans et politique d’adaptation, et d’en assurer le suivi, l’évaluation et la communication.


Enfin, son article 13§8 prescrit aux États d’inscrire leurs actions en matière d’adaptation dans un cadre de transparence renforcée, leur imposant notamment de « communiquer des informations sur les effets des changements climatiques et sur l’adaptation à ces changements », afin de permettre à l’ensemble de la communauté internationale d’échanger utilement sur les stratégies et bonnes pratiques à privilégier.


 


Les sources en droit de l’Union européenne


En droit de l’Union européenne, le régime juridique de l’adaptation au changement climatique, destiné à « améliorer la capacité de résilience de [l’Union européenne] face aux effets du changement climatique » semble avoir pris naissance en 2009 avec la publication d’un premier livre blanc consacré à la préparation d’une stratégie communautaire globale d’adaptation (7).


Dans ce document, la Commission soulignait notamment l’importance d’intégrer l’adaptation dans l’ensemble des politiques de l’Union européenne en adoptant « une approche transversale fondée sur la résilience des écosystèmes, la protection des habitats et de la biodiversité ainsi que les services rendus par les écosystèmes, et d’assurer une synergie et une cohérence entre les mesures à prendre au niveau de toutes les politiques sectorielles concernées (8) ».


En avril 2013, l’Union européenne adoptait ensuite une « Stratégie de l’Union européenne relative à l’adaptation au changement climatique (9) », prévoyant la réalisation de trois objectifs principaux :


1/ Favoriser l’action au niveau des États membres en les incitant à opter pour des stratégies d’adaptation globales et à renforcer l’action en faveur de l’adaptation ;


2/ Favoriser une prise de décision éclairée, en améliorant les connaissances sur l’adaptation ;


3/ Intégrer la résilience au climat dans l’action de l’Union européenne et des États, en promouvant l’adaptation dans les secteurs les plus vulnérables, tels que l’énergie et les transports.


En outre, le Règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 créait en son article 15 une obligation pour les États membres de rendre compte à la Commission européenne de leurs actions mises en œuvre au niveau national en matière d’adaptation au changement climatique :


« Au plus tard le 15 mars 2015, et tous les quatre ans par la suite, les États membres déclarent à la Commission, en s’alignant sur le calendrier des déclarations à la CCNUCC, des informations sur leur planification et leurs stratégies d’adaptation nationales, en indiquant les actions qu’ils ont mises en œuvre ou qu’ils ont l’intention de mettre en œuvre pour faciliter l’adaptation au changement climatique.
Ces informations comprennent les principaux objectifs et la catégorie d’incidence liée au changement climatique visée, telle que l’inondation, l’élévation du niveau de la mer, les températures extrêmes, les épisodes de sécheresse et autres phénomènes météorologiques extrêmes ».


Cette stratégie a fait l’objet d’une évaluation en décembre 2018, générale et pays par pays, aux termes de laquelle la Commission rappelait la nécessité pour les États membres d’agir en matière d’adaptation, et de renforcer leurs efforts en matière de mise en œuvre et de suivi des plans d’adaptation.


 


La mise en œuvre de la politique d’adaptation en droit interne


Une politique originellement conduite par la seule planification


En France, la loi énonce dès 2001 que « la lutte contre l’intensification de l’effet de serre et la prévention des risques liés au réchauffement climatique sont reconnues priorité nationale (10) ».


Si le terme « d’adaptation » n’est ainsi pas encore juridiquement consacré à cette époque, une telle préoccupation est toutefois déjà bel et bien présente à travers l’ambition de prévenir les effets négatifs du réchauffement climatique.


La mise en place de mesures d’adaptation au changement climatique se poursuit ensuite par l’adoption d’une « Stratégie nationale d’adaptation au changement climatique », validée par le Comité interministériel pour le développement durable réuni le 13 novembre 2006. L’enjeu de ce premier document de 97 pages était alors d’exprimer « le point de vue de l’État sur la manière d’aborder la question de l’adaptation au changement climatique, [afin] de préparer le territoire à affronter les bouleversements nés d’une dérive climatique planétaire qui affecteront aussi bien les modes de vie des Français que l’ensemble des secteurs ».


Un premier « plan national d’adaptation au changement climatique » était ensuite présenté le 20 juillet 2011 par la ministre de l’Écologie, conformément à l’obligation fixée au cinquième alinéa de l’article 42 de la loi 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (11).


Créé par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, l’article L. 222-1 b) du Code de l’environnement rappelle aujourd’hui que la stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone « complète le plan national d’adaptation climatique prévu à l’article 42 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement ».


Annoncé par l’Axe 19 du Plan Climat publié le 6 juillet 2017, un second plan d’adaptation au changement climatique (PNACC-2) était ensuite adopté le 20 décembre 2018 dernier.


Couvrant la période 2018-2022, le PNACC-2 a pour ambition de mettre en œuvre 58 actions différentes sur cinq années, et contient plusieurs évolutions par rapport au premier PNACC notamment en matière de traitement du lien entre les différentes échelles territoriales, du renforcement de l’articulation avec l’international et de solutions fondées sur la nature.


Comme le précisait le ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement dans une question écrite du Sénat n° 19968, les PNACC ne traitent « que des mesures qui relèvent du niveau national ».


Ainsi, au niveau local, la politique d’adaptation est quant à elle planifiée au moyen des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) et des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), ainsi que par nombre d’autres documents et plans qu’un autre article de ce numéro évoquera plus en détail (12).


 


Une politique de plus en plus déclinée par des intégrations sectorielles


Alors qu’elle n’était originellement mise en œuvre qu’au moyen d’outils de planifications, nationaux et locaux, la politique d’adaptation au changement climatique tend aujourd’hui à se voir déclinée directement dans de nombreux domaines sectoriels, en particulier s’agissant de ceux les plus exposés aux risques induits par les phénomènes de changements climatiques.


Ainsi, depuis la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, le Code de l’environnement prévoit-il en son article L. 211-1 que l’objectif de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau « prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique (...) ».


De même, en matière d’agriculture, l’article L. 1 du Code rural et de la pêche maritime prévoit depuis le 15 octobre 2014 que « la politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation, dans ses dimensions internationale, européenne, nationale et territoriale » a notamment pour finalités de contribuer « à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique ».


L’article L. 121-1 du Code forestier prévoit également, depuis cette même date, que l’État veille « au maintien de l’équilibre et de la diversité biologiques et à l’adaptation des forêts au changement climatique ».


Si de telles dispositions ressemblent davantage à des principes généraux qu’à des obligations contraignantes, des lois plus récentes ont toutefois commencé à inscrire dans le droit positif des objectifs plus précis dont il reviendra à la jurisprudence d’apprécier la portée juridique.




Ainsi la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité [...] indique que la perte de « biodiversité ultramarine doit être stoppée afin de préserver son rôle en faveur de l’adaptation des territoires au changement climatique », quand la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer vient d’inscrire la prise en compte de la vulnérabilité face au changement climatique dans les plans de convergence.


De même, en matière d’urbanisme, l’adaptation à l’augmentation des températures saisonnières a déjà fait l’objet de mesures spécifiques dans différents Plan local d’urbanisme (PLU) en vigueur sur le territoire national, via notamment des dispositions tendant à lutter contre le phénomène des « îlots de chaleur urbains (13) ». Ainsi, à Paris où la différence peut parfois dépasser les 10°C à l’échelle journalière entre le centre de la ville et la campagne la plus froide, le Règlement du PLU en vigueur depuis sa modification générale de juillet 2016 comporte des dispositions obligeant, sauf exception, la création de surfaces végétalisées en cas de construction nouvelle ou de surélévations de bâtiments existants (14).


Enfin, certaines obligations contraignantes conçues originellement pour contribuer à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, telles que les obligations en matière d’isolation du bâti (15), peuvent aujourd’hui être lues comme participant également de l’action pour l’adaptation au changement climatique, en ce qu’elles permettent non seulement la réalisation d’économies d’énergie, mais également un meilleur confort thermique de leurs occupants lors des saisons chaudes sans avoir forcément recours à la climatisation (appelé aussi « confort d’été »).




Décliné principalement au travers d’outils de planification, le droit de l’adaptation au changement climatique est appelé à se développer fortement dans les différents domaines sectoriels les plus exposés aux effets négatifs des phénomènes de changement climatique, tels que l’eau, l’agriculture, l’urbanisme et l’aménagement du territoire (en particulier en zones littorales ou montagneuses), la construction et l’habitation, ou encore les transports.


Le fait que les contours des dispositions applicables à ce jour soient encore assez peu définis ne saurait tromper à notre sens sur l’analyse qui pourrait être donnée quant à leur portée juridique : bien qu’encore générales et assez peu chiffrées, elles revêtent néanmoins un réel caractère contraignant en ce qu’elles imposent principalement aux autorités publiques, au niveau national et local, l’obligation de mettre en œuvre une politique d’adaptation ambitieuse.


Au regard des principes protégés par la Charte de l’environnement, il n’est du reste pas à exclure d’envisager dans un proche avenir que puisse être recherchée la responsabilité des autorités qui auraient échoué à mettre en œuvre des mesures d’adaptation suffisantes, notamment au regard du principe de prévention prévu en son article 3.


Avant la réalisation d’un tel scénario et en toute hypothèse, la politique d’adaptation au changement climatique ne pourra faire l’impasse, afin d’être à la hauteur des enjeux et de permettre une meilleure mise en évidence de risques multiples et pour certains encore difficilement appréhendables, sur la mise en œuvre dans une large mesure des principes protégés par les articles 7 (information), 8 (éducation et formation) et 9 (recherche et innovation) de la Charte de l’environnement.


Aussi n’est-ce pas un hasard si, complétant en cela une politique de recherche initiée depuis 2001 avec la création de l’observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) (16), figurent notamment parmi les actions dans le PNACC-2 le besoin d’identifier les territoires et milieux à risque par la publication d’un ouvrage de référence sur les impacts du changement climatique attendus en France, le développement d’un centre de ressources sur l’adaptation pour faciliter le partage de bonnes pratiques, ou encore l’intégration de la thématique du changement climatique et de l’adaptation dans les cursus scolaires, de l’école à l’enseignement supérieur.


 


NOTES

1) Économie de l’adaptation au changement climatique, conseil économique pour le développement durable de février 2010.

2) Pour un exposé synthétique des manifestations déjà visibles en France, voir notamment Rapport d’information du Sénat n° 511 sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050, par Monsieur Ronan Dantec et Monsieur Jean-Yves Roux, pp. 19 à 36.

3) Ibid., p. 28 : « Quoi qu’on fasse maintenant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), compte tenu de l’inertie des systèmes climatiques, l’accumulation passée et présente de ces gaz détermine en effet largement ce qui va se passer d’ici à 2050 ».

4) Ibid., p. 7.

5) Selon un article du journal Le Monde paru vendredi 30 mai 2019, le nouveau projet de loi de révision constitutionnelle propose d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la République « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques ».

6) CNUCC, signée le 9 mai 1992, entrée en vigueur le 21 mars 1994.

7) Commission européenne, livre blanc, « Adaptation au changement climatique : vers un cadre d’action européen », COM (2009/2152(INI).

8) Ibid., point 19.

9) Stratégie de l’UE relative à l’adaptation au changement climatique COM/2013/0216, 16 avril 2013.

10) Article 1° de la Loi n° 2001-153 du 19 février 2001 tendant à conférer à la lutte contre l’effet de serre et à la prévention des risques liés au réchauffement climatique la qualité de priorité nationale et portant création d’un Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique en France métropolitaine et dans les départements et territoires d’outre-mer, JORF n° 43 du 20 février 2001 page 2783, aujourd’hui codifié à l’article L. 229-1 du Code de l’environnement.

11) « Un plan national d’adaptation climatique pour les différents secteurs d’activité sera préparé d’ici à 2011 ».

12) Voir l’article Les collectivités locales face au changement climatique, par Corinne Lepage et Roxane Sageloli, p.7 de ce numéro.

13) Selon le rapport Dantec et Roux (voir note 2), l’expression désigne « la différence de température entre les milieux urbains et les zones rurales environnantes », et peut s’expliquer « par la conjonction de multiples facteurs : formes urbaines qui limitent la circulation de l’air et l’évacuation de la chaleur par rayonnement ; forte proportion de surfaces minéralisées et faiblesse de la couverture végétale ; forte concentration d’activités génératrices de chaleur qui s’ajoute à la chaleur naturelle ; utilisation de matériaux qui retiennent la chaleur ; etc. »

14) Voir notamment l’article UG.13.1 – « Obligations en matière de réalisation d’espaces libres, de plantations et de végétalisation du bâti » du Règlement du PLU de Paris.

15) Voir, par exemple, l’article 14 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissante verte du 17 août 2015.

16) L’article L. 229-3 du Code de l’environnement prévoit que cet observatoire a pour mission d’élaborer chaque année « un rapport d’information [pouvant] comporter des recommandations sur les mesures de prévention et d’adaptation susceptibles de limiter les risques liés au réchauffement climatique ».

 

Théophile Begel,

Avocat à la cour,

Huglo Lepage Avocats


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles