Lorsque l’un
des époux exerce une activité à risques
financiers, il est nécessaire de réfléchir à la protection de son conjoint.
Plus précisément, il s’agit de protéger le patrimoine du conjoint, de faire en
sorte que les créanciers du chef d’entreprise ne puissent se servir que sur les
biens de ce dernier, c’est-à-dire que ses dettes lui restent propres. Pour
cela, le choix du régime matrimonial est important.
Bien
souvent, les époux choisissent dans une telle situation le régime de la
séparation de biens en raison de l’indépendance des patrimoines qu’il impose.
Cependant, cette protection n’est pas totale et peut conduire à des effets
secondaires pas toujours désirés, ou tout du moins non envisagés dès le début. C’est pourquoi il est intéressant de passer en revue à la
fois les effets directs (I) et indirects (II) de ce régime.
LES EFFETS DIRECTS DU RéGIME DE LA SéPARATION DE BIENS
Dans
l’optique de protéger un époux des dettes professionnelles de l’autre, il est
souvent conseillé aux couples de ne pas se marier sous le régime légal de la
communauté réduite aux acquêts et d’opter pour le régime de la séparation de
biens. Afin d’identifier pleinement les effets directs de ce dernier, il est
nécessaire de rappeler brièvement les conséquences du régime légal afin de
mieux appréhender celles de la séparation de biens. Alors que le premier
entraîne une certaine communautarisation (A), le second, au contraire, a pour
principe l’indépendance des patrimoines des époux (B).
La
communautarisation du régime légal
Le
régime légal a pour
conséquence de créer, en plus des patrimoines respectifs de chaque époux, une masse
commune de biens. Elle se compose principalement de tous les biens acquis en
cours de mariage et des revenus des deux époux. Corrélativement, elle comprend
également les dettes nées après l’adoption du régime. Cette mutualisation conduit à ce que les biens communs puissent être
saisis tout à la fois par les créanciers communs des époux ainsi que par les créanciers
personnels de chacun d’entre eux. C’est ce que prévoit l’article 1413 du Code
civil : « Le paiement des dettes dont
chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté,
peut toujours être poursuivi sur les biens communs. » Si l’un s’endette dans son
activité professionnelle, alors ses créanciers pourront se faire rembourser à la fois sur les biens propres de celui
qui s’est endetté et sur les biens communs.
On note toutefois une certaine protection du conjoint dans le régime
légal. D’une part, ses biens propres n’entrent pas dans l’assiette du droit de
gage des créanciers du conjoint chef d’entreprise (C. civ., art. 1418),
avec pour limites leurs fruits qui, eux, tombent en communauté. D’autre part,
et surtout, la loi prévoit que les gains et salaires d’un époux, malgré leur
caractère commun, ne peuvent pas être saisis par les créanciers de l’autre (C.
civ., art. 1414). Cependant, en tant que bien fongibles, une fois versés sur un
compte joint, ils seront difficiles à identifier. C’est
pourquoi il est possible d’aller plus loin pour assurer la protection du
conjoint du chef d’entreprise en adoptant le régime de la séparation de biens.
Le principe
d’indépendance de la séparation de biens
Les époux
peuvent choisir de maintenir séparés leurs
patrimoines plutôt que de créer une masse commune. La délimitation qui en découle vaut alors aussi bien sur le plan actif que passif. Chacun des
époux conserve une propriété individuelle et exclusive sur ses biens, qu’il les
ait eus avant l’adoption du
régime ou qu’il les acquière pendant. Parallèlement, chacun conserve ses dettes
qui, même nées après le choix de la séparation de biens, restent personnelles. Donc si l’un des
époux est débiteur, ses créanciers se serviront sur ses biens propres
uniquement.
Ce principe
connaît toutefois quelques exceptions – dues à la volonté des époux. Tout
d’abord, en se mariant, les époux acceptent de contribuer tous deux aux dettes
contractées dans l’intérêt du ménage et de l’éducation des enfants (C. civ.,
art. 214). Ensuite, leur vie commune conduit bien souvent à l’achat de biens en
indivision, notamment le logement de la famille. Les dettes indivises seront
alors supportées par les deux époux, comme, enfin, les dettes qu’ils
choisissent de souscrire conjointement – les tiers exigeant bien souvent des
époux d’être tenus solidairement. Apparaît donc dès à présent que le régime de la
séparation de biens connaît déjà une première limite due à la vie commune des
époux, à laquelle
vient s’ajouter d’autres effets secondaires – quant à eux pas toujours
souhaités.
Les effets indirects du régime de
la séparation de biens
Le régime de la séparation de biens, s’il protège le conjoint du chef
d’entreprise des risques financiers liés à son activité, a aussi des effets
moins immédiats qu’il faut également prendre en considération afin d’évaluer de
manière globale l’intérêt qu’aurait un couple à la choisir.
Selon que les époux respectent ou non rigoureusement le principe de la
séparation, les effets du régime vont varier et par conséquent, la protection offerte au
conjoint de l’entrepreneur. S’ils ne se conforment pas à son esprit dans la
gestion de leurs patrimoines, notamment lorsque l’un des époux gère dans les
faits l’entreprise de l’autre (A) alors le principe d’indépendance ne peut plus
produire tous ses effets.
En revanche, lorsque les époux se plient à une gestion méticuleuse, cette fois, le régime de la séparation de biens produira tous ses effets, jusqu’à
exclure le conjoint de l’entrepreneur de l’enrichissement de ce dernier (B).
La gestion
de fait
Il est courant, dans le cadre des professions commerciales, artisanales,
agricoles ou libérales, qu’un époux – le plus souvent la femme – participe à
l’activité de l’autre. La loi est intervenue à ce sujet et l’article L. 121-4 du Code de commerce permet d’opter
pour l’un des statuts suivants : conjoint collaborateur, conjoint salarié
ou conjoint associé (la loi PACTE prévoit que, par défaut, c’est le statut de
salarié qui est appliqué), ce qui suppose une déclaration du chef d’entreprise.
En pratique, la participation à l’activité de son époux peut donc rester de pur
fait, ce qui n’est pas pour autant sans conséquence juridique,
ce que la jurisprudence récente a rappelé.
Dans un arrêt du 10 avril 2019
(n° 17-198.44 : JCP N. 2019, act. 557, S. Bernard), la chambre
commerciale de la Cour de cassation a en effet approuvé les juges du fond
d’avoir déclaré deux époux solidairement responsables en ce qu’ils étaient tous
deux dirigeants de faits de la société faisant l’objet d’un redressement
fiscal. Pour arriver à une telle conclusion, les juges du fond ont noté que les
époux « disposaient du
pouvoir d’engager la société envers les tiers et de toutes les prérogatives sur
ses comptes », soit qu’ils exerçaient dans les faits la direction effective de la société.
Les deux conjoints ont donc été considérés comme tenus responsables des dettes
fiscales sur leur patrimoine personnel respectif. Certes, il y a là une
question de preuve dont le fardeau pèse sur le débiteur, mais une telle
décision met en avant qu’il suffit pour cela de prouver que la personne
apparaissait comme autonome et libre de prendre des décisions. Par conséquent,
un époux qui n’est ni associé, ni dirigeant de droit, mais qui participe en
pratique activement à l’ activité de son conjoint entrepreneur pourra finalement
et ce malgré son régime matrimonial, être tenu du passif – fiscal ou autre –
qui aurait dû être personnel à ce dernier.
Dans une telle situation, l’époux est en définitive
moins bien protégé que dans le régime légal. La solidarité qui découle de cette
gestion de fait est en effet plus lourde de conséquences que l’existence de
dettes communes. Alors que les créanciers des dettes communes peuvent se servir
sur les biens propres du conjoint débiteur et les biens communs, épargnant les
biens propres de l’autre époux ceux des dettes solidaires ont pour gage
tous les biens des époux. La solidarité, qui ne tient pas compte du régime
matrimonial choisi, neutralise donc les effets de la séparation de biens.
Finalement, le régime de la séparation n’est véritablement protecteur
que si les époux, en pratique, dans leur vie privée comme professionnelle,
tiennent rigoureusement compte du principe de séparation, ce qui empêche tout
partage des dettes, ainsi que des profits.
L’enrichissement
d’un des époux
La séparation de biens, on l’a dit, vaut aussi bien pour l’actif que
pour le passif des époux. Ils ne partagent donc pas leurs dettes, ce qui évite
de faire supporter les risques d’une activité sur celui qui ne l’exerce pas, et
n’en mutualisent pas non plus les profits. Seul en profite le chef
d’entreprise. C’est là l’esprit même du régime de la séparation, mais encore
faut-il
que cela traduise aussi la volonté des époux.
Un couple peut ne pas vouloir mutualiser ses richesses. Alors
l’adéquation volonté/effets du régime est parfaite, bien qu’en cas de divorce,
l’équilibre peut en partie être rétabli via
la prestation compensatoire. En revanche, lorsque l’adoption du régime de la
séparation de bien est faite dans l’unique but de protéger son conjoint des
risques financiers, il faut avoir en tête que la séparation de biens fragilise
l’époux qui renonce à une activité professionnelle pour élever les enfants ou
qui collabore gratuitement à l’activité de son conjoint. Plus ou moins
directement, le conjoint participe en ce cas à une activité pour laquelle il
n’a pas vocation au partage des profits qui en découlent.
Cependant, la jurisprudence actuelle vient limiter cette absence de
mutualisation avec ce concept large de la contribution aux charges du mariage.
Ainsi, depuis 2013 (Civ. 1re, 18 décembre 2013,
n° 12-17.420), les dépenses d’investissement d’un époux – financement
d’immeubles de rapport ou d’une résidence secondaire –, peut constituer sa
contribution aux charges du mariage en l’absence de clause contraire. De plus,
il reste possible d’atténuer l’absence de mutualisation en aménageant la
séparation de biens par l’ajout d’une société d’acquêts, créant une bulle de
communauté sur certains biens. Il peut en plus être prévu qu’en cas de décès,
elle sera attribuée intégralement au conjoint survivant, lui permettant de
profiter en partie de l’enrichissement de l’entrepreneur. Enfin, il reste
encore envisageable pour les époux de changer de régime matrimonial au profit
d’un régime communautaire lorsque l’entrepreneur cessera son activité à
risques.
Murielle Gamet,
Notaire associé,
Cheuvreux
Julie Boireau,
Juriste du Lab Cheuvreux