Plus d’un an
et demi après la publication d’un rapport dans lequel le Défenseur des droits
dénonçait les effets d’une lutte renforcée contre la fraude aux prestations
sociales sur les droits des bénéficiaires, un premier bilan révèle des progrès
contrastés.
En septembre 2017, le Défenseur des droits publiait
son rapport « Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à
quel prix pour les droits des usagers ? », dans lequel il
dénonçait les atteintes aux droits des bénéficiaires causées par le
durcissement de la politique de lutte contre la fraude, et constatait notamment
que « les larges pouvoirs accordés en la matière aux organismes chargés
d’une mission de protection sociale pouvaient entraîner des dérives dans les
procédures de contrôle, de qualification et de sanction de la fraude ».
Un an et demi après, l’autorité administrative indépendante rend public un
bilan intitulé « Le droit à l’erreur, et après ? ».
Des avancées significatives
Le bilan révèle des avancées significatives, comme
l’instauration d’un droit à l’erreur pour les demandeurs et bénéficiaires de
prestations sociales. Votée dans la loi pour un État au service d’une société
de confiance, cette modification, proposée par le Défenseur des droits dans
deux avis, permet de distinguer l’erreur de la fraude et conduit les organismes
sociaux à exclure les pénalités financières en cas d’erreur ou d’oubli non
intentionnel de la part de l’usager, et à les réserver aux seuls cas de fraude.
Par ailleurs, l’autorité administrative indépendante
constatait dans son rapport, en septembre 2017, que la notion de concubinage
était parfois interprétée de façon extensive par les organismes sociaux,
« amenés à infirmer les déclarations d’isolement des usagers sans
rapporter préalablement les preuves suffisantes ».
En effet, certaines prestations sont octroyées en considération des ressources
non seulement du demandeur mais également du conjoint, partenaire de PACS ou
concubin. À cet égard, le concubinage se prouve par tout moyen. Certains
organismes se contentent donc, par exemple, d’une adresse commune pour conclure
à une vie de couple. Or, « la révision des droits peut avoir des
conséquences dramatiques sur la situation d’un usager (dettes importantes, fin
de droits à prestation, etc.) », rappelle-t-on. Afin de clarifier
cette appréciation du concubinage au sein de son réseau, la Caisse nationale
des allocations familiales (CNAF) a diffusé, le 17 octobre 2018, une
instruction rappelant qu’il revient à la caisse de prouver que la déclaration
d’isolement est mensongère, en rapportant des éléments probants relatifs à
chacun des critères du concubinage. Pour le Défenseur des droits, il s’agit d’un
progrès qui doit être généralisé.
Ce dernier appelle ainsi, dans le bilan qu’il dresse, à ce qu’une circulaire
semblable soit publiée par le ministère des Solidarités et de la Santé, afin de
« permettre l’harmonisation du mécanisme et son application uniforme
par l’ensemble des organismes de sécurité sociale ».
Autre point d’amélioration, relève le document :
la déontologie dans la formation. En effet, après avoir émis, voilà un an et
demi, des « constats alarmants relatifs aux procédés utilisés par les
agents de contrôle des organismes lors de leurs enquêtes sur une éventuelle
fraude – atteintes à la vie privée, manque d’informations relatives aux
personnes interrogées lors des enquêtes de voisinage, refus de prendre en
compte certaines pièces justificatives ou demande de pièces abusives »,
le Défenseur des droits avait appelé au renforcement de la formation des
personnes en charge du contrôle, et proposait notamment d’insister sur les
règles déontologiques afférentes à la fonction de contrôleur. Proposition
entendue par la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, qui a inscrit
un nouveau module « déontologie » dans le catalogue 2018 des formations dédiées aux
agents de contrôle.
Inertie de certains organismes
En dépit de quelques améliorations notables, le Défenseur des droits
déplore toutefois, au sein de ce nouveau rapport rendu en mars, « la
persistance de règles et de pratiques contestables ».
Celui-ci met notamment l’accent sur l’absence d’éclaircissement des
attributions des agents des conseils départementaux dans la mise en œuvre du
contrôle des bénéficiaires du RSA (Revenu de solidarité active).
En effet, il précise de nouveau que si les conseils départementaux ne sont pas
chargés du service du RSA, certains pratiquent pourtant « des contrôles
à grande échelle directement auprès des bénéficiaires ». Dans son
rapport rendu en septembre 2017, l’autorité administrative indépendante avait
déjà sollicité une clarification à ce sujet : toutefois, le ministère des
Solidarités et de la Santé ne s’est pas estimé compétent en la matière. Le
Défenseur des droits juge aujourd’hui que cette position revient à « nier
l’insécurité juridique à laquelle les usagers sont confrontés. Elle est en
outre susceptible d’alimenter les dérives potentielles des collectivités dans
le contrôle du RSA ainsi que la perte de repères d’un public déjà fragilisé
pris dans les rouages complexes de l’aide sociale. »
Le Défenseur s’indigne par ailleurs une nouvelle fois du non-respect de
deux obligations définies par la Commission nationale de l’informatique et des
libertés (CNIL), à savoir, celle de réaliser un rapport des pratiques de
fichage des usagers considérés comme fraudeurs, et celle d’informer lesdits
usagers. Comme le souligne le bilan, si à la suite du rapport de 2017 dénonçant cette irrégularité, la CNAF, autorisée à mettre en place de
tels fichiers, « s’est attachée à réaliser ce bilan et a informé
l’institution qu’elle cessait d’alimenter sa base nationale de fraude, faute de
résultats significatifs ». À l’inverse, la CNAV (Caisse nationale
d’assurance vieillesse) n’a mis aucune mesure en œuvre. Le Défenseur des droits
appelle donc une nouvelle fois à ce que ces mesures soient respectées, afin de
garantir la transparence des mécanismes de fichage. « Le Défenseur des
droits est fermement attaché à l’idée que les bénéficiaires des prestations
sociales, y compris lorsqu’ils sont considérés comme fraudeurs, conservent
certains droits, et notamment celui de vivre dans la dignité »,
précise-t-il fermement.
Enfin, l’autorité administrative indépendante avait
notamment dénoncé une pratique, propre aux Caisses d’allocations familiales
(CAF) , consistant – « dès lors qu’une dette est considérée comme
d’origine frauduleuse – à calculer le montant des retenues effectuées
sur les prestations servies, en remboursement de la dette d’un usager, non plus
en fonction des ressources et des charges de famille et de logement, mais en
fonction du montant total de la dette, divisé par un nombre de mois maximum
pour procéder au remboursement ». Une pratique qui, selon le Défenseur
des droits, déroge à la garantie dite du « reste à vivre », puisque
cette somme, qui doit normalement être laissée à n’importe quel débiteur, « constitue
un seuil en-dessous duquel la possibilité de vivre dans la dignité paraît
remise en cause ».
Bien que la CNAF ait diffusé en octobre 2018 une instruction afin de
rappeler que le plan de remboursement personnalisé doit être appliqué aux
allocataires dont les créances sont frauduleuses à la condition qu’ils en
fassent la demande, une loi du 22 décembre 2018 donne aux directeurs d’organismes chargés du
versement des prestations familiales et du RSA la possibilité de majorer –
jusqu’à 50 % –
les retenues effectuées sur les prestations versées en remboursement d’un indu qualifié
de frauduleux. « Sanction et plan de remboursement sont ainsi amalgamés
(…) au risque de placer les personnes concernées dans des situations d’autant
plus difficiles », alerte le Défenseur des droits.
Au terme de son rapport, l’autorité administrative
indépendante persiste et signe donc : « une plus grande
transparence des procédures appliquées aux personnes suspectées de fraude
serait de nature à renforcer considérablement les droits qui sont les
leurs ».
Bérengère
Margaritelli