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Le Défenseur des droits rappelle l’importance des droits des usagers dans la lutte contre la fraude aux prestations sociales

Le Défenseur des droits rappelle l’importance des droits des usagers dans la lutte contre la fraude aux prestations sociales
Publié le 30/04/2019 à 10:57

Plus d’un an et demi après la publication d’un rapport dans lequel le Défenseur des droits dénonçait les effets d’une lutte renforcée contre la fraude aux prestations sociales sur les droits des bénéficiaires, un premier bilan révèle des progrès contrastés.




En septembre 2017, le Défenseur des droits publiait son rapport « Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ? », dans lequel il dénonçait les atteintes aux droits des bénéficiaires causées par le durcissement de la politique de lutte contre la fraude, et constatait notamment que « les larges pouvoirs accordés en la matière aux organismes chargés d’une mission de protection sociale pouvaient entraîner des dérives dans les procédures de contrôle, de qualification et de sanction de la fraude ». Un an et demi après, l’autorité administrative indépendante rend public un bilan intitulé « Le droit à l’erreur, et après ? ».


 


Des avancées significatives


Le bilan révèle des avancées significatives, comme l’instauration d’un droit à l’erreur pour les demandeurs et bénéficiaires de prestations sociales. Votée dans la loi pour un État au service d’une société de confiance, cette modification, proposée par le Défenseur des droits dans deux avis, permet de distinguer l’erreur de la fraude et conduit les organismes sociaux à exclure les pénalités financières en cas d’erreur ou d’oubli non intentionnel de la part de l’usager, et à les réserver aux seuls cas de fraude.


Par ailleurs, l’autorité administrative indépendante constatait dans son rapport, en septembre 2017, que la notion de concubinage était parfois interprétée de façon extensive par les organismes sociaux, « amenés à infirmer les déclarations d’isolement des usagers sans rapporter préalablement les preuves suffisantes ».
En effet, certaines prestations sont octroyées en considération des ressources non seulement du demandeur mais également du conjoint, partenaire de PACS ou concubin. À cet égard, le concubinage se prouve par tout moyen. Certains organismes se contentent donc, par exemple, d’une adresse commune pour conclure à une vie de couple. Or, « la révision des droits peut avoir des conséquences dramatiques sur la situation d’un usager (dettes importantes, fin de droits à prestation, etc.) », rappelle-t-on. Afin de clarifier cette appréciation du concubinage au sein de son réseau, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a diffusé, le 17
octobre 2018, une instruction rappelant qu’il revient à la caisse de prouver que la déclaration d’isolement est mensongère, en rapportant des éléments probants relatifs à chacun des critères du concubinage. Pour le Défenseur des droits, il s’agit d’un progrès qui doit être généralisé.
Ce dernier appelle ainsi, dans le bilan qu’il dresse, à ce qu’une circulaire semblable soit publiée par le ministère des Solidarités et de la Santé, afin de « permettre l’harmonisation du mécanisme et son application uniforme par l’ensemble des organismes de sécurité sociale ».


Autre point d’amélioration, relève le document : la déontologie dans la formation. En effet, après avoir émis, voilà un an et demi, des « constats alarmants relatifs aux procédés utilisés par les agents de contrôle des organismes lors de leurs enquêtes sur une éventuelle fraude – atteintes à la vie privée, manque d’informations relatives aux personnes interrogées lors des enquêtes de voisinage, refus de prendre en compte certaines pièces justificatives ou demande de pièces abusives », le Défenseur des droits avait appelé au renforcement de la formation des personnes en charge du contrôle, et proposait notamment d’insister sur les règles déontologiques afférentes à la fonction de contrôleur. Proposition entendue par la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, qui a inscrit un nouveau module « déontologie » dans le catalogue 2018 des formations dédiées aux agents de contrôle.


 


Inertie de certains organismes


En dépit de quelques améliorations notables, le Défenseur des droits déplore toutefois, au sein de ce nouveau rapport rendu en mars, « la persistance de règles et de pratiques contestables ».


Celui-ci met notamment l’accent sur l’absence d’éclaircissement des attributions des agents des conseils départementaux dans la mise en œuvre du contrôle des bénéficiaires du RSA (Revenu de solidarité active).
En effet, il précise de nouveau que si les conseils départementaux ne sont pas chargés du service du RSA, certains pratiquent pourtant « des contrôles à grande échelle directement auprès des bénéficiaires ». Dans son rapport rendu en septembre 2017, l’autorité administrative indépendante avait déjà sollicité une clarification à ce sujet : toutefois, le ministère des Solidarités et de la Santé ne s’est pas estimé compétent en la matière. Le Défenseur des droits juge aujourd’hui que cette position revient à « nier l’insécurité juridique à laquelle les usagers sont confrontés. Elle est en outre susceptible d’alimenter les dérives potentielles des collectivités dans le contrôle du RSA ainsi que la perte de repères d’un public déjà fragilisé pris dans les rouages complexes de l’aide sociale. »


Le Défenseur s’indigne par ailleurs une nouvelle fois du non-respect de deux obligations définies par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), à savoir, celle de réaliser un rapport des pratiques de fichage des usagers considérés comme fraudeurs, et celle d’informer lesdits usagers. Comme le souligne le bilan, si à la suite du rapport de 2017 dénonçant cette irrégularité, la CNAF, autorisée à mettre en place de tels fichiers, « s’est attachée à réaliser ce bilan et a informé l’institution qu’elle cessait d’alimenter sa base nationale de fraude, faute de résultats significatifs ». À l’inverse, la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse) n’a mis aucune mesure en œuvre. Le Défenseur des droits appelle donc une nouvelle fois à ce que ces mesures soient respectées, afin de garantir la transparence des mécanismes de fichage. « Le Défenseur des droits est fermement attaché à l’idée que les bénéficiaires des prestations sociales, y compris lorsqu’ils sont considérés comme fraudeurs, conservent certains droits, et notamment celui de vivre dans la dignité », précise-t-il fermement.


Enfin, l’autorité administrative indépendante avait notamment dénoncé une pratique, propre aux Caisses d’allocations familiales (CAF) , consistant – « dès lors qu’une dette est considérée comme d’origine frauduleuse à calculer le montant des retenues effectuées sur les prestations servies, en remboursement de la dette d’un usager, non plus en fonction des ressources et des charges de famille et de logement, mais en fonction du montant total de la dette, divisé par un nombre de mois maximum pour procéder au remboursement ». Une pratique qui, selon le Défenseur des droits, déroge à la garantie dite du « reste à vivre », puisque cette somme, qui doit normalement être laissée à n’importe quel débiteur, « constitue un seuil en-dessous duquel la possibilité de vivre dans la dignité paraît remise en cause ».


Bien que la CNAF ait diffusé en octobre 2018 une instruction afin de rappeler que le plan de remboursement personnalisé doit être appliqué aux allocataires dont les créances sont frauduleuses à la condition qu’ils en fassent la demande, une loi du 22 décembre 2018 donne aux directeurs d’organismes chargés du versement des prestations familiales et du RSA la possibilité de majorer – jusqu’à 50 % – les retenues effectuées sur les prestations versées en remboursement d’un indu qualifié de frauduleux. « Sanction et plan de remboursement sont ainsi amalgamés (…) au risque de placer les personnes concernées dans des situations d’autant plus difficiles », alerte le Défenseur des droits.


Au terme de son rapport, l’autorité administrative indépendante persiste et signe donc : « une plus grande transparence des procédures appliquées aux personnes suspectées de fraude serait de nature à renforcer considérablement les droits qui sont les leurs ».


 

Bérengère Margaritelli


 


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