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Le cadre légal de l’image

Le cadre légal de l’image
Publié le 31/10/2019 à 15:31

Dans le domaine de l’image, il n’existe pas de droit spécifique complet, codifié, accessible et parfaitement lisible, sauf pour le cinéma qui a vu la création, il y a dix ans, d’un « Code du cinéma et de l’image animée », très technique, modifié en 2016.



Il existe ainsi par exemple un droit sur l’image pour celui qui la prend, le photographe, un droit sur l’image d’un bien immobilier ou mobilier pour celui qui le possède. Tous ces droits résultent de l’application de dispositions éparpillées dans différents textes nationaux et internationaux et surtout d’une jurisprudence qui a su évoluer.


Il est impossible de citer dans le détail tous ces textes, surtout dans le domaine du droit d’auteur qui pourrait faire l’objet de traités volumineux !


Nous évoquerons par ailleurs dans les pages suivantes quelques dispositions de portée limitée concernant des sujets précis.


Le cadre légal principal peut se résumer en plusieurs textes essentiels.




Les textes qui limitent le droit à l’image : le droit du photographié ou du filmé




Le respect de la vie privée


Deux textes sont essentiels.


Le court article 9 du Code civil définit un grand principe :


« Chacun a droit au respect de sa vie privée.


Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé. »


Le principe énoncé dans cet article se trouve bien évidemment régulièrement confronté à la liberté d’expression et à la liberté de la presse.


Lors d’une rencontre avec la Cour suprême du Canada en 2002 (Bulletin 573 du 15 mars 2003  de la Cour de cassation), le conseiller à la première chambre civile Jean-Pierre Gridel expliquait fort justement : « En droit français d’aujourd’hui, la liberté d’expression et le secret de la vie privée semblent deux notions antagonistes, entre lesquelles sont recherchés des équilibres parfois pragmatiques et toujours contestés. »


L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme affirme le même principe :


« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »


 


L’atteinte à la dignité


L’article 16 du Code civil est encore plus court que l’article 9 :


« La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »


 


L’atteinte à l’intimité


L’article 226-1 du Code pénal punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de « volontairement porter atteinte à l’intimité de la vie d’autrui… en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé », introduisant cependant une nuance dans un dernier alinéa :


« Lorsque ces actes ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. »


À l’origine, il n’y avait pas de délit spécifique concernant les photos à caractère sexuel (nudité, ébats intimes) divulguées notamment par un amant éconduit, un compagnon vengeur, des camarades de classe peu scrupuleux…


La pression sur le législateur est montée d’un cran lorsqu’en 2007, des photos intimes d’une championne olympique, connue de tous les Français, ont été répandues sur Internet par son ancien compagnon. L’affaire a fait la Une des journaux et la championne s’est dite à juste titre « détruite » par ce scandale.


Aussi, la loi du 7 octobre 2016 a introduit un nouvel article 226-2-1 dans le Code pénal énonçant que la peine est portée à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende lorsque le délit « porte sur des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé ».


 


La propriété


L’article 544 du Code civil la définit ainsi :


« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »


 


Les textes qui protègent le droit sur l’image : le droit du photographe ou du cinéaste


 

L’auteur d’une image est l’auteur d’une œuvre de l’esprit protégée par la loi



L’article L. 111-1 du Code la propriété intellectuelle (CPI) commence ainsi :


« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial… »


L’article L. 112-2 du CPI vise expressément, parmi les œuvres de l’esprit protégées, le cinéma et la photographie.


L’article L. 121-2 du CPI énonce que « L’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre. »


 


Les exceptions sont nombreuses


Bien évidemment, la loi prévoit certains aménagements. L’article 122-5 du CPI, dans une longue énumération de multiples exceptions à la protection du droit d’auteur, interdit notamment à un cinéaste de s’opposer à une représentation gratuite d’un film en famille, protège les journalistes, chercheurs et autres qui utilisent un droit de citation, autorise les caricatures et parodies ou certaines reproductions dans un but scientifique, ou encore « les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques à l’exclusion de tout usage à caractère commercial ».


 


La règle des 70 ans


Les durées de jouissance des droits sont prévues par les articles L. 123-1 et suivants du CPI. Retenons simplement l’article L. 123-1 énonçant que « L’auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire. Au décès de l’auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent. »


 


Le cas particulier des photojournalistes et des photographes fonctionnaires


La loi prévoit certaines restrictions aux droits pouvant être exercés sur leurs œuvres par certains photographes en situation de dépendance professionnelle.


Les photojournalistes, journalistes professionnels au titre de l’article L. 7111-3 du Code du travail, c’est-à-dire qui ont pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de leur profession dans une entreprise de presse (ou plusieurs) et qui en tirent le principal de leurs ressources sont souvent liés par convention à leur employeur pour l’élaboration d’un titre de presse. L’article L. 132-36 du CPI, introduit par la loi Hadopi du 12 juin 2009, prévoit que, sauf stipulation contraire, cette convention emporte « cession à titre exclusif des droits d’exploitation des œuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre, qu’elles soient ou non publiées ».


Les fonctionnaires d’État sont eux aussi restreints dans leurs droits. L’article L. 131-3-1 du CPI prévoit en effet :


« Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent de l’État dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’État.


Pour l’exploitation commerciale de l’œuvre mentionnée au premier alinéa, l’État ne dispose envers l’agent auteur que d’un droit de préférence. Cette disposition n’est pas applicable dans le cas d’activités de recherche scientifique d’un établissement public à caractère scientifique et technologique ou d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, lorsque ces activités font l’objet d’un contrat avec une personne morale de droit privé. »


 


Les textes récents sur le patrimoine


Le patrimoine immatériel


L’image appartient au patrimoine immatériel, lequel a été ajouté par la loi du 7 juillet 2016 à l’article L. 1 du Code du patrimoine qui énonce désormais : « Le patrimoine s’entend, au sens du présent code, de l’ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique.


Il s’entend également des éléments du patrimoine culturel immatériel, au sens de l’article 2 de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée à Paris le 17 octobre 2003. »


 


La nouvelle protection des domaines nationaux


Cette loi du 7 juillet 2016 a introduit des règles précises pour l’image des domaines nationaux, tels Chambord, le Louvre ou encore le Palais de l’Élysée. L’article L. 641-42 du Code du patrimoine énonce en effet :


« L’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national. Cette autorisation peut prendre la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat, assorti ou non de conditions financières.


La redevance tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation.


L’autorisation mentionnée au premier alinéa n’est pas requise lorsque l’image est utilisée dans le cadre de l’exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité. »


Ce texte, vigoureusement contesté par les partisans de la liberté d’entreprendre,
a été validé par le Conseil constitutionnel.



Le château de Chambord


Un texte international très souvent sollicité et appliqué qui autorise le droit à l’image et en prévoit les limitations : la CEDH


La Convention européenne des droits de l’homme se veut très protectrice dans le domaine de la liberté d’expression mais consacre aussi l’existence de possibles restrictions dans les domaines audio-visuel, de la sécurité, de la prévention du crime, de la morale, et évoque le respect des droits d’autrui et la réputation d’autrui.


L’article 10 de la CEDH dispose en effet :


« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. »


« L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »


Etienne Madranges,

avocat au barreau de Versailles


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