Le 14 mars 2019,
la cour d’appel de Paris et la cour administrative d’appel de Paris ont
organisé à la cour administrative d’appel un colloque intitulé « Le principe du contradictoire et la charge de
la preuve : regards croisés du juge judiciaire et du juge
administratif ». Compte-rendu.
A l’occasion du colloque
proposant les regards croisés du juge judiciaire et du juge administratif sur
le contradictoire et la charge de la preuve, organisé à la cour administrative
d’appel de Paris en mars dernier, Patrick Frydman a rappelé que ce regard
croisé était « précieux », en ce qu’il permet de mesurer à distance
la façon dont les deux ordres juridictionnels travaillent. Le président de la cour administrative d’appel de Paris a également
mentionné que les différences trouvaient leur origine dans les caractéristiques
du contentieux administratif, notamment le rapport structurel d’inégalité entre
l’individu et la puissance publique, inégalité à laquelle visent à remédier les
pouvoirs dont dispose le juge administratif dans la conduite de l’instruction.
Pour sa part, Chantal Arens, Première présidente de la cour d’appel de
Paris, a rappelé le rôle et le caractère cardinal des principes du
contradictoire et de la charge de la preuve dans le cadre du procès civil. Affirmant que ces concepts fondamentaux de la procédure
représentent d’incontestables garanties procédurales et de véritables gages de
qualité de la décision de justice rendue, la Première présidente a défini les
contours des principes directeurs et souligné que le principe du contradictoire
constitue, selon l’expression du professeur Cornu, « la quintessence du
procès civil ». Chantal Arens a également souligné que l’influence du
droit européen des droits de l’homme, par le truchement de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, a eu pour effet de
créer un cadre commun procédural aux deux ordres juridictionnels. Dès
lors, si les principes directeurs du procès sont aujourd’hui similaires, leur
application en pratique met en lumière la persistance de spécificités.
Office du
juge et principe du contradictoire
Une première table ronde, portant sur l’office du juge et le principe de
la contradiction, modérée par le président de la cour administrative d’appel, a
permis aux différents acteurs de la procédure de présenter l’incidence du
principe du contradictoire sur les rôles du juge, tenu au respect du
contradictoire et gardien du respect du contradictoire par les parties.
Martine Roy-Zenati, Première présidente de chambre à la cour d’appel de
Paris, et Mireille Heers, présidente de chambre à la cour administrative
d’appel de Paris ont rappelé que le juge ne saurait se fonder sur des éléments
soustraits au débat contradictoire.
Régis Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, a
présenté le contradictoire comme un dérivé des droits de la défense, rappelant
que le respect de ce principe est souvent spontané, les parties communiquant
leurs écritures avant l’audience.
Par ailleurs, Martine Roy-Zenati et Mireille Heers ont rappelé que
l’application du principe du contradictoire est protégée par la rationalisation
de la phase de mise en état et notamment le respect de délais, pour communiquer
des pièces avant l’ordonnance de clôture.
Emmanuel Jullien, avocat au barreau de Paris, a de son côté axé sa
réflexion sur les évolutions possibles de l’office du juge en matière civile,
soulignant son caractère fluctuant face à une procédure civile de plus en plus
inquisitoire et exprimant le souhait d’une unification des principes de droit
processuel continental afin de clarifier l’office du juge notamment quant à la
détermination de la loi applicable afin d’éviter toute potentielle défaillance
au devoir d’impartialité du juge.
La preuve et le juge : un
régime pour deux ordres
Une seconde table ronde, consacrée à la preuve et au juge, modérée par
la Première présidente, a eu pour objectif de s’interroger sur l’existence d’un
régime commun aux deux ordres sur la charge et la licéité de la preuve.
Dans un dialogue entre les deux ordres, Thomas Vasseur, conseiller à la
cour d’appel de Paris, et Lorraine d’Argenlieu, Première conseillère à la cour
administrative d’appel de Paris, ont échangé sur les règles et les pratiques
propres à leurs ordres de juridiction.
Dans un premier temps, le dialogue entre les deux magistrats a permis
d’étayer le principe commun de la charge de la preuve pesant sur le demandeur
de l’instance.
La jurisprudence civile semble avoir consacré un devoir du juge de
statuer, ce dernier ne pouvant arguer de l’insuffisance des preuves qui lui
sont fournies par les parties en application de l’article 4 du Code civil. En revanche, le juge administratif ne doit pas intervenir
si l’état du dossier ne le requiert pas ou en cas de preuve impossible, mais
doit le faire face à une allégation sérieuse du demandeur et en l’absence de
réponse convaincante de la défense.
Dans un second temps, les deux magistrats ont comparé les règles
d’admission et de loyauté entourant la licéité de la preuve.
Devant le juge civil, nul ne peut se constituer de
titre à soi-même. Le juge apprécie souverainement la hiérarchie des droits qui
s’affrontent lors du recueil de la preuve déloyale ou illégale. Il les met en
balance et exerce un contrôle de proportionnalité, afin de privilégier soit le
droit à la preuve, soit le droit concurrent. Néanmoins, la notion de procédé
déloyal souffre d’une incontestable indétermination rendant les solutions
jurisprudentielles en matière d’administration de la preuve assez
imprévisibles. Le stratagème renvoie à une norme de comportement devant être
adoptée par celui qui recherche une preuve sans fournir de critères précis
permettant de caractériser le comportement à adopter.
Devant le juge administratif, la preuve est en principe totalement
libre. Dans cette logique, le requérant est donc libre de se constituer une
preuve à lui-même. C’est pour garantir la loyauté du procès que le juge
administratif a aménagé la dialectique de la preuve. C’est la loyauté qui
conduit le juge administratif, dans le cadre de la procédure inquisitoriale, à
aménager la charge de la preuve afin que lorsque l’administré se trouve dans
l’impossibilité de prouver ses allégations, puisque les pièces sont détenues
par l’administration, cette charge bascule finalement sur le défendeur.
Philippe Mettoux, conseiller d’État, directeur des affaires juridiques
de la SNCF, a apporté le point de vue du praticien et du justiciable sur la
charge de la preuve. Il a rappelé l’importance de la charge de la preuve au
regard de la maxime « C’est la même chose de ne pas être ou de ne pas
être prouvé ». Il a toutefois précisé qu’il existait des dérogations,
notamment par le biais de la présomption d’affirmation, de la présomption
légale, ou bien encore de la responsabilité sans faute de l’administration
reconnue au terme d’une longue évolution jurisprudentielle.
Philippe Mettoux a également rappelé que le régime des preuves diffère
selon les pays. En droit français, deux modes de preuves, transcendant les
ordres juridictionnels, sont aujourd’hui privilégiés : l’expertise et
l’écrit. Même si l’aveu continue de jouer un rôle tout à fait important dans
notre droit, il fait l’objet d’un contrôle permanent et doit être corroboré par
des recherches plus objectives, au moyen notamment de l’expertise. Quant à
l’écrit, détrônant l’aveu, il est devenu la reine des preuves. Cette valorisation
de la preuve écrite a pris la forme de la réforme du droit de la preuve en
matière électronique.
En outre, Philippe Mettoux a opéré une comparaison avec la pratique de
la « discovery » anglaise qui oblige chaque partie à produire
et communiquer l’ensemble des documents relatifs à l’affaire, que ces documents
lui soient ou non favorables. Le juge anglais part de l’idée que la vérité
n’est accessible qu’à travers ce que les parties veulent bien dire.
L’aboutissement naturel de cette méthode est que le juge anglais est amené à se
décider en faveur de la thèse qui lui paraît la plus vraisemblable (« preponderance
of evidence ») et n’est pas, comme le juge français, investi de cette
« mission sacrée » de dire la vérité, sur la base de preuves
incontestables.
Un droit commun du procès ?
Selon Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillère d’État et professeure de
droit, le dualisme procédural introduit une « saine émulation »
pour les réflexions tournant autour du droit procédural. Dans cette veine, le
colloque du 14 mars a ainsi permis la création de ponts et de points de
comparaisons entre les deux ordres, les attentes des justiciables étant un
point de convergence.
La conseillère d’État a rappelé que l’influence du
droit européen des droits fondamentaux, et l’intervention en ce sens du
professeur Motulsky, ont contribué à forger un droit commun du procès.
Pour Bénédicte Fauvarque-Cosson, la question
sous-jacente du colloque renvoie à l’office du juge, et à la problématique
« pouvoir ou devoir ? ». Les conceptions sont différentes
selon les particularités attachées à la procédure. La marque de fabrique de la
procédure civile est fondée sur une distinction entre le fait et le droit (en
application des articles 4 et 12 du
Code de procédure civile). Aussi, la décision de la Cour de cassation du
21 décembre 2007 est
d’une grande importance, imposant une conception stricte de l’office du juge
qui n’est pas tenu de changer la dénomination ou les demandes juridiques des
parties.
Les points de convergence sont nombreux au regard de
l’application du principe du contradictoire. L’article 16 du Code de procédure
civile impose au juge d’informer les parties lorsqu’ils soulèvent un moyen
d’office. D’autre part, ce principe directeur a fait l’objet d’une consécration
prétorienne par le Conseil d’État, puis d’une codification au sein du Code de
justice administrative. Dès lors, Bénédicte Fauvarque-Cosson a déduit des
débats qu’en parallèle de l’office du juge, se définit également un office des
parties lié à l’application toujours plus contrôlée du principe de loyauté.
Quant à la preuve, le droit au procès subit des
transformations par le biais de l’influence des droits fondamentaux, mais
également par le développement de la preuve scientifique et du numérique.
Existe-t-il un régime pour deux ordres ? Pour la preuve, la réponse est à
la négative. Il y a bien deux régimes, un principe de liberté du côté du juge
administratif et un principe de légalité des preuves en droit civil. Le
principe de loyauté de la preuve semble parfois trop valorisé, parfois trop
oublié. Bénédicte Fauvarque-Cosson a assuré qu’il nécessitait donc d’être
« redéfini » afin de parvenir à un « équilibre
satisfaisant ». Cette dernière a estimé que plus qu’une charge de la
preuve, on peut parler à l’heure actuelle d’une « dialectique de la
preuve », chacun étant tenu d’apporter son concours à la manifestation
de la vérité. S’il n’existe pas de régime unique, il existe bien un cadre
commun de référence dont les limites infranchissables semblent aujourd’hui être
dessinées par le secret défense, la lutte contre le terrorisme et le secret des
affaires.
Dès lors, il est de bon augure d’envisager les
perspectives européennes et internationales.
Les grands axes des droits fondamentaux européens sont orientés vers la
rapidité du procès, la loyauté et l’accessibilité. La demande est forte en
faveur d’une transparence accrue et d’une véritable pédagogie afin de permettre
une meilleure compréhension des parties. La création de la chambre
internationale de la cour d’appel s’inscrit dans cette évolution, faisant
cœxister le droit civil, le droit continental et le common law.
Source :
cour d’appel de Paris