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Le principe du contradictoire et la charge de la preuve : regards croisés du juge judiciaire et du juge administratif

Le principe du contradictoire et la charge de la preuve : regards croisés du juge judiciaire et du juge administratif
Publié le 15/05/2019 à 12:07

Le 14 mars 2019, la cour d’appel de Paris et la cour administrative d’appel de Paris ont organisé à la cour administrative d’appel un colloque intitulé « Le principe du contradictoire et la charge de la preuve : regards croisés du juge judiciaire et du juge administratif ». Compte-rendu.




l’occasion du colloque proposant les regards croisés du juge judiciaire et du juge administratif sur le contradictoire et la charge de la preuve, organisé à la cour administrative d’appel de Paris en mars dernier, Patrick Frydman a rappelé que ce regard croisé était « précieux », en ce qu’il permet de mesurer à distance la façon dont les deux ordres juridictionnels travaillent. Le président de la cour administrative d’appel de Paris a également mentionné que les différences trouvaient leur origine dans les caractéristiques du contentieux administratif, notamment le rapport structurel d’inégalité entre l’individu et la puissance publique, inégalité à laquelle visent à remédier les pouvoirs dont dispose le juge administratif dans la conduite de l’instruction.


Pour sa part, Chantal Arens, Première présidente de la cour d’appel de Paris, a rappelé le rôle et le caractère cardinal des principes du contradictoire et de la charge de la preuve dans le cadre du procès civil. Affirmant que ces concepts fondamentaux de la procédure représentent d’incontestables garanties procédurales et de véritables gages de qualité de la décision de justice rendue, la Première présidente a défini les contours des principes directeurs et souligné que le principe du contradictoire constitue, selon l’expression du professeur Cornu, « la quintessence du procès civil ». Chantal Arens a également souligné que l’influence du droit européen des droits de l’homme, par le truchement de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, a eu pour effet de créer un cadre commun procédural aux deux ordres juridictionnels. Dès lors, si les principes directeurs du procès sont aujourd’hui similaires, leur application en pratique met en lumière la persistance de spécificités.


 


Office du juge et principe du contradictoire


Une première table ronde, portant sur l’office du juge et le principe de la contradiction, modérée par le président de la cour administrative d’appel, a permis aux différents acteurs de la procédure de présenter l’incidence du principe du contradictoire sur les rôles du juge, tenu au respect du contradictoire et gardien du respect du contradictoire par les parties.


Martine Roy-Zenati, Première présidente de chambre à la cour d’appel de Paris, et Mireille Heers, présidente de chambre à la cour administrative d’appel de Paris ont rappelé que le juge ne saurait se fonder sur des éléments soustraits au débat contradictoire.


Régis Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, a présenté le contradictoire comme un dérivé des droits de la défense, rappelant que le respect de ce principe est souvent spontané, les parties communiquant leurs écritures avant l’audience.


Par ailleurs, Martine Roy-Zenati et Mireille Heers ont rappelé que l’application du principe du contradictoire est protégée par la rationalisation de la phase de mise en état et notamment le respect de délais, pour communiquer des pièces avant l’ordonnance de clôture.


Emmanuel Jullien, avocat au barreau de Paris, a de son côté axé sa réflexion sur les évolutions possibles de l’office du juge en matière civile, soulignant son caractère fluctuant face à une procédure civile de plus en plus inquisitoire et exprimant le souhait d’une unification des principes de droit processuel continental afin de clarifier l’office du juge notamment quant à la détermination de la loi applicable afin d’éviter toute potentielle défaillance au devoir d’impartialité du juge.


 


La preuve et le juge : un régime pour deux ordres


Une seconde table ronde, consacrée à la preuve et au juge, modérée par la Première présidente, a eu pour objectif de s’interroger sur l’existence d’un régime commun aux deux ordres sur la charge et la licéité de la preuve.


Dans un dialogue entre les deux ordres, Thomas Vasseur, conseiller à la cour d’appel de Paris, et Lorraine d’Argenlieu, Première conseillère à la cour administrative d’appel de Paris, ont échangé sur les règles et les pratiques propres à leurs ordres de juridiction.


Dans un premier temps, le dialogue entre les deux magistrats a permis d’étayer le principe commun de la charge de la preuve pesant sur le demandeur de l’instance.


La jurisprudence civile semble avoir consacré un devoir du juge de statuer, ce dernier ne pouvant arguer de l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties en application de l’article 4 du Code civil. En revanche, le juge administratif ne doit pas intervenir si l’état du dossier ne le requiert pas ou en cas de preuve impossible, mais doit le faire face à une allégation sérieuse du demandeur et en l’absence de réponse convaincante de la défense.


Dans un second temps, les deux magistrats ont comparé les règles d’admission et de loyauté entourant la licéité de la preuve.


Devant le juge civil, nul ne peut se constituer de titre à soi-même. Le juge apprécie souverainement la hiérarchie des droits qui s’affrontent lors du recueil de la preuve déloyale ou illégale. Il les met en balance et exerce un contrôle de proportionnalité, afin de privilégier soit le droit à la preuve, soit le droit concurrent. Néanmoins, la notion de procédé déloyal souffre d’une incontestable indétermination rendant les solutions jurisprudentielles en matière d’administration de la preuve assez imprévisibles. Le stratagème renvoie à une norme de comportement devant être adoptée par celui qui recherche une preuve sans fournir de critères précis permettant de caractériser le comportement à adopter.


Devant le juge administratif, la preuve est en principe totalement libre. Dans cette logique, le requérant est donc libre de se constituer une preuve à lui-même. C’est pour garantir la loyauté du procès que le juge administratif a aménagé la dialectique de la preuve. C’est la loyauté qui conduit le juge administratif, dans le cadre de la procédure inquisitoriale, à aménager la charge de la preuve afin que lorsque l’administré se trouve dans l’impossibilité de prouver ses allégations, puisque les pièces sont détenues par l’administration, cette charge bascule finalement sur le défendeur.


Philippe Mettoux, conseiller d’État, directeur des affaires juridiques de la SNCF, a apporté le point de vue du praticien et du justiciable sur la charge de la preuve. Il a rappelé l’importance de la charge de la preuve au regard de la maxime « C’est la même chose de ne pas être ou de ne pas être prouvé ». Il a toutefois précisé qu’il existait des dérogations, notamment par le biais de la présomption d’affirmation, de la présomption légale, ou bien encore de la responsabilité sans faute de l’administration reconnue au terme d’une longue évolution jurisprudentielle.


Philippe Mettoux a également rappelé que le régime des preuves diffère selon les pays. En droit français, deux modes de preuves, transcendant les ordres juridictionnels, sont aujourd’hui privilégiés : l’expertise et l’écrit. Même si l’aveu continue de jouer un rôle tout à fait important dans notre droit, il fait l’objet d’un contrôle permanent et doit être corroboré par des recherches plus objectives, au moyen notamment de l’expertise. Quant à l’écrit, détrônant l’aveu, il est devenu la reine des preuves. Cette valorisation de la preuve écrite a pris la forme de la réforme du droit de la preuve en matière électronique.


En outre, Philippe Mettoux a opéré une comparaison avec la pratique de la « discovery » anglaise qui oblige chaque partie à produire et communiquer l’ensemble des documents relatifs à l’affaire, que ces documents lui soient ou non favorables. Le juge anglais part de l’idée que la vérité n’est accessible qu’à travers ce que les parties veulent bien dire. L’aboutissement naturel de cette méthode est que le juge anglais est amené à se décider en faveur de la thèse qui lui paraît la plus vraisemblable (« preponderance of evidence ») et n’est pas, comme le juge français, investi de cette « mission sacrée » de dire la vérité, sur la base de preuves incontestables.


 


Un droit commun du procès ?


Selon Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillère d’État et professeure de droit, le dualisme procédural introduit une « saine émulation » pour les réflexions tournant autour du droit procédural. Dans cette veine, le colloque du 14 mars a ainsi permis la création de ponts et de points de comparaisons entre les deux ordres, les attentes des justiciables étant un point de convergence.


La conseillère d’État a rappelé que l’influence du droit européen des droits fondamentaux, et l’intervention en ce sens du professeur Motulsky, ont contribué à forger un droit commun du procès.


Pour Bénédicte Fauvarque-Cosson, la question sous-jacente du colloque renvoie à l’office du juge, et à la problématique « pouvoir ou devoir ? ». Les conceptions sont différentes selon les particularités attachées à la procédure. La marque de fabrique de la procédure civile est fondée sur une distinction entre le fait et le droit (en application des articles 4 et 12 du Code de procédure civile). Aussi, la décision de la Cour de cassation du 21 décembre 2007 est d’une grande importance, imposant une conception stricte de l’office du juge qui n’est pas tenu de changer la dénomination ou les demandes juridiques des parties.


Les points de convergence sont nombreux au regard de l’application du principe du contradictoire. L’article 16 du Code de procédure civile impose au juge d’informer les parties lorsqu’ils soulèvent un moyen d’office. D’autre part, ce principe directeur a fait l’objet d’une consécration prétorienne par le Conseil d’État, puis d’une codification au sein du Code de justice administrative. Dès lors, Bénédicte Fauvarque-Cosson a déduit des débats qu’en parallèle de l’office du juge, se définit également un office des parties lié à l’application toujours plus contrôlée du principe de loyauté.


Quant à la preuve, le droit au procès subit des transformations par le biais de l’influence des droits fondamentaux, mais également par le développement de la preuve scientifique et du numérique. Existe-t-il un régime pour deux ordres ? Pour la preuve, la réponse est à la négative. Il y a bien deux régimes, un principe de liberté du côté du juge administratif et un principe de légalité des preuves en droit civil. Le principe de loyauté de la preuve semble parfois trop valorisé, parfois trop oublié. Bénédicte Fauvarque-Cosson a assuré qu’il nécessitait donc d’être « redéfini » afin de parvenir à un « équilibre satisfaisant ». Cette dernière a estimé que plus qu’une charge de la preuve, on peut parler à l’heure actuelle d’une « dialectique de la preuve », chacun étant tenu d’apporter son concours à la manifestation de la vérité. S’il n’existe pas de régime unique, il existe bien un cadre commun de référence dont les limites infranchissables semblent aujourd’hui être dessinées par le secret défense, la lutte contre le terrorisme et le secret des affaires.


Dès lors, il est de bon augure d’envisager les perspectives européennes et internationales.
Les grands axes des droits fondamentaux européens sont orientés vers la rapidité du procès, la loyauté et l’accessibilité. La demande est forte en faveur d’une transparence accrue et d’une véritable pédagogie afin de permettre une meilleure compréhension des parties. La création de la chambre internationale de la cour d’appel s’inscrit dans cette évolution, faisant cœxister le droit civil, le droit continental et le common law.


 


Source : cour d’appel de Paris 


 


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