À l’occasion des 20 ans des Rencontres Économiques,
du vendredi 3 au dimanche 5 juillet, une table ronde a abordé le
sujet de la « finance éthique ».
En odeur de sainteté depuis la crise sanitaire, le secteur promeut par
ailleurs, depuis quelques années, de meilleures pratiques en matière sociétale
et environnementale. Pour Stéphane Boujnah, président du directoire d’Euronext,
cela n’est pas forcément antinomique, puisque « la transition énergétique, c’est de l’investissement ».
« Agir face
aux dérèglements du monde – on va s’en sortir ! », tel était le
thème de cette 20e édition des Rencontres Économiques
d’Aix-en-Provence, exceptionnellement 100 % en ligne et rebaptisées
« Aix en Seine », sur fond
de crise sanitaire. Alors que plusieurs dizaines de tables rondes retransmises
en direct ont ainsi rythmé les journées des 3, 4 et 5 juillet, l’une
d’entre elles plaidait en faveur d’« une
finance éthique ».
L’oxymore peut prêter à sourire, tant la finance,
associée à un certain nombre de scandales, a souvent mauvaise presse. Pour
Bertrand Jacquillat, membre du Cercle des économistes, l’intitulé du débat
indique d’ailleurs implicitement que la finance n’est, en elle-même, pas
éthique. Cette dernière est généralement considérée, surtout en France, comme
un ensemble de mécanismes parasites freinant le développement de l’économie
réelle. « Aujourd’hui comme au Moyen
Âge, il n’y a pas de demi-mesure : il faut choisir entre la Bourse, le
mal, le vice, le péché, l'injustice, le manque d’éthique... et la vie, le bien,
la vertu, la bonne action, la justice. La finance est, elle, perçue comme
favorisant les comportements fondés sur la cupidité », a-t-il
souligné.
La finance, vice ou vertu ?
La finance a bien « quelques vices », a admis Bertrand Rambaud – président de
Siparex, leader du capital investissement –, parmi lesquels le profit à court
terme et le fait de constituer un levier financier excessif, qui font d’elle
« un boomerang ». Mais à
ses yeux, ces caractéristiques restent toutefois minoritaires, et sont
largement compensées par « plusieurs
vertus ». Selon lui, la finance est en effet créatrice de valeur, mais
aussi facilitatrice dans la transmission d’entreprises et dans le partage de
performances avec les salariés.
Stéphane Boujnah, président du directoire d’Euronext,
principale place boursière de la zone euro, estime de son côté que la notion de
finance est étrangère aux concepts de bien et de mal. « Elle n’a jamais été faite pour être l’un ou
l’autre », a-t-il exposé lors de la table ronde. « C’est juste quelque chose d’efficace pour
faire la différence entre ce qui marche et ce qui ne marche pas. C’est un
véhicule, un outil. »
Pour appuyer cette idée d’« outil », Bertrand Jacquillat a indiqué que « même Joseph Stiglitz », contempteur
et critique acéré du capitalisme américain, prix Nobel d’économie en 2001,
reconnaît qu’elle est essentielle pour favoriser la croissance économique. Par
ailleurs, l’économiste italien Luigi Zingales, dans un article de 2015 (« Does finance benefit society ? »),
rappelle que la finance a apporté énormément à l’économie en matière de gestion
des risques, de résolution de conflits d'intérêts entre parties prenantes, pour
réduire les asymétries informationnelles, favoriser la croissance, etc., a
ajouté Bertrand Jacquillat.
Jean Beunardeau, directeur général d’HSBC France, a
rappelé de son côté que la finance, comme beaucoup d’industries, avait fait de
gros progrès sur l’éthique consensuelle, « c’est-à-dire l'élimination des comportements qui suscitent la
réprobation ». La réglementation a fini par couvrir explicitement le
champ des comportements non-éthiques pour les rendre sanctionnables, en les
détaillant et en les érigeant en principes, comme l’intégrité des marchés,
l’intérêt du client, la transparence des prix, la révélation des conflits
d’intérêt... « L’essentiel de ce qui
est mal en finance est aujourd’hui interdit. Les avancées ont souvent été
chaotiques, au gré des crises, mais il ne faut pas sous-estimer les effets
positifs de la morale et de la réputation sur les comportements, au-delà de la
peur du pénal », a considéré Jean Beunardeau. Par exemple, tirer le
bénéfice d’une information privilégiée, ou diffuser une fausse information n’a
jamais été éthique, a-t-il illustré, mais son caractère sanctionnable dépend
des cultures et des époques. Ainsi, en mars 1814, un officier britannique qui
diffusa la nouvelle, à Londres, d’une fausse victoire sur Napoléon, pour faire
monter les rentes, ne fit rien d’interdit, mais fut quand même condamné à une
heure de pilori et à la dégradation de l’Ordre du Bain. Alors qu’il fallut
attendre 1993 pour que l’utilisation d’une information privilégiée devienne un
délit en Allemagne. Autre exemple, a cité le directeur général d’HSBC
France : la manipulation monétaire était courante sous l’Ancien Régime
entre monnaie de compte, monnaie d’or et monnaie d’argent. Mazarin bâtit ainsi
la plus grande fortune de l’époque, en partie grâce à la bonne anticipation des
dévaluations et réévaluations qu’il décidait. « Cela était déjà vu comme un scandale, sans sanction autre que sa
réputation. Aujourd’hui, nous sommes cependant protégés de cette manipulation
monétaire par les banques centrales indépendantes et dépositaires de l’éthique
monétaire », a rapporté Jean Beunardeau.
Crise sanitaire : la finance, plus un problème mais une
solution
Sabine Delanglade, journaliste aux Échos, a pour sa part
relevé qu’il était question d’éthique et de finance à un moment où la société
demande beaucoup à la finance.
Stéphane Boujnah a avancé qu’il fallait bien qu’il y ait
un système finançant le chômage partiel et les prêts garantis par l’État.
« Avec la crise, on a l'impression
que cette fois, la finance est perçue comme étant la solution et pas le
problème, s’est réjoui le président du directoire d’Euronext, puisque les
banques centrales et les États ont injecté en quatre jours ce qu’ils ont mis
quatre ans à injecter en liquidités dans la précédente crise ». Le
débat aux fins de savoir si les banques et les institutions financières
devaient payer elles-mêmes pour leurs turpitudes supposées a duré, cette fois,
deux heures, a-t-il ajouté, et cette solution s’est imposée en raison d’un
projet prioritaire : sauver des vies humaines.
« Pour la
première fois, on a mis en avant la vie par rapport à l’économie. Certains
n’étaient pas forcément d’accord, mais c’est frappant », a abondé
Patrice Morot, associé en charge des activités audit et conseil en gestion des
risques chez le cabinet d’audit PwC France. Comme Sabine Delanglade l’a
observé, « la finance a répondu
présente au moment de la crise sanitaire, et elle devra aussi être là pour
assurer les investissements colossaux que demanderont la transition énergétique
et numérique. L’éthique leur sera consubstantielle », a estimé la
journaliste.
Patrice Morot a noté que le monde s’était mis sur pause
durant la pandémie, notamment pendant le confinement, et que s’était ainsi
posée avec encore plus d’acuité la question du sens. « La raison d’être des entreprises est revenue
au premier plan, a-t-il déclaré. La crise a aussi marqué le fait qu’on ne peut
plus considérer qu’une croissance économique qui a un impact RSE négatif en
matière d'environnement, de conditions de travail et d’emploi, peut être
durable. Cela pourrait même devenir inacceptable, et susciter le rejet de la
part de nombreuses parties prenantes – salariés, clients, investisseurs. »
Le responsable audit et conseil est donc convaincu que la période va renforcer
« certaines tendances » et
poser la question de la vision à long terme. Selon lui, la crise a eu un effet
d’accélération dans la prise de conscience collective du développement
durable.
Vœu pieux ou véritable engagement ?
En effet, depuis quelques années, le secteur, ou du
moins une partie, promeut et tente de s’astreindre à de meilleures pratiques en
matière sociétale et environnementale, dans la gestion des fonds comme dans la
finalité de ceux-ci.
Alors, finance éthique : vœu pieu ou véritable
engagement ?
Stéphane Boujnah a mis en exergue la transformation des
préférences collectives des investisseurs : « La responsabilité sociale des entreprises fait qu’en plus des
liquidités, des rendements, de la performance, dorénavant les investisseurs
veulent aussi une contribution à la transition écologique, une gouvernance plus
transparente, et une contribution aux intérêts des différentes parties
prenantes. »
Bertrand Rambaud a confié qu’il vivait auparavant les
critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) comme une « contrainte de rapports à remplir, du
marketing, un phénomène de mode ». Aujourd’hui, il s’avoue au contraire
« convaincu de leur nécessité ».
Le groupe vient d’ailleurs de lancer sa fondation d’entreprise, qui a pour
objectif d’aider les personnes sorties du système à (re)venir dans
l’entrepreneuriat en finançant leurs projets. Pour Bertrand Rambaud, il s’agit
d’un « véritable rôle » que
se donne son entreprise, qui ne saurait se limiter, a-t-il assuré, à une seule
« bonne conscience ».
Le président de Siparex en est sûr : la crise que
l’on traverse « va transformer,
accélérer nombre de choses, dans les entreprises, dans les métiers
d’investisseur et dans la finance ». À son sens, la finance va au-delà
de l’apport de capital dans une entreprise, et cela sera d’autant plus vrai
demain. Ce glissement se traduit ne serait-ce que dans la composition de son entreprise,
a-t-il constaté : ses équipes, auparavant uniquement constituées
d’investisseurs, de personnes chargées des opérations, se sont nettement
diversifiées puisqu’aujourd’hui, plus d’un tiers d’entre elles sont mobilisées
pour accompagner les entreprises dans leur transformation. Et Bertrand Rambaud
fait le pari que d’ici quelques années, ces effectifs vont doubler. « À partir du moment où la finance reste un
moteur auxiliaire et ne veut pas jouer le moteur principal, on est dans une
finance vertueuse et éthique », a-t-il jugé.
Louable ne veut pas dire consensuel
Pour rendre la finance plus responsable, « il convient de trouver des règles qui
aident les comportements individuels à se rapprocher de l’intérêt collectif
dans ces grands enjeux que sont le changement climatique et l’impact
environnemental », a considéré Bertrand Jacquillat. Selon lui, la
question essentielle est celle de l’impact que peuvent avoir les décisions
financières. Quelle est la bonne manière d’investir quand on souhaite avoir un impact
sur le monde ? Faut-il accepter une moindre performance financière ?
Ces questions obligent ainsi à se demander si le monde peut être différent si
l’on investit dans telle entreprise ou ailleurs. « Beaucoup considèrent qu’être responsable peut se résumer à nettoyer son
portefeuille du titre des entreprises les plus polluantes sur le plan physique
ou sur plan moral. Or, un investisseur qui reste cantonné à ce choix a peu
d’impact sur le monde, car des investisseurs “agnostiques” vont se substituer à
lui et financer ces entreprises. »
Jean Beunardeau a fait remarquer que le débat sur la
finance éthique s’était certes déplacé sur un autre terrain – celui de
l’orientation des financements vers des causes plus louables. Mais plus
louables ne veut pas forcément dire « consensuel »,
a-t-il pointé : tout est alors question d’arbitrages entre des priorités
différentes. « Construire une
centrale à charbon au Bengladesh accélère l’accès à l’électricité de
populations, mais accélère aussi le changement climatique. Comment gérer ces
objectifs contradictoires quand il n’y a pas de loi internationale qui permet
de trancher démocratiquement ? », s’est interrogé le directeur
général d’HSBC France. Selon lui, il s’agit d’un dilemme que chaque institution
cherche à résoudre en tenant compte de ses parties prenantes pour chercher la
moins mauvaise synthèse entre leurs intérêts ou objectifs contradictoires.
« Quelle que soit la réponse, il est
important qu’elle se montre transparente sur ses choix et ses raisons. Aucune
ne peut satisfaire tout le monde, mais si chacune peut agir parce qu’elle sait
quels sont les tenants et aboutissants, elle peut faire progresser le débat et
les différentes causes », a-t-il observé. En matière bancaire, cela
permet à ceux qui confient leur argent de savoir à quoi cet argent sert, et
d’agir en conséquence. « Le chemin
de l’intérêt général est long et compliqué, et ne peut passer qu’à travers les
intérêts particuliers ou les différents points de vue qu’avec un minimum de
souplesse, a-t-il prévenu. Le bien doit être inclusif, même avec ceux qui le
perçoivent mal », a philosophé Jean Beunardeau.
« La
transition énergétique, c’est de l’investissement »
La finance serait-elle alors la solution à la
mutation ? C’est en tout cas la conviction de Stéphane Boujnah. « On parle de plus en plus des contreparties
vertes, or qu’est-ce que la transition énergétique ? Ce sont des CAPEX,
c’est de l’investissement. Beaucoup d’argent qu’il faut déployer pendant
longtemps, pour prendre beaucoup de risques, avec des perspectives de
rentabilité qui ne permettent pas nécessairement d’être financé avec les
instruments d’aide habituels. Donc il faut mettre des fonds propres. Et ce que
font les marchés de capitaux depuis l’invention de la Bourse, c’est justement
financer le risque, le long terme. » Selon le président du directoire
d’Euronext, il n’y aura pas de financement de la transition énergétique sans
prendre de risques de long terme, d’innovation, de rupture technologique.
Dans la même veine, Patrice Morot a considéré qu’il
était « essentiel » d’avoir
des banques fortes en Europe, car les besoins de financements en matière de
transition écologique, numérique, etc., sont considérables et ne pourront pas
simplement être financés par les financements publics. « La crise a parfaitement démontré
l’importance des banques comme vecteurs majeurs pour sauver l’économie »,
a appuyé le responsable audit et conseil chez PwC.
Stéphane Boujnah est par ailleurs revenu sur l’annonce,
par le PDG de la multinationale BlackRock, en janvier dernier, de sa volonté de
renforcer la part d’investissements durables et de pousser les entreprises vers
un modèle bas carbone. Un exemple suivi de près par la société de gestion
d’actifs Amundi.
Grossissant le trait, le président du directoire
d’Euronext a estimé que cela présentait de fortes similitudes avec la
conversion de Constantin en 312 qui, lorsqu’il se convertit à sa nouvelle
religion, apporte une nouvelle idéologie qui se répand très vite. Stéphane
Boujnah a en effet argué qu’à la finance, était attachée une caractéristique
anthropologique forte : celle-ci fait circuler beaucoup d’informations,
très vite et très loin. Le président du directoire d’Euronext s’est ainsi dit
« convaincu » que la
« conversion » d’Amundi –
et des autres – était un « diffuseur
d’évangélisation de ces nouvelles préférences ». Selon lui, cela
devrait favoriser en même temps l’émergence d’un nouveau langage comptable.
« Mais il faut que les Européens
s’organisent pour produire cette nouvelle norme, sinon ce seront d’autres qui
le feront. Et je ne souhaite pas que sur l’ESG, l’Europe soit dans la même
situation que celle dans laquelle elle se trouve en matière de moteurs de recherche,
de systèmes d’information et de commerce en ligne, etc. Il n’y a pas de raison
qu’on n’invente pas ce langage en Europe avec des standards européens »,
a-t-il revendiqué.
Patrice Morot s’est rangé à l’avis de Stéphane Boujnah.
Bientôt, l’appréciation de la performance et la valeur de l’entreprise ne
seront plus seulement des critères comptables et financiers, mais intégreront
les enjeux environnementaux et sociétaux, et rendre compte de cela constituera
un vrai challenge pour les entreprises, a-t-il auguré. À ce titre, le secteur
financier est selon lui « aux
avant-postes de ce mouvement, car soumis à une avalanche de
réglementations », et notamment dans le cadre du déploiement du plan
européen pour la finance durable, dévoilé en mars 2018.
Pour le responsable audit et conseil chez PwC, les
régulateurs ont compris que le secteur financier, de par son rôle central,
était un puissant levier d’accélération de cette transition.
Sous la pression, le secteur financier et les
investisseurs vont devoir s’organiser afin de collecter et de mettre à
disposition un grand nombre de données sur les entreprises. Selon Patrice
Morot, est apparaît donc « indispensable
de construire des standards de reporting non financiers de qualité équivalente
à ceux des standards de reporting financiers ». « Il faut que tous les acteurs se mobilisent
pour influer sur l’élaboration de ces normes », a-t-il sollicité,
invoquant un « enjeu de souveraineté
économique pour l’Europe ». « Elle
a abandonné sa souveraineté au niveau des normes comptables : il faut que
sur ces normes extra-financières, l’Europe joue pleinement son rôle. »
Une finance pour les riches, une finance pour les
pauvres ?
Essma Ben Hamida, co-fondatrice de l’institution de
microfinance Enda inter-arabe, en Tunisie, a souhaité partager son expérience
« pour apporter un éclairage concret
à la finance éthique ». Elle l’a martelé : « Il ne devrait pas y avoir une finance pour
les riches et une finance pour les pauvres ». Au contraire, a-t-elle
affirmé, la finance doit être inclusive et équitable, sinon les riches vont
continuer à s’enrichir, les pauvres à s'appauvrir, ce qui est un facteur de
risque pour la paix sociale et la stabilité, qui pourrait affecter tout le
monde.
Essma Ben Hamida n’a pas manqué de rappeler que la
finance « classique » consistait en des institutions financières
« au service des personnes aisées,
qui excluent tous ceux qui n’ont pas de garantie physique ou sociale –
c’est-à-dire la majorité des gens ». C’est en réaction à ce constat
que la microfinance, invention des années 1970, s’est donné pour objectif
d’assurer l’inclusion financière et économique de millions de personnes en leur
offrant des services financiers adaptés à leurs besoins, et sans garanties, a
mis en exergue celle qui a œuvré au développement du microcrédit. « Ces personnes-là acceptent de payer des
frais pour ces services, pour pouvoir travailler, générer des produits stables
et réguliers. Cela leur permet l’accès au capital ». Car si cet accès
n’était pas donné aux plus pauvres, jamais ils ne pourraient s’enrichir,
explique-t-elle. C’est donc pour eux une opportunité de sortir de la spirale de
la pauvreté et de la vulnérabilité ; et cela est encore plus vrai pour les
femmes, exclues des systèmes financiers classiques gérés, la plupart du temps,
par des hommes, a-t-elle avancé. « La
finance éthique sert la majorité exclue et privée d’accès au capital, mais
désireuse de travailler et d’entreprendre, de créer des emplois et des
revenus. L’autonomisation sociale et économique des femmes est très
importante pour les pays arabo-musulmans car, grâce aux prêts, les femmes
génèrent des revenus pour leur famille, qu’elles utilisent pour une
scolarisation plus poussée de leurs enfants, de meilleurs soins de santé et de
meilleures conditions de logement », a argumenté Essma Ben
Hamida.
Celle-ci a pris l’exemple de son ONG, installée en
Tunisie depuis 30 ans. « Nous
avons introduit en 1995 un modèle d'inclusion financière sans le savoir, en
créant la première – et, jusqu’à aujourd’hui, la plus grande – institution de
microfinance du pays. Nous avons servi en 25 ans plus de
900 000 ménages tunisiens parmi les plus vulnérables dans les
quartiers pauvres et zones rurales déshéritées », s’est-elle réjouie.
Partie de 20 000 dollars, Enda inter-arabe a accordé, en l’espace de
25 ans, pas moins de 3,5 millions de prêts, d’une valeur totale de
5,5 milliards de dinars, soit environ 2 milliards de dollars.
L’institution emploie aujourd’hui 2 000 jeunes et sert 390 000 clients
actifs, dont 56 % sont des femmes, 27 % des jeunes et 28 % des
agriculteurs et éleveurs.
« Pour nous,
la microfinance est une forme d’intermédiation financière entre les
banques/institutions financières, et les entrepreneurs parmi les populations
défavorisées, laissées pour compte depuis des siècles », a avancé
Essma Ben Hamida. Toutefois, a-t-elle nuancé, la microfinance coûte cher :
accorder un prêt de 200 dinars coûterait en effet autant qu’un prêt… de
200 000 dinars. Par ailleurs, aujourd’hui, le coût du refinancement pour les
institutions de microfinance (IMF) se situe entre 17 et 20 %. « Généralement, les bénéfices faits par ces
IMF reviennent aux actionnaires en bonne partie, mais aussi aux clients sous
forme de services non financiers : services d’accompagnement, de
formation, d’appui à la commercialisation, de sensibilisation… » Sur
ce modèle, une partie des dividendes d’Enda sert ainsi à augmenter le chiffre
d’affaires et donner plus de crédit, et une autre sert à financer les personnes
qui viennent dans les différents centres pour suivre des formations « afin de se hisser au niveau d’entrepreneurs
chevronnés et d’être capables de mieux gérer leurs entreprises », a
détaillé Essma Ben Hamida. Ainsi, a-t-elle souligné, ce sont les pauvres qui
financent leur propre développement.
Autre ombre au tableau, et de taille, si les banques
classiques, lorsqu’elles sont en difficulté, obtiennent des milliards de
dollars du gouvernement, ce n’est pas le cas pour les IMF. « On aimerait que le gouvernement facilite le
processus de création d’entreprise et n'engouffre pas les entrepreneurs pauvres
et parfois analphabètes dans les dédales d’une bureaucratie étouffante ;
que les grosses entreprises entrent dans des partenariats équitables et justes,
qu’elles n’exploitent pas les petits producteurs et artisans : tout le
monde serait ainsi gagnant-gagnant », a défendu la cofondatrice
d’Enda. Et de préciser que l’institution n’a, par ailleurs, « pas coûté un centime » à l’État
tunisien. Pour elle, il est important d’accorder plus de considération à ces
micro-entrepreneurs : « Ce
n’est pas parce qu’ils sont “micro” qu’ils sont insignifiants »,
a-t-elle insisté.
Par ailleurs, alors qu’aujourd’hui, la population de
chômeurs, avec la crise sanitaire, pourrait passer de
600 000 Tunisiens à un million, Essma Ben Hamida a jugé urgent de
réfléchir aux moyens permettant de financer cette population de futurs
chômeurs. La microfinance pourrait donc être, à ce titre, une solution.
Bérengère
Margaritelli