Le président
du tribunal de commerce et le ministère public ont en main un panel
législatif de mesures afin de faire respecter l’obligation de dépôt des comptes
annuels. Par un arrêt du 7 mai 2019 (n° 17-21047), la chambre commerciale de la
Cour de cassation a précisé que l’injonction de dépôt des comptes annuels et le
règlement de l’astreinte qui s’en suit, étaient à la charge personnelle du
représentant légal de la société… Cet article fait le point sur les
conséquences du non dépôt.
Les sociétés
sont tenues de
déposer chaque année au greffe du tribunal de commerce : les comptes annuels
(bilan – compte de résultat et annexe) ; éventuellement le rapport du commissaire aux comptes ;
la résolution votée d’affection
du résultat ; les comptes consolidés s’il y a lieu.
Le dépôt doit être effectué dans le mois qui suit l’approbation des
comptes, ou dans les deux mois si le dépôt est effectué par voie électronique (art.
L. 232-23 du
Code de
commerce).
Publicité restreinte
• Micro-entreprises : Les micro-entreprises sont les sociétés
qui à la clôture du dernier exercice clos, ne dépassent pas deux des trois
seuils suivants :
Total de
bilan 350 000 euros ; chiffre d’affaires 700 000 euros
et 10 salariés permanents.
La
micro-entreprise peut faire le choix de déposer l’ensemble de ses comptes
(bilan – compte de résultat et annexe) de manière confidentielle.
Une déclaration de confidentialité devra, dans ce cas, être déposée au
greffe (art. L. 323-25,
R. 123-111 et A. 123-61-1 du Code de commerce).
• Petites
entreprises : Les petites entreprises sont les sociétés qui, à la clôture du
dernier exercice clos, ne dépassent pas deux des trois seuils suivants :
Total de
bilan 6M€ ; chiffre d’affaires : 12M€ ; 50 salariés permanents.
Elles ont la
possibilité de ne pas publier leur compte de résultat. À cet effet, une
déclaration de confidentialité du compte de résultat devra être remise au
greffe (art. L. 232-58, R. 123-111-1 et A. 123-61-1
du Code de commerce).
• Moyennes
entreprises : Les moyennes entreprises ont été définies par la loi PACTE du 22
mai 2019 (Loi 2019-486).
Les moyennes
entreprises sont celles qui au titre du dernier exercice clos, ne dépassent pas
deux et trois seuils suivants :
Total de
bilan 20M€ ; chiffre d’affaires net HT 40M€ et 250 salariés permanents.
Ces
entreprises peuvent ne rendre publique, sous certaines conditions, qu’une
présentation simplifiée de leur bilan et de leur annexe (art. L. 232-25, Al. 3
du Code de commerce).
NB : à noter que la confidentialité des
comptes ne s’applique pas au président du tribunal de commerce.
Le fait de
ne pas satisfaire à cette obligation peut faire l’objet d’une amende pénale et
d’une injonction de dépôt de comptes par le président du tribunal de commerce.
NB :
l’obligation de dépôt des comptes est applicable à l’Entreprise individuelle à
responsabilité limitée (EIRL) (art. L. 611-2-11).
SANCTIONS
Sanction
pénale
Le non-respect de l’obligation de dépôt des comptes peut être puni
d’une amende pénale de 5e classe
(contravention) de 1 500 euros (3 000 euros en cas de récidive), conformément à l’article R. 247-3 du Code de
commerce).
Le procureur
de la république peut décider de réduire ces montants.
Injonction
de dépôt des comptes par le président
Le président du tribunal de commerce peut à la demande de tout
intéressé ; du ministère public ; ou
d’office, rendre une ordonnance d’injonction de dépôt de comptes assortie d’une
astreinte (art. L. 611-2-11 du Code de commerce).
Ordonnance du président
Le président du tribunal rend une ordonnance faisant injonction au
représentant légal de la société de déposer les comptes annuels dans un délai
d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance (C.com. art. R. 611-13).
Le greffier
notifie cette ordonnance au représentant légal de la société (C.com. art. R. 611-14).
L’ordonnance
fixe le taux de l’astreinte et mentionne, en outre, les lieu, jour et heure de
l’audience à laquelle l’affaire sera examinée. L’ordonnance n’est pas
susceptible de recours.
Lors de
l’audience, deux cas peuvent se présenter (art. R. 611-15) :
• l’injonction
de faire a été exécutée dans les délais impartis. L’affaire est clôturée et
retirée du rôle.
• le non-dépôt
des comptes est constaté par le greffier par un procès-verbal.
Dans la
dernière situation, en cas d’inexécution de l’injonction de faire, le président
statue sur la liquidation de l’astreinte (art. R. 611-16).
Il statue en
dernier ressort lorsque le montant de l’astreinte n’excède pas le taux de
compétence en dernier
ressort du tribunal de commerce (5 000 euros depuis le 01/01/2020).
À
noter toutefois que le président du tribunal n’est pas tenu de conserver
le montant prévu dans son injonction. Il peut la modifier en tenant compte du
comportement du dirigeant et des éventuelles difficultés qu’il a pu rencontrer (C.
proc. civ. exéc. art. L. 131-4).
• Liquidation
de l’astreinte (art. R. 611-16).
Le montant
de la condamnation prononcée est versé au Trésor public et recouvré comme en
matière de créances étrangères à l’impôt.
La décision est communiquée au Trésor public et signifiée à la diligence
du greffier au représentant légal de la personne morale (ou à l’entrepreneur
individuel à responsabilité limitée). L’appel est formé,
instruit et jugé selon les règles applicables à la procédure sans
représentation obligatoire. « Les voies
de recours sont ouvertes au ministère public. »
Jurisprudences
• Le dirigeant ne peut invoquer le secret des
affaires pour ne pas déposer ses comptes (Cass.com.28/01/2009).
• Toute personne est habilitée à demander le
respect des obligations légales de publicité des comptes sociaux, pesant sur
les dirigeants d’une personne morale (Cass.com. 03/04/2012 – n°11-17.130).
• La décision liquidant l’astreinte pour
inexécution de l’injonction de dépôt des comptes annuels est un acte
juridictionnel. En conséquence, si cette ordonnance n’est pas signée par le
greffe, elle est nulle. (Cass.com. 29/09/2009 – n° 08-14146).
• Il n’est pas anticonstitutionnel que le juge
se saisisse, ordonne et liquide lors du dépôt des comptes annuels. (Cass.const.
QPC 01/07/2016 – n° 2016-548).
• Pour la Cour de cassation, chambre
commerciale, une contravention (qui n’est pas une infraction intentionnelle) ne
constitue pas une faute intentionnelle d’une particulière gravité, détachable
des fonctions de gérant (Cass.com. 03/05/2018 – n° 16-23627).
En l’espèce, cet arrêt concernait un dépôt tardif des comptes, reproché
à un dirigeant de société…
• L’injonction de dépôt des comptes annuels et
le paiement éventuel de l’astreinte, obligent le représentant légal de la
société, à titre personnel (Cass.com. 07/05/2019 – n° 17-21047).
C’est bien le dirigeant et non la société qui est le destinataire de
l’injonction. En conséquence, c’est bien au dirigeant, et à lui seul, de payer
l’astreinte et le cas échéant, de la contester.
Dans le cas contraire, attention (en théorie) à l’abus de biens
sociaux !
• Le fait de
ne pas respecter une règlementation peut fausser le jeu de la concurrence, en
plaçant le contrevenant dans une situation anormalement favorable, vis-à-vis de
ses concurrents.
Ainsi, il a
été jugé que le défaut de publication des comptes par un franchiseur privait
les entreprises candidates à la franchise de la possibilité de comparer les
résultats de son réseau avec ceux des concurrents, ce qui constituerait un
manquement au principe de transparence dans les rapports commerciaux et causait
à un concurrent un préjudice commercial justifiant le versement de
dommages-intérêts (CA Versailles, 18/03/2014 – N° RG : 12/07662. J-L Vallens –
Droit des sociétés commerciales – Lamy § 2410)
• Aucune
société concernée ne peut se soustraire à l’obligation de déposer ses comptes
en faisant valoir qu’elle fait partie d’un groupe de sociétés ou que les autres
pays membres de l’Union européenne n’ont pas encore harmonisé leur législation
avec la IVe directive européenne (Rép. min. À QE n° 13082 JOAN Q. 23/05/1994 p.2621 :
cf également CJCE 11/01/1990, aff. C-38/39) (J-L Vallens – déjà cité)
• Une société ne peut se soustraire à l’obligation de publier ses comptes
annuels, au seul motif que cette mesure n’a pas encore été adoptée dans tous
les pays membres. (Bulletin CNCC – 1990 – N° 78. P.232).
Prescriptions :
• Amende pénale
S’agissant d’une contravention (de 5e classe), la
prescription de l’action publique est acquise après un an, à compter de
l’expiration du délai prévu par la loi pour déposer les comptes annuels
approuvés par l’assemblée générale annuelle. (Cass.crim. 28/01/2009 – N° 08-80884).
Exemple :
• Bilan au 31/12/2018 ;
• Délai maxi de réunion de l’AGO
annuelle : 30/06/2019 ;
• Délai de dépôt des comptes : 31/07/2019
(ou 31/08/2019, si dépôt électronique) ;
• Date de prescription : un an
après : 31/07/2020.
• Ordonnance d’injonction
du président
Le délai de prescription est dans ce cas moins évident.
Avis de la conférence des juges consulaires :
L’obligation de dépôt des comptes sociaux est une obligation ressortant
du droit des sociétés (art. L. 232-21 à L. 32-23 du Code de
commerce).
Aucun texte spécifique n’étant prévu en la matière, on peut en
(parallèle de l’article L. 210-7 du Code de commerce), retenir le délai de trois ans à compter de la date à
laquelle les comptes sociaux auraient dû être publiés.
Pour l’ANSA (Association Nationale des Sociétés par Actions),
l’injonction du président peut porter sur les comptes sociaux des cinq
dernières années. Ce délai correspondant à la prescription de droit commun de
l’art. 2234 du Code civil, ainsi qu’à la prescription commerciale de l’article L. 110-4 du Code de
commerce) (Comité juridique 07/02/2018 – N° 18-004).
• Commentaires
L’article
L.110-4 du Code de commerce précise que la prescription dite commerciale de
cinq ans s’applique dès lors qu’il n’est pas prévu de prescription spéciale
plus courte.
La
Cour de cassation, chambre civile, a jugé que la prescription plus courte de
l’article L. 110-4, ne concerne que le commerce maritime (cass. 3e civ.10/10/2007
§ N° 06-17.222 et que le délai de cinq ans n’est pas applicable dès lors que la
loi fixe une prescription plus courte, mais la disposition qui la prévoit est
d’application stricte et ne peut pas être étendue à des cas
qu’elle ne vise pas expressément (Cass.1re civ.10/09/2019 – N° 14-16.599).
Effectivement,
l’obligation de dépôt des comptes relève bien d’articles de loi concernant le
droit des sociétés (articles L. 232-21 à L. 232-25
de Code de commerce).
Rien n’étant
prévu par la loi pour la prescription spécifique du dépôt des comptes.
Toutefois,
on peut constater que la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, retenu la
prescription d’une durée de trois ans dans des affaires concernant le droit des
sociétés.
De plus, il
est très rare qu’une demande de production de comptes annuels réclame les cinq
exercices passés…
La Cour de
cassation devra être saisie par avis ou par un arrêt…
Michel
Di Martino,
Doctorant
en droit privé,
École
doctorale DGEP-laboratoire CRJFC Besançon,
Président
du tribunal de commerce de Lons-le-Saunier