On surnomme cette très belle femme née en 1422 la Dame de Beauté. Mais ce n’est pas en raison de sa beauté ! Tout
au moins à l’origine. Agnès Sorel est Dame de Beauté car elle possède le
château de Beauté-sur-Marne, proche de Vincennes et de son bois, surplombant la
Marne non loin de Paris, demeure royale construite par Charles V vers 1375
que le roi Charles VII lui a offert.
Elle est donc en réalité la Dame du domaine de Beauté.
Il est vrai que si elle est devenue Dame de Beauté grâce au roi, c’est
parce qu’elle est une femme d’une rare beauté. Le souverain affable et
taciturne, sacré à Reims en 1429 grâce à Jeanne d’Arc, très pieux, se confessant
souvent, allant à la messe tous les jours, n’a pu résister au charme de cette
demoiselle d’honneur de l’épouse du duc René d’Anjou. Ses cheveux blonds, ses
larges décolletés, ses fragiles épaules nues, son rouge à lèvre à base de
fleurs de coquelicot, son teint sublime, sa peau claire ont fait craquer le
chaste Charles VII qui, en
1443, sans barguigner, fait de cette jolie femme séduisante qui prend des
bains de lait d’ânesse sa maîtresse puis sa favorite officielle, alors qu’elle
a 21 ans et qu’il a 20 ans de plus qu’elle.
Les chroniqueurs médiévaux déplorent cette liaison et les tenues parfois
extravagantes de la rivale de la reine, cette « ribaude » qui choque la
Cour et qui fait de Charles VII un monarque débauché. Jean Jouvenel des
Ursins, archevêque de Reims, rapporte que « la Reyne avoit moult de douleur en son cœur… ». L’évêque contemporain
de Lisieux, Thomas Basin, très critique à l’égard de Charles VII dont il décrit
l’élégante prestance malgré ses jambes trop maigres, mais auquel il reproche
d’avoir « transgressé ce qui est
honnêtement permis », écrit de son côté : « Au temps des trêves qui se firent entre lui et les Anglais, le roi se
prit à aimer une assez jolie fille et belle garce qu’on appelait la belle Agnès
» (ce chroniqueur, qui écrit en latin, utilise le mot de « muliercula », que l’on peut traduire,
dans son sens péjoratif, par femme de plaisir, donzelle, garce…).
Cependant, la sublime Agnès, première « Première Dame »
de l’Histoire de France, dont on ne saura jamais avec certitude si elle a
influencé le roi au point de peser sur les orientations de la politique du royaume,
meurt jeune, à l’âge de 27 ans, en
Normandie, où elle vient d’accoucher d’une fille, la quatrième qu’elle a eue
avec le monarque.
Une autopsie pratiquée en 2004 révèle d’une part qu’elle souffrait
d’une ascaridiose, son tube digestif étant infesté d’œufs d’ascaris, infection
que l’on traitait par le mercure, d’autre part qu’elle est morte d’une
ingestion massive de mercure, ce qui laisse planer le doute quant à un éventuel
empoisonnement. Mais s’il faut faire une enquête sérieuse sur un éventuel
assassinat, les investigations risquent d’être complexes. Car de multiples
personnages peuvent être suspectés. Tout d’abord le dauphin, futur Louis XI, hostile à la favorite de son père, qui l’a un jour poursuivie avec
son épée, selon le témoignage du pape Pie II. Ensuite son ami Jacques Cœur, grand argentier du royaume, un temps
soupçonné de vouloir s’emparer de ses biens. Ou encore Robert Poitevin, son
exécuteur testamentaire, médecin, donc susceptible d’administrer légalement du
mercure. Ou même sa cousine Antoinette de Maignelais, jalouse de ses
prérogatives, et qui d’ailleurs va très rapidement la remplacer dans le lit du
roi.
Et le décès accidentel par ingestion maladroite d’une grande quantité de
mercure dans un but curatif n’est de toute façon pas à exclure.
Agnès Sorel,
(d’après Jean Fouquet la représentant comme une vierge allaitante vers 1455),
son tombeau avec son gisant et la collégiale Saint-Ours de Loches
(Indre-et-Loire) où il se trouve, une partie de l’inscription qui y est gravée,
Charles VII, peint également par Fouquet, et le logis royal de Loches où
vécut la dame de Beauté
Tandis que son cœur est déposé dans l’abbatiale de Jumièges en
Normandie, le corps d’Agnès Sorel repose à Loches (Indre-et-Loire), dans la
collégiale Saint Ours, dans ce pays curieusement qualifié par Jules Michelet de
« pays du rire et du rien faire au climat paresseux, dans un
tombeau réalisé par des artistes anonymes, orné d’un gisant attribué au
sculpteur Jacques Mor el. On y trouve l’épitaphe suivante : « cy gist noble damoyselle Agnès Seurelle, en
son vivant dame de Beaulté, de Roquesserière, d’Issouldun et de
Vernon-sur-Seine, piteuse envers toutes gens, et qui largement donnoit de ses
biens aux églyses et aux pauvres, laquelle trépassa le IXe jour de février,
l’an de grâce MCCCC XLIX. Priiés Dieu pour l’âme d’elle. Amen. »
Alors que, très souvent, sur les gisants, on sculpte des
chiens, symboles de fidélité, aux pieds des princesses et autres femmes de la noblesse,
on trouve deux agneaux aux pieds d’Agnès, en relation bien évidemment avec son
prénom et sa douceur.
Vivante, Agnès suscitait bien des envies et des jalousies. Décédée,
réputée, à tort ou à raison, charitable mais surtout frivole, elle continue à
alimenter bien des romans, des poèmes, des scènes romanesques et… des
fantasmes.
Le peintre Jean Fouquet la représente sous les traits d’une Vierge
allaitante, le sein découvert, les yeux baissés.
Le Comte de Bussy-Rabutin* la fait représenter (avec 24 autres
femmes dont Ninon de Lenclos et Madame de Maintenon), dans son château de
Bourgogne, lors de son exil ordonné par Louis XIV.
Agnès Sorel, héroïne de Loches… la demoiselle d’honneur
devenue dame de faveur, reine de beauté aux sourcils épilés et aux ensorcelants
décolletés, égérie d’un monarque qui met fin à la Guerre de Cent Ans, demeure
une bien séduisante énigme !
* Sur
Bussy-Rabutin, voir notre chronique dans le JSS n° 65 du 15 septembre
2018.
Étienne
Madranges,
Avocat à la
cour,
Magistrat
honoraire