ACTUALITÉ

Pourquoi appelait-on cette bourdonnante prison vétuste du Bourbonnais la Mal-Coiffée ?

Pourquoi appelait-on cette bourdonnante prison vétuste du Bourbonnais la Mal-Coiffée ?
Publié le 20/10/2019 à 09:30



C’est l’histoire d’un édifice aux divers offices. D’une prison dans un donjon. D’une tour sans coiffe recevant des criminels et des boit-sans-soif. Une histoire qui décoiffe !



Moulins, en Auvergne, qui tient son nom de la présence de moulins à eau implantés le long de la berge de l’Allier, est le rendez-vous de chasse des ducs de Bourbon qui en font leur capitale. Ils y érigent au Moyen Âge un château. Vers l’an 1400 (des études dendrochronologiques des poutres permettent de retenir cette date), une tour, sorte de donjon, y est adjointe. Construite en grès provenant des proches carrières de Coulandon, haute de 45 mètres, comportant 10 niveaux dont 3 souterrains, elle en impose. Mais son joli toit-terrasse est remplacé par un toit plat. Le duc, contemplant sa tour, s’écrie alors : « c’est une belle tour, mais elle est mal coiffée ! ». Le duc… ou le roi ? Car une légende attribue la même expression à Louis XIV. Dès lors, la tour est ainsi nommée au long des siècles. On l’orthographie Mal-Coiffée, Mal Coiffée, ou encore Malcoiffée.


À l’origine, elle sert de bibliothèque pour les ducs. Dans la nuit du 2 au 3 juin 1755, un violent incendie se déclare au premier étage dans l’appartement d’un officier de marine, le marquis des Gouttes. La fumée est intense et on n’y voit goutte ! L’incendie atteint rapidement la Mal-Coiffée, dont les structures sont toutefois préservées. Le palais du duc se retrouve caduc. On abandonne le château, et on transforme dès le XVIIIe siècle la tour en prison.


Cette prison, disposant au XXe siècle de 50 places, mais recevant des détenus plus nombreux (dont l’histoire ne dit pas s’ils étaient bien coiffés), surveillés par une équipe allant de 11 à 16 surveillants, ne ferme définitivement ses portes que 200 ans après son ouverture, en 1983.


Jusqu’à cette fermeture bien tardive (au regard de sa vétusté), on n’y trouve pas de cellules individuelles mais seulement des chauffoirs, où les personnes écrouées passent la journée, et des dortoirs. Les détenus sont en moyenne 8 par chauffoir, mais l’effectif peut grimper à 15 ! L’absence de toilettes impose l’usage de sceaux, vidés tous les matins dans un trou dans la cour. Le quartier des mineurs se trouve en haut de la tour, et il faut monter 100 marches pour y accéder. Le manque de place interdit l’installation d’ateliers. C’est dire si la construction d’un centre pénitentiaire moderne était attendue (actuellement la maison d’arrêt et la centrale de Moulins-Yzeure).


Évidemment, surveillants, prisonniers, visiteurs et surtout le coiffeur ne se privent pas de jouer avec les mots. On raconte qu’il aurait suffi qu’un habitant de Martigny-Courpierre (dont les habitants, dans l’Aisne, se nomment les Mal-Peignés, ce gentilé est authentique) soit incarcéré à Moulins pour qu’un Mal-Peigné se retrouve à la Mal-Coiffée !






Après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, des anti-bonapartistes y sont enfermés.


La prison connaît une période douloureuse de son histoire pendant la Seconde Guerre mondiale. Lors de l’invasion allemande en 1940, une ligne de démarcation coupe la France en deux. Elle passe au cœur de Moulins. La Mal-Coiffée se retrouve en zone occupée. Les Allemands l’utilisent aussitôt, en particulier pour incarcérer ceux qui tentent de franchir clandestinement la ligne de démarcation afin de passer en zone libre. Puis ils y internent dès 1941 les personnes qui tentent de fuir les persécutions antisémites. La Mal-Coiffée devient un centre de transit pour ceux qui vont se retrouver à Drancy. En avril 1941, les détenus de droit commun la quittent, et la Mal-Coiffée devient la prison de la Wehrmacht. En novembre 1942, après le débarquement des Alliés en Afrique du nord, elle est utilisée par les services de sécurité de la Schutzstaffel (les tristement célèbres SS) pour regrouper les Résistants. En janvier 1943, le personnel pénitentiaire français est licencié et les Allemands assurent seuls la surveillance intégrale (cas unique en France). Les cachots sont surpeuplés, la torture est courante. Les départs en déportation vers les camps d’extermination sont nombreux. On compte 185 détenus en février 1944, plus de 400 en août 1944. Le grand cachot peut « héberger » 100 détenus ! Fin août, après le débarquement de Provence, devant la pression des Alliés, les Allemands quittent l’Allier. Ils libèrent des prisonniers, en déportent d’autres. La Mal-Coiffée est vidée de tous ses occupants (c’est le cas de le dire…), ce qui provoque une liesse populaire. Parmi les libérés, le Résistant Robert Fleury va être nommé préfet de l’Allier dès la Libération, le Résistant Maurice Tinland, avocat, deviendra maire de Moulins. À partir de septembre 1944, la prison moulinoise retrouve sa vocation initiale par le retour des détenus de droit commun et accueille de nouveaux pensionnaires, les collaborateurs. Après les hystériques coups de trique de la Gestapo, la colérique réplique pour les collabos ! Le donjon construit par les Bourbon reste bien la prison qui donne le bourdon.


Après la guerre, la guillotine n’y est installée qu’une fois, dans la cour, pour une dernière exécution en 1948.


De nombreux graffitis, dont certains très anciens, témoignent de la souffrance et de l’attente des condamnés.


Livres rares et incendie, mitards et graffitis, maquisards et nazis… la Mal-Coiffée, fierté d’un duché, puis abri de prisonniers, demeure un riche concentré de leur passé pour les Moulinois passionnés.


 


Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


 


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles