Cédric Villani, député
de l’Essonne (5e circonscription), a été présenté aux membres du
Cercle Turgot par son président d’honneur et fondateur, Jean-Louis Chambon. Le
célèbre lauréat de la médaille Fields (2010) a expliqué sa transformation
d’enseignant chercheur à parlementaire.
Cédric Villani rappelle à l’occasion d’une réunion du
Cercle Turgot, que Napoléon reste, de loin, le « meilleur mathématicien
qui ait présidé aux destinées de l’État », membre de l’académie des
sciences, capable de soutenir la conversation avec les esprits les plus
brillants de l’époque. Il a apporté une contribution précieuse sur la façon
dont il convenait d’organiser les sciences et leurs rapports avec la politique.
Par la suite, certains professeurs investis dans la vie publique y ont laissé
leur carrière, comme Frédéric Joliot-Curie, d’autres la vie. Lavoisier, Bailly
(premier maire de Paris) ont connu des sorts tragiques. En résulte une forme de
conviction dans le milieu scientifique selon laquelle la politique ne s’aborde
pas sans danger. Cette réticence se comprend d’autant mieux aujourd‘hui, face à
la communication surabondante, foisonnante, très violente, à la propagation
incontrôlée de nouvelles non vérifiées reprises suivant un manque de rigueur
consternant. De plus, la question de la confiance joue. Le monde scientifique
jouit d’une aura de mystère et de la foi des concitoyens parce qu’il participe
au progrès. La côte d’opinion favorable vis-à-vis du CNRS s’élève à 90 % contre
15 % pour tous les partis politiques confondus. Les citoyens s’imaginent que
les élus se soucient d’abord de leurs propres intérêts. Passer d’un domaine à
l’autre est quasiment une gageure.
Cédric Villani se revendique pro-européen, voire
fédéraliste. Il a donc logiquement soutenu Emmanuel Macron. Mais de là à
postuler lui-même pour un mandat, l’enseignant a longuement hésité. C’est une
infox qui l’a décidé, à quelques semaines du premier tour des présidentielles ;
une fausse information parue dans la presse qui lui apprenait qu’il était
candidat !
Au lieu de faire publier un démenti et de suivre les conseils dissuasifs
d’entrer en politique, Cédric Villani choisit de franchir le pas. Après une
campagne menée tambour battant, il a la joie de se confronter à l’Assemblée
nationale et à ses énigmes dont la plus complexe consiste peut-être à maîtriser
l’emploi du temps. « Les horaires déments imposent un tel rythme de rendez-vous
que les élus doivent se démultiplier pour rejoindre simultanément leur
circonscription, l’hémicycle, un cabinet ministériel, etc. » Il découvre
également la discipline des groupes parlementaires et l’obligation de donner
son avis sur tout, d’être pris à partie en permanence, quel que soit le sujet,
comme s’il en était responsable depuis toujours. Il lui faut par ailleurs
apprendre à collaborer avec les services de l’Assemblée et à décrypter la
langue juridique.
Il s’occupe de l’office parlementaire des choix
scientifiques et technologiques.
Avec Philippe Dautry, conseiller à l’Assemblée nationale, il rénove la
structure pour la rendre plus réactive, plus ouverte, plus experte et lui
donner plus de poids. Par ailleurs, au niveau de la circonscription, le projet
de construction Paris-Saclay constitue son principal dossier en termes d’enjeux
scientifiques. Aujourd’hui, les développements doivent se mener dans la
concertation entre politiques, spécialistes et citoyens. Le député est formel,
oublier un des interlocuteurs, c’est aller dans le mur.
« Avoir eu la médaille Fields, quand vous arrivez au
Parlement, c’est un avantage et une gêne au début. Vous faites partie de 5 ou 6
personnes très identifiées dans l’hémicycle dès la rentrée. Vous jouissez d’une
certaine déférence, mais aussi d’une forme de distance. » Après un an, s’opère une transition, et les échanges se font facilement
entre collègues.
Le parlementaire constate que la France est une des rares Nations où le
respect pour l’intellectuel reste considérable. Comparativement à d’autres
pays, nous faisons figure de privilégiés. Néanmoins,
le sachant, tout respecté qu’il soit, doit toujours aborder les dialogues avec
empathie et chercher les points rassembleurs. S’il maîtrise la logique et les
statistiques, il lui faut argumenter avec un langage humain. Du reste, une
carrière internationale d’enseignant chercheur se construit à travers une foule
de rencontres dans le monde. Cela apporte un sens du contact affuté.
Cédric Villani se montre particulièrement vigilant à éviter tout
revirement et à ce que ses paroles soient bien en phase avec sa pensée. En
accord avec son profil rigoureux de mathématicien, il se refuse à faire
volte-face. Il considère le manque de souplesse, l’inadaptabilité comme une
exigence, et prend le pari qu’avec le temps, ce sera finalement un avantage.
C2M