En 1958, le Pouvoir judiciaire cède la
place à l’Autorité judiciaire. Une Autorité qu’il convient de continuer à
administrer. C’est le rôle de la Chancellerie et de ses services.
La plupart d’entre eux sont délocalisés en 2016 au nord de Paris (quartier
du Millénaire, site Olympe de Gouges), mais la Chancellerie continue à rayonner
sur l’une des 5 places
royales de Paris (Vendôme, Concorde, Vosges, Dauphine, Victoires), héritière
d’une singulière histoire ininterrompue depuis 300 ans dans un édifice
confisqué à un embastillé.
Il est magistrat, fils de notaire, anobli par la
savonnette à vilain*. Paul Poisson de Bourvallais, Premier président du Parlement de Bretagne,
devient en 1689 contrôleur
général des finances. Il achève la construction du château de Champs sur Marne
et occupe en 1706, au 13, place Vendôme, un hôtel particulier appartenant à son
beau-père, Guyon de Bruslon, président de l’Élection de Paris, construit en
1699 par
le maître des Requêtes Joseph Guillaume de la Vieuville, décédé en 1700.
L’édifice devient alors l’Hôtel de Bourvallais. Mais Paul Poisson de
Bourvallais, qualifié de maltôtier, accusé de malversations, est incarcéré et
doit monnayer sa liberté. Cet élégant hôtel lui est alors confisqué. Ferré
comme un poisson, Bourvallais doit aussi céder son château de Champs.
Depuis la période carolingienne, le Chancelier est un
personnage important du royaume. Dans les temps reculés, il fut grand
référendaire, apocrisiaire, archichancelier. Il est inamovible, nommé à vie. Il
passe avant le garde des Sceaux (les deux postes sont fusionnés en 1791). Lui
seul ne porte pas le deuil du roi décédé pour montrer que l’État continue
lorsque le monarque s’éteint. Traditionnellement, la Chancellerie est située au
domicile personnel du Chancelier, dans son hôtel particulier.
Le 5 septembre 1718, sous la Régence de Philippe d’Orléans (Louis XV n’a que 8 ans), le Conseil du Roi,
qui veut rehausser le caractère de la place Vendôme, attribue au Chancelier
l’hôtel confisqué à Poisson de Bourvallais.
Le Chancelier y installe donc ses bureaux, mais aussi
son habitation. Et c’est ainsi que François d’Aguesseau arrive avec sa famille
au 13, place Vendôme à Paris, au moment où les juristes et les prélats du royaume
sont en pleine effervescence depuis la publication de la bulle Unigenitus
fulminée par le pape Clément XI en 1713 à la demande de Louis XIV pour combattre le
jansénisme et depuis l’Édit de juillet 1717 rappelant les lois fondamentales du royaume et « l’heureuse
impuissance » du roi de pouvoir aliéner le domaine de la couronne,
interdisant aux enfants naturels légitimés par le monarque d’être appelés à la
succession au même titre que les enfants légitimes.
Depuis 1718, en comptant d’Aguesseau, 184 titulaires (Chanceliers,
Ministres) ont occupé l’hôtel de Bourvallais, parmi lesquels cinq femmes, deux
Corses, deux élus d’outremer, un ecclésiastique, un notaire, un avoué, deux
militaires, trois préfets, trois diplomates, trois chefs d’entreprise, sept membres
du Conseil d’État, 18 universitaires,
dont les 6 derniers
ministres en poste, 42 magistrats
et… 88 avocats.
L’un n’est resté que 7 jours,
trois ont été guillotinés, un autre a été fusillé, quatre ont accédé plus tard
au poste de Premier président de la Cour de cassation (un autre l’avait été
avant), trois ont été élus président de la République.
Pendant la troisième république (837 mois), la durée moyenne
d’un ministre de la justice (75 ministres pour 96 ministères,
certains l’ayant été plusieurs fois) a été de 8,7 mois. La moyenne est tombée à 8,5 mois sous la 4e République.
Sous la 5e République, elle est de 22 mois.
Classé monument historique, l’Hôtel de Bourvallais,
victime d’un incendie en 1793, conserve de jolies pièces. Au premier étage, on
trouve un Salon des Oiseaux aux multiples dorures, témoin de quelques prises de
bec, dans lequel certains hauts magistrats ont perdu des plumes, où quelques
grandes réformes judiciaires ont pris leur envol. Pour certaines réunions et
expositions, une galerie (voir photo) somptueusement décorée porte le nom du
garde des Sceaux Pierre-Denis de Peyronnet (nommé en 1821), avocat puis
président du tribunal de Bordeaux puis procureur général à Bourges et Rouen,
condamné pour haute trahison lors de la révolution de 1830 à la détention à
perpétuité avant d’être gracié six ans plus tard.
Le garde des Sceaux a pour bureau la bibliothèque
royale, où se trouvent la table de travail de l’archichancelier Cambacérès,
l’imposante presse à sceller, servant à apposer le grand sceau républicain sur
les lois constitutionnelles et les textes à portée historique, et de rares
fauteuils recouverts de tapisseries d’Aubusson évoquant des fables de La
Fontaine inspirées de celles du poète phrygien Ésope : Le renard et le
bouc, Le loup et l’agneau, Le lion et le moucheron.
Dans Le renard et le bouc, les deux animaux se
désaltèrent mais le rusé renard laisse le bouc au fond du puits et l’histoire
se termine par « en toute chose il faut considérer la fin ».
Dans Le loup et l’agneau, les deux animaux se désaltèrent également,
mais l’un dévore l’autre car « la raison du plus fort est toujours la
meilleure ». Dans Le lion et le moucheron, ce dernier a
sauvagement piqué le roi des animaux qui n’a pu l’attraper avant de finir dans
une toile d’araignée, ce qui permet au fabuliste d’ironiser : quiconque
s’est soustrait à un grand péril « périt pour la moindre affaire ».
Des aphorismes qu’on dû méditer des générations de ministres et de juges !
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire