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Quel est le plus vieux monument de Paris, réalisé par un successeur de Toutânkhamon ?

Quel est le plus vieux monument de Paris, réalisé par un successeur de Toutânkhamon ?
Publié le 28/04/2019 à 09:37

Il se dresse depuis 1836?vers le ciel parisien et domine la plus belle place de la capitale entourée de lampadaires et de colonnes rostrales, entre la fontaine des Mers et la fontaine des Fleuves. Un fier symbole de concorde nationale et internationale !



Monolithe, quadrangulaire, haut de 23?mètres, fort de ses 227?tonnes de granit rose d’Assouan, servant de gnomon, entouré il y a 100?ans par des phaétons, survolé par des faucons pèlerins, il a été conçu par un pharaon parfois représenté sous forme d’un dieu à tête de faucon afin d’être vénéré par les pèlerins.


L’obélisque de Louxor est très viril et se met donc au masculin, tout comme le petit astérisque étoilé. Il s’éloigne singulièrement de son étymologie car en grec, obeliscos signifie petite broche à rôtir ! Il doit sa présence en France à la générosité de Méhémet Ali, un Ottoman vice-roi d’Égypte. En 1830, ce pacha, dont le harem comporte quelques odalisques, veut offrir les deux obélisques ornant l’entrée du temple de Louxor au roi Charles X.


En raison des difficultés techniques liées au transfert, un seul de ces lourds fûts de pierre, choisi par Champollion, traverse finalement la Méditerranée. Le second, resté sur place à Louxor sur son socle, sera restitué à l’Égypte en septembre 1981?par le président Mitterrand.


Le concepteur des obélisques est Ramsès II, le pharaon au très long règne, aux 12?épouses, aux 200?concubines et aux plus de 100?enfants, grand bâtisseur, adepte du gigantisme. Ramsès II, né en -1304, soit 23?ans après la mort de Toutânkhamon, est le troisième pharaon de la XIXe dynastie. On ne sait toujours pas avec certitude s’il est le pharaon qui a connu Moïse et l’Exode, comme le pensent certains historiens. On lui doit les célèbres temples d’Abou Simbel, et il demeure sans aucun doute, avec Toutânkhamon, l’un des deux pharaons les plus célèbres.


À son époque, la justice, qu’il exerce personnellement ou qu’il fait exercer par les juges qu’il nomme, est symbolisée par la déesse Maât, représentée de façon anthropomorphe sur les édifices, ayant la peau jaune-ocre, portant une longue robe moulante avec une plume comme attribut. Le hiéroglyphe qui la représente est d’ailleurs une plume d’autruche, probablement choisie comme symbole en raison de l’égalité régulière des plumes de cet oiseau.


L’opération d’enlèvement en Égypte, de transport, et d’installation à Paris est confiée à l’ingénieur Lebas.
Le transport n’est pas sans risque car il faut trouver, au pays des Mamelouks, la bonne felouque ! Louxor (ancienne Thèbes) se situe à 700
?km au sud du Caire.


Apollinaire Lebas, polytechnicien, spécialiste du jeu de dominos, n’est pas un poète mais un scientifique pétri d’humanités. Il regrette la disparition de l’ancienne Égypte, « source de toute philosophie, antique berceau des sciences et des arts » selon lui. Il organise la totalité du transfert depuis Louxor. Il lui faut étudier au préalable les conditions de la translation, les forces qu’il convient d’exercer pour le levage, trouver des ouvriers, faire construire une embarcation adaptée, cange ou allège, avec 5?quilles et une proue amovible, capable de passer sous les ponts de la Seine à la fin de son parcours.
Il doit trouver les bonnes poulies suspendues à leurs estropes, attendre une crue du Nil pour pouvoir naviguer, affronter la mer, remonter la Seine, requérir ensuite des centaines d’artilleurs pour utiliser leur force musculaire qui entameront leurs efforts au son du clairon, multiplier les bigues destinées au levage, les treuils, les cabestans…


L’installation au centre de la place de la Concorde,  là-même où le couperet de la guillotine s’abattit sur le cou de Louis XVI*, est une opération délicate. Le choix de la place est politique, avec un souci d’unité nationale et de neutralité : il permet d’éviter de choisir entre un décor royal et un décor révolutionnaire.


Il faut créer un piédestal car le socle d’origine, qui a suivi le mégalithe sculpté, est orné de singes montrant leur sexe. Ces babouins** sont considérés comme impudiques (ce bloc de plus de 5?tonnes est actuellement temporairement exposé au Louvre de Lens).


Érection d’un obélisque, oui ! Mais érection de babouins, que nenni !


Lebas doit, pour conclure son ouvrage, trouver les triqueballes et appareillages, assurer les arrimages, multiplier les engins de levage, afin de dresser la lourde aiguille à la verticale sans dommages.


Le jour choisi pour implanter le nouveau décor est le 25?octobre 1836.


Tandis qu’à Strasbourg, Louis-Napoléon Bonaparte prépare sa première tentative de coup d’État (qui entrainera son bannissement), Lebas, en chef d’orchestre, joue sa partition finale. En présence de 150?000?spectateurs, pendant 4?heures, sous un ciel maussade, il réussit. Le roi Louis-Philippe, resté discret derrière une fenêtre de l’Hôtel de la Marine dans un premier temps afin de ne pas être associé à un éventuel échec, apparaît triomphalement.


Désormais coiffé d’un pyramidion doré, l’obélisque demeure un point de mire très entouré que l’on admire.


Voulant se rassurer, Ramsès II, chef d’État momifié, accueilli en France par un ministre en présence de la Garde Républicaine lui rendant les honneurs, est passé place de la Concorde le 26?septembre 1976?avant de se faire soigner. Il a pu constater que la déesse de la Justice Maât, garante d’une société harmonieuse et de l’équilibre cosmique… était bien présente sur son monolithe. Une présence bien rassurante… et plus que jamais nécessaire pour la capitale !


 


Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


* À propos du rôle joué par Louis XVI quant à la forme du couperet de la guillotine, voir notre chronique sur ce thème dans le JSS 18 du 6 mars 2019.

** Concernant les babouins, voir notre chronique sur Buffon dans le JSS n° 72 du 10 octobre 2018.


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