Il se dresse depuis 1836?vers le ciel parisien et
domine la plus belle place de la capitale entourée de lampadaires et de
colonnes rostrales, entre la fontaine des Mers et la fontaine des Fleuves. Un
fier symbole de concorde nationale et internationale !
Monolithe, quadrangulaire, haut de 23?mètres, fort de ses 227?tonnes de granit rose
d’Assouan, servant de gnomon, entouré il y a 100?ans par des phaétons, survolé par des
faucons pèlerins, il a été conçu par un pharaon parfois représenté sous forme
d’un dieu à tête de faucon afin d’être vénéré par les pèlerins.
L’obélisque de Louxor est très viril et se met donc
au masculin, tout comme le petit astérisque étoilé. Il s’éloigne singulièrement
de son étymologie car en grec, obeliscos signifie petite broche à
rôtir ! Il doit sa présence en France à la générosité de Méhémet Ali,
un Ottoman vice-roi d’Égypte. En 1830, ce pacha, dont le harem comporte
quelques odalisques, veut offrir les deux obélisques ornant l’entrée du temple
de Louxor au roi Charles X.
En raison des difficultés techniques liées au
transfert, un seul de ces lourds fûts de pierre, choisi par Champollion,
traverse finalement la Méditerranée. Le second, resté sur place à Louxor sur
son socle, sera restitué à l’Égypte en septembre 1981?par le président
Mitterrand.
Le concepteur des obélisques est Ramsès II, le
pharaon au très long règne, aux 12?épouses, aux 200?concubines et aux plus de 100?enfants, grand bâtisseur,
adepte du gigantisme. Ramsès II, né en -1304, soit 23?ans après la mort de
Toutânkhamon, est le troisième pharaon de la XIXe dynastie. On ne
sait toujours pas avec certitude s’il est le pharaon qui a connu Moïse et
l’Exode, comme le pensent certains historiens. On lui doit les célèbres temples
d’Abou Simbel, et il demeure sans aucun doute, avec Toutânkhamon, l’un des deux
pharaons les plus célèbres.
À son époque, la justice, qu’il exerce
personnellement ou qu’il fait exercer par les juges qu’il nomme, est symbolisée
par la déesse Maât, représentée de façon anthropomorphe sur les édifices, ayant
la peau jaune-ocre, portant une longue robe moulante avec une plume comme
attribut. Le hiéroglyphe qui la représente est d’ailleurs une plume d’autruche,
probablement choisie comme symbole en raison de l’égalité régulière des plumes
de cet oiseau.
L’opération d’enlèvement en Égypte, de transport, et
d’installation à Paris est confiée à l’ingénieur Lebas.
Le transport n’est pas sans risque car il faut trouver, au pays des Mamelouks,
la bonne felouque ! Louxor (ancienne Thèbes) se situe à 700?km au sud du Caire.
Apollinaire Lebas, polytechnicien, spécialiste du
jeu de dominos, n’est pas un poète mais un scientifique pétri d’humanités. Il
regrette la disparition de l’ancienne Égypte, « source de toute
philosophie, antique berceau des sciences et des arts » selon lui. Il
organise la totalité du transfert depuis Louxor. Il lui faut étudier au
préalable les conditions de la translation, les forces qu’il convient d’exercer
pour le levage, trouver des ouvriers, faire construire une embarcation adaptée,
cange ou allège, avec 5?quilles
et une proue amovible, capable de passer sous les ponts de la Seine à la fin de
son parcours.
Il doit trouver les bonnes poulies suspendues à leurs estropes, attendre une
crue du Nil pour pouvoir naviguer, affronter la mer, remonter la Seine,
requérir ensuite des centaines d’artilleurs pour utiliser leur force musculaire
qui entameront leurs efforts au son du clairon, multiplier les bigues destinées
au levage, les treuils, les cabestans…
L’installation au centre de la place de la
Concorde, là-même où le couperet de la
guillotine s’abattit sur le cou de Louis XVI*, est une opération délicate. Le
choix de la place est politique, avec un souci d’unité nationale et de
neutralité : il permet d’éviter de choisir entre un décor royal et un
décor révolutionnaire.
Il faut créer un piédestal car le socle d’origine,
qui a suivi le mégalithe sculpté, est orné de singes montrant leur sexe. Ces
babouins** sont considérés comme impudiques (ce bloc de plus de 5?tonnes est actuellement
temporairement exposé au Louvre de Lens).
Érection d’un obélisque, oui ! Mais érection de
babouins, que nenni !
Lebas doit, pour conclure son ouvrage, trouver les
triqueballes et appareillages, assurer les arrimages, multiplier les engins de
levage, afin de dresser la lourde aiguille à la verticale sans dommages.
Le jour choisi pour implanter le nouveau décor est
le 25?octobre
1836.
Tandis qu’à Strasbourg, Louis-Napoléon Bonaparte prépare
sa première tentative de coup d’État (qui entrainera son bannissement), Lebas,
en chef d’orchestre, joue sa partition finale. En présence de 150?000?spectateurs, pendant 4?heures, sous un ciel
maussade, il réussit. Le roi Louis-Philippe, resté discret derrière une fenêtre
de l’Hôtel de la Marine dans un premier temps afin de ne pas être associé à un
éventuel échec, apparaît triomphalement.
Désormais coiffé d’un pyramidion doré, l’obélisque
demeure un point de mire très entouré que l’on admire.
Voulant se rassurer, Ramsès II, chef d’État momifié,
accueilli en France par un ministre en présence de la Garde Républicaine lui
rendant les honneurs, est passé place de la Concorde le 26?septembre 1976?avant de se faire
soigner. Il a pu constater que la déesse de la Justice Maât, garante d’une
société harmonieuse et de l’équilibre cosmique… était bien présente sur son
monolithe. Une présence bien rassurante… et plus que jamais nécessaire pour la
capitale !
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire
* À propos du rôle joué par Louis XVI quant à la forme du
couperet de la guillotine, voir notre chronique sur ce thème dans le JSS
18 du 6 mars 2019.
** Concernant les babouins, voir notre chronique sur Buffon
dans le JSS n° 72 du 10 octobre 2018.