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Quel médecin, inventeur de la presse, recommandant l’usage de la pimprenelle et du chardon béni, vient en aide aux dépossédés de Loudun ?

Quel médecin, inventeur de la presse, recommandant l’usage de la pimprenelle et du chardon béni, vient en aide aux dépossédés de Loudun ?
Publié le 06/12/2019 à 11:07

Chaque automne, les prix littéraires enflamment les commentateurs. L’un de ces prix, créé en 1926, porte le nom du premier journaliste français et nous rappelle la singulière histoire de ce personnage hors du commun qui fut nommé par le roi de France « commissaire aux pauvres du royaume ».


C’est l’histoire, au XVIIe siècle, d’un philanthrope imaginatif. D’un réformé inventant le mont-de-piété. D’un converti au catholicisme qui lutte contre tous les scepticismes. D’un chirurgien très chrétien apprenant la médecine avec des professeurs montpellierains.


D’un porteur d’écrouelles aidant les pauvres traînant dans les ruelles. D’un natif de Loudun aidant les dépossédés de leurs biens. D’un Loudunois créant Pôle-emploi ! D’un homme au talent manifeste mais au comportement modeste. D’un médecin du roi qui devient historiographe du roi. D’un lecteur de Platon vendant du polychreston.


Théophraste Renaudot commercialise en effet un médicament imaginé par l’apothicaire Jacques Boisse, sorte de remède universel, appelé polychreston, censé guérir l’apoplexie, la fièvre, la mélancolie, la paralysie… composé de 83 substances végétales et minérales, liquides et en poudre, parmi lesquelles de l’absinthe, de l’angélique, de la réglisse, du fenouil, de la verveine, des figues, de la pimprenelle, du serpolet, du chardon béni, de l’anis, du miel, de l’ivoire, du corail… qui se présente sous forme d’un électuaire, c’est-à-dire d’une pâte molle. À la saignée, cet anatomiste préfère les soins par les plantes.


Théophraste, un prénom très rare ! D’origine hellène, signifiant « celui qui explique dieu ». Il y eut un scholarque athénien (directeur d’école philosophique) Théophraste, élève d’Aristote, spécialiste de l’observation, aux 4e-3e siècles avant JC.





La statue de Théophraste Renaudot (par Alfred Charron) devant l’Hôtel de Ville de Loudun (Vienne), reconstitution du bureau de Renaudot dans sa maison natale, désormais musée Renaudot à Loudun, et extrait de sa célèbre « Gazette »


Mais Théophraste Renaudot, contemporain de Louis XIII, est surtout le créateur de la presse française, en 1631, à travers sa « Gazette » hebdomadaire, premier journal à parution régulière, à l’origine journal politique favorable au cardinal de Richelieu. Il possède sa propre imprimerie.


Il s’agit d’un acte fondateur à une époque où circulent des écrits licencieux sur les comportements de la Cour, où les feuilles volantes imprimées en cachette sont légion, où le besoin de nouvelles de qualité se fait sentir. L’inventeur de la Gazette, patriote aimant l’État, devient ainsi, peu ou prou, la plume de Richelieu. Très vite, le nouveau journal suscite des commentaires variés. Les adversaires de Renaudot trouvent sa Gazette pas assez renseignée. Renaudot le constate lui-même : « les capitaines y voudroient rencontrer tous les jours des batailles, des sièges levés, des villes prises : les plaideurs des arrests en pareils cas ; les personnes dévotieuses y cherchent les noms des prédicateurs… ».


Lorsque les États étrangers en interdisent l’importation, il les prie de ne « perdre point inutilement le temps à vouloir fermer le passage » à ses nouvelles, évoquant « la nature des torrents qu’il se grossit par la résistance ». La Gazette connaîtra, sous différentes formes et périodicités, une longue fortune puisqu’elle ne disparaîtra qu’en 1915 !


À la mort du cardinal, on fera payer cher au médecin-journaliste ses initiatives. Car le doyen de la faculté de médecine de Paris, Gui Patin, d’une jalousie maladive à son égard, se comportant comme l’adversaire déclaré de l’avant-gardiste Renaudot, parfois traité avec méchanceté de fripier ou d’usurier, s’acharne à faire interdire toutes les innovations de ce dernier, qui doit fermer son Bureau d’adresse.


Renaudot est en effet également le créateur du célèbre « Bureau d’adresse » et des petites annonces. Le Bureau d’adresse, installé à Paris dans l’île de la Cité, est, avec ses annexes, tout à la fois un cabinet de consultations sur des sujets multiples, un lieu de conférences et de rencontres, sorte d’université populaire, une agence pour l’emploi, un mont-de-piété, une institution charitable, un hôtel des ventes, un lieu de distribution gratuite de médicaments.


Lors des conférences du lundi, on y parle aussi bien de « la petite fille velue » que des incubes et des succubes, du vide, des cadavres qui saignent, de lenfermement des pauvres pour assurer l’ordre public, des remèdes chimiques, de cosmologie, de morale, d’innovations médicales.


Le Bureau d’adresse est un lieu d’accueil et d’écoute mais aussi un dispensaire. Renaudot écrit : « À toute heure, les pauvres y trouveront gratuitement avis des commodités et occasions qu’il y aura de gagner leur vie, la plus charitable aumosne qu’on leur puisse despartir ». Le philanthrope est résolument tourné vers les miséreux : « donnez sans rien espérer… Il faut que dans un Estat les riches aydent aux pauvres, son harmonie cessant, lorsqu’il y a partie d’enflée outre mesure, les autres demeurant atrophiées. » Ce Bureau est contesté par des intellectuels qui saisissent le Parlement de Paris, qui conforte fort heureusement le génial concepteur, lequel multiplie les initiatives, et tente, en vain, d’imposer un « règlement des pauvres ».


Parfois méconnu par ses contemporains, homme d’esprit, fin et généreux, actif à Loudun comme à Paris, homme de confiance d’un grand cardinal, médecin aux vertus cardinales, persécuté par la Faculté de médecine, rédacteur talentueux, publicitaire persuasif, inventeur fécond, grand Français mort dans une quasi-misère en 1653, il aurait pourtant mérité bien plus qu’un prix, Renaudot !


Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


 


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